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N° 733

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2011-2012

Enregistré à la Présidence du Sénat le 31 juillet 2012

PROPOSITION DE LOI

tendant à la suppression des peines planchers ,

PRÉSENTÉE

Par MM. Jacques MÉZARD, Nicolas ALFONSI, Jean-Michel BAYLET, Jean-Pierre CHEVÈNEMENT, Yvon COLLIN, Pierre-Yves COLLOMBAT, François FORTASSIN, Mme Françoise LABORDE, MM. Stéphane MAZARS, Jean-Claude REQUIER, Robert TROPEANO, Raymond VALL et François VENDASI,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La situation de la justice à l'aube de la nouvelle législature est plus qu'inquiétante. Après cinq années d'une politique pénale essentiellement fondée sur un affichage de la répression, le constat d'échec est patent : non seulement la délinquance n'a pas reculé, mais les établissements pénitentiaires n'ont jamais atteint un tel niveau de surpopulation, rendant illusoire la mission d'amendement et de réinsertion qui est la leur.

Les peines plancher sont symptomatiques de cette politique sécuritaire qui, à défaut de trouver le juste équilibre entre prévention et répression, a surtout consisté à punir toujours plus sévèrement sans donner à la justice les moyens de travailler correctement ni s'interroger sur les causes réelles de la délinquance.

C'est par la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs qu'ont été instituées dans le droit pénal les peines minimales d'emprisonnement, dont sont passibles les majeurs et les mineurs de plus de treize ans ayant commis en état de récidive légale un crime ou un délit puni de plus de trois ans d'emprisonnement.

Malgré le bilan négatif de cette loi, la loi du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité extérieure a étendu ce dispositif à la répression des violences les plus graves, même lorsqu'elles ne sont pas commises en état de récidive.

La personnalisation des peines et l'extension des pouvoirs d'appréciation des juges ont pourtant été une constante depuis la Révolution française. Le principe de personnalité des peines revêt une valeur constitutionnelle et conditionne celui de nécessité et de proportionnalité des peines. Si sous l'empire de l'ancien code pénal les peines étaient comprises entre un maximum et un minimum, dans les faits les magistrats recouraient massivement aux circonstances atténuantes pour ne pas appliquer les minima de peine. Prenant acte de cette pratique, le nouveau code pénal entré en vigueur le 1 er janvier 1994 s'était borné à ne poser que des quantum de peine maximum. C'est pour cette raison qu'en 2005 le rapporteur de la commission des lois du Sénat sur la proposition de loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales concluait qu'il n'y avait aucun intérêt à revenir à un système supprimé douze ans auparavant 1 ( * ) .

Quand bien même le dispositif des peines planchers a été jugé conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, leur philosophie même est contestable. Elle repose sur le postulat simpliste selon lequel la sévérité accrue des peines accrues revêtirait une dimension dissuasive pour les délinquants, et préviendrait de la sorte la commission d'infraction ou la récidive. Or un tel présupposé n'a jamais été vérifié dans les faits : il n'existe pas de corrélation entre le taux d'incarcération et le taux de délinquance. Pire, l'incarcération ne remplit plus sa mission de prévention de la récidive. En réalité, ce dispositif ne peut même conduire qu'à augmenter la population carcérale alors même qu'il conviendrait plutôt de diminuer les flux d'entrée pour assurer une meilleure prise en charge du suivi des personnes condamnées. C'est d'ailleurs le sens de l'avis du Contrôleur général des lieux de privation de liberté publié au Journal officiel du 13 juin 2012 2 ( * ) .

En matière de délinquance des mineurs, les peines planchers sont totalement contreproductives dans la mesure où elles éludent la mission de relèvement des mineurs que l'ordonnance du 2 février 1945 assigne à la justice pour mineurs. L'enfermement des mineurs délinquants ne saurait constituer la réponse des pouvoirs publics à un phénomène aussi protéiforme qu'aux causes multiples. De la même façon, il est temps de mettre un terme au processus de rapprochement de la justice des mineurs de celle des majeurs, au nom de la spécificité de la première.

Certes, la loi de 2007 autorise le juge à ne pas prononcer la peine minimale requise par la loi en motivant sa décision. Mais cette obligation de motivation constitue en réalité une source supplémentaire de complexité et un alourdissement du travail des magistrats, alors que la justice pâtit d'un grave manque de moyens humains. Il est impératif de faciliter le fonctionnement de la justice afin qu'elle puisse se concentrer sur les dossiers les plus importants, en lui donnant aussi les moyens indispensables pour assurer l'exécution réelle des peines prononcées. Multiplier les textes répressifs dans un objectif purement médiatique est inconséquent lorsqu'en réalité les peines prononcées par les juridictions ne sont pas appliquées.

Telles sont les raisons qui justifient la suppression des peines plancher.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

Les articles 132-18-1, 132-19-1 et 132-19-2 du code pénal sont abrogés.

Article 2

Au dernier alinéa de l'article 132-24 du même code, les mots : « en dehors des condamnations en récidive légale prononcées en application de l'article 132-19-1, » sont supprimés.

Article 3

À la première phrase du premier alinéa de l'article 362 du code de procédure pénale, les mots : « , ainsi que, si les faits ont été commis en état de récidive légale, de l'article 132-18-1 et, le cas échéant, de l'article 132-19-1 du même code » sont supprimés.

Article 4

L'article 20-2 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, les mots : « les articles 132-18, 132-18-1 et 132-19-1 » sont remplacés par les mots : « l'article 132-18 »,

2° Au huitième alinéa, les mots : « , 132-18-1 et 132-19-1 » sont supprimés.


* 1 Rapport n° 171 (2004-2005) de M. François ZOCCHETTO, fait au nom de la commission des lois, déposé le 2 février 2005, p. 132.

* 2 Avis du 22 mai 2012 relatif au nombre de personnes détenues

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