Document "pastillé" au format PDF (44 Koctets)

N° 87

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 octobre 2016

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 34-1 DE LA CONSTITUTION,

visant à généraliser les contrats de ressources ,

PRÉSENTÉE

Par M. Hervé POHER et les membres du groupe écologiste,

Sénateurs

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« L'eau est [...] de moins en moins souvent un « cadeau » de la nature. C'est, presque toujours, un « produit » manufacturé (traitement) en même temps qu'un « service » (distribution).

« Cette production et ce service ont un coût.

« Un bien qui a un coût ne peut être considéré comme « gratuit ». Mais quand il a l'importance de l'eau, c'est forcément une ressource qui doit être partagée, un bien "commun". »

Par ces mots, extraits de son ouvrage L'avenir de l'eau, Petit précis de mondialisation II 1 ( * ) , Erik Orsenna exprime la tension majeure qui traverse la problématique de la gestion de l'eau potable. Son exploitation et sa distribution ont un coût ; pour autant, en tant qu'élément essentiel à la vie, répondant à un besoin physiologique, l'eau doit être accessible à chacun.

Il ressort de ce constat logique que la gestion de l'eau est indissociable d'une double exigence d'égalité : égalité dans l'accès mais aussi égalité dans la répartition des coûts d'exploitation.

En France, la gestion de cette ressource est essentiellement le fait des collectivités territoriales, notamment des communes et de leurs groupements.

Ainsi, la gestion des eaux de surface, désormais adossée à la compétence GEMAPI 2 ( * ) , est désormais une compétence obligatoire du bloc communal depuis les lois MAPTAM et NOTRe. Le législateur a donc entendu confirmer l'implication de ces acteurs et leur a parallèlement donné les moyens de la financer via une taxe facultative ad hoc .

À ce bloc de compétence obligatoire, il faut ajouter d'autres tâches en pratique souvent prises en charge par cet échelon, en particulier le captage de la ressource ainsi que la conservation et la gestion des eaux souterraines.

L'exercice de ces compétences se traduit notamment par des travaux de protection des champs captants. Travaux lourds, néanmoins indispensables à l'exploitation de la ressource et à sa qualité, ceux-ci représentent une charge financière conséquente pour les communes qui les entreprennent. Supportés par un budget annexe qui ne peut, sauf exception, être équilibré par le budget général, ces travaux obligent donc le plus souvent à recourir à l'emprunt. En effet, les aides accordées par les agences de l'eau ou par le département ne suffisent pas à en couvrir totalement les coûts.

Il en découle un financement d'une partie de ces travaux par les seuls contribuables de la collectivité ou du groupement concerné et non pas par l'ensemble des usagers qui, pourtant, bénéficient de ces aménagements.

En pratique, cette inégalité dans la répartition de la charge financière est trop souvent un impensé, alors même que le troisième alinéa de l'article L. 210-1 du code de l'environnement affirme que « Les coûts liés à l'utilisation de l'eau, y compris les coûts pour l'environnement et les ressources elles-mêmes, sont supportés par les utilisateurs en tenant compte des conséquences sociales, environnementales et économiques ainsi que des conditions géographiques et climatiques. »

Cette fréquente inégalité, qui pèse d'autant plus durement sur les communes rurales et périurbaines, appelle donc une généralisation de la pratique, pour le moment restreinte, des contrats de ressource. Par ce mécanisme, quelques centimes sont ajoutés au prix du mètre cube et reversés intégralement à la collectivité ou le groupement qui a effectué les travaux. Ce faisant, ceux-ci sont financés par tous les usagers de l'eau provenant dudit champ captant et non plus par les seuls contribuables de la commune ou du groupement ayant supporté les travaux.

Un tel contrat poursuit donc une logique de péréquation entre territoires, et ce selon des modalités claires pour l'usager puisqu'en pratique il s'agit de rajouter une ligne sur la facture énonçant le motif et la destination de cette contribution. En cela, il est aussi un outil de pédagogie, en faisant apparaître les coûts nécessaires à l'exploitation de la ressource, il souligne la valeur de celle-ci.

Le cadre constitutionnel ne semble pas s'opposer à ce que soient adoptées des dispositions législatives venant généraliser de tels contrats en obligeant que les collectivités concernées y aient recours.

En effet, le Conseil constitutionnel estime que le législateur peut « assujettir les collectivités territoriales ou leurs groupements à des obligations et à des charges [...] à la condition que celles-ci répondent à des exigences constitutionnelles ou concourent à des fins d'intérêt général, qu'elles ne méconnaissent pas la compétence propre des collectivités concernées, qu'elles n'entravent pas leur libre administration et qu'elles soient définies de façon suffisamment précise quant à leur objet et à leur portée » (décision 2000-436 DC du 7 décembre 2000).

Or, les contrats de ressource répondent à une exigence constitutionnelle évidente, le principe d'égalité et plus particulièrement le principe d'égalité devant les charges publiques tel que consacré par l'article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789. Il est en effet évident que le contrat de ressource vient pallier une rupture d'égalité.

Au surplus, le bon financement de ces infrastructures obéit à un but d'intérêt général en ce qu'il concourt à la préservation des ressources en eau et à leur accès à chacun.

Au regard du principe de libre administration des collectivités territoriales et de son corollaire, leur liberté contractuelle, le mécanisme est également valide. Il a en effet pour but de permettre le financement de travaux pris en charge par le bloc communal et les parties intéressées resteraient libres de négocier comme elles l'entendent le montant ainsi que les modalités du contrat. Il appartiendrait simplement au législateur d'encadrer suffisamment le dispositif.

Représentant des collectivités territoriales de la République au titre de l'article 24 de la Constitution, le Sénat est parfaitement dans son rôle institutionnel en plaidant en faveur d'un dispositif à la fois pertinent et conforme au cadre constitutionnel qui offre une solution à une inégalité dont souffrent bon nombre de communes rurales et périurbaines.

Aussi, le Gouvernement est invité à prendre les mesures nécessaires pour généraliser cette pratique. La complexité du sujet et la pluralité des situations de terrain concernées plaident en faveur d'une large concertation avec les acteurs locaux, d'une étude d'impact exhaustive, que le Gouvernement, en ce qu'il dispose des relais de l'administration déconcentrée, semble plus à même d'effectuer, et ce préalablement au dépôt d'un projet de loi, le vecteur législatif semblant nécessaire au regard de la répartition constitutionnelle des compétences.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

article

Le Sénat,

Vu l'article 34-1 de la Constitution,

Vu la Charte de l'environnement, notamment ses trois premiers considérants,

Vu la résolution du 28 juillet 2010 de l'Assemblée Générale des Nations Unies reconnaissant que « le droit à une eau potable, salubre et propre est un droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l'homme »,

Vu les objectifs fixés par la directive 2000/60/ CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau,

Vu la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques,

Rappelant que l'eau est un bien commun, non renouvelable, à la base du vivant ;

Considérant dès lors que la gestion de l'eau doit être guidée par les impératifs de cohérence, d'équité et d'efficacité ;

Soulignant la forte implication des collectivités territoriales et de leurs groupements tant dans la gestion des eaux de surface, gestion maintenant adossée sur la compétence GEMAPI, que dans la protection et la gestion des eaux en profondeur ;

Observant toutefois que les coûts des travaux de protection des champs captants sont trop souvent supportés par la seule collectivité, le seul établissement public de coopération intercommunale ou syndicat mixte les ayant réalisés quand bien même d'autres territoires en bénéficieraient ;

Affirmant qu'une répartition équitable de ces coûts est de nature à promouvoir un développement de ces infrastructures, leur entretien régulier et, partant, la préservation des ressources en eau ;

Invite le Gouvernement à prendre les mesures nécessaires afin de généraliser la pratique des contrats de ressources, mécanisme de péréquation par lequel les coûts sont mutualisés et équitablement répartis entre les territoires ayant financé les travaux de protection du champ captant et ceux en bénéficiant.


* 1 Erik Orsenna , L'avenir de l'eau - Petit précis de mondialisation II , Paris, éditions Fayard, 2008, p. 399

* 2 Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page