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N° 208

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 janvier 2010

PROPOSITION DE LOI

tendant à assurer l' assistance immédiate d'un avocat aux personnes placées en garde à vue ,

PRÉSENTÉE

Par MM. Jacques MÉZARD, Yvon COLLIN, Gilbert BARBIER, Jean-Michel BAYLET, Jean-Pierre CHEVÈNEMENT, Mme Anne-Marie ESCOFFIER, M. François FORTASSIN, Mme Françoise LABORDE, MM. Daniel MARSIN, Jean MILHAU, Aymeri de MONTESQUIOU, Robert TROPEANO, Raymond VALL et François VENDASI,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En 2009, 580 000 personnes ont été placées en garde à vue. En dépit du principe fondamental de présomption d'innocence, tout citoyen peut potentiellement se retrouver un jour dans cette situation, où la connaissance et l'exercice de ses droits sont primordiaux. Or, la culture de l'aveu qui préside depuis longtemps le droit pénal engendre de nombreux abus qui aboutissent à vicier l'ensemble de la procédure et à affaiblir son essence même : la sanction des atteintes à l'ordre public.

La multiplication des dérives de la garde à vue porte également atteinte en elle-même aux principes fondateurs de l'État de droit, à commencer par celui de la sûreté des personnes. Or, le respect des droits de la défense constitue l'un des piliers les plus intangibles du procès équitable, tel que garanti par la Convention européenne des droits de l'homme.

L'étude de législation comparée consacrée à la garde à vue publiée par le Sénat le 31 décembre dernier met en relief le retard pris par la France en comparaison avec certains de nos voisins en matière de garantie des droits de la défense dans le cadre de la garde à vue. Il apparaît en effet que dans nombre de pays, le placement en garde à vue est subordonné à l'existence d'une infraction d'une certaine gravité. De la même façon, les personnes placées en garde à vue peuvent bénéficier de l'assistance effective d'un avocat dès qu'elles sont privées de liberté au Danemark, en Espagne, en Italie, et au Royaume-Uni. En Allemagne, l'audition de la personne se fait en principe sans avocat mais celui-ci peut y assister dès que la personne en fait la demande.

La Cour européenne des droits de l'homme s'est prononcée récemment à deux reprises, et de façon éclatante, sur cette question. Dans son arrêt Salduz c/ Turquie du 27 novembre 2008, elle a énoncé que la condamnation d'un prévenu sur la base d'aveux obtenus en l'absence d'un avocat violait le paragraphe 3 de l'article 6 de la Convention. Cette position a été confirmée dans l'arrêt Oleg Kolesnik c/ Ukraine du 19 novembre 2009.

Elle est allée encore plus loin dans son arrêt Dayanan c/ Turquie du 13 octobre 2009, en jugeant que le fait qu'un accusé privé de liberté ne puisse avoir accès à un avocat, y compris commis d'office, durant sa garde à vue constituait une violation du droit à un procès équitable. La Cour a ainsi souligné que « l'équité de la procédure requiert que l'accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d'interventions qui sont propres aux conseils » dès la première minute de sa garde à vue. Cette position a encore été confirmée le 8 décembre 2009 dans l'arrêt Savas c/ Turquie , dans lequel la Cour considère d'une part que la renonciation au droit d'être assisté d'un avocat doit être faite de façon non équivoque, et d'autre part que même si l'on peut contester les déclarations faites sans assistance d'un avocat devant une juridiction, l'impossibilité de se faire assister par un avocat en garde à vue nuit irrémédiablement aux droits de la défense.

De surcroît, les dernières recommandations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté publiées au Journal officiel du 28 octobre 2009 mettent en lumière les dérives possibles de la garde à vue. À la suite de la visite d'un commissariat, le Contrôleur a pu constater un certain nombre d'atteintes répétées, et déjà observées ailleurs, aux conditions élémentaires de dignité de la personne placée en garde à vue : vétusté des locaux, impossibilité d'accès à un point d'eau ou retrait systématique du soutien-gorge ou des lunettes entre autres. Ces constats démontrent une nouvelle fois les graves carences du système carcéral français.

Contrairement à ce qui est officiellement soutenu, il n'existe pas de compatibilité du droit français de la garde à vue avec ces jurisprudences, nonobstant la circulaire du 17 novembre 2009 de la Chancellerie. Mais cet argumentaire se borne à affirmer le principe de l'accès à un défenseur lors de la garde à vue tandis que la Cour européenne des droits de l'homme exige désormais cette assistance durant toutes les phases de garde à vue. Le droit français de la garde à vue est donc bien aujourd'hui en contradiction avec la jurisprudence de la Cour de Strasbourg.

La présente proposition de loi tend par conséquent à permettre l'accès immédiat, à sa demande, de la personne mise en cause à un avocat, y compris par commission d'office si nécessaire. La personne mise en cause devra également être entendue immédiatement en présence de son avocat si elle en fait la demande. Ce dispositif n'induit pas que l'avocat dispose aussitôt du dossier de son client, étant donné les obstacles matériels évidents qui s'y opposent.

Ce dispositif est étendu à l'ensemble des crimes et délits à l'exception de ceux constituant des actes de terrorisme pour lesquels le dispositif actuel est maintenu.

La présente proposition de loi vise ainsi à concilier deux objectifs qui ont trop souvent été mis en opposition : le respect des droits de la défense et la protection de l'ordre public par les forces de police et de gendarmerie, alors que l'un et l'autre font partie intégrante des valeurs fondamentales de la République. L'ordre public doit être préservé en même temps que le respect de tout citoyen. Or, force est de constater que la multiplication abusive du nombre des gardes à vue et les conditions dans lesquelles elles peuvent être conduites ont conduit à mettre en cause, souvent injustement d'ailleurs, l'image des forces de l'ordre dans l'opinion publique, et donc leur crédibilité. Il est ainsi porté atteinte à la réputation de la Patrie des droits de l'Homme et du Citoyen. En offrant la possibilité immédiate pour le mis en cause de faire respecter ses droits au travers de la présence dès le début de la garde à vue d'un avocat, le présent texte tend par conséquent à garantir la sécurité juridique de la procédure judiciaire et à permettre aux forces de l'ordre d'exercer leur métier dans les meilleures conditions.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

L'article 63-4 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

I. - La première phrase du premier alinéa est remplacée par deux phrases ainsi rédigées :

« Toute personne placée en garde à vue fait immédiatement l'objet d'une audition, assistée d'un avocat si elle en fait la demande. Son audition est alors différée jusqu'à l'arrivée de l'avocat. »

II. - Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« À l'issue de cette audition, la personne ne peut être entendue, interrogée ou assister à tout acte d'enquête hors la présence de son avocat, sauf si elle renonce expressément à ce droit. Le procès-verbal d'audition visé à l'article 64 mentionne la présence de l'avocat aux auditions, interrogatoires et actes d'enquête, ainsi que les motifs de son absence le cas échéant. »

III. - Le quatrième alinéa est supprimé.

IV. - Le cinquième alinéa est ainsi rédigé :

« L'avocat ne peut faire état auprès de quiconque du ou des entretiens avec la personne placée en garde à vue pendant la durée de cette dernière. »

V. - Le sixième alinéa est ainsi rédigé :

« Lorsque la garde à vue a fait l'objet d'une prolongation, la personne peut également demander à faire immédiatement l'objet d'une audition, assistée d'un avocat si elle en fait la demande dans les conditions prévues aux premier et troisième alinéas. »

VI. - La première phrase du dernier alinéa est supprimée.

VII. - À la deuxième phrase du même alinéa, les mots : « Si elle » sont remplacés par les mots : « Si la personne » et les mots : « aux 3° et 11° du même article » sont remplacés par les mots : « au 11° de l'article 706-73 ».

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