Le groupe interparlementaire d’amitié France-Brésil a organisé, conjointement avec la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, le 22 juin 2016, un petit-déjeuner de travail avec M. Laurent BILI, Ambassadeur de France au Brésil.

Ont participé à ce petit-déjeuner, au Sénat, cinq membres du groupe d’amitié : Mme Laurence COHEN, Présidente ; Mme Leïla AÏCHI, Vice-Présidente ; M. Michel BILLOUT, Vice-Président ; M. Jean-Pierre VIAL.

M. Jean-Pierre RAFFARIN, président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, a souligné l’importance de la relation bilatérale stratégique entre la France et le Brésil qui se traduit par des partenariats multiples dans les domaines économique et culturel. Le Brésil fait partie du réseau des « BRICS » (Brazil, Russia, India, China, South Africa), placé au cœur des échanges commerciaux mondiaux, et s’impose ainsi comme un acteur émergent incontournable de la scène multilatérale.

Toutefois, le pays est confronté à une situation politique et économique délicate. La présidente a été suspendue de ses fonctions dans le cadre d’une procédure de destitution et remplacée par son vice-président. L’économie brésilienne connaît de graves difficultés et pâtit d’une récession tenace et des scandales de corruption à répétition qui éclaboussent tant les grandes entreprises nationales que l’ensemble de classe politique. Cette situation appelle des éclaircissements.

M. Laurent BILI, Ambassadeur de France au Brésil, a rappelé que, du fait de son expérience en tant qu’Ambassadeur de France en Turquie avant sa prise de fonctions à Brasilia, il dispose d’une connaissance solide des relations bilatérales stratégiques avec les pays émergents. Le Brésil connaît actuellement une crise morale, politique et économique parfois décrite comme « une descente aux enfers progressive. » Le gouvernement de Mme Dilma ROUSSEFF n’était plus en capacité de gouverner, en l’absence de majorité parlementaire, et l’économie enregistre deux années consécutives de récession (- 4,6 % en 2015, pour une baisse du produit intérieur brut – PIB – probablement de la même ampleur en 2016).

Le système politique présidentialiste brésilien ne prévoit pas de motion de censure ou de référendum révocatoire, seule la procédure d’impeachment (destitution) permet de remettre en cause l’exécutif. À sa prise de fonctions en tant qu’Ambassadeur de France au Brésil, la perspective d’un impeachment apparaissait peu probable. Toutefois, à partir de mars 2016, la machine s’est véritablement enclenchée.

Il juge que cet impeachment ne peut être considéré comme un coup d’État à proprement parler, dès lors que l’armée n’est pas directement impliquée et que le déroulement de la procédure est soumis à validation par une cour suprême dont les juges ont été, pour une grande partie, nommés par le pouvoir en place. Toutefois, il s’agit à l’évidence d’une manœuvre de la part de forces politiques profondément hostiles à la présidente. La nomination de l’ancien président Lula par Mme Dilma ROUSSEFF comme membre de son cabinet, perçue par une partie de l’opinion comme une entrave à la lutte anti-corruption, n’a certainement pas aidé.

Ce n’est pas la première fois que des parlementaires engagent une procédure de destitution à l’encontre du président de la République : plusieurs tentatives s’étaient produites sous la présidence d’Henrique CARDOSO. Néanmoins, à l’heure actuelle, il est peu probable que Mme Dilma ROUSSEFF dispose du soutien d’au moins un tiers des sénateurs nécessaire pour échapper à une destitution définitive.

Le Parti des travailleurs se retrouve en position de victimisation, ce qui pourrait lui permettre de mieux se projeter pour les prochaines élections présidentielles et législatives de 2018. De plus, le gouvernement mis en place par le président par intérim, Michel TEMER, s’inscrit en rupture avec le précédent : aucune femme ne figurait parmi les membres qu’il a nommés à son cabinet à la suite de sa prise de fonctions. La situation demeure tendue car il est possible que les plus grandes révélations des scandales de corruption soient encore à venir.

M. Michel TEMER dispose d’une majorité relativement solide au sein des deux chambres qui devrait lui permettre de prendre des mesures destinées à restaurer la situation économique, notamment en matière de rééquilibrage de la situation fiscale. Le pays se trouve dans une spirale d’emballement de sa dette, en raison de la pression des taux d’intérêt, avec des conséquences notables sur les investissements productifs. Aucune des tentatives de relance de l’économie menées par Mme Dilma ROUSSEFF n’avait fonctionné, compte tenu de la configuration du parlement. Il n’existe, par ailleurs, aucune perspective crédible pour l’organisation d’élections anticipées, sauf à ce qu’une révision constitutionnelle soutenue par les trois cinquièmes des parlementaires intervienne dans l’intervalle. Le système institutionnel brésilien est présidentialiste, assorti d’un parlementarisme non rationalisé.

Mme Laurence COHEN, présidente du groupe interparlementaire d’amitié France-Brésil, a rappelé que son groupe avait eu l’occasion d’échanger à plusieurs reprises avec ses partenaires brésiliens depuis novembre dernier sur la situation politique, économique et sanitaire au Brésil, notamment avec l’ambassadeur du Brésil en France, M. Paulo de OLIVEIRA CAMPOS, mais aussi des parlementaires brésiliens en visite en France dans le cadre du volet parlementaire de la COP 21. Elle a également rappelé qu'une délégation s'était rendue au Brésil en 2014 durant la campagne de la présidentielle. Elle a pu constater, à cette occasion, que la politique sociale offensive menée d'abord par le président Lula puis par Mme Dilma ROUSSEFF avait permis à 40 millions de Brésiliennes et de Brésiliens de sortir de la pauvreté. Cette avancée considérable est remise en cause aujourd'hui par les instigateurs de la procédure de destitution. elle a insisté sur le fait que même s'il existe, notamment parmi celles et ceux qui sont venus grossir récemment les rends de la classe moyenne, de nouvelles aspirations non satisfaites, la majorité des Brésiliennes et des Brésiliens a voté pour le programme de Dilma ROUSSEFF.

Quant au président par intérim, Michel TEMER, il n'a pas été élu par le suffrage universel ce qui pose, pour elle, la question de sa légitimité. Si la corruption est un problème national de grande ampleur, elle a souligné que la plupart des parlementaires qui le soutiennent ont trempé dans des affaires, de même que des membres de son gouvernement. Elle a demandé à l'ambassadeur si cette situation ne risquait pas d'entraîner des affrontements parmi les populations déjà très clivées.

Enfin, elle a trouvé regrettable que la majorité des médias français aient fait le choix de s'en tenir à l'analyse des médias brésiliens sans engager de véritable travail d'investigation. D'autant que les grands groupes de presse brésiliens sont majoritairement hostiles à la présidente Dilma ROUSSEFF. Elle a donc souhaité que les médias français entreprennent un vrai travail sur la situation du Brésil et ce, en toute objectivité.

Mme Hélène CONWAY-MOURET, membre de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, a insisté sur le fait que la diplomatie économique menée par la France pouvait utilement s’appuyer sur la diplomatie parlementaire conduite par les deux chambres du parlement français. Elle a interrogé l’ambassadeur sur l’opportunité pour les collectivités territoriales françaises de s’impliquer dans le développement de partenariats avec leurs homologues brésiliennes.

M. Jean-Marie BOCKEL, membre de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, a souhaité connaître le statut et le traitement qui étaient réservés à la présidente actuellement suspendue.

M. Michel BOUTANT, membre de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, a rappelé que plusieurs enjeux économiques et sécuritaires communs devraient alimenter le rapprochement franco-brésilien, notamment la lutte contre l’orpaillage illégal qui affecte durement la Guyane française, la circulation des personnes et des marchandises entre le Brésil et la Guyane et l’exploration d’éventuels gisements de pétrole dans les zones économiques exclusives guyanaise et brésilienne dont la délimitation peuvent faire l’objet de désaccords.

M. Jean-Paul EMORINE, membre de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, a fait observer que la diplomatie économique française pouvait s’appuyer sur l’implantation de fleurons industriels français au Brésil, en particulier Peugeot et Renault. Il a sollicité de l’ambassadeur des éclaircissements sur les conditions d’accueil des petites et moyennes entreprises (PME) françaises au Brésil. Il a également souhaité connaître l’état sanitaire du cheptel dans ce pays, dans un contexte d’inquiétudes sur une épidémie de fièvre aphteuse en France.

M. Gilbert ROGER, membre de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, a évoqué le fait que le forum social mondial, dont plusieurs éditions avaient été organisées au Brésil, avait tenté d’imaginer d’autres relations mondiales, dans un contexte grandissant de méfiance vis-à-vis de l’Europe et des États-Unis.

M. Jeanny LORGEOUX, membre de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, et membre du groupe interparlementaire d’amitié France-Brésil, a interrogé l’ambassadeur sur l’état des relations du peuple brésilien avec le football, notamment dans la perspective des Jeux olympiques de Rio de Janeiro.

M. Daniel REINER, membre de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, a souhaité que l’ambassadeur fasse le bilan de la coopération franco-brésilienne en matière d’équipements de défense, à l’aune des récents contrats conquis par la France dans ce domaine, notamment avec l’Australie.

Mme Leïla AÏCHI, membre de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, et vice-présidente du groupe interparlementaire d’amitié France-Brésil, a fait part de son inquiétude quant à la dégradation croissante de la baie de Rio, avant l’ouverture prochaine des Jeux olympiques. Elle a insisté sur le caractère stratégique du partenariat entre la France et le Brésil, dont elle a mesuré l’importance à l’occasion du dernier déplacement du groupe d’amitié dans ce pays en 2014.

M. Alain NÉRI, membre de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, a souligné la grande envie de France manifestée par les pays latino-américains. Il a interrogé l’ambassadeur sur le développement des échanges universitaires entre la France et le Brésil.

M. Jean-Pierre RAFFARIN a regretté que, malgré la construction de réseaux d’échanges entre universités françaises et brésiliennes, il demeure difficile d’attirer des étudiants brésiliens en France.

Mme Michelle DEMESSINE, membre de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, a indiqué que les États-Unis sont régulièrement soupçonnés d’être impliqués dans les troubles politiques qui surviennent de part et d’autre du globe, notamment en Amérique du Sud. Elle a souhaité savoir si les États-Unis avaient un quelconque intérêt dans la situation que connaît actuellement le Brésil.

M. Laurent BILI a fait observer que la dégradation significative de la popularité de la présidente Dilma ROUSSEFF expliquait en grande partie la situation actuelle, sans que les États-Unis puissent en être rendus directement responsables. La page des écoutes par les États-Unis semble avoir été tournée. Michel TEMER semble désireux d’améliorer les relations avec les États-Unis.

Il a assuré que le risque d’une remise en cause des politiques sociales était pour l’instant faible : les principaux acquis sociaux (Minha Casa, Bolsa Família…) représentent des dépenses de l’ordre de 5 % du PIB et ne peuvent expliquer à eux seuls la dérive des comptes publics brésiliens. Les quelques ajustements qu’il serait possible au gouvernement d’y apporter concerneraient essentiellement les conditions d’éligibilité à Bolsa Família. De même, les traitements des fonctionnaires, qui ont été multiplié par cinq sur la période, pourraient faire l’objet de mesures d’économie.

La corruption est l’une des principales causes du désamour d’une grande partie de l’opinion avec le Parti des travailleurs. Le gouvernement de Michel TEMER pâtit, quant à lui, d’erreurs de casting manifestes, en particulier la disparition lors de la première nomination du cabinet du ministère de la culture et l’absence de femmes. Cela a été clairement perçu comme un manque de sensibilité.

Quant au traitement de la situation brésilienne dans les médias français, il va effectivement un peu dans tous les sens.

L’État de Rio de Janeiro a déclaré très récemment l’état de calamité financière afin d’obtenir du gouvernement fédéral une subvention de 700 millions d’euros en vue de terminer les travaux pour les prochains Jeux olympiques. Les règles fondamentales de l’État de droit demeurent respectées au Brésil, comme le démontre la nécessité de pallier l’oubli des licences environnementales pour la construction des stades de volley.

Il a rappelé que dans le cadre de la présidence française de la COP 21, l’accent devant être mis sur la mobilité urbaine et le développement de la ville verte (notamment dans le domaine du traitement des eaux), avec l’aide de l’Agence française de développement (AFD), le partenariat avec les collectivités territoriales françaises pourrait alors utilement venir compléter ces actions en faveur du développement durable, par exemple avec l’État du Minas Gerais.

Il a affirmé que Mme Dilma ROUSSEFF bénéficiait actuellement du statut de « présidente éloignée » : elle séjourne dans une résidence privée, dispose d’un staff limité et est autorisée à voyager. Le gouvernement de Michel TEMER veille cependant à ce que ces voyages, payés par l’État fédéral, ne soient pas utilisés à des fins de meetings.

Quant aux relations du Brésil avec la Guyane française, elles se sont significativement améliorées. Les sites illégaux d’orpaillage ont été réduits à près d’une centaine, contre 560 auparavant. Le point d’entrée des garimpeiros s’est déplacé, puisqu’ils passent désormais par le Suriname et le Guyana afin de pénétrer en Guyane. Il n’en demeure pas moins que l’orpaillage clandestin débouche sur un système criminogène, marqué notamment par la prostitution, qui requiert un approfondissement de la coopération franco-brésilienne en matière de sécurité. Le Gouvernement français a récemment institué la dispense de visa pour les ressortissants brésiliens transitant par la Guyane pour se rendre en Martinique ou en Guadeloupe, ce qui n’empêche pas les Brésiliens de regretter la nécessité d’un visa pour séjourner temporairement en Guyane. Toutefois, la pression démographique brésilienne observée en Guyane est moindre que celle d’autres pays, comme par exemple la Colombie. Si la frontière franco-brésilienne est la plus longue des frontières de la France, elle reste l’une des plus petites pour le Brésil. Bristish Petroleum et Total continuent leurs prospections dans la zone économique exclusive guyanaise. Les relations avec le Brésil sur ce sujet sont désormais apaisées.

S’agissant de l’insertion des PME françaises dans le paysage économique brésilien, elle reste délicate car le Brésil n’est pas un pays pour débutants. Dans ces conditions, Business France s’emploie à accompagner nos PME dans leur implantation internationale. On constate un enthousiasme fort dans le domaine de l’agrobusiness et on relève un changement de discours et de mentalité plus favorable au libre-échange. L’accord transpacifique avait donné le sentiment que le Brésil restait à l’écart du mouvement.

Il a aussi indiqué que :

-     en matière de contrats de défense, le groupe DNCS demeure prioritaire pour la marine brésilienne ;

-      il s’est clairement produit une forme de désamour du Brésil pour le football et la sortie de l’équipe nationale de la Copamérica n’arrange pas les choses ;

-     la situation des femmes au Brésil est préoccupante, comme en témoignent les récents faits divers. Internet et les réseaux sociaux exercent une pression sur les élus et la police qui sont appelés à réagir fermement, notamment dans le cadre de l’enquête sur le viol collectif qui a choqué toute la nation ;

-    la France est le troisième pays de destination des étudiants brésiliens et le premier pays à envoyer des étudiants au Brésil. Mais il est vrai que la jeune génération brésilienne apparaît un peu moins tournée vers la France.

M. Jean-Pierre RAFFARIN a interrogé l’ambassadeur sur les conséquences concrètes de la déclaration par l’État de Rio de Janeiro de l’état de calamité financière.

M. Laurent BILI a rappelé que les États fédérés disposaient de pouvoirs substantiels au Brésil. Dans le cas de l’État de Rio de Janeiro, c’est sur recommandation de l’État fédéral qu’il a déclaré l’état de calamité financière. Enfin, en ce qui concerne le dynamisme du marché commun du Sud (Mercosul), la coopération entre le Brésil et l’Argentine s’approfondit dans le domaine de la formation. L’économie argentine demeure très dépendante du Brésil. Dans le cadre de ses négociations commerciales, l’Union européenne (UE) devra donc adopter une approche globale et préparer au mieux la semaine UE/Brésil qui se profile.

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