EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les ports français et les filières maritime, fluviale et logistique françaises ont fait preuve d'une réactivité remarquable en demeurant, dès le début et tout au long de la crise sanitaire que nous vivons, pleinement opérationnels, assurant ainsi la continuité d'approvisionnement et d'exportation de la France.

Même si l'épidémie de Covid-19 a engendré de fortes baisses de trafics qui se traduisent par d'importantes pertes économiques dont l'étendue n'est pas connue à ce jour, les ports contribueront à la reprise économique ainsi qu'à la relance de notre pays, à condition que tous les moyens nécessaires à leur renforcement et leur développement soient mis en oeuvre.

En effet, la mer peut, dans la période difficile que nous vivons, devenir une de nos plus belles opportunités économiques.

Mais la France a trop longtemps méconnu voire ignoré sa potentialité maritime, alors que notre situation géographique (au coeur du carrefour méditerranéen, en façade Atlantique avancée, au début du couloir Manche et Mer du Nord) et la bonne répartition de nos ports sur toutes nos façades maritimes en métropole mais aussi en outre-mer constituent un atout majeur.

Nos places portuaires continuent d'accuser un retard par rapport à nos voisins européens et, malgré des réformes, elles demeurent sous-exploitées au regard de leurs potentialités.

Pourtant, les ports maritimes sont des actifs stratégiques pour l'économie de la France. Situés à l'interface de routes maritimes et de réseaux de transports terrestres multimodaux, ce sont des maillons stratégiques indispensables à la performance et à la résilience des chaînes logistiques nationales et internationales tant côté mer que côté terre.

À l'import, ils constituent un outil de souveraineté nationale pour l'approvisionnement en toutes circonstances de nos territoires, et la période actuelle nous l'a bien démontré.

À l'export, ils permettent la promotion de nos filières d'excellence et offrent des solutions indispensables aux industriels pour se positionner au mieux sur les marchés européens et mondiaux.

Autour de cet enjeu stratégique, d'importants défis sont à relever dans un contexte de concurrence internationale intense, de mondialisation accrue des échanges maritimes et d'urgence écologique.

Sous la présidence de François Hollande, le Gouvernement avait souhaité engager une nouvelle étape pour reconquérir des parts de marché en présentant, dès 2013, une feuille de route et une stratégie nationale portuaire, déclinée pour les territoires d'outre-mer en 2016.

À la suite des travaux de la conférence nationale sur la logistique de juillet 2015, un plan d'action pour la stratégie nationale « France Logistique 2025 » avait également été élaboré, déclinant dans son volet portuaire, les ambitions de la France en matière d'optimisation des infrastructures, de renforcement des portes du territoire avec en particulier la fluidification du passage portuaire, et la massification des flux et la complémentarité des modes de transport.

En janvier 2016, le Premier Ministre avait en sus confié à quatre binômes de parlementaires des missions portant sur le renforcement de l'attractivité et de la compétitivité des principales portes d'entrée maritimes françaises, et concernant l'axe Seine, l'axe Nord, l'axe Rhône-Méditerranée et la façade Atlantique.

Cette étape doit aujourd'hui être complétée et il faut désormais franchir un nouveau cap pour affirmer notre ambition pour nos ports.

À cet égard, depuis l'annonce d'une « nouvelle stratégie nationale portuaire » par le Premier ministre aux Assises de la mer en 2017 et en dépit de nombreuses consultations menées par le ministère des transports avec les acteurs du secteur, aucun document n'a été produit publiquement à ce jour. La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable avait d'ailleurs appelé le Gouvernement à présenter sa stratégie sans plus attendre dès février 2019 1 ( * ) .

Principales portes d'entrée des marchandises sur le territoire national, ces infrastructures essentielles doivent engager une mutation profonde pour être compétitives, tout en respectant l'environnement. Il s'agit donc d'atteindre un triple objectif : économique, social et environnemental.

Les ports doivent être des acteurs économiques qui sortent des limites de leur territoire : hinterland, coopération dans des structures de façade ou d'axe... Situés à l'interface de routes maritimes et de réseaux de transports multimodaux, ils ont vocation à se positionner comme des acteurs coordonnateurs démontrant une forte valeur ajoutée dans la mise en place de chaînes logistiques intégrées, économiquement compétitives et pérennes, favorisant des modes de transports de marchandises plus écologiques et donc les modes massifiés.

Dans un contexte de relance de l'économie, ils constituent des lieux privilégiés de réindustrialisation de nos territoires, capables de renforcer la présence de la France dans les réseaux mondiaux et de contribuer à la vitalité du tissu industriel national en constituant d'importants bassins d'emplois. Il faut conforter leur vocation à être des lieux d'implantation privilégiés d'activités industrielles et économiques génératrices de trafics maritimes.

Plus que jamais, ces enjeux économiques doivent s'exprimer en respectant l'environnement. C'est pourquoi la poursuite de leur développement passe par une accélération de leur transition écologique, notamment en favorisant le report modal vers des transports écologiquement plus vertueux (ferroviaire et fluvial).

Cela ne pourra se faire sans investissements massifs dans nos infrastructures.

Nos ports souffrent en particulier du sous-investissement chronique dans les réseaux de desserte fluviaux et ferroviaires, pourtant indispensables à la fluidité et la massification du transport de marchandises, à la performance de notre chaîne logistique ainsi qu'à sa transition écologique. Plus de 80 % des pré- et post-acheminements portuaires reposent encore sur le mode routier (hors oléoducs) quand 50 % du fret conteneurisé du port d'Hambourg est acheminé par voie ferroviaire ou fluviale.

Si la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM) fixe une trajectoire ambitieuse pour les investissements de l'État dans les infrastructures et les systèmes de transport - avec une augmentation de 40 % de l'investissement de l'État sur la période 2019-2023 par rapport à la période 2014 -2018 et 2,3 milliards d'euros prévus sur 10 ans pour renforcer l'efficacité et le report modal dans le transport de marchandises - elle apparaît insuffisante pour améliorer significativement la desserte des ports maritimes français, d'autant plus que ce montant global ne concerne pas uniquement la desserte des ports. Au-delà de la seule question de la desserte des ports maritimes, les investissements dans les infrastructures portuaires représentent à l'heure actuelle moins de 3 % des investissements de l'État dans les infrastructures de transports et les dépenses de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France consacrées au secteur portuaire ne représentent que 1,25 % du budget total de l'Agence.

Enfin, afin d'atteindre ces objectifs, il est indispensable que tous les acteurs concernés puissent participer à la gouvernance des grands ports maritimes. Ainsi, les acteurs privés et les collectivités territoriales qui contribuent au financement, au fonctionnement et au rayonnement des places portuaires doivent être davantage associés aux décisions.

La présente proposition de loi et son rapport annexé entendent répondre à l'ensemble de ces problématiques en fixant des ambitions fortes et des moyens adaptés pour nos ports, afin de leur donner un nouvel élan.

Elles constituent la traduction législative des travaux de la mission d'information relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes, dont le rapport « “Réarmer” nos ports dans la compétition internationale » 2 ( * ) a été adopté par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable le 1 er juillet 2020.

Mise en place en novembre 2019, cette mission, présidée par Martine FILLEUL et dont le rapporteur était Michel VASPART, comprenait douze membres 3 ( * ) . Elle a mené un travail d'investigation approfondi, organisant une trentaine d'auditions et une dizaine de déplacements, et s'est intéressée en particulier aux GPM relevant de l'État. Le rapport d'information issu de ses travaux formule dix propositions, assorties de quatre recommandations de court terme.

La présente proposition de loi vise dès lors à créer un cadre propice à la reconquête de parts de marché pour nos ports maritimes, en particulier les GPM relevant de l'État, tête de pont et premières portes d'entrée du commerce extérieur français.

Le chapitre I er de la proposition de loi comporte plusieurs dispositions destinées à moderniser et améliorer la gouvernance des ports français.

L' article 1 er tend à instituer une stratégie nationale portuaire et acte la création d'un Conseil national portuaire et logistique, chargé notamment du suivi de cette stratégie, au sein du code des transports.

L' article 2 vise à modifier la composition et le fonctionnement des conseils de surveillance des grands ports maritimes afin d'y associer davantage les acteurs économiques locaux et les collectivités territoriales.

L' article 3 prévoit de modifier la procédure de nomination et de révocation des directeurs généraux des grands ports maritimes, de généraliser l'établissement de lettres de mission à leur intention et de renforcer l'incitation à la performance dans le cadre de leurs rémunérations.

L' article 4 tend à renforcer les pouvoirs des conseils de développement des grands ports maritimes.

L' article 5 modifie le fonctionnement des conseils de coordination interportuaire.

Dans l'objectif de renforcer l'attractivité et la compétitivité des grands ports maritimes, le chapitre II comporte plusieurs dispositions relatives à l'exploitation des GPM.

L' article 6 tend notamment à instituer un contrat pluriannuel d'objectifs et de performance (COP) entre chaque grand port maritime, l'État et les collectivités territoriales intéressées ou leurs groupements, à clarifier le champ des dépenses non-commerciales des grands ports maritimes, prises en charge par l'État, et à créer des chartes villes-ports pour inciter les grands ports maritimes à formaliser, avec les collectivités territoriales dont une partie du territoire est située dans la circonscription du port, des projets communs dans les domaines de l'aménagement, de la recherche, du développement économique et de la transition écologique.

Le chapitre III rassemble des dispositions visant à renforcer l'information du Parlement sur la politique portuaire nationale.

Les articles 7 à 11 comportent des demandes de rapport du Gouvernement au Parlement sur quatre sujets d'intérêt majeur : l'assujettissement des GPM à la taxe foncière, les leviers permettant de dynamiser l'attractivité des zones industrialo-portuaires, la progression de la stratégie des « nouvelles routes de la soie » de la République populaire de Chine, les conséquences économiques et sociales de l'éventuelle extension de la convention collective nationale unifiée ports et manutention aux ports intérieurs, dans le contexte de l'intégration des ports de l'axe Seine (Le Havre-Rouen-Paris), déjà rapprochés au sein du GIE HAROPA, qui deviendra un établissement public de l'État en application de l'article 130 de la LOM, et enfin les conséquences économiques et sociales des mutations de l'emploi des dockers et leurs enjeux, notamment en termes de formation, à l'aune de la transformation numérique des ports et de la chaîne logistique, de l'essor de l'intelligence artificielle et des technologies de l'information et de la communication.

Dans la perspective d'accroître les moyens de nos ports maritimes et de soutenir le verdissement du transport de marchandises, le chapitre IV est consacré à la massification des acheminements portuaires.

L' article 12 propose d'élever la trajectoire d'investissements de l'Agence de financement des infrastructures de transport entre 2021 et 2027 fixée par la LOM.

Par cohérence, l' article 13 procède aux ajustements nécessaires dans le rapport annexé à la LOM et précise que les moyens supplémentaires sont destinés au cinquième programme d'investissements prioritaires, dédié au renforcement de l'efficacité et du report modal dans le transport de marchandises.

L' article 14 vise à prolonger jusqu'en 2025 le dispositif de suramortissement fiscal institué par la loi de finances pour 2019 pour les investissements concourant au verdissement du transport maritime et des infrastructures portuaires.

L' article 15 tend à prévoir l'obligation d'introduire dans les conventions de terminal une part dégressive du montant de la redevance due en fonction de la performance environnementale de la chaîne de transport pour favoriser les modes de transport écologiques. Il propose également de fixer un objectif minimum de recours aux modes massifiés pour les GPM disposant d'un accès ferroviaire ou fluvial.

L' article 16 tend à modifier la tarification des prestations de manutention pour favoriser le développement du transport fluvial.

Le chapitre V de la proposition de loi regroupe les dispositions finales.

L' article 17 traite des conséquences financières pour l'État de la proposition de loi.

L' article 18 renvoie à un décret en Conseil d'État le soin de préciser les modalités d'application de cette proposition de loi.

Enfin, le rapport annexé à la présente proposition de loi détermine les moyens nécessaires au renforcement de la compétitivité des ports français et des modes massifiés de transport de marchandises. Il appelle l'État à saisir l'opportunité de la relance économique post-crise du Covid-19 pour déployer un plan de soutien de 150 millions d'euros par an sur 5 ans pour les ports, associé à un doublement des moyens consacrés par la LOM au report modal vers les transports massifiés de fret (ferroviaire, fluvial) pour atteindre près de 5 milliards d'euros sur 10 ans afin de renforcer la desserte de nos ports. Ces deux programmes doivent permettre de consolider la situation financière des ports français, d'accompagner la transition écologique de notre économie et de favoriser des relocalisations industrielles, afin de soutenir les trafics portuaires. En complément, l'État devra augmenter sa prise en charge des dépenses non commerciales des GPM dans une logique d'incitation à la performance, afin de les doter de marges de manoeuvre. Enfin, le rapport annexé prévoit un triplement du soutien de l'État au transport combiné, pour atteindre près de 80 millions d'euros annuels dès 2021. Cette augmentation est conçue pour bénéficier en priorité aux trajets intérieurs.


* 1 La compétitivité des ports français à l'horizon 2020 : l'urgence d'une stratégie. Rapport d'information n° 312 (2018-2019) de MM. Hervé Maurey et Michel Vaspart, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, 13 février 2019.

* 2 Rapport d'information n° 580 (2019-2020) tomes I et II, de M. Michel Vaspart, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, 1 er juillet 2020.

* 3 Mme Martine Filleul , présidente ; M. Michel Vaspart , rapporteur ; Mme Éliane Assassi , MM. Jérôme Bignon , Jean-Pierre Corbisez , Hervé Gillé , Jordi Ginesta , Didier Mandelli , Frédéric Marchand , Pascal Martin , Mme Évelyne Perrot , M. Christophe Priou .

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