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N° 23

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 octobre 2018

PROPOSITION DE LOI

tendant à réprimer les entraves à l' exercice des libertés ainsi qu'à la tenue des évènements et à l' exercice d' activités autorisés par la loi ,

PRÉSENTÉE

Par MM. Jean-Noël CARDOUX, Michel VASPART, Jean-Claude LUCHE, Jean-Jacques PANUNZI, Jean-Marie MORISSET, Patrick CHAIZE, Olivier PACCAUD, Mme Frédérique PUISSAT, MM. Franck MENONVILLE, François BONHOMME, Mme Chantal DESEYNE, MM. Gilbert BOUCHET, Jean-Pierre GRAND, Laurent DUPLOMB, Charles REVET, Alain MILON, Mme Frédérique GERBAUD, M. Jean SOL, Mmes Catherine DEROCHE, Pascale GRUNY, MM. Bernard BONNE, Rémy POINTEREAU, Bruno RETAILLEAU, Mme Dominique ESTROSI SASSONE, MM. René-Paul SAVARY, Stéphane PIEDNOIR, Jacques GENEST, Michel SAVIN, Pierre CUYPERS, Alain DUFAUT, Gérard CORNU, Mmes Marie-Thérèse BRUGUIÈRE, Pascale BORIES, Annie DELMONT-KOROPOULIS, M. Pascal ALLIZARD, Mme Anne CHAIN-LARCHÉ, M. Hugues SAURY, Mme Martine BERTHET, M. Marc LAMÉNIE, Mmes Catherine PROCACCIA, Élisabeth LAMURE, M. Ladislas PONIATOWSKI, Mme Anne-Marie BERTRAND, M. Christophe PRIOU, Mme Vivette LOPEZ, MM. François PILLET, Dominique de LEGGE, Mmes Christine LANFRANCHI DORGAL, Sophie PRIMAS, MM. Daniel GREMILLET, Jean-François MAYET, Jean-Marc BOYER, Jean-Paul PRINCE, Mmes Florence LASSARADE, Jacky DEROMEDI, Céline BOULAY-ESPÉRONNIER, MM. Philippe MOUILLER, René DANESI, Antoine LEFÈVRE, Gérard LONGUET, Mmes Marie-Christine CHAUVIN, Nicole DURANTON, MM. Jean BIZET, Pierre CHARON, Cyril PELLEVAT, Philippe DALLIER, Mme Patricia MORHET-RICHAUD, MM. Jean-François RAPIN, Bruno GILLES, Mme Agnès CANAYER, MM. Guillaume CHEVROLLIER, Michel MAGRAS, Daniel LAURENT, Louis-Jean de NICOLAY, Benoît HURÉ, Jackie PIERRE, Cédric PERRIN, Michel RAISON, Mathieu DARNAUD, Bruno SIDO et Mme Sylviane NOËL,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Contrevenir à la loi, ce n'est pas nécessairement faire ce qu'elle interdit ; c'est aussi empêcher ce qu'elle autorise.

Parce qu'un État de droit ne saurait tolérer qu'une volonté particulière passe outre à la volonté générale, l'un comme l'autre doit être sanctionné.

Pourtant, si les interdictions sont effectivement, en règle générale, édictées sous peine de sanctions, il est exceptionnel que la loi punisse le fait de faire obstacle à ce qu'elle autorise.

Il est vrai que, dans une société libre, dans laquelle est permis ce qui n'est pas formellement défendu, l'autorisation du législateur peut être implicite. Or, sanctionner la méconnaissance d'une autorisation suppose que celle-ci soit définie... et donc qu'elle ne soit pas implicite.

Il est vrai, surtout, que la liberté, parce qu'elle participe de l'ADN de la République, parce qu'elle est de ses valeurs, que nul ne saurait sérieusement contester et que chacun se dit même prêt à défendre, nous semble s'imposer comme une évidence : comment concevoir que des individus, par essence attachés à leur liberté, puissent s'opposer, au besoin par la violence, à son exercice par autrui alors même que cet exercice ne porte pas en lui-même atteinte à leurs propres droits ou libertés ?

Aussi n'est-ce que dans des cas où l'exercice d'une liberté, et plus généralement d'une activité légale, court un risque fort d'être entravé que la loi prévoit de réprimer les atteintes qui peuvent être portées. C'est ainsi que les dispositions de l'article 431-1 du code pénal sanctionnent d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende (portés respectivement à trois ans et à 45 000 € en cas de violences ou dégradations), à la double condition qu'elles soient concertées et accompagnées de menaces, les entraves au déroulement des débats d'une assemblée parlementaire ou d'un organe délibérant d'une collectivité territoriale, aux libertés d'expression, du travail, d'association, de réunion ou de manifestation et de création ou de diffusion artistique.

Pour le reste, chacun revendiquant - légitimement - la liberté pour lui-même, il est difficile d'imaginer qu'il ne l'accepte pas pour autrui, a fortiori lorsque son exercice ne porte préjudice ni à sa propre liberté, ni à l'un de ses droits.

Et pourtant...

Nombreux sont les cas d'entraves à l'exercice d'activités tout à fait légales (voire d'intérêt public) par des groupes d'individus qui, confondant leurs droits et leurs convictions (et estimant en conséquence que les actes contraires aux secondes sont d'inadmissibles atteintes aux premiers), s'autoproclament censeurs soi-disant civiques, voire justiciers, au service d'un ordre social qu'ils décrètent et dont l'unique légitimité, si l'on peut dire, est de correspondre à leurs idées propres.

Mais, aussi honorables soient-elles, des idées ne sont ni des droits ni des libertés et ne sauraient donc primer sur eux. Les convictions particulières s'expriment ; elles ne s'imposent pas d'elles-mêmes, à plus forte raison pour faire obstacle à ce que la loi a décidé.

La loi, expression de la volonté générale, n'est pas nécessairement celle de la volonté de tous ; chacun est libre de la critiquer, mais nul ne saurait, seul ou en réunion, imposer la sienne ou y faire obstacle.

C'est pourtant à cela qu'aboutissent des mouvements qui, sous des formes diverses (blocus, interruptions de représentation, invasions de terrain, huées...), empêchent des élèves d'entrer dans leur établissement, des commerçants de vendre leurs produits (et des consommateurs d'en acheter), des spectateurs d'assister tranquillement à un spectacle... et bien d'autres activités autorisées par la loi.

Ces mouvements ne font pas nécessairement appel à des menaces caractérisées et, bien qu'inadmissibles, ne tombent donc pas toujours sous le coup de l'actuel article 431-1 du code pénal ; ils ne portent pas non plus toujours, loin de là, sur l'une des libertés mentionnées par cet article.

Aussi est-il urgent de l'adapter : d'une part, en élargissant le champ de la protection qu'il assure à l'ensemble des évènements et activités autorisés par la loi ; d'autre part, puisque toute obstruction à l'application de la loi est par essence inacceptable quelle qu'en soit la forme, en ne limitant plus sa sanction à une exigence de menaces.

Cette proposition de loi ne protège les activités que dans la mesure où elles sont autorisées par la loi. Demain comme aujourd'hui, rien n'empêchera le législateur, s'il l'estime souhaitable (et dans le respect de la Constitution et des engagements internationaux de la France), d'encadrer une activité, voire de l'interdire.

C'est donc bel et bien l'exercice des activités autorisées par la loi, dans leur généralité et tant qu'elles le demeurent, qu'il s'agit de protéger et donc, au final, le simple respect de la loi elle-même.

Est-il besoin de rappeler ce principe de base de l'État de droit, déjà expressément formulé dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, selon lequel « Tout ce qui n'est pas défendu par la Loi ne peut être empêché » (article 5) ? Est-il nécessaire d'invoquer notre Constitution pour faire valoir que « la souveraineté nationale appartient au peuple » dans son ensemble, qu'elle s'exerce uniquement par ses représentants ou par la voie du référendum et qu'« aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice » (article 3 de la Constitution) ?

La présente proposition de loi n'a pour objet, ni plus ni moins, que d'assurer l'effectivité de ces principes inhérents à la liberté et à la souveraineté et, de ce fait, au coeur de la tradition républicaine.

Proposition de loi tendant à réprimer les entraves à l'exercice des libertés ainsi qu'à la tenue des évènements et à l'exercice d'activités autorisés par la loi

Article unique

L'article 431-1 du code pénal est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi modifié :

a) Les mots : « à l'aide de menaces » sont remplacés par les mots : « par tous moyens » ;

b) Les mots : « ou d'entraver » sont remplacés par les mots : « , d'entraver » ;

c) Après le mot : « territoriale », sont insérés les mots : « , ou d'empêcher la tenue de tout évènement ou l'exercice de toute activité autorisé par la loi, » ;

2° Au dernier alinéa, les mots : « d'une des libertés visées » sont remplacés par les mots : « de l'un des droits et libertés mentionnés ».

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