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N° 544

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 avril 2016

PROPOSITION DE LOI

tendant à développer l' accession sociale à la propriété ,

PRÉSENTÉE

Par MM. Jean-François MAYET, Gérard BAILLY, Jean BIZET, François-Noël BUFFET, Gérard CÉSAR, Mme Caroline CAYEUX, MM. Patrick CHAIZE, Pierre CHARON, Daniel CHASSEING, Alain CHATILLON, René DANESI, Mathieu DARNAUD, Dominique de LEGGE, Mmes Catherine DEROCHE, Jacky DEROMEDI, Catherine DI FOLCO, MM. Jean-Paul EMORINE, Michel FONTAINE, Bernard FOURNIER, Mme Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, M. Jacques GENEST, Mme Colette GIUDICELLI, MM. Alain GOURNAC, François GROSDIDIER, Mme Pascale GRUNY, MM. Michel HOUEL, Alain JOYANDET, Marc LAMÉNIE, Robert LAUFOAULU, Daniel LAURENT, Antoine LEFÈVRE, Jean-Pierre LELEUX, Gérard LONGUET, Didier MANDELLI, Alain MARC, Patrick MASCLET, Mme Brigitte MICOULEAU, MM. Jean-Marie MORISSET, Louis-Jean de NICOLA•, Cédric PERRIN, Louis PINTON, Rémy POINTEREAU, Michel RAISON, Jean-François RAPIN, Bruno RETAILLEAU, Charles REVET, Alain VASSELLE, François BONHOMME, Mmes Agnès CANAYER, Élisabeth LAMURE et M. Cyril PELLEVAT,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des affaires économiques.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'accession à la propriété de la résidence principale est un enjeu essentiel de politique sociale . Elle est un facteur de promotion et d'intégration sociales. Pour les ménages disposant d'un revenu modeste, elle est le meilleur moyen de pouvoir faire face à la baisse de revenus intervenant au moment de la retraite et, le cas échéant, aux dépenses liées à la vieillesse dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Et l'achat d'une habitation à loyer modéré (HLM) qu'ils occupent paraît être la solution à privilégier pour ces ménages. Il convient donc de faire de l'accession sociale à la propriété une mission essentielle des organismes HLM.

L'idée est ancienne puisque la loi n° 65-556 du 10 juillet 1965 relative à l'acquisition d'habitations à loyer modéré à usage locatif par les locataires en pose le principe : elle prévoit que, si le locataire en fait la demande, « l'organisme d'habitations à loyer modéré est alors tenu de procéder à la vente, sauf motifs reconnus sérieux et légitimes par le préfet après avis du comité départemental des habitation à loyer modéré » . Cependant, ce texte n'a eu que des effets limités, en raison tant des réticences des bailleurs sociaux que de l'inadaptation des formules de financement aux ménages les plus modestes (les ménages disposant de revenus moyens, quant à eux, quittaient les logements HLM lorsqu'ils accédaient à la propriété).

La loi n° 83-953 du 2 novembre 1983 sur la vente des logements appartenant à des organismes d'habitation à loyer modéré est ensuite revenue sur le principe posé par la loi de 1965, en mettant en place un dispositif beaucoup plus restrictif : désormais, l'initiative de la vente appartenait à l'organisme propriétaire, en accord avec la commune d'implantation et le représentant de l'État dans le département ; des conditions d'ancienneté de l'immeuble et de l'occupation par le locataire étaient également posées.

Les règles posées par la loi de 1983 ont été modifiées à plusieurs reprises, ce qui a permis un assouplissement des conditions concernant l'ancienneté de l'immeuble et de son occupation ; mais l'initiative de la vente demeure l'apanage de l'organisme propriétaire et, si l'accord de la commune n'est plus expressément nécessaire pour la vente, il semble que dans la pratique il soit très rare de passer outre un avis négatif. À cet égard, la loi n° 2013-61 du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social a eu un effet contre-productif, le relèvement des quotas obligatoires de logements sociaux locatifs conduisant les maires à envisager défavorablement la vente de logements sociaux.

Au total, les ventes de logement HLM restent globalement très limitées : « moins de 0,2 % seulement du parc est vendu chaque année, alors qu'en parallèle les organismes construisent de nouveaux logements qui contribuent à l'accroissement du parc à hauteur de 2 % en moyenne » 1 ( * ) . De ce fait, la vente de logements sociaux ne constitue pas aujourd'hui un levier significatif de l'accession à la propriété 2 ( * ) .

Ainsi, alors que la politique du logement mobilise des moyens considérables (plus de 42 milliards d'euros chaque année), très peu de ménages aux revenus modestes accèdent à la propriété de leur logement HLM, alors que cette accession devait être un objectif essentiel sur le plan social.

Cette situation contraste avec l'évolution qu'ont connue certains pays voisins de la France et dotés d'un parc social important. Ainsi, au Royaume-Uni, l'institution d'un « droit à l'achat » pour les locataires du parc social a entraîné la vente à leurs occupants de 2,5 millions de logements, soit plus de la moitié du parc social. En Allemagne, où la politique du logement relève essentiellement des Länder, 1,6 million de logements sociaux ont été vendus sur une quinzaine d'années (1993-2008). Aux Pays-Bas, à la suite de la condamnation du système de logement social par la Cour de justice de l'Union européenne, un programme a été mis en place pour vendre 15 % du parc aux locataires, au rythme de 2,5 % par an. Ces exemples montrent que la vente aux locataires d'une partie du parc social n'est pas une utopie, dès lors qu'elle s'appuie sur une démarche volontariste.

Il est vrai qu'une telle évolution signifie, pour les bailleurs sociaux, un changement important de leur rôle, suscitant naturellement des réticences.

Toutefois, dans un contexte de grande tension des finances nationales et locales, la vente de logements HLM apparaîtra de plus en plus comme un des instruments disponibles pour le financement de la construction de nouveaux logements sociaux. Ainsi, les bailleurs sociaux devraient pouvoir à la fois, grâce à la vente d'une partie du parc, permettre l'accession sociale à la propriété et répondre aux besoins en logements supplémentaires.

Pour atteindre ces objectifs, revenir à l'obligation de vente prévue par la loi de 1965 ne paraît pas une solution sans risque, compte tenu de la protection qu'apporte désormais au droit de propriété le contrôle de constitutionnalité des lois.

En revanche, les conventions d'utilité sociale (CUS), prévues par la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion, paraissent un cadre approprié. Conclues avec l'État par les organismes HLM, elles doivent comprendre un plan de mise en vente des logements à leurs locataires . En cas de manquement grave à ses engagements, l'organisme peut subir des pénalités prononcées par le ministre chargé du logement et perdre le bénéfice de l'exonération de la taxe foncière pour une fraction de son patrimoine. Ce dispositif est donc fortement incitatif ; sa limite est de ne pas fixer d'objectif national contraignant permettant d'engager le mouvement de vente à une échelle suffisante.

Il paraît donc souhaitable d'inscrire dans la loi la règle d'une vente de 15 % au minimum des logements détenus par l'organisme sur la durée d'une CUS, soit six ans .

Il convient dans le même esprit de réduire les obstacles à la décision de mise en vente . Selon les règles en vigueur, qui résultent de la loi du 18 janvier 2013 précitée, lorsque l'organisme HLM informe le représentant de l'État de son intention de vendre, ce dernier consulte la commune d'implantation et les collectivités qui ont apporté un financement ou garanti les emprunts contractés ; en l'absence de réponse dans un délai de deux mois, l'avis est réputé favorable. Le représentant de l'État dispose ensuite de quatre mois pour s'opposer à la vente ; en l'absence d'opposition formulée dans ce délai, la vente peut être effectuée. En cas de désaccord entre la commune et le représentant de l'État, la vente n'est possible qu'après autorisation du ministre chargé du logement, dont le silence au bout de quatre mois vaut rejet. En outre, l'autorisation de vendre devient caduque au bout de cinq ans si elle n'a pas commencé à être mise en oeuvre.

Le développement de la vente aux locataires suppose un dispositif moins défavorable : il est souhaitable que le délai de deux mois applicable aux communes s'applique également aux décisions de l'État, que le silence du ministre vaille approbation, et que l'autorisation de vendre ne soit pas frappée de caducité au bout de cinq ans. Par ailleurs, afin que la vente ne soit pas un obstacle au respect des quotas de logements sociaux, il convient de prévoir que les logements vendus restent pris en compte dans ces quotas pendant une durée de 10 ans.

Mais l'accroissement des mises en vente ne suffira pas à permettre le développement de l'accession sociale à la propriété si les modes de financement ne sont pas mieux adaptés. Les dispositifs existants n'ont pas jusqu'à présent permis le « décollage » de l'accession sociale à la propriété. Si le « prêt social location accession » (PSLA) paraît approprié à la vente de logements neufs, les instruments destinés à favoriser l'accession à la propriété pour les logements HLM anciens ne paraissent pas pleinement adaptés à la situation des locataires aux revenus modestes, dans la mesure où, pour la plupart, ils restent fondés sur le schéma classique de l'accession à la propriété, dont ils diminuent seulement le coût ; de plus, l'instabilité de ces instruments - souvent remaniés au cours des dix dernières années - ne peut que nuire à leur identification par les bénéficiaires potentiels.

Certes, un dispositif spécifique a été mis en place par la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, qui a introduit dans le code de la construction et de l'habitation une section relative à « l'accession progressive des locataires à la propriété » par la création de sociétés civiles immobilières d'accession progressive à la propriété (SCI APP). Les SCI APP sont créées par des organismes HLM ; elles ont pour objet la détention, la gestion et l'entretien d'immeubles ayant fait l'objet d'un apport en nature, en vue de leur division en fractions destinées à être louées à des personnes physiques et à être éventuellement attribuées en propriété aux associés, sous conditions de ressources. Les habitants de l'immeuble paient un loyer à la SCI APP pendant toute la durée de l'accession et peuvent acheter des parts acquisitives pour un montant qui correspond à la valeur de leur logement. Le locataire devient propriétaire du logement qu'il habite lorsqu'il a acquis, auprès de l'organisme HLM, la totalité des parts correspondant à son lot. Cette formule originale a été cependant très rarement utilisée, en raison de sa relative complexité et de la rigidité de certaines règles.

L'accession sociale à la propriété a besoin d'un dispositif simple et stable, correspondant aux besoins des personnes concernées. C'est pourquoi il est proposé de mettre en place, à côté des dispositifs existants, un nouveau mécanisme d'accession à la propriété, le contrat d'accession progressive à la propriété .

Ce contrat réaliserait un transfert de propriété progressif par acquisition de points, chaque mois, à l'occasion du paiement du loyer. Les points seraient transférables vers un logement analogue en cas de déménagement ; la mise en place d'un répertoire national permettrait de favoriser ces transferts.

La propriété serait attribuée au locataire lorsque celui-ci disposerait du nombre de points correspondant au logement. Cette formule simple et souple serait un instrument de promotion sociale par l'accession à la propriété répondant aux besoins des locataires aux revenus modestes. Elle n'impliquerait aucune augmentation des dépenses publiques consacrées au logement, mais seulement un redéploiement des moyens pour mieux poursuivre les objectifs de la politique sociale du logement.

Tel est l'objet de la présente proposition de loi, qui entend revenir à l'esprit du mouvement HLM à ses débuts (on parlait alors d' « HBM 3 ( * ) »), puisque durant l'entre-deux guerres la politique sociale du logement (avec en particulier la loi LOUCHEUR 4 ( * ) du 13 juillet 1928) poursuivait à égalité l'accès au logement locatif et l'accession sociale à la propriété.

L' article 1 er insère l'accession à la propriété de la résidence principale parmi les objectifs de la politique du logement.

L' article 2 fait figurer l'accession sociale à la propriété dans les missions essentielles des organismes HLM, à égalité avec la location.

L' article 3 prévoit, pour mettre en oeuvre concrètement ces principes, l'obligation pour les organismes HLM de mettre en vente 15 % de leur patrimoine sur la durée d'une convention d'utilité sociale.

Les articles 4 et 5 tendent à réduire les obstacles aux ventes, en simplifiant et raccourcissant la procédure d'autorisation ( article 4 ) et en intégrant durant dix ans les logements cédés dans les quotas de logements sociaux imposés aux communes ( article 5 ).

L' article 6 définit les règles générales des contrats d'accession progressive à la propriété.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

À la première phrase du I de l'article L. 301-1 du code de la construction et de l'habitation, après les mots : « besoins de logements,» sont insérés les mots : « de permettre l'accession à la propriété de la résidence principale, ».

Article 2

Au troisième alinéa de l'article L. 421-1 et à la première phrase du premier alinéa de l'article L. 422-2 du même code, le mot : « principalement » est supprimé et, après les mots : « en vue de », sont insérés les mots : « l'accession sociale à la propriété et de ».

Article 3

Après le huitième alinéa de l'article L. 445-1 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Le plan de mise en vente prévu au cinquième alinéa porte, pour la durée de la convention, sur 15 % au moins des logements détenus par l'organisme ».

Article 4

L'article L. 443-7 du même code est ainsi modifié :

1° À la quatrième phrase du troisième alinéa, les mots : « quatre mois » sont remplacés par les mots : « deux mois » ;

2° À la septième phrase du même alinéa, les mots : « quatre mois » sont remplacés par les mots : « deux mois » et les mots : « opposition à » sont remplacés par les mots : « acceptation de » ;

3° Le quatrième alinéa est supprimé ;

4° À la quatrième phrase du cinquième alinéa, les mots : « quatre mois » sont remplacés par les mots : « deux mois ».

Article 5

Le quatorzième alinéa de l'article L. 302-5 du même code est ainsi rédigé :

« Sont ajoutés les logements qui ont cessé d'appartenir aux organismes d'habitation à loyer modéré depuis moins de dix ans ».

Article 6

Après la section 1 bis du chapitre III du titre IV du livre IV du même code, est insérée une section 1 ter ainsi rédigée :

« Section 1 ter

« Contrats d'accession progressive à la propriété.

« Art. L.443-6-14. - Tout locataire d'un organisme d'habitations à loyer modéré peut conclure un contrat d'accession progressive à la propriété du logement qu'il occupe. Le contrat précise les modalités d'acquisition de points correspondant à une fraction de la valeur estimée du logement. Lorsque le locataire a acquis la totalité des points prévus au contrat, la propriété du logement lui est transférée.

« Art. L.443-6-15. - En cas de déménagement dans un autre logement appartenant à un organisme d'habitations à loyer modéré, les points acquis sont transférés au nouveau logement. Les conventions d'utilité sociale mentionnées à l'article L. 445-1 prévoient les modalités de ce transfert.

« Art. L. 443-6-16. - En cas de déménagement en dehors des conditions prévues à l'article L. 443-6-15, les points acquis sont remboursés au locataire par l'organisme.

« Art. L. 443-6-17. - Un décret en Conseil d'État précise les modalités d'application de la présente section ».


* 1 Mission d'évaluation de la politique de vente de logements sociaux à leurs occupants et à d'autres personnes physiques , conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), rapport de Marianne LEBLANC-LAUGIER et Pascaline TARDIVON, septembre 2014, p.31.

* 2 « La vente de logements sociaux représente environ 1 % des situations d'accession à la propriété » (ibid., p.32)

* 3 Habitations à bon marché.

* 4 Loi du 13 juillet 1928 établissant un programme de construction d'habitations à bon marché et de logements, en vue de remédier à la crise de l'habitation.

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