N° 119

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 14 décembre 1998

PROPOSITION DE LOI

tendant à compléter l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires pour créer une délégation parlementaire aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

PRESENTEE

Par Mmes Danièle POURTAUD, Maryse BERGE-LAV1GNE, Yolande BOYER, Monique CERISIER-ben GUIGA, Dinah DERYCKE, Marie-Madeleine DIEULANGARD, Josette DURRIEU, Gisèle PRINTZ, M. Claude ESTIER et les membres du groupe socialiste (1) et apparentés (2),

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).

(1) Ce groupe est composé de : MM. Guy Allouche, Bernard Angels, Henri d'Attilio, Bertrand Auban. François Autain, Robert Badinter, Jean-Pierre Bel. Jacques Bellanger, Mme Maryse Bergé-Lavigne. MM. Jean Besson. Pierre Biarnès, Marcel Bony, Mme Yolande Boyer, MM. Jean-Louis Carrère, Bernard Cazeau, Mme Monique Cerisier-ben Guiga. MM. Gilbert Chabroux, Michel Charasse, Marcel Charmant, Michel Charzat, Raymond Courrière, Roland (Tourteau. Marcel Debarge, Bertrand Delanoè, Jean-Pierre Demerliat, Mmes Dinah Derycke. Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Claude Domeizel, Michel Dreyfus-Schmidt. Mme Josette Durrieu, MM. Bernard Dussaut, Claude Estier, Léon Fatous. Serge Godard, Jean-Noël Guérini, Claude Haut, Roger Hesling, Roland Huguet, Alain Journet, Philippe Labeyrie, Serge Lagauche. Roger Lagorsse, André Lejeune, Louis Le Pensée, Philippe Madrelle, Jacques Mahéas, François Marc, Marc Massion, Pierre Mauroy, Jean-Luc Mélenchon, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Jean-Marc Pastor, Guy Penne, Daniel Percheron, Jean-Claude Peyronnet, Jean-François Ficherai, Bernard Piras, Jean-Pierre Plancade, Mmes Danièle Pourtaud, Gisèle Printz, MM. Paul Raoult, Roger Rinchet. Gérard Roujas, André Rouvière, Claude Saunier, Michel Sergent, Franck Sérusclat, René-Pierre Signé, Simon Sutour. Michel Teston, Pierre-Yvon Trémel, André Vezinhet, Marcel Vidai, Henri Weber.

(2) Apparentes : MM. Rodolphe Désiré, Dominique Larifla, Claude Lise.

Parlement. - Femmes.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'égalité en droit entre les hommes et les femmes existe dans tous les pays de l'Union européenne, mais force est de constater qu'en France, à la différence d'autres Etats comme ceux de l'Europe du Nord, le modèle de l'égalité en droit n'a pas toujours trouvé une traduction satisfaisante dans les faits. Ainsi, les femmes souffrent encore de nombreuses discriminations sociales, professionnelles et politiques. Le problème est au moins autant culturel que juridique.

L'objectif de l'égalité réelle suppose l'étude des situations concrètes et la lutte contre les inégalités de fait. Elle peut nécessiter des mesures de discriminations positives en faveur des femmes, mais aussi dans certains cas en faveur des hommes.

Certes, le contexte de l'introduction de la parité dans la Constitution a réouvert un espace, celui d'une prise de conscience accrue et de la réaffirmation du combat pour l'égalité, mais il est clair que cette révision constitutionnelle ne suffira pas à changer les comportements dans l'ensemble de la société.

La création, dans chacune des assemblées, d'une « délégation parlementaire permanente aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes » aura pour but de veiller à ce que la condition des femmes soit systématiquement prise en compte dans le travail législatif. Elle permettra au législateur d'agir de manière déterminée et continue pour que l'égalité de droits passe dans les faits.

Un constat amer

Ces vingt dernières années ont été marquées par l'engagement déterminé des femmes dans le monde du travail.

Cependant, elles sont encore aujourd'hui plus frappées par les difficultés économiques et sociales que les hommes. Ce sont les femmes qui sont le plus touchées par le chômage, la précarité, la pauvreté, l'exclusion. 12,5 % des femmes actives sont au chômage contre 9,2 % des hommes ; elles représentent 53 % des chômeurs de longue durée et 83 % des actifs à temps partiel, alors que 80 % des temps partiels sont subis. Ce sont les femmes qui supportent si elles ont un emploi, non seulement la double journée de travail, mais aussi les salaires les plus bas et les inégalités salariales les plus scandaleuses. 75 % des smicards sont des femmes tandis que l'écart de rémunération entre les hommes et les femmes est en moyenne de 28 %. Les femmes sont également majoritaires dans les emplois peu qualifiés et n'ont pas facilement accès aux postes élevés. 76 % des employés sont des femmes et elles ne représentent que 32 % des cadres. 14 % seulement sont à la tête d'entreprises de plus de 10 salariés et, fait révélateur, aucune ne dirige Tune des 200 premières entreprises françaises.

Dans le même temps, les femmes ont acquis la maîtrise de leur corps, liberté essentielle, qui reste menacée. La diversification de la vie familiale et l'augmentation du nombre des familles monoparentales constituent d'autres évolutions importantes.

Mais notre société n'a pas intégré dans son organisation, ses structures, ses comportements, les conséquences de ces profondes mutations. Les femmes demeurent très minoritaires dans les lieux de décision, qu'ils soient économiques ou politiques.

Alors que les femmes représentent 52 % du corps électoral, elles sont cruellement absentes du monde politique. Elles ne représentent que 11 % des députés et 6 % des sénateurs. Elles sont 24 % dans les conseils régionaux et 7 % dans les conseils généraux. Tandis qu'elles représentent 22 % des élus des conseils municipaux, seuls 8 % des maires sont des femmes. Il est vrai que pour la première fois, dans l'actuel Gouvernement, 31 % des fonctions ministérielles ont été confiées à des femmes.

Bien entendu, les femmes bénéficient de l'ensemble des politiques publiques conduites par le Gouvernement, qu'il s'agisse des mesures en faveur de l'emploi, de la réduction du temps de travail ou de la modernisation de la vie politique.

Mais, force est de constater que des mesures de nature à concrétiser l'égalité des chances entre les hommes et les femmes sont encore nécessaires et que le respect et l'amélioration des lois en vigueur s'imposent notamment pour modifier les mentalités et les comportements.

Un droit positif insuffisant En droit interne :

L'égalité entre les hommes et les femmes est inscrite dans le 3 e alinéa du Préambule de 1946 inséré dans la Constitution de 1958 : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux des hommes».

Malgré cette reconnaissance des droits égaux des hommes et des femmes par notre loi fondamentale, il faut bien constater qu'en fait cette égalité est loin d'être une réalité.

Une des études figurant dans le rapport public du Conseil d'Etat pour 1996 consacré au principe d'égalité, souligne que la revendication de parité ne s'oppose pas au principe d'égalité. Elle permettrait en réalité de concilier la réalisation de ces deux exigences et de fonder une politique plus volontariste en matière d'égalité des chances.

Cependant, sur le fondement du Préambule de 1946 et compte tenu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, seule l'adoption de mesures permettant d'assurer un accès plus équilibré des femmes et des hommes dans les domaines de la vie professionnelle et sociale est permise. C'est pourquoi le Gouvernement a présenté un projet de loi constitutionnelle tendant à favoriser l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats et fonctions, levant ainsi le dernier obstacle constitutionnel.

Il appartiendra alors au législateur de prendre dans le domaine de la vie politique comme dans les autres, les mesures qui s'imposent pour mettre en oeuvre cet objectif. Faute de quoi, celui-ci resterait lettre morte.

En droit comparé :

Certes en France, comme dans tous les Etats de l'Union européenne, l'égalité des chances entre les hommes et les femmes concernant la plupart des domaines de compétence traités par le Parlement, relève bien entendu des commissions parlementaires permanentes selon la spécialité de chacune.

A cet égard, il existe deux catégories d'organes parlementaires compétents en la matière :


• En Suède, aux Pays bas, en Finlande et au Danemark, cette compétence est attribuée explicitement à une ou plusieurs commissions permanentes.


• En revanche, l'Autriche, la Belgique, l'Espagne, l'Irlande, le Luxembourg et le Portugal se sont dotés ces dernières années d'organes parlementaires spécifiques ayant des compétences dans le domaine des droits des femmes. Ces commissions ne sont pas dotées des mêmes compétences ni du même statut que les commissions permanentes.

Ces dernières, compte tenu de la spécificité institutionnelle de chacun de ces pays, ont pour objectif d'oeuvrer en faveur de l'égalité des chances des hommes et des femmes, par le biais d'initiatives législatives, par le contrôle de la politique gouvernementale, en assurant le suivi et l'évaluation des questions touchant à leur domaine de compétence, en formulant des avis.

Pour la plupart, elles ont un caractère permanent, sont composées sur le modèle des commissions permanentes et disposent toutes d'un support administratif. La quasi totalité d'entre elles fixent leur ordre du jour et leurs activités de manière autonome dans les limites de leurs compétences réglementaires ; elles ont également compétence pour formuler des avis et publier des rapports.

Du fait de leur spécialisation, ces commissions peuvent sensibiliser à cette question l'ensemble des institutions parlementaires tant au niveau national qu'au niveau européen.

Notons enfin que le Parlement européen dispose aussi d'une commission « des Droits de la femme ».

La France a été un des derniers Etats à reconnaître le droit de vote aux femmes avec la Suisse. Aujourd'hui, elle reste un des derniers Etats, avec la Grèce, à ne pas s'être doté d'une structure parlementaire ayant pour mission de promouvoir concrètement l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

L'objet de cette proposition de loi

La présente proposition de loi propose donc de créer dans chacune des Chambres, à l'instar de ce qui existe déjà dans les autres Etats de l'Union européenne, une délégation parlementaire aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, sur le modèle de la délégation parlementaire pour l 9 Union européenne.

Cette création est d'autant plus justifiée que les enquêtes d'opinion prouvent que les Français sont sensibles à ce thème.

Ces nouvelles délégations parlementaires seront des instruments privilégiés pour concrétiser le mouvement général tendant à faire passer l'égalité de droit prévue par les textes à une égalité dans les faits.

Elles seront chargées de prendre en compte systématiquement et de manière spécifique toutes les questions et les textes législatifs vus sous l'angle des droits des femmes et de l'égalité des chances.

Elles s'inscrivent dans la logique du Traité d'Amsterdam, qui en modifiant l'article 2 du traité instituant la Communauté européenne fait de l'égalité entre les hommes et les femmes un des grands objectifs de l'Union européenne.

En outre, l'article 3 du traité instituant la Communauté européenne qui énumère les actions de la Communauté, a été modifié afin d'assurer que cette exigence d'égalité soit prise en compte de façon concrète dans toutes les politiques communautaires. C'est là la politique dite de « mainstreaming », évoquée pour la première fois en 1995, lors de la Conférence mondiale sur les femmes à Pékin. En effet, il est précisé que « Pour toutes les actions visées au présent article, la Communauté cherche à éliminer les inégalités, et à promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes. »

Enfin, le Traité d'Amsterdam dote le Conseil des moyens de lutter contre toute discrimination fondée sur le sexe et l'autorise formellement à adopter des mesures de discrimination positive en faveur des femmes ou des hommes dans la vie professionnelle.

Ces délégations, du fait même de leur permanence au sein du Parlement, de leur spécificité, et de leur action transversale, sont de nature à concrétiser l'objectif d'égalité affirmé tant dans le Préambule de 1946 que dans le projet de loi constitutionnelle tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions.

Ainsi, il appartiendra à ces délégations parlementaires, placées au coeur des institutions de la République, sans préjudice des compétences des commissions permanentes, de participer et d'encourager ce mouvement de société vers l'égalité des chances et l'égalité des sexes, en définitive vers plus de démocratie.

Telles sont les raisons, Mesdames, Messieurs, pour lesquelles nous vous demandons de bien vouloir adopter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Il est inséré, après l'article 6 quinquies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, un article 6 sexies ainsi rédigé :

« Art 6 sexies .- I- Il est constitué, dans chacune des deux assemblées du Parlement, une délégation parlementaire aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Chacune de ces délégations compte trente-six membres.

«II- Les membres de ces délégations sont désignés en leur sein par f chacune des deux assemblées de manière à assurer une représentation proportionnelle des groupes politiques et une représentation équilibrée des commissions permanentes, ainsi que des hommes et des femmes.

« La délégation de l'Assemblée nationale est désignée au début de la législature pour la durée de celle-ci.

« La délégation du Sénat est désignée après chaque renouvellement partiel de cette assemblée.

i

« Le mandat des délégués prend fin avec le mandat parlementaire.

« II- Les délégations parlementaires aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, sans préjudice des compétences des commissions permanentes ni de celles des délégations pour l'Union européenne, ont pour mission de suivre les projets et propositions de loi, ainsi que les propositions d'acte communautaire, au regard de leurs conséquences sur les droits des femmes et de l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

« A cet effet, elles sont saisies :

-par le Bureau de l'une ou l'autre assemblée,

- par une commission spéciale ou permanente,

- par les délégations pour l'Union européenne,

- par les groupes,

- à leur initiative.

« Elles peuvent être consultées par une commission spéciale ou permanente sur tout projet ou proposition de loi dont elles sont saisies.

« Les délégations parlementaires aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes ont également pour mission d'informer les assemblées de la politique suivie par le Gouvernement dans l'ensemble des domaines intéressant les droits des femmes et l'accès à l'égalité, notamment professionnelle, entre les femmes et les hommes.

«Elles peuvent demander à entendre les ministres et reçoivent communication de tout renseignement de nature à faciliter leur mission. Elles sont habilitées à se faire communiquer tout document de service de quelque native que ce soit, réserve faite, d'une part, de ceux à caractère secret concernant la défense nationale, les affaires étrangères et la sécurité intérieure ou extérieure de l'Etat et, d'autre part, du principe de la séparation de l'autorité judiciaire et des autres pouvoirs.

«IV.- Les délégations établissent sur les questions dont elles sont saisies, des rapports comportant des recommandations qui sont déposés sur le Bureau de l'assemblée dont elles relèvent et transmis aux commissions parlementaires compétentes, ainsi qu'aux délégations pour l'Union européenne. Ces rapports sont rendus publics.

« Elles établissent en outre, chaque année, un rapport public dressant le bilan de leur activité et comportant, le cas échéant, des propositions d'amélioration de la législation dans leurs domaines de compétence.

«V.- Chaque délégation organise la publicité de ses travaux dans les conditions définies par le règlement de chaque assemblée.

«La délégation de l'Assemblée nationale et celle du Sénat peuvent décider de tenir des réunions conjointes.

« VI.-Les délégations définissent leur règlement intérieur.

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