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N° 508

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 mars 2016

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission d' enquête sur les chiffres du chômage en France et dans les pays de l' Union européenne , ainsi que sur l' impact des réformes mises en place par ces pays pour faire baisser le chômage ,

PRÉSENTÉE

Par M. Bruno RETAILLEAU et les membres du groupe Les Républicains, apparentés et rattachés,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des affaires sociales.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Des doutes étant régulièrement exprimés par les observateurs économiques sur les statistiques du chômage, le groupe Les Républicains estime indispensable de dresser un état des lieux des méthodes employées, tant en France que dans d'autres pays, afin d'évaluer leur pertinence et de s'assurer de la qualité de leur comparaison.

Par ailleurs, comme d'autres pays européens enregistrent actuellement une nette diminution des chiffres du chômage, il serait utile d'étudier la corrélation existant entre cette diminution et les politiques publiques qu'ils ont mises en place.

La présente proposition de résolution poursuit ces deux objectifs.

Concernant en premier lieu les outils statistiques de mesure du chômage en France, plusieurs incidents doivent être évoqués.

En janvier dernier, une baisse du nombre de chômeurs était annoncée par la ministre du travail et de l'emploi, avec 27 900 demandeurs d'emploi de moins, soit - 0,8 % en un mois. Au regard des chiffres de hausse continue du chômage enregistrés depuis le début du quinquennat, une telle annonce était importante.

Or, la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) a formulé une mise en garde quant à la fiabilité de ces statistiques dans un communiqué, en évoquant « un rebond inhabituellement fort, après la baisse observée en décembre » du « nombre de sorties de catégories A, B et C pour cessation d'inscription pour défaut d'actualisation ».

Le « défaut d'actualisation » en cause signifie que certains chômeurs sont sortis des statistiques pour avoir omis d'actualiser leur situation en janvier, comme le règlement de Pôle emploi les y oblige chaque mois. Le nombre étonnamment élevé de personnes concernées (239 000, soit + 41.000, sachant que la moyenne affichée en 2015 était de 207 000 personnes) est resté inexpliqué.

Cette situation rappelle un incident qui s'est produit en août 2013, où des désinscriptions pour défaut d'actualisation avaient concerné plus de 50 000 personnes, soit une hausse à peu près équivalente à celle qui vient d'être constatée. Le ministère du Travail, après avoir annoncé une diminution du chômage, avait finalement reconnu que ces chiffres inhabituels étaient dus à une défaillance de l'opérateur téléphonique chargé de l'acheminement des messages de relance adressés aux chômeurs en recherche de travail, lors de la campagne d'actualisation du mois d'août.

Ces deux exemples montrent que les résultats mensuels indiqués par Pôle emploi sont susceptibles d'être faussés par des aléas d'ordre administratif, ce qui n'est pas anodin lorsque les chiffres du chômage font l'objet de toutes les attentions.

Ces deux exemples n'illustrent qu'une partie des problèmes de fiabilité posés par les outils statistiques du chômage en France.

La coexistence de deux organismes répertoriant les demandeurs d'emploi - l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et Pôle emploi - dont les méthodes de calcul sont différentes, sont source de confusion.

Ces deux organismes ne partagent pas la même définition du chômage. Pôle emploi comptabilise les demandeurs d'emploi inscrits sur ses listes, généralement dans la catégorie A, alors que l'Insee procède à un sondage auprès d'un panel de 110 000 personnes et applique la définition du chômage défendue par le Bureau international du travail (BIT). Les données de l'Insee ne sont disponibles que par trimestre, celles de Pôle emploi sont publiées chaque mois.

De telles différences peuvent conduire à des conclusions opposées.

Ainsi, l'Insee a indiqué le 3 mars dernier une baisse de 0,1 point du taux de chômage sur l'année 2015, qui s'établirait à 10 % de la population active en métropole (10,3 % DOM compris). L'organisme a comptabilisé 2,86 millions de chômeurs sans aucune activité.

Pour sa part, Pôle emploi comptabilisait davantage de chômeurs au 31 décembre 2015 que l'année précédente, avec 2,6 % de hausse, pour un total de 3,5 millions de demandeurs d'emploi sans aucune activité.

De plus, à l'intérieur même de chaque mécanisme mis en place par ces deux organismes, des changements de périmètre sont susceptibles de modifier les statistiques.

En 2013, l'Insee a changé les questionnaires de son enquête Emploi, reformulant certaines questions, ce qui a au final profondément modifié les réponses. Les experts de l'Institut ont estimé que le nouveau questionnaire avait fait artificiellement baisser le taux de chômage de 0,5 point, soit 145 000 chômeurs de moins.

Enfin, il faut être conscient que les chiffres du chômage en France ne reflètent pas la réalité de la situation d'inactivité de certains Français.

En effet, on passe habituellement sous silence le « halo » autour du chômage : des personnes ne sont pas comptabilisées comme chômeurs au sens du Bureau international du travail, soit parce qu'elles ne sont pas disponibles rapidement pour travailler (deux semaines), soit parce qu'elles ne recherchent pas activement un emploi. Fin 2015, elles étaient 1,4 million.

D'autre part, des mesures prises par le Gouvernement peuvent avoir un effet mécanique de baisse des chiffres du chômage sans que les personnes soient en situation d'emploi.

Par exemple, le plan de formation de 500 000 chômeurs annoncé début janvier par le Président de la République va permettre de transférer des chômeurs des catégories A, B et C, traditionnellement utilisées pour compter le nombre de demandeurs d'emploi, vers la catégorie D, qui regroupe les personnes en formation. On peut également citer le transfert en catégorie E des bénéficiaires de contrats aidés, contrats que le Gouvernement a multipliés dans le secteur non marchand depuis 2011.

La baisse du chômage enregistrée pourrait être alors purement artificielle.

Il ressort de ces divers exemples une grande difficulté à connaître, à suivre et à comparer de façon précise l'évolution du chômage en France. Cette situation est particulièrement grave en période de crise, à un moment où l'emploi est la préoccupation première des Français. La transparence des statistiques du chômage est pourtant essentielle et doit permettre au débat public d'avoir lieu.

Ainsi, il paraît urgent de réformer un système statistique source de confusion, de le stabiliser en prenant en compte le cadre international et européen déjà existant, et en analysant les situations pays par pays.

Un « benchmark » européen sur les chiffres du chômage permettrait de mieux cibler les politiques efficaces en matière d'emploi.

Ce qui amène au second objectif que devra poursuivre la commission d'enquête : étudier l'impact des politiques publiques menées en France et dans les autres pays européens sur l'évolution des chiffres du chômage.

La décrue du chômage se poursuit en Espagne où il s'inscrit à 20,8 % (- 2,8 points sur un an), au plus bas depuis le printemps 2011. Il en va de même en Italie, avec 11,4 %, soit -1 point. En Allemagne, le ratio demeure au plus bas, à 4,5 %, avec une baisse du nombre de chômeurs de - 200 000 en deux ans.

Alors qu'en 2015, en France, 40 000 postes étaient créés dans l'emploi salarié marchand, l'Italie enregistrait 200 000 créations d'emplois marchands et l'Allemagne plus de 300 000. La France rencontre en fait les plus grandes difficultés à traduire en emplois une modeste reprise économique.

Les politiques de soutien à l'emploi en France, telles que les emplois d'avenir, les primes à l'embauche ou les orientations vers la formation semblent n'avoir qu'un effet transitoire sur les chiffres du chômage et ne créent pas d'emplois.

L'incapacité de la France à réduire sensiblement le niveau de son chômage révèle manifestement des dysfonctionnements profonds sur le marché de l'emploi.

À l'inverse, les pays qui renouent avec l'emploi ont mis en place des réformes structurelles qu'il reviendra à la commission d'enquête d'analyser.

En Italie, le Jobs Act adopté en décembre 2014 s'est traduit par une reprise du marché de l'emploi.

En Espagne, qui a subi une lourde crise, le Gouvernement espagnol a adopté en février 2012 une réforme du marché du travail qui a également produit des effets positifs sur le marché de l'emploi.

Enfin, en Allemagne, des réformes structurelles sont intervenues très tôt sur le marché du travail avec les lois Hartz de 2003 et 2005, agissant sur plusieurs fronts et assurant à l'Allemagne un chômage aujourd'hui très inférieur à la France.

Par ailleurs, le recours au chômage partiel, particulièrement développé en Allemagne, a évité une vague de licenciements en 2009, alors que le pays connaissait une contraction de son PIB deux fois plus forte qu'en France. Surtout, la décentralisation des mécanismes de négociation collective au niveau des entreprises, engagée dès le milieu des années 1990, a permis un ajustement de l'emploi - salaires et heures travaillées.

De tels choix doivent être analysés, car ces questions, touchant à l'emploi, sont actuellement au centre des débats politiques. Le groupe Les Républicains estime donc qu'une étude comparée des réformes engagées par nos voisins et de la corrélation avec la baisse de leurs chiffres du chômage serait extrêmement utile.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application de l'article 51-2 de la Constitution, de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des articles 6 bis et 11 du Règlement du Sénat, il est créé une commission d'enquête composée de 21 membres sur les chiffres du chômage en France et dans les pays de l'Union européenne, ainsi que sur l'impact des réformes mises en place par ces pays pour faire baisser le chômage.

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