EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Une société se juge à l'état de ses prisons », écrivait Albert Camus.

Le 2 octobre 2020, le Conseil constitutionnel a constaté qu'aucun recours devant le juge judiciaire ne permettait à une personne placée en détention provisoire d'obtenir qu'il soit mis fin aux atteintes à sa dignité résultant des conditions de sa détention provisoire. Il a imposé qu'il y soit remédié par l'adoption de mesures législatives avant le 1 er mars 2021. Or, le Gouvernement n'a pris, à ce jour, aucune initiative permettant de répondre à l'exigence posée par le Conseil constitutionnel.

Cette décision du Conseil constitutionnel fait suite à huit ans de procédures, plusieurs condamnations de la Cour européenne des droits de l'Homme dont celle du 30 janvier 2020 J.M.B et autres c. France pointant « un problème structurel en matière de surpopulation carcérale en France » et exigeant « l'adoption de mesures générales visant à supprimer le surpeuplement et à améliorer les conditions matérielles de détention ». La Cour a dans le même temps imposé à la France de mettre en place « un recours préventif permettant aux détenus, de manière effective, en combinaison avec le recours indemnitaire, de redresser la situation dont ils sont victimes ». Le 8 juillet 2020, prenant acte de cette condamnation européenne, la Cour de Cassation a créé, en urgence et en dehors du cadre légal applicable, un mécanisme d'examen des conditions de détention des personnes incarcérées dans l'attente de leurs procès, en exigeant des magistrats qu'ils tiennent compte de la situation concrète de chacune d'entre elles lorsqu'ils sont amenés à statuer sur leur remise en liberté.

Sommés par les juridictions européennes et françaises, il apparaît urgent d'agir .

Il y avait au 1er janvier 2021 62 673 personnes détenues dans les prisons françaises, soit 4 000 prisonniers en plus que six mois auparavant, le taux d'occupation est de près de 120%. Au début de la crise sanitaire, notre pays avait connu une baisse de la population carcérale avec un taux d'occupation de 98%, faisant naître un espoir pour tous ceux qui se battent contre les conditions de vie inhumaines et indignes en prison. La surpopulation carcérale n'était pas une fatalité. Force est de constater que cet espoir est bien loin. Il est clair que les alternatives à la détention (travaux d'intérêt général, bracelet électronique, sursis avec mise à l'épreuve, aménagement de peine...) ne sont pas mises en oeuvre comme il le faudrait.

L'inflation carcérale que connaît la France depuis plusieurs décennies est avant tout le fruit de politiques pénales qui ont misé sur le tout carcéral. Or, nous nous devons d'assurer un droit fondamental : celui de l'encellulement individuel réaffirmé par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. Il s'agit de garantir à chaque personne incarcérée le droit de disposer d'un espace où elle se trouve protégée d'autrui et peut préserver son intimité.

Robert Badinter déclarait que « La condition pénitentiaire est la première cause de la récidive ». Il est clair que des conditions de vie dignes en prison auront pour effet de favoriser la réinsertion et de réduire le risque de récidive.

Aussi, la présente proposition de loi vise à répondre à l'urgence de la situation et à permettre de garantir réellement aux personnes placées en détention la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires aÌ la dignité de la personne humaine afin qu'il y soit mis fin pour reprendre la formulation du Conseil constitutionnel. Cette proposition a été élaborée à partir du texte que le Gouvernement avait préparé en vue de l'inscrire par amendement dans le projet de loi relatif au Parquet européen. Mais elle diverge sur des points essentiels par rapport à ce texte qui nous apparaît aboutir à trois conséquences opposées au but proclamé : limiter les pouvoirs de contrôle et de décision du juge judiciaire, assécher toute perspective de libération fondée sur l'indignité des conditions de détention et dissuader les personnes détenues de s'engager dans cette nouvelle voie de recours.

L'article unique de la proposition de loi instaure un mécanisme pour que toute personne détenue se plaignant de conditions indignes de détention puisse saisir soit le juge des référés soit le juge judiciaire.

Pour ce qui est des critères de recevabilité de la demande, les allégations ne devront pas obligatoirement figurer dans une requête, elles ne doivent pas non plus être circonstanciées, personnelles et actuelles, pour être en conformité avec l'arrêt du 25 novembre 2020 de la Cour de cassation par lequel elle accueille favorablement la description des « conditions générales de détention dans l'établissement pénitentiaire en cause » et censure un arrêt qui exigeait de l'intéressé qu'il « démontre le caractère indigne de ses conditions personnelles de détention ainsi que leurs conséquences sur sa santé physique ou psychologique » .

Ces allégations devront simplement constituer des indices de conditions de détention indignes.

Le juge ferait alors procéder aux vérifications nécessaires et recueillerait les observations de l'administration pénitentiaire dans un délai inférieur à dix jours.

Si le juge estime la requête fondée, il ferait connaître aÌ l'administration pénitentiaire les conditions de détention qu'il estime indignes puis il lui fixerait un délai, inférieur à dix jours, pour agir. Le juge pourrait alors enjoindre à l'administration pénitentiaire de prendre des mesures déterminées afin de mettre fin aux conditions indignes de détention. Il pourrait assortir l'injonction de mesures d'une astreinte par jour de retard à l'exécution de ces mesures.

L'indignité constatée requiert en effet des réactions rapides.

L'administration pénitentiaire ne pourra pas décider de transférer le détenu dans un autre établissement à ce stade : elle devra nécessairement prendre les mesures imposées par le juge afin de mettre fin aux conditions indignes de détention au sein de son établissement, afin d'éviter que le détenu transféré ne soit remplacé par un autre qui se retrouvera dans la même situation. En aucun cas, en effet, la perspective du transfèrement ne devra avoir pour conséquence de dissuader des détenus de saisir le juge judiciaire.

Si l'administration pénitentiaire n'a pas répondu aux mesures exigées dans un délai inférieur à dix jours, le juge judiciaire serait amené à prendre une décision pour mettre fin aux conditions de détention indignes. Il aurait le choix entre trois décisions, dans cet ordre : ordonner la mise en liberté de la personne placée en détention provisoire, qui serait éventuellement assortie d'un contrôle judiciaire ou d'une assignation aÌ résidence sous surveillance électronique ; ordonner un aménagement de peine si la personne est éligible aÌ une telle mesure ; ordonner le transfèrement de la personne détenue à la condition que cette décision donne lieu préalablement à un examen approfondi de la situation sociale et familiale de l'intéressé.

Motivée, la décision du juge serait prise au vu des observations de la personne détenue ou de son avocat, des observations de l'administration pénitentiaire et de l'avis écrit du procureur de la République. La personne détenue pourrait demander à être entendue par le juge.

Cependant, il convient de rappeler que cette proposition de loi, pour nécessaire qu'elle soit, ne suffira pas à répondre aux différentes condamnations de la Cour européenne des Droits de l'Homme.

Ainsi, afin d'assurer des conditions de vie dignes en détention, il convient en premier lieu de lutter contre la surpopulation carcérale. Les auteurs de la présente proposition de loi souhaitent rappeler les recommandations du rapport parlementaire « sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale » présenté par les députés Dominique Raimbourg et Sébastien Huygue en 2013 :

- éviter autant que possible les incarcérations,

- faire de l'emprisonnement une sanction utile pour le condamneì dans la perspective de sa réinsertion,

- garantir aux personnes condamnées aÌ des peines ou mesures en milieu ouvert un véritable accompagnement,

- favoriser l'évolution du regard de la société sur la justice pénale, de manière aÌ ce que l'ensemble des sanctions prononcées, privatives de liberté ou non, soient perçues comme des peines justes, effectives et efficaces.

Cette proposition de loi est un premier pas. Il conviendra d'aller bien plus loin dans la lutte contre la surpopulation carcérale.

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