Document "pastillé" au format PDF (200 Koctets)

N° 236

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 janvier 2019

PROPOSITION DE LOI

tendant à garantir le principe de l' acheminement par courrier
des professions de foi et des bulletins de vote ,

PRÉSENTÉE

Par M. Jean Louis MASSON,

Sénateur

(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En application des articles L. 166, L. 212, L. 241, L. 354 et L. 376 du code électoral, l'envoi des bulletins de vote et des circulaires pour les élections législatives, régionales, départementales et municipales est assuré par la commission de propagande. En application des articles L. 167, L. 216, L. 242, L. 355, les frais de ces envois sont à la charge de l'État. De même, pour les élections sénatoriales, en application de l'article L. 308 du même code, l'envoi de la propagande électorale est également pris en charge financièrement par l'État.

Si, en pratique, ce sont les préfectures qui organisent, directement ou par le biais d'opérateurs privés, le routage des documents, le code électoral n'impose que la prise en charge financière de ces opérations par l'État, et non son organisation logistique en elle-même. Celle-ci relève de la commission de propagande. Cependant, en pratique, la mise sous pli s'effectue selon les modalités matérielles arrêtées par le préfet.

L'envoi des documents électoraux par La Poste permet aux candidats ayant peu de ressources financières de se faire connaître auprès des électeurs. Toutefois, les gouvernements successifs ont essayé de le supprimer sous le faux prétexte que les électeurs peuvent prendre directement l'initiative d'une consultation par internet.

Le Parlement s'est toujours opposé à une telle régression démocratique . Toutefois, le ministère de l'intérieur a alors délibérément laissé le service se dégrader en confiant la mission à des routeurs privés qui n'étaient soumis à aucun véritable contrôle de bonne exécution.

Pour la première fois lors des élections présidentielles et législatives de 2017, l'envoi des professions de foi a été fait presque systématiquement par des routeurs privés et non par l'administration. Or, il s'agit de répondre à une mission de service public dans le cadre de la vie démocratique du pays et les dysfonctionnements graves qui ont été constatés sont inacceptables.

De nombreux candidats, relayés par les médias, ont fait part de difficultés rencontrées en 2017 : non acheminement des professions de foi ou acheminement très tardif, erreurs dans l'envoi, envois en double, envois dans la mauvaise circonscription... Dans la première circonscription de la Drôme, l'enveloppe distribuée ne contenait que les professions de cinq des seize candidats. L'absence des professions de foi de certains candidats a également été constatée dans les Pyrénées-Orientales et dans l'Aude. En outre, la profession de foi de plusieurs candidats de Haute-Savoie s'est retrouvée dans le département de la Loire. Il en est de même en Seine-et-Marne, où la profession de foi du candidat d'un parti a été remplacée par celle d'un autre candidat du même parti mais d'un département voisin.

Une question écrite (JO Sénat du 8 juin 2017, QE n° 25923) résume la problématique globale : « ... les gouvernements successifs ont essayé à de nombreuses reprises de supprimer l'envoi par La Poste des professions de foi et des bulletins de vote des candidats aux élections. Or, cet envoi est un élément important pour la démocratie. À chaque fois, le Parlement s'est donc opposé aux initiatives gouvernementales qui tendaient à supprimer l'envoi. Par le passé, cet envoi était organisé par chaque préfecture et tout se passait plutôt bien. Ce n'est plus du tout le cas puisqu'au lieu d'organiser elle-même l'envoi, l'administration a décidé d'adjuger le routage des documents à des entreprises privées. Celles-ci soumissionnent trop souvent pour des marchés qui dépassent leur capacité de travail. Ainsi, une entreprise a soumissionné pour l'ensemble des candidats du département de la Moselle et de deux autres départements, ce qui représente environ 350 candidats. Au lieu que, comme par le passé, la livraison des documents électoraux soit effectuée en préfecture ou dans un bâtiment administratif du département, on a obligé les candidats à se rendre dans un autre département pour livrer leur propagande. Avec une telle façon d'agir, on a vraiment l'impression que l'administration fait tout pour discréditer l'envoi de la propagande officielle et pour écoeurer les candidats. Par ailleurs, pour chaque candidat, le poids de la propagande officielle représente plus de 150 kg et les 350 candidats ont donc livré au même endroit leurs documents le lundi matin de la date limite ; de ce fait, il y a eu une cohue indescriptible et les documents d'une candidate ont été égarés. Contrairement à l'évidence, le routeur a prétendu que ces documents ne lui avaient jamais été livrés et il a fallu que, le lendemain, le mandataire de la candidate réagisse avec la plus grande fermeté pour que le routeur fasse de nouvelles recherches et retrouve les documents qu'il avait égarés. C'est un véritable scandale. Les pouvoirs publics devraient agir de bonne foi en veillant à ne pas dégrader la qualité de l'envoi de la propagande officielle et, pour cela, il faut revenir à l'ancien système organisé par les préfectures. À défaut, il est inacceptable que les candidats dans un département soient obligés d'emmener leur propagande officielle dans un dépôt très éloigné situé dans un autre département sous prétexte de faciliter le travail du routeur. C'est celui-ci qui doit être au service des candidats et pas l'inverse... ».

Au total, une quinzaine de départements avaient déjà été concernés lors de l'élection présidentielle de 2017 et il est regrettable que les routeurs n'aient rien fait pour améliorer leurs prestations lors des élections législatives. De nombreux candidats à la députation disposant de peu de moyens financiers ont besoin de l'envoi des professions de foi. Cela leur permet de présenter leur programme aux électeurs et de rétablir une certaine égalité des chances. Les errements des routeurs privés portent donc atteinte au principe d'égalité entre candidats.

La présente proposition de loi tend à conforter le principe de l'envoi et du financement des professions de foi et des bulletins de vote par l'État et surtout à garantir la qualité du service rendu. Afin que l'envoi soit réalisé par l'État lui-même et non par le biais de prestataires privés dont personne ne contrôle la qualité du travail, cette proposition tend à ériger l'organisation des opérations de propagande électorale en service public national.

Une telle qualification est permise par la jurisprudence du Conseil constitutionnel puisque celui-ci considère qu'il appartient à la loi ou au règlement de déterminer les activités qui, en sus des services régaliens, sont des services publics nationaux : « la détermination des autres activités qui doivent être érigées en service public national est laissée à l'appréciation du législateur ou de l'autorité réglementaire selon les cas » (CC n° 86-207 DC du 26 juin 1986).

En procédant à cette qualification, la délégation à un prestataire privé se trouvera interdite puisque, aux termes de l'alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946, « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ».

D'ailleurs, dans sa décision n° 2006-543 DC du 30 novembre 2006, le Conseil constitutionnel précise que « si la nécessité de certains services publics nationaux découle de principes ou de règles de valeur constitutionnelle, il appartient au législateur ou à l'autorité réglementaire, selon les cas, de déterminer les autres activités qui doivent être ainsi qualifiées, en fixant leur organisation au niveau national et en les confiant à une seule entreprise » (laquelle, si elle n'est pas l'État lui-même, doit être contrôlée par lui faute de quoi l'alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946 sera méconnu).

Proposition de loi tendant à garantir le principe de l'acheminement par courrier des professions de foi et des bulletins de vote

Article unique

Le code électoral est ainsi modifié :

1° Après l'article L. 47, il est inséré un article L. 47-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 47-1 . - L'État assure le service public national de l'organisation matérielle des opérations effectuées par les commissions instituées par les articles L. 166, L. 212 et L. 241. » ;

2° Le deuxième alinéa de l'article L. 308 est ainsi rédigé :

« L'État assure le service public national de l'envoi de ces circulaires et bulletins. » ;

3° Le premier alinéa de l'article L. 355 est ainsi rédigé :

« L'État assure le service public national de l'organisation matérielle des opérations effectuées par les commissions instituées par l'article L. 354. »

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page