A l’initiative de sa présidente Mme Catherine Procaccia, le groupe d’amitié France-Vanuatu-Îles du Pacifique s’est réuni, le 24 janvier 2018, pour entendre l’analyse de Son Exc. M. Christian Lechervy, Ambassadeur, Secrétaire permanent pour le Pacifique, sur les enjeux actuels de cette zone pour la France.

M. Christian Lechervy a rappelé que la France conserve d’importants intérêts stratégiques dans le Pacifique et ne peut les ignorer, alors que la zone connaît d’importants bouleversements et que d’autres puissances n’hésitent pas affirmer leurs ambitions. L’ordre régional construit après la Seconde guerre mondiale est, en effet, en train de disparaître, même si la Communauté du Pacifique, l’organisation internationale instituée en 1947 par les puissances tutélaires (Australie, États-Unis, France, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas et Royaume-Uni), a réussi le tournant des indépendances.

Il a estimé que la montée en puissance de la Chine est la cause de bouleversements stratégiques. C’est le premier investisseur et le premier pourvoyeur étatique d’aide dans la zone Pacifique, même si les aides au développement de l’Union européenne  cumulées aux transferts financiers de la France atteignent des montants supérieurs. Le « retrait » américain a donné encore plus de lustre à la politique chinoise, organisée selon un nouveau narratif, les nouvelles « routes de la soie » qui s’est sophistiqué pour prendre en compte les États océaniens.  Le Pacifique est vu de plus en plus comme un pont entre l’Amérique latine et l’Extrême Orient.

Sur l’impact du Brexit,  il a relevé que celui-ci aboutira à diviser par 2 le nombre de Pays et territoires  d’outre-mer (PTOM) au sein de l’Union européenne. Plus aucun autre pays européen que la France ne possèdera de territoires dans le Pacifique. Aujourd’hui, Pitcairn peuplé des descendants des révoltés du Bounty, est britannique. Le Brexit conduira aussi à une diminution de l’aide au développement européenne. Or, on a pu constater que la poussée de l’influence chinoise était corrélée à la baisse de l’aide des autres pays ; ce fut le cas nettement à Fidji avec la baisse de l’aide australienne.

Selon lui, il faut donc un volet politique dans la stratégie à l’égard des pays et territoires insulaires du Pacifique, en tenant compte de leur agrégation croissante avec l’Asie. Cette agrégation est multidimensionnelle : institutionnelle, économique, militaire,… Un exemple : le développement des capacités de pêche vietnamiennes est une menace pour la zone. La conjugaison de surcapacités et de la militarisation de la mer de Chine méridionale conduit les pêcheurs vietnamiens à s’éloigner de plus en plus vers l’Océanie. Un autre exemple : le trafic de stupéfiants (héroïne et drogues de synthèse) s’accroît dans l’Océanie comme zone de passage, ainsi que le montre une saisie récente de deux tonnes d’héroïne en provenance du Pérou et de la Colombie pour le marché australien et d’Asie du Sud-Est.

M. Christian Lechervy a rappelé que le Pacifique est tout sauf unitaire ; il faut tenir compte de sa segmentation en Micronésie, Mélanésie et Polynésie. La Micronésie comprend les archipels compris entre les Philippines et Hawaii. Indépendants depuis les années 1980, ils entretiennent des relations étroites avec les États-Unis, qu’ils soutiennent lors de votes délicats à  l’ONU (encore récemment sur la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël). Ils utilisent comme monnaie le dollar US. Sont aussi intégrés dans l’espace micronésien, des territoires non autonomes comme Guam et les Mariannes du Nord rattachés aux États-Unis. C’est une zone militairement très importante pour les États-Unis. La Mélanésie commence à Timor et à l’Est de l’Indonésie pour se prolonger à travers la Papouasie-Nouvelle Guinée, les îles Salomon, le Vanuatu, la Nouvelle-Calédonie jusqu’à Fidji. Cette zone comprend l’essentiel de la population de l’Océanie, ainsi que les pays au plus fort PIB. Elle a été marquée par de fortes tensions politiques (violence aux Salomon, à Bougainville par exemple). La sécurité de cette région est essentielle à la sécurité de l’Australie. Les pays mélanésiens se sont organisés au sein du Groupe du fer de lance, installé à Port-Vila au Vanuatu. Cette organisation a la particularité d’accueillir comme membre non seulement des États mais aussi des formations politiques, comme le FLNKS indépendantiste de Nouvelle-Calédonie. Le Groupe du fer de lance a évolué pour passer des débats politiques à la coopération économique et commerciale.

Quant à la Polynésie, elle  est comprise dans un immense triangle dont Hawaii, la Nouvelle-Zélande et l’île de Pâques (Rapa Nui) occupent les trois sommets. La Polynésie française est au centre. Wallis et Futuna appartient de plein droit à cette zone, dont Tonga et les Samoa sont d’autres membres importants. Grâce à ses territoires, la France est en connexion directe en Océanie avec les États-Unis et le Chili auquel appartient l’île de Pâques. Un débat a lieu sur l’opportunité d’augmenter les liaisons d’Air Chile entre Papeete et Santiago via Rapa Nui. Un des enjeux essentiels pour l’avenir est le développement des câbles numériques. Pour l’heure, ont été surtout posés des câbles transpacifiques dans le Pacifique Nord (entre Hong Kong et la Californie par exemple).  Plus au Sud, la pose de câbles permettrait de relier l’Asie et l’Amérique du Sud.

M. Christian Lechervy  a indiqué que la France entretient désormais des relations apaisées avec les pays d’Océanie. Les dossiers de la Nouvelle-Calédonie et du nucléaire ne sont plus l’objet de tensions. La réputation de la France a grandi ces dernières années. Les visites de François Hollande  en Australie (1ère visite d’un PR) et de Manuel Valls en Nouvelle-Zélande (1ère visite d’un PM depuis 25 ans, en l’absence de toute visite d’un PR) ont joué. Surtout le succès de la COP21 a accru la visibilité de la France. La Communauté du Pacifique avait organisé une réunion des chefs d’États autour de Laurent Fabius avant la présidence de la COP. Les positions de la France, plus précises et plus ambitieuses que les lignes des États-Unis, de l’Australie ou de la Chine, ont été appréciées des petits États insulaires menacés par les effets du changement climatique.

Il a rappelé qu’à l’initiative de Jacques Chirac, des sommets France-Océanie ont été institués. Le premier a eu lieu en 2003 en Polynésie française, le deuxième à Paris en 2006 au moment de l’inauguration du Musée du Quai Branly, le troisième en Nouvelle-Calédonie en 2009 en l’absence du Président de la République et du Premier ministre, le quatrième à Paris en 2015. Le prochain sommet devrait se tenir en 2018 en Polynésie française, un créneau doit être trouvé entre les élections territoriales en Polynésie française (fin avril-début mai) et le référendum en Nouvelle-Calédonie (automne).

Pour soutenir le rayonnement de la France dans le Pacifique, il conviendrait aussi d’utiliser d’autres leviers comme ceux de la mémoire, du sport et de l’aide au développement.

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