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N° 649

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 juillet 2010

PROPOSITION DE LOI

relative à l' atténuation de responsabilité pénale applicable aux personnes atteintes d'un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits,

PRÉSENTÉE

Par MM. Jean-René LECERF, Gilbert BARBIER et Mme Christiane DEMONTÈS,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le nouveau code pénal a introduit une distinction entre l'abolition et l'altération du discernement en raison d'un trouble mental. Dans le premier cas, la personne n'est pas pénalement responsable, dans le deuxième cas, elle est punissable.

Ainsi, aux termes de l'article 122-1 du code pénal :

« N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.

« La personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime ».

Bien que le deuxième alinéa de l'article 122-1 ne l'ait pas explicitement prévu, l'altération du discernement en raison du trouble mental aurait dû être un facteur d'atténuation de la responsabilité pénale et devait conduire en conséquence à une réduction de la peine. Les travaux préparatoires comme l'inscription de ces dispositions dans un chapitre du code pénal consacré aux causes d'atténuation de responsabilité ne laissent aucun doute à cet égard. Ainsi, si la juridiction doit prendre en compte la circonstance liée à l'altération du discernement dans la détermination de la peine et de son régime, ce devrait être dans le sens, d'une part, de la réduction de la peine prononcée et, d'autre part, de son adaptation sous la forme, par exemple, de l'octroi d'un sursis avec mise à l'épreuve.

Tel n'est pourtant pas le cas. Au contraire, comme l'a souligné le récent rapport du groupe de travail mené conjointement par la commission des lois et la commission des affaires sociales sur la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux ayant commis des infractions 1 ( * ) , l'altération du discernement conduit le plus souvent à une aggravation de la peine prononcée . Ces orientations ne sont pas seulement contraires à l'esprit de la loi, elles participent de manière significative à la forte présence de personnes atteintes de troubles mentaux en détention. Afin de corriger ces effets, le groupe de travail a proposé plusieurs modifications du code pénal et du code de procédure pénale, reprises dans la présente proposition de loi.

Le groupe de travail avait d'abord préconisé de compléter le deuxième alinéa de l'article 122-1 du code pénal afin de prévoir que l'altération du discernement entraîne une réduction de la peine encourue comprise entre le tiers et la moitié de ce quantum. L' article 1 er de la proposition de loi prévoit que la peine privative de liberté est réduite du tiers. Une réduction de moitié pourrait en effet apparaître excessive au regard de la dangerosité de certaines personnes. Il appartiendra, en tout état de cause, à la juridiction de fixer, dans la limite du plafond ainsi déterminé, la durée la plus appropriée en tenant compte du fait que plus la personne est souffrante et plus sa situation justifie une prise en charge sanitaire de préférence à une incarcération.

Dans cet esprit, du reste, le groupe de travail recommandait que lorsqu'une altération de discernement est constatée, la peine prononcée soit exécutée pour une période comprise entre le tiers et la moitié de sa durée sous le régime de sursis avec mise à l'épreuve assorti d'une obligation de soins.

À ce stade, afin de laisser au juge une plus grande liberté d'appréciation, la proposition de loi reproduit la formule actuelle du deuxième alinéa de l'article 122-1 selon laquelle la juridiction tient compte de l'altération du discernement pour déterminer le régime de la peine en précisant cependant que si un sursis avec mise à l'épreuve est ordonné, il doit nécessairement comporter une obligation de soins.

Afin de favoriser la mise en oeuvre des soins pendant la détention, le groupe de travail avait proposé que les réductions de peine prévues par l'article 721 et 721-1 du code de procédure pénale puissent systématiquement être retirées ou refusées en cas de refus par la personne dont le discernement a été altéré, des soins qui lui sont proposés.

En l'état du droit, le juge de l'application des peines peut ordonner le retrait d'une partie du crédit de réduction de peine auquel le détenu a droit lorsque celui-ci, s'il a été condamné pour des crimes graves commis sur des mineurs, refuse de suivre le traitement qui lui a été proposé par le juge de l'application des peines (article 721 du code de procédure pénale).

Pour des raisons identiques, sauf décision contraire de la juridiction, aucune réduction supplémentaire de peine ne peut être accordée à une personne condamnée pour un crime ou un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru.

L' article 2 de la proposition de loi vise à autoriser le juge de l'application des peines à retirer une partie des réductions de peine mentionnées à l'article 721 et à rejeter des réductions de peine supplémentaires lorsque la personne dont le discernement était altéré au moment des faits refuse les soins qui lui sont proposés. Il n'est pas proposé de systématiser ce retrait afin de laisser au juge sa liberté d'appréciation.

Enfin, le groupe de travail avait suggéré qu'à leur libération, les personnes condamnées dans les circonstances mentionnées au deuxième alinéa de l'article 122-1 du code pénal fassent l'objet d'une obligation de soins pendant la durée comprise entre leur libération et le terme de la durée de la peine encourue. En outre, il proposait que les différentes mesures de sûreté actuellement réservées par les articles 706-138 à 706-140 du code de procédure pénale aux personnes irresponsables puissent également leur être appliquées. L' article 3 de la proposition de loi permet de combiner ces différentes propositions :

- il tend à insérer un nouvel article 706-136-1 dans le code de procédure pénale qui applique, à leur libération, aux personnes dont le discernement a été altéré les mesures de sûreté prévues par l'article 706-136 pour les irresponsables pénaux en y intégrant l' obligation de soins . La mise en oeuvre de ces mesures répondrait aux conditions actuellement fixées par l'article 706-136 : il appartiendrait au juge de l'application des peines de fixer leur durée d'application qui ne pourrait excéder dix ans en matière correctionnelle et vingt ans si les faits constituent un crime ou un délit puni de dix ans d'emprisonnement. Les interdictions ne pourraient être prononcées qu'après une expertise psychiatrique et ne devraient pas constituer un obstacle aux soins dont la personne est susceptible de faire l'objet. Par ailleurs, si la personne devait faire l'objet d'une hospitalisation d'office, les interdictions dont elle fait l'objet resteraient applicables pendant la durée de l'hospitalisation et se poursuivraient après la levée de cette hospitalisation ;

- la personne pourrait demander au juge des libertés et de la détention du lieu de la situation de l'établissement hospitalier ou de son domicile d'ordonner sa modification ou sa levée -levée qui ne pourrait être décidée qu'au vu du résultat d'une expertise psychiatrique ;

- la méconnaissance par la personne qui en a fait l'objet des mesures prévues par le nouvel article 706-136-1 serait passible de deux ans d'emprisonnement et 30.000 euros d'amende.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

Le second membre de phrase du second alinéa de l'article 122-1 du code pénal est remplacé par trois phrases ainsi rédigées :

« Toutefois, la peine privative de liberté encourue est réduite du tiers. En outre, la juridiction tient compte de cette circonstance pour fixer le régime de la peine. Lorsque la juridiction ordonne le sursis à exécution avec mise à l'épreuve de tout ou partie de la peine, cette mesure est assortie de l'obligation visée par le 3° de l'article 132-45. »

Article 2

Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Avant la dernière phrase du troisième alinéa de l'article 721, il est inséré une phrase ainsi rédigée :

« Il peut également ordonner le retrait lorsque la personne condamnée dans les circonstances mentionnées au second alinéa de l'article 122-1 du code pénal refuse les soins qui lui sont proposés. »

2° Le premier alinéa de l'article 721-1 est complété par une phrase ainsi rédigée :

« De même, sauf décision contraire du juge de l'application des peines, aucune réduction supplémentaire de peine ne peut être accordée à une personne condamnée dans les circonstances mentionnées au second alinéa de l'article 122-1 du code pénal qui refuse les soins qui lui sont proposés. »

Article 3

Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Après l'article 706-136, il est inséré un article 706-136-1 ainsi rédigé :

« Art. 706-136-1. - Le juge de l'application des peines peut ordonner, à la libération d'une personne condamnée dans les circonstances mentionnées au second alinéa de l'article 122-1 du code pénal, une obligation de soins ainsi que les mesures de sûreté visées à l'article 706-136 pendant une durée qu'il fixe et qui ne peut excéder dix ans en matière correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un délit puni de dix ans d'emprisonnement. Les deux derniers alinéas de l'article 706-136 sont applicables. »

2° Dans la première phrase de l'article 706-137, les mots : « d'une interdiction prononcée en application de l'article 706-136 » sont remplacés par les mots : « d'une mesure prononcée en application de l'article 706-136 ou de l'article  706-136-1 ».

3° Dans l'article 706-139, la référence « l'article 706-136 » est remplacée par les références : « les articles 706-136 ou 706-136-1 ».


* 1 Rapport d'information n° 434 (2009-2010) de Gilbert Barbier, Christiane Demontès, Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel, « Prison et troubles mentaux : comment remédier aux dérives du système français ». http://www.senat.fr/notice-rapport/2009/r09-434-notice.html

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