Proposition de règlement sur les marchés numériques (DMA) (PPRE) - Texte déposé - Sénat

N° 33

SÉNAT


SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

                                                                                                                                             

Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 octobre 2021

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE


au nom de la commission des affaires européennes,
en application de l’article 73 quater du Règlement,


sur la proposition de règlement sur les marchés numériques (DMA),


présentée

Par Mmes Catherine MORIN-DESAILLY et Florence BLATRIX CONTAT,

Sénatrices


(Envoyée à la commission des affaires économiques.)




Proposition de résolution européenne sur la proposition de règlement sur les marchés numériques (DMA)

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en particulier l’article 114,

Vu le règlement (UE) 2019/1150 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne,

Vu le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation des données, abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données – RGPD),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relative à un marché unique des services numériques (législation sur les services numériques – DSA) et modifiant la directive 2000/3/CE,

Vu la directive (UE) 2015/2366 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 2002/65/CE et 2009/110/CE, et 2013/36/UE et le règlement (UE)  1093/2010, et abrogeant la directive 2007/64/CE,

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions COM(2016) 288 final du 25 mai 2016 sur les plateformes en ligne et le marché unique numérique – Perspectives et défis pour l’Europe,

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions COM(2020) 67 final du 19 février 2020 – Façonner l’avenir numérique de l’Europe,

Vu les consultations publiques lancées par la Commission européenne le 2 juin 2020 sur le Paquet dit Digital Services Act portant, respectivement, sur l’approfondissement du marché intérieur et la clarification des responsabilités des services numériques et sur un instrument de régulation ex ante des grandes plateformes en ligne à effets de réseau significatifs se comportant comme des gatekeepers dans le Marché intérieur,



Vu le rapport d’information du Sénat  443 (2012-2013) de la commission des affaires européennes fait par Mme Catherine Morin-Desailly – L’Union européenne, colonie du monde numérique ?,



Vu le rapport d’information  696 (2013-2014) de Mme Catherine Morin-Desailly, fait au nom de la mission commune d’information sur la gouvernance mondiale de l’Internet – L’Europe au secours de l’Internet : démocratiser la gouvernance de l’Internet en s’appuyant sur une ambition politique et industrielle européenne,



Vu la résolution européenne du Sénat  131 (2016-2017) du 8 septembre 2017 pour une réforme des conditions d’utilisation des mesures conservatoires prévues par le règlement (CE)  1/2003 du Conseil relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence, adoptée sur proposition  613 (2016-2017) de Mme Catherine Morin-Desailly et le rapport  674 (2016-2017) fait par M. Philippe Bonnecarrère, au nom de la commission des affaires européennes,



Vu la résolution européenne du Sénat  23 (2018-2019) du 16 novembre 2018 sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices des services d’intermédiation en ligne, COM(2018) 238 final, faisant suite à la proposition de résolution  37 (2018-2019) de M. André Gattolin et Mme Colette Mélot,



Vu le rapport  7 (2019-2020) de M. Gérard Longuet fait au nom de la commission d’enquête sur la souveraineté numérique.



Vu le Rapport d’information  603 (2019-2020), fait au nom de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires économiques, par MM. Alain Chatillon et Olivier Henno sur la modernisation de la politique européenne de concurrence,



Vu la résolution européenne du Sénat  122 (2019-2020) du 20 juillet 2020 sur la modernisation de la politique européenne de concurrence faisant suite à la proposition de résolution  593 (2019-2020) de MM. Alain Chatillon et Olivier Henno,



Vu la proposition de loi  48 (2019-2020) visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace, présentée par Mme Sophie Primas et plusieurs de ses collègues, adoptée par le Sénat le 19 février 2020,



Sur l’opportunité d’un encadrement des pratiques des contrôleurs d’accès pour rétablir la contestabilité et l’équité du marché intérieur numérique :



Considérant que les services numériques connaissent un développement très rapide et jouent un rôle croissant au sein de l’économie européenne et du marché intérieur ;



Considérant que les services essentiels de plateformes en ligne, qui permettent de mettre en relation des entreprises utilisatrices avec un très grand nombre d’utilisateurs finaux, sont devenus indispensables pour leurs utilisateurs, entreprises comme consommateurs ;



Considérant que ces plateformes, qui bénéficient d’effets de réseau très importants, ont mis en place des pratiques de verrouillage, d’autopréférence, d’utilisation des données générées par l’activité des utilisateurs, imposé des conditions notamment financières inéquitables et développé des pratiques de nature à renforcer toujours plus leur pouvoir de marché et à nuire à l’équité des relations commerciales en ligne ;



Considérant qu’elles sont ainsi devenues des contrôleurs d’accès dont les comportements nuisent au bon fonctionnement du marché intérieur et qu’il est urgent d’encadrer ces pratiques pour remédier aux défaillances de marché structurelles qui en résultent ;



Salue l’initiative de la Commission européenne destinée à favoriser l’équité et la contestabilité du marché intérieur numérique au moyen d’un encadrement asymétrique de ces grands acteurs qui leur interdit de continuer à développer les pratiques nuisibles qu’elle énumère et leur impose des obligations précises de nature à permettre le développement des acteurs en ligne et la protection des utilisateurs finaux ;



Sur les services de plateforme essentiels concernés :



Considérant que la proposition de règlement entend cibler les fournisseurs de services de plateforme essentiels, qu’elle qualifie de « contrôleurs d’accès », qui mettent en relations des entreprises utilisatrices et des utilisateurs finaux, entreprises ou consommateurs ;



Considérant que l’article 2 liste limitativement huit services de plateforme qualifiés d’essentiels pour lesquels la Commission indique qu’ils sont les plus utilisés et pour lesquels les pratiques déloyales constatées appellent une réponse urgente ;



Estime que la liste retenue présente le triple inconvénient de ne pas tenir compte de la dimension écosystémique des plateformes structurantes, de laisser de côté certains services comme les navigateurs, les assistants vocaux et les services de messagerie en ligne, qui sont également source de pratiques abusives, enfin de conduire à une qualification de contrôleur d’accès pour des services qui, exercés isolément, n’apparaissent pas de nature à permettre le développement systématique de pratiques déloyales ;



Préconise une approche combinant services essentiels et services secondaires, une plateforme ne pouvant être qualifiée de contrôleur d’accès dans le cadre de l’article 3 que si elle propose au moins deux services essentiels ou un service essentiel et un service secondaire ;



Suggère de qualifier de services secondaires les services de cloud et de publicité en ligne auxquels s’ajouteraient les navigateurs, dont la neutralité n’est pas assurée.



Sur les critères de définition des contrôleurs d’accès :



Considérant que l’article 3 de la proposition de règlement définit les contrôleurs d’accès qu’elle cible comme des fournisseurs de services de plateforme essentiels dès lors qu’ils ont un poids important sur le marché intérieur (a), qu’ils assurent un service de plateforme essentiel qui constitue un point d’accès majeur des entreprises utilisatrices aux utilisateurs finaux (b) et qu’ils jouissent d’une position solide et durable (c) ;



Considérant que les fournisseurs de services essentiels sont de plein droit considérés comme des contrôleurs d’accès, sauf preuve contraire, dès lors qu’ils franchissent des seuils de chiffre d’affaires ou de capitalisation boursière et que leur service de plateforme essentiel a enregistré plus d’un certain nombre d’utilisateurs finaux actifs au sein de l’UE au cours des trois derniers exercices ;



Considérant que l’article 3 donne un délai de trois mois aux contrôleurs d’accès pour se déclarer en tant que tels dès lors qu’ils atteignent ces seuils ;



Considérant que tout contrôleur d’accès dispose d’un délai de six mois à compter de sa désignation comme tel par la Commission pour se mettre en conformité avec les obligations figurant aux articles 5 et 6 ;



Constate que cette approche quantitative, qui permet de cibler les points d’accès, est assortie d’une obligation faite aux acteurs concernés de se déclarer auprès de la Commission et limite les possibilités de contestation, devrait permettre d’identifier très rapidement les acteurs concernés ;



Estime toutefois que si les seuils quantitatifs proposés sont pertinents, leurs modalités de calcul doivent être définies en annexe du règlement, service par service, notamment pour le décompte des utilisateurs actifs (entreprises utilisatrices sur une base annuelle et utilisateurs finaux sur une base mensuelle), plutôt que par des actes délégués adoptés par la Commission, sans préjudice toutefois de la possibilité d’adaptations ultérieures de ces modalités par cette voie pour prendre en compte les évolutions du marché et de la technologie ;



Estime indispensable de réduire les délais de mise en œuvre des obligations et interdictions prévues par le règlement ;



Préconise pour ce faire de réduire de trois à un mois le délai de déclaration de l’atteinte des seuils par les fournisseurs de services de plateforme essentiels, de prévoir une sanction en cas de retard ou d’absence de déclaration et de réduire les délais de désignation comme contrôleur d’accès par la Commission ;



Estime que le délai de mise en conformité de six mois accordé aux contrôleurs d’accès doit être réduit de moitié ;



Sur les obligations et interdictions imposées aux contrôleurs d’accès :



Considérant que la Commission propose un dispositif qui interdit un ensemble de pratiques systémiques structurelles incontestablement nuisibles et met, pour y répondre, des obligations positives pertinentes à la charge des contrôleurs d’accès ;



Considérant que le caractère auto-exécutoire de ces obligations permet de faciliter le contrôle de leur respect, même si certaines modalités devront être précisées dans le cadre d’un dialogue entre la Commission européenne et chacun des contrôleurs d’accès, et leur mise en œuvre rapide, de nature à rétablir un fonctionnement plus équitable du marché numérique ;



Observe toutefois que certaines des obligations imposées aux contrôleurs d’accès sont insuffisamment précises ou incomplètes et préconise en particulier :



– de renforcer les restrictions en matière de combinaison des données prévues à l’article 5§1 (a) en interdisant au contrôleur d’accès de proposer une offre dégradée en cas de refus de consentement de l’utilisateur à l’utilisation de ses données et de recourir à des subterfuges (dark patterns) pour orienter le consentement de l’utilisateur ;



– d’appliquer aux services commerciaux hors ligne proposés par les entreprises utilisatrices l’interdiction des clauses de parité figurant à l’article 5§1 (b);



– d’étendre aux services de paiement et aux autres services accessoires l’interdiction faite au contrôleur d’accès à l’article 5§1 (e) d’exiger des entreprises utilisatrices qu’elles recourent à ses services d’identification soit renforcée et étendue aux services de paiement ;



Estime qu’il devrait être précisé que l’obligation, figurant à l’article 6§1 (b), de permettre aux utilisateurs finaux de désinstaller toute application logicielle préinstallée dans un service de plateforme doit être facile à mettre en œuvre par tout utilisateur particulier ou entreprise ;



Souligne que la prohibition de l’autopréférence du contrôleur d’accès figurant à l’article 6§1 (d) soit étendue au-delà du classement des offres à toute technique permettant d’influencer les utilisateurs finaux pour les orienter vers les produits et services du contrôleur d’accès et d’entreprises liées ;



Recommande qu’il soit précisé que les contrôleurs d’accès doivent prendre des mesures permettant une mise en œuvre effective des principes d’interopérabilité et de portabilité des données posés à l’article 6§1 (f) et (h) qui sont des éléments clef du bon fonctionnement du marché numérique ;



Estime qu’il pourrait être utilement précisé que toute clause contraire aux interdictions ou obligations figurant aux articles 5 et 6 est nulle de plein droit ;



Constate que l’article 10 habilite la Commission à mettre à jour ces obligations par voie d’actes délégués, après enquête de marché, et indique qu’il pourrait s’agir de nouvelles obligations ;



Estime que la portée de la délégation doit être clairement circonscrite à l’explicitation des modalités de mise en œuvre des obligations figurant aux articles 5 et 6, y compris l’extension éventuelle de leur champ d’application ;



Sur la lutte contre les contournements :



Considérant que l’article 11 interdit au contrôleur d’accès de mettre en œuvre des dispositifs permettant de contourner les obligations et interdictions édictées par le règlement ;



Préconise de renforcer cette interdiction en précisant qu’est interdit tout comportement qui aurait en pratique le même objet ou un effet équivalent à celui des pratiques visées par les articles 5 et 6 ;



Sur les délais de mise en œuvre de mesures correctrices et leur suivi :



Considérant que l’article 16 de la proposition de règlement prévoit que la Commission peut imposer à un contrôleur d’accès la mise en œuvre de mesures correctrices comportementales ou structurelles en cas d’infraction systématique à ses obligations ;



Considérant que le caractère systématique du manquement est constitué dès lors que la Commission a adopté trois décisions de non-conformité au cours des cinq années précédentes concluant des enquêtes de marché dont la durée peut atteindre douze mois, sauf prolongation ;



Considérant qu’il ne faut pas laisser perdurer des manquements qui portent gravement atteinte au bon fonctionnement du marché numérique et pénalisent tant les entreprises utilisatrices que les utilisateurs finaux ;



Recommande que la mise en œuvre de remèdes soit imposée dès lors que deux manquements, et non trois, ont été constatés par la Commission ;



Préconise la mise en place par la Commission d’un dispositif de suivi de la mise en œuvre effective des mesures correctrices ;



Sur le standard de preuve exigé pour le prononcé de mesures provisoires (conservatoires) :



Considérant que l’article 22 de la proposition de règlement reprend les critères du droit européen en matière de prononcé de mesures provisoires par la Commission en le subordonnant au constat prima facie d’un comportement d’un contrôleur d’accès présentant un risque de préjudice grave et irréparable pour les entreprise utilisatrices ou les utilisateurs finaux ;



Considérant que ce niveau d’exigence ne permet pas de prendre effectivement de telles mesures, particulièrement dans des délais raisonnables, pour avoir un effet significatif sur la préservation de l’équilibre du marché européen du numérique ;



Considérant qu’en droit français, l’article L. 464-1 du code de commerce permet, par exemple de façon plus opérationnelle, à l’Autorité de la concurrence d’imposer, en cas d’urgence, des mesures conservatoires aux entreprises dont le comportement anticoncurrentiel porte une atteinte grave et immédiate à l’économie en général, à celle du secteur concerné, à l’intérêt des consommateurs ou à l’entreprise plaignante ;



Demande, en conséquence, que l’article 22 soit modifié afin d’alléger l’exigence de qualification dudit comportement, par exemple en prévoyant que des mesures provisoires peuvent être prononcées lorsque le comportement d’un contrôleur d’accès est susceptible de porter une atteinte grave et immédiate à l’intérêt d’une entreprise utilisatrice ou d’utilisateurs finaux ;



Sur le rôle central dévolu à la Commission européenne en matière de régulation des contrôleurs d’accès :



Considérant que les comportements prohibés par la proposition de règlement sont issus de constats effectués par la Commission dans le cadre du contrôle du respect des principes de concurrence européens et qu’il convient d’éviter les doubles poursuites tout en sélectionnant l’outil le mieux adapté ;



Considérant que la proposition de règlement confie à la Commission la responsabilité exclusive de sa mise en œuvre ;



Approuve cette démarche de nature à permettre une application uniforme sur le marché intérieur, en cohérence avec la taille des contrôleurs d’accès et leur présence très large sur le territoire européen ;



Fait toutefois observer que l’insuffisance des moyens de la Commission, en dépit de la création à terme de 80 emplois dédiés, la nécessité d’une articulation avec les compétences des autorités nationale de concurrence et les autorités sectorielles compétentes, notamment en matière de régulation des télécommunications et de protection des données à caractère personnel, et le développement d’expertises pertinentes par ces autorités en matière numérique, doivent conduire à associer ces dernières à la mise en œuvre du règlement, qu’il s’agisse de la détection des comportements déloyaux, de la réalisation de certaines enquêtes de marché ou de violations systématiques de leurs obligations par les contrôleurs d’accès, afin d’assurer la cohérence des procédures européennes et nationales ;



Préconise la création d’un réseau européen de la régulation numérique pour réunir ces autorités et la Commission et assurer la cohérence des approches avec les règles sectorielles, notamment en matière de choix de la base légale la plus opportune entre le droit de la concurrence et le DMA, ce qui évitera en outre le cumul des procédures ;



Estime nécessaire de préciser à l’article 33 que tout État membre ou autorité nationale compétente devrait pouvoir demander l’ouverture d’une enquête sur le marché au titre non seulement de l’article 15 (désignation des contrôleurs d’accès) mais également des articles 16 (non-respect systématiques de ses obligations par un contrôleur d’accès) et 17 (nouveaux services et nouvelles pratiques) et que la Commission doit alors ouvrir une enquête sauf justification documentée ;



Souligne que la Commission européenne doit informer les autorités nationales de concurrence compétentes des notifications d’acquisitions envisagées par un contrôleur d’accès prévues à l’article 12 ;



Sur l’absence de participation des utilisateurs à la régulation des contrôleurs d’accès :



Considérant que la proposition de règlement entend améliorer la situation de dépendance des entreprises utilisatrices et des utilisateurs finaux à l’égard des contrôleurs d’accès ;



Considérant que la Commission ne prévoit toutefois aucun processus de signalement, de recueil des plaintes ni d’association des intéressés à la régulation ;



Estime que le règlement devrait a minima prévoir :



– des guichets nationaux de dépôt de signalements et une procédure de transmission à la Commission ;



– l’association, en tant que de besoin, des entreprises utilisatrices à la définition des modalités de mise en œuvre des obligations prévues par le règlement et la définition des mesures correctives.

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