Le groupe interparlementaire d’amitié France-Brésil du Sénat s’est entretenu, le 24 mars 2016, avec M. Paulo de OLIVEIRA CAMPOS, ambassadeur du Brésil en France, et Mme Marie‑Claire PATY, épidémiologiste et coordonnatrice de la surveillance des maladies vectorielles à l’Institut de veille sanitaire (InVS) dans le cadre d’un petit‑déjeuner de travail au Sénat sur :

- les implications sanitaires liées à la propagation du virus Zika, les moyens de la lutte pour son éradication et la coordination des efforts de prévention sanitaire en Amérique latine et aux Antilles ;

- les évolutions récentes de la situation politique brésilienne.

Étaient, en outre, présents, au titre du groupe d’amitié, M. Antoine KARAM, Président délégué du groupe d’amitié pour le Guyana, et MM. Michel LE SCOUARNEC et Rémy POINTEREAU, Secrétaires du groupe d’amitié.

Ont également participé à cette rencontre, côté brésilien, MM. Luiz Claudio THEMUDO et Enrico MORO DIOGO, respectivement conseiller et secrétaire à l’ambassade du Brésil en France.

Mme Laurence COHEN a rappelé que la lutte contre la propagation du virus Zika constituait une priorité partagée par le Brésil et la France et réclamait une réponse coordonnée des pouvoirs publics. Les conséquences de cette crise sanitaire sont également économiques et touristiques, alors que le Brésil connaît déjà une situation économique fragile et s’apprête à accueillir les Jeux olympiques d’été dans moins de six mois.

L’intervention d’une épidémiologiste de l’InVS a été l’occasion d’éclairer les participants sur un certain nombre de questions liées au virus Zika. Mme Marie‑Claire PATY a ainsi rappelé que Zika, arbovirus véhiculé par le moustique Aedes aegypti à l’instar de la dengue et du chikungunya, était déjà apparu en Afrique et que sa propagation explosive en Amérique latine était liée tant à l’augmentation des mouvements de personnes dans le cadre de la globalisation qu’à des facteurs environnementaux favorisant la prolifération des moustiques, notamment en milieu urbain.

L’augmentation du nombre de microcéphalies chez les nouveau‑nés enregistrée à l’automne 2015 au Brésil a suscité une réaction rapide de la part des autorités brésiliennes qui ont alerté l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Le lien de causalité entre la contraction du virus par la mère et la microcéphalie du bébé est établi scientifiquement de manière quasi certaine, compte tenu des preuves d’ordre épidémiologique (concordance temporelle et spatiale entre la propagation du virus et la croissance du nombre de microcéphalies, multiplication par cinq des cas de microcéphalies dans l’État du Pernambouco) et expérimental (présence du virus dans le liquide amniotique et dans le cerveau des fœtus, développement anormal de cellules touchées par Zika). La transmission sexuelle de ce virus a également été établie.

Les moyens de prévention reposent pour l’instant principalement sur des mesures de protection individuelle (utilisation de répulsifs, port de vêtements longs) et de lutte anti‑vectorielle (suppression des points d’eau stagnante). M. Antoine KARAM a ainsi souligné que, dans les Antilles et en particulier en Guyane, les maires s’étaient positionnés au premier plan de la lutte contre la propagation, en mettant l’accent sur une gestion responsable des déchets et en invitant leurs administrés à nettoyer, par exemple, les soucoupes dans les cimetières et à éviter l’amoncellement de carcasses de voitures. Il s’est félicité de la réaction rapide des autorités brésiliennes et de la mobilisation des services de désinfection en Guyane.

M. Paulo de OLIVEIRA CAMPOS a rappelé que la présidente du Brésil et les maires concernés s’étaient engagés dans une grande mobilisation nationale pour la prévention contre la propagation du moustique : des cellules de coordination de la lutte contre les foyers de moustiques ont été mises en place au niveau national, au niveau des États et au niveau des municipalités. Il a indiqué que la Fondation Oswaldo Cruz, centre de recherches scientifiques et épidémiologiques à Rio de Janeiro, travaillait, en partenariat avec les États‑Unis et notamment une université au Texas, au développement d’un vaccin ou d’un médicament et disposait d’un grand savoir‑faire dans la lutte contre les moustiques.

Les assurances apportées par le gouvernement brésilien ont permis de lever les préoccupations des représentations sportives, comme l’ont montré dernièrement le président du comité olympique français et le président du comité paralympique international. L’augmentation des températures vers le Nord et les mouvements de personnes incitent les États‑Unis à intensifier leur recherche d’une solution contre le virus Zika et donc à multiplier les contacts et les échanges de données, notamment avec le Brésil et la France.

M. Antoine KARAM a confirmé la détermination de la délégation de sportifs français de venir se préparer en Guyane et aux Antilles pour les Jeux. Sur recommandation de la ministre française de la santé, le suivi des femmes enceintes aux Antilles donne lieu à des échographies mensuelles. Mme Marie‑Claire PATY a indiqué que le centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies (ECDC) avait, dans la perspective des Jeux, déclaré que le pic de l’épidémie était déjà passé  et a rappelé que le chikungunya n’avait pas posé de problème particulier dans l’organisation de la coupe du monde de football au Brésil en 2014.

Mme Laurence COHEN a interrogé l’ambassadeur sur la perspective d’un assouplissement de la politique nationale vis-à-vis de l’avortement au Brésil face à l’augmentation du risque de microcéphalies des fœtus.Pour mémoire, le Tribunal suprême fédéral avait étendu, en 2012, les situations où l’avortement était autorisé au cas d’anencéphalie du fœtus, en plus des cas de viols et de mise en danger de la mère.

La question de l’avortement reste un sujet délicat au Brésil, pays majoritairement catholique. M. Paulo de OLIVEIRA CAMPOS a souligné que l’État mettait en œuvre un accompagnement au bénéfice des personnes atteintes de microcéphalies et que plusieurs associations mettaient en avant le fait que certaines d’entre elles étaient en capacité de mener une vie normale.

Le petitdéjeuner de travail s’est conclu par des échanges sur la situation politique au Brésil, émaillée par les récents développements de la procédure de destitution déclenchée à l’encontre de la présidente Dilma ROUSSEF et des manifestations intervenues dans la période récente.

M. Paulo de OLIVEIRA CAMPOS a rappelé que la présidente avait été élue au suffrage universel direct à une majorité non négligeable. Néanmoins, ce résultat reste difficilement accepté par l’opposition et une forme de climat de campagne électorale se maintient. Le système institutionnel brésilien ne permet pas au président élu de disposer d’une majorité parlementaire bâtie autour de son seul parti, le présidentialisme brésilien étant par nature « de coalition », avec un fort caractère parlementaire et plus d’une trentaine de partis représentés au parlement.

Le président de la Chambre des députés appartient au Parti du mouvement démocrate brésilien (PMDB) dont sont également issus plusieurs membres du gouvernement actuel. Toutefois, le président de la Chambre est en conflit ouvert avec la présidente et a autorisé l’examen de la recevabilité de la demande de destitution de la présidente portée par un certain nombre de parlementaires. Les détracteurs de la présidente l’accusent d’avoir commis un « crime fiscal » en maquillant les comptes de l’État avant la dernière campagne électorale. D’autres considèrent qu’elle n’est à l’origine que d’une décision administrative qui ne peut être regardée comme un crime.

La recevabilité de la demande de destitution sera examinée par une commission spéciale mise en place par la Chambre des députés, dont le rapporteur est considéré comme un proche du président de la Chambre. Pour que la mise en œuvre de la destitution soit approuvée, une majorité des deux tiers des membres de la Chambre est nécessaire. En cas de destitution prononcée par la Chambre, la présidente sera suspendue de ses fonctions jusqu’à ce que le Sénat se prononce en dernier ressort sur la validité de cette destitution.Le vice‑président, issu du PMDB, assurera l’intérim.

M. Michel LE SCOUARNEC a rappelé que l’arrivée au pouvoir du Parti des travailleurs avait suscité la frustration des élites brésiliennes qui acceptent mal de rester durablement hors du pouvoir.

M. Paulo de OLIVEIRA CAMPOS a indiqué que le pays reste très divisé, sans une majorité claire de part et d’autre et un véritable risque d’affrontement qui demeure préoccupant. Il a rappelé qu’en 2002, les classes les moins favorisées représentaient 47 % de la population brésilienne, les classes moyennes 39 % et les classes aisées 14 %. En 2014, la proportion des classes les moins favorisées s’établit à 16 %, celle des classes moyennes à 56 % et celle des classes aisées à 28 %. De même, en 2002, 57 % des Brésiliens n’avaient pas achevé le premier cycle d’éducation, cette proportion a été réduite à 39 % en 2014. Inversement, 8 % seulement des Brésiliens détenaient en 2002 un diplôme universitaire, 20 % en sont désormais titulaires en 2014. L’augmentation du revenu et du niveau d’éducation des Brésiliens a logiquement entraîné un changement de la composition de l’électorat.

La conjugaison entre la crise politique et la situation économique difficile du Brésil est accentuée par le scandale de corruption qui éclabousse le groupe Petrobras et les entreprises de construction civile qui lui sont associées et implique des politiciens de tous les partis.

Beaucoup de questions seront tranchées par la justice qui doit suivre son cours. La situation difficile que connaît le Brésil à l’heure actuelle a le mérite de démontrer la solidité de ses institutions politiques et judiciaires : le système institutionnel en ressortira renforcé.

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