EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

A l'occasion de l'examen du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, un débat sérieux et approfondi a été mené devant le Sénat concernant la nécessité d'instaurer un seuil d'âge permettant de qualifier de viol toute relation sexuelle entre un.e majeur.e et un.e mineur.e de 15 ans.

Lors des débats, le gouvernement s'est opposé à la création de ce seuil d'âge, pourtant directement inspiré de ce qui existe pour caractériser l'atteinte sexuelle, à savoir la commission matérielle des faits.

Dans le cadre de la discussion générale, le 4 juillet  2018, la Secrétaire d'État à l'égalité entre les femmes et les hommes avait souligné l'importance « du maintien du caractère interprétatif de la première disposition de l'article 2, qui permet d'échapper à la non-rétroactivité de la loi pénale. Ainsi, le juge pourra s'en saisir dès la promulgation de la loi pour toute affaire, y compris en cours, ce qui peut concerner des millions de victimes du fait de l'allongement des délais de prescription. C'est le caractère interprétatif de l'article qui permet justement cela. » ; tandis que la Garde des Sceaux saluait « la disposition interprétative précisant la notion de contrainte ou de surprise en cas d'atteinte sexuelle sur un mineur de quinze ans. Cela permettra - tel est bien son objectif - aux juridictions de retenir plus facilement et plus fréquemment les qualifications de viol et d'agression sexuelle. », puis précisait son propos lors de l'examen des amendements : « D'abord, étant interprétatif, il s'appliquera immédiatement. Tous les mineurs, y compris ceux qui auront été victimes de violences sexuelles dans le passé, pourront en profiter. Ce texte ne crée donc pas un double régime qui s'appliquerait dans les décennies à venir. ». Cette intention ne s'est pas avérée.

Depuis l'affaire de Pontoise (pour mémoire, en 2017, le parquet de Pontoise a choisi de ne pas poursuivre pour « viol » l'auteur majeur d'une relation sexuelle avec une collégienne de 11 ans, malgré la plainte pour viol déposée par la famille ; en qualifiant les faits de délits, le parquet avait retenu la qualification la moins grave et cela avait largement fait réagir l'opinion publique et les expert.e.s), la dénonciation de violences sexuelles subies dans l'enfance par de nombreuses victimes s'est poursuivie. En parallèle, plusieurs décisions de justice ont été rendues - l'illustration de l'affaire dite « Julie » est particulièrement parlante - dans lesquelles la qualification d'atteinte sexuelle a régulièrement été retenue, en dépit des faits de pénétration avérés et du (très) jeune âge des victimes. Les juges continuent de rechercher et d'identifier le « consentement » des mineur.e.s. La loi du 3 août 2018 pourtant destinée à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes n'a pas mis fin au débat sur le « consentement » des jeunes victimes.

Force est de constater que le gouvernement comme les majorités parlementaires de l'Assemblée nationale et du Sénat ont eu tort de refuser de créer un crime spécifique de violence sexuelle sur enfant.

On continue à discuter du consentement d'une jeune fille de moins de 15 ans à une relation sexuelle avec un adulte : les objectifs poursuivis en 2018 n'ont pas été atteints.

Il est donc nécessaire de réformer le code pénal.

L'impunité des agresseurs n'a pas pris fin avec la prise de conscience du caractère massif des violences sexuelles auxquelles sont exposés les enfants.

Le code pénal, dans son article 222-23, définit le viol comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. ». Dans son article 222-22-1, le code pénal précise également que la contrainte peut être physique ou morale.

Un examen attentif de la qualification juridique des agressions sexuelles et de la jurisprudence met en lumière l'importance des marges d'appréciation laissées aux magistrat.e.s, et ce quel que soit - ou presque - l'âge des victimes. La Cour de cassation considère depuis 2005 qu'en dessous d'un très jeune âge, un.e enfant ne peut pas avoir consenti aux actes sexuels dont il ou elle est victime : la contrainte est alors présumée de manière automatique pour les enfants en très bas âge (Arrêt n° 6810 du 7 décembre 2005, Chambre criminelle de la Cour de cassation 1 ( * ) ). Même si la qualification des faits retenue en 2017 par le Parquet de Pontoise n'est pas significative des pratiques du plus grand nombre des parquets, elle révèle néanmoins une insuffisante protection des mineur.e.s.

En ne fixant pas un seuil d'âge clair en dessous duquel le non-consentement (donc la contrainte) est présumé, la loi de 2018 a donc manqué son but. Les victimes et leurs familles continuent à prendre de plein fouet des requalifications de viols en délits qui ravivent profondément les traumatismes et augmentent le sentiment d'impunité des agresseurs.

Ce dramatique constat a été renforcé dans le cadre de l'affaire dite « affaire Julie » : des viols répétés et en réunion, requalifiés en première instance et en appel en atteintes sexuelles.

D'autre part, à la lumière de la récente décision de la Cour de cassation considérant légitime de ne pas qualifier de viol un acte de cunnilingus d'un beau-père sur sa belle-fille, il est proposé de renforcer la définition du viol afin de mieux protéger les victimes. Cette proposition poursuit de surcroît une volonté d'équilibre, puisque le fait d'obliger autrui à faire une fellation entre désormais dans la définition du viol grâce aux termes « ou sur la personne de l'auteur ».

L'objet de cette proposition de loi est donc de mieux protéger les mineur.e.s des crimes et agressions sexuelles, par :

- la création d'une nouvelle incrimination pénale du crime de violence sexuelle sur enfant ;

- les dispositions de coordination pénale nécessaires ;

- l'ajout de tout rapport bucco-génital dans la définition du viol ;

- et le report à l'âge de la majorité de la victime du début du délai de prescription pour les délits de non-dénonciation de mauvais traitement et d'abus sexuel sur mineur.e.

L'article 1 crée une nouvelle incrimination pénale : le crime de violence sexuelle sur enfant.

Il affirme que tout acte de pénétration sexuelle entre une personne majeure et une personne mineure de quinze ans est un crime de violence sexuelle sur enfant, puni des peines de 20 ans de réclusion criminelle. La tentative est punie des mêmes peines.

Cet article complète la présomption de contrainte induite par l'écart d'âge prévue par l'article 222-22-1 du même code.

Les travaux menés par le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, et plus particulièrement l' Avis pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et des autres agressions sexuelles (octobre 2016), ont posé la nécessité d'un seuil d'âge en deçà duquel le non-consentement de la victime mineure est présumé. Dans sa note de positionnement du 16 avril 2018, le Haut Conseil à l'égalité souhaite que soit fixé un interdit clair à destination des adultes de ne pas pénétrer sexuellement des enfants. Considérant l'élément intentionnel de l'infraction, exigé par le Conseil constitutionnel, notons que nulle pénétration sexuelle ne saurait être involontaire.

Le Conseil national de protection de l'enfance recommande d'instaurer une infraction criminelle spécifique, posant l'interdiction absolue pour tout majeur de commettre un acte de pénétration sexuelle sur un mineur de moins de 15 ans.

Par cohérence, l' article 2 exclut cette nouvelle incrimination pénale du champ du délit d'atteinte sexuelle prévue par l'article 227-27 du code pénal. L' article 3 prévoit un régime de prescription analogue aux autres crimes commis sur les mineur.e.s, en complétant l'article 706-47 du code de procédure pénale, auquel renvoie l'article 7 du code de procédure pénale concernant l'action publique des crimes qui, lorsqu'ils sont commis sur des mineur.e.s, sont prescrits après trente années révolues à compter de la majorité de la victime.

L'article 4 renforce la définition du viol en mentionnant explicitement les rapports bucco-génitaux.

L'article 5 fait débuter à l'âge de la majorité de la victime le début du délai de prescription pour les délits de non-dénonciation de privations, de mauvais traitements ou d'agressions ou atteintes sexuelles infligés à un.e mineur.e (prévu par l'article L 434-3 du code pénal). Les articles 7 et 8 du code de procédure pénale prévoient déjà que pour certains crimes et délits sur mineur.e.s, le début de la prescription est fixé à la majorité de la victime ; il s'agit donc de compléter l'article 8 du code de procédure pénale.


* 1 Extrait : « aux motifs que, "Emmanuel X... s'est bien rendu coupable d'atteintes sexuelles avec contrainte ou surprise sur ces trois enfants, étant observé que l'état de contrainte ou surprise résulte du très jeune âge de ces derniers, suffisamment peu élevé pour qu'ils ne puissent avoir aucune idée de ce qu'est la sexualité, ce qui les rendait incapables de réaliser la nature et la gravité des actes qui leur étaient imposés [...] ».

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