COLLOQUE SENAT-CFCE SUR L'INDE (13 novembre 2003)


Table des matières





Actes du colloque SÉNAT-CFCE
sur L'Inde, grande puissance asiatique
13 novembre 2003

Sous le haut patronage de :
Christian PONCELET , Président du Sénat

En présence de :
François LOOS , Ministre délégué au Commerce extérieur
Nand Kishore SINGH , Minister, Member of the Planning Commission of India

Sous l'égide de :
Jean FRANÇOIS-PONCET , ancien Ministre, co-Président du Forum d'initiative franco-indien
Pierre FAUCHON , Président du groupe interparlementaire France-Inde

Avec la participation de :
S. Exc. Mme Savitri KUNADI , Ambassadeur de l'Inde en France
Mahendra JALAN , Consul honoraire à Calcutta
Anne GRILLO-NEBOUT , sous-directrice Asie méridionale au ministère des Affaires étrangères
Jean-Louis LATOUR , Chef des services économiques pour l'Asie du Sud

Ouverture

Allocution du Président du Sénat

Christian PONCELET,
Président du Sénat

Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs les Présidents, Madame l'Ambassadeur, chers collègues, Mesdames et Messieurs, chers amis

Je suis particulièrement heureux d'accueillir aujourd'hui ce colloque économique sur l'Inde, organisé sous la double égide du forum d'initiative franco-indien et du groupe interparlementaire France-Inde, en partenariat avec nos amis du Centre français du Commerce extérieur.

Comme vous le savez, l'Inde compte de nombreux amis au Sénat.

Le groupe interparlementaire d'amitié France-Inde est l'un des plus anciens, des plus importants et des plus actifs, grâce au dynamisme inlassable de son président, notre ami Pierre Fauchon, par ailleurs vice-président de la Commission des Lois, donc chacun connaît l'attachement à tout ce qui concerne l'Inde, sur laquelle il est intarissable.

Créé après la visite d'Etat du Président Chirac en Inde en 1998, le forum d'initiative franco-indien est co-présidé depuis l'origine par notre collègue et ami Jean François-Poncet, également président de la Délégation du Sénat à l'aménagement et au développement du territoire. Cet enracinement lui permet de proposer des initiatives concrètes pour le développement de nos relations mutuelles.

Je voudrais également souligner combien l'initiative prise par le CFCE de consacrer un colloque à l'Inde intervient à un moment particulièrement propice.

Après la visite du Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, en Inde, en février, la première qu'il accomplissait hors d'Europe depuis sa nomination à la tête du gouvernement, ces dernières semaines ont été riches pour les relations franco-indiennes.

Sur le plan politique, l'évolution de la situation en Irak, tout en soulignant la grande convergence de vue entre la France et l'Inde, a montré le soutien sans réserve que notre pays apporte à la demande formulée par l'Inde de disposer d'un siège permanent au sein du conseil de sécurité de l'ONU. Plus globalement, nos deux pays sont attachés à la définition d'un monde véritablement multipolaire.

C'est également dans ce contexte favorable que se poursuit le dialogue stratégique mis en oeuvre depuis plusieurs années.

S'agissant des échanges bilatéraux, ils ont été particulièrement denses ces dernières semaines, avec la session annuelle du forum franco-indien, les 13 et 14 octobre derniers à Paris, et la réunion, il y a quelques jours à peine, de la commission mixte franco-indienne. Cette réunion a été l'occasion de déplorer l'érosion de la présence économique de la France en Inde, alors que chacun reconnaît aujourd'hui l'importance du marché indien, ses potentialités et ses atouts. L'Inde représente déjà la quatrième puissance économique du monde. Et les projections relatives à la situation économique mondiale en 2050 la placent même en troisième position en termes de produit intérieur brut, après les Etats-Unis et la Chine, mais avant le Japon et l'Union européenne.

Tout le monde s'accorde à reconnaître les atouts de l'économie indienne : disponibilité de la main-d'oeuvre, haut niveau d'éducation, maîtrise des nouvelles technologies. Même si des progrès considérables restent encore à accomplir en termes d'accès de tous à la santé, à l'éducation, au logement ou sur le plan des infrastructures, l'Inde ne peut plus être considérée comme un pays de second ordre, le parent pauvre des pays d'Asie, loin derrière la Chine qui constitue souvent le point de comparaison, à tout le moins dans l'esprit des chefs d'entreprise français.

L'Inde ne se vit d'ailleurs plus comme un pays pauvre, ce qui ne va pas sans remise en cause, notamment dans le domaine de l'aide - je suis sûr que le sujet sera abordé par plusieurs intervenants. Je souhaite que notre colloque contribue à faire évoluer cette image passéiste auprès de nos compatriotes.

Certes, il ne faut pas se voiler la face. L'Inde présente des caractéristiques qui peuvent être autant d'obstacles pour des investisseurs français : une bureaucratie qui n'a rien à envier à nos propres pratiques administratives, un système fédéral, qui rend la prise de décision parfois complexe...

Mais elle présente des opportunités réelles, liées par exemple aux privatisations en cours ou à venir. Parallèlement, la France possède de réels savoir-faire dans plusieurs domaines qui intéressent le développement de l'Inde, comme par exemple la gestion de l'eau ou l'assainissement. Regardons donc l'avenir en face. L'Inde est déjà une puissance de premier plan en Asie. Elle sera demain une grande puissance mondiale. Sachons, ensemble, tirer profit de cette perspective.

Je souhaite à tous un excellent, studieux et fructueux colloque.

Une présence française à accroître en Inde

François LOOS,
Ministre délégué au Commerce extérieur

Monsieur le Président du Sénat, Monsieur le Ministre, Madame l'Ambassadeur, Mesdames et Messieurs, je voudrais remercier le Sénat et le CFCE pour l'organisation de ce colloque consacré à l'Inde. Je tiens également à remercier M. Singh, avec qui nous avons toujours eu de fructueux échanges. L'Inde est une puissance mondiale, et l'on en veut généralement pour preuve le niveau de sa croissance retrouvée, qui sera de l'ordre de 7 % cette année, après avoir atteint 4 % l'an dernier.

La France n'a pas, en Inde, la place qu'elle pourrait et devrait avoir si elle savait mieux tirer profit de toutes ses compétences. Notre part de marché dans le monde a baissé au cours des vingt dernières années, notamment sous l'effet de l'émergence des pays asiatiques sur le devant de la scène. La France a toutefois fortement limité cette baisse, puisqu'elle représente encore plus de 5 % des échanges mondiaux. Mais elle ne représente que 1,6 % des importations indiennes. Nous continuons en fait à être un fournisseur privilégié pour de gros marchés, mais notre présence dans ce secteur est plutôt en retrait.

Le savoir-faire de nos entreprises n'est pas en cause. Il n'y a même que des success stories , dans divers secteurs. Alstom, Alcatel, Lafarge ou encore L'Oréal constituent des acteurs bien connus en Inde, ayant remporté des succès commerciaux notables, y compris au cours des derniers mois. Dans les domaines tels que l'eau et l'assainissement, l'excellence des entreprises françaises permet également de signer des contrats importants. Ceci ne suffit pas, toutefois, à nous hisser au rang qui devrait être le nôtre en Inde eu égard à notre position dans les échanges économiques internationaux. L'Inde, elle, poursuit son développement à un rythme soutenu, avec un dynamisme tout particulier dans les sciences (pharmacie, médecine, informatique...). Dans le domaine de la pharmacie, des entreprises indiennes ont déjà acquis des entreprises françaises. Nous sommes en effet accueillants aux investissements des entreprises indiennes dans notre pays.

Nous avons eu des échanges récents avec les autorités indiennes et ceci a fourni l'occasion de vérifier que les souhaits exprimés ici sont largement partagés par nos homologues indiens. Les hommes d'affaires français sont, de leur côté, décidés à « passer à la vitesse supérieure » et un club d'hommes d'affaires de haut niveau a récemment été constitué, sous l'égide du MEDEF et de son homologue indien, afin de servir cet objectif. Nous comptons sur la présence aujourd'hui de M. Singh pour qu'une oreille attentive soit tendue sur les différents sujets qui seront abordés ce matin. Le vin constitue un exemple particulièrement illustratif des secteurs où les produits français devraient avoir une place plus significative en Inde, de même que le textile. Ce ne sont là que des exemples.

Je conclurai en soulignant l'importance que nous accordons au rôle que peut jouer l'Inde dans son environnement régional. Son inclusion dans l'ASEAN et l'accord qu'elle a récemment passé avec la Thaïlande nous semblent revêtir une importance toute particulière, au moment où nous voyons l'Inde prendre des positions de plus en plus fortes au sein de l'Organisation mondiale du Commerce. Il est important qu'il existe une capacité, entre nos pays, à nous entendre sur les règles du jeu internationales et nous souhaitons que l'Inde partage avec nous cette conviction. Je suis persuadé que ce séminaire sera très fructueux pour les relations franco-indiennes et pour les entreprises françaises qui y participent.

Situation politique et perspectives

I. Une démocratie en plein essor

S. Exc. Mme Savitri KUNADI, Ambassadeur de l'Inde en France

Mesdames et Messieurs, l'Inde est un pays jeune et une civilisation ancienne, qui a vu se succéder des générations de colons, dont beaucoup se sont établis sur son territoire. Il en résulte de multiples facettes tant sur le plan démographique que plan culturel, et on peut voir là un atout majeur de notre pays.

1. Une grande démocratie

L'Inde est devenue une des plus puissantes démocraties multi-partisanes du monde, basée sur le principe de tolérance dont l'un des chantres fut Mahatma Gandhi. Il faut également remercier les auteurs de la constitution indienne, qui nous ont tracé un cheminement en posant le principe d'égalité entre les hommes. La démocratie indienne s'appuie aujourd'hui sur un grand nombre d'élus locaux, dont un tiers sont responsables devant le gouvernement fédéral. Nous disposons également d'une autorité constitutionnelle puissante, et différentes autres institutions visent à assurer la probité de la vie politique.

Un autre garant de la démocratie et de nos institutions réside dans l'indépendance des médias. Il a toujours existé en Inde un grand nombre d'organes de presse et de médias audiovisuels, ce qui permet d'assurer un reflet fidèle de notre vie politique. Le secteur des organisations non gouvernementales complète ce tableau, en jouant un rôle significatif, y compris pour rappeler à leurs responsabilités, lorsque la nécessité s'en fait sentir, nos hommes et femmes politiques. La lutte contre les inégalités fait aujourd'hui partie de nos chantiers prioritaires, de même que la lutte contre les discriminations, deux axes dans lesquels la crédibilité de la politique indienne se trouve renforcée par l'action précieuse des organisations non gouvernementales.

2. Des progrès économiques remarquables

Au cours des dix dernières années, c'est sur le plan économique que l'Inde a le plus progressé. Les réformes menées dans le champ économique ont toujours figuré sur l'agenda économique, qu'il s'agisse du pays lui-même ou de ses relations avec l'extérieur. C'est ce qui a permis, notamment, une grande croissance, qui a atteint, en termes de parité de pouvoir d'achat, le 4 ème rang dans le monde. Les réformes des institutions et la démocratisation de la vie politique indienne ont sans nul doute constitué un appui utile pour avancer dans cette voie. L'Inde se sent proche des sociétés multiculturelles et multilinguistiques, et nous souhaitons, par exemple, renforcer notre coopération avec des pays présentant un profil similaire dans notre région. Pour autant, force est de constater que le progrès économique est parfois la victime de conceptions politiques passéistes. Nous sommes décidés, pour notre part, à favoriser le développement économique, et nous avons par exemple engagé des relations fructueuses avec la Chine (où travaillent 3,5 millions d'Indiens). Nous avons également des relations avec le Moyen-Orient et l'Afrique.

Les relations de l'Inde avec les Etats-Unis, la Russie, l'Union européenne ou encore le Japon ont différentes facettes et sont profondément ancrées dans l'histoire. Comme ces pays, nous plaçons en tout cas l'Etat de droit au centre de nos préoccupations.

Pour ce qui est de nos relations avec la France, nous sommes conscients que nos deux pays partagent les valeurs de pluralisme, de démocratie et de respect des droits de l'homme. Des coopérations avancées ont déjà été engagées et nos deux pays souhaitent aujourd'hui consolider ces liens, qui se basent sur la même conception de la démocratie et de l'Etat de droit, ou le même refus du terrorisme. Les investissements français ont trouvé un accueil dans le secteur du commerce ou encore dans le domaine des nouvelles technologies, mais il est vrai que le niveau d'interaction économique demeure aujourd'hui insuffisant. Nos gouvernements continuent à travailler pour renforcer cet engagement économique, même si le fondamentalisme ou le terrorisme constituent sans doute la plus grande menace pour nos relations avec nos partenaires. Nous essayons de lutter contre cette menace, avec des moyens importants et une détermination sans faille. L'Inde, de par son éthique, notamment, est enviée par tous et nous tenons en tout cas à la préserver sur la scène internationale. Nous souhaitons également améliorer le niveau de vie de notre population. Je tiens à exprimer la reconnaissance du Sénat français pour l'intérêt qu'il montre, à travers l'organisation de ce colloque, à l'endroit de notre pays. Merci de votre attention.

II. Une grande puissance en devenir : quelques repères utiles

Jean FRANCOIS-PONCET

Mesdames et Messieurs, le paysage économique indien a été très bien situé et il n'y a pas grand-chose à y ajouter, si ce n'est peut-être quelques précisions concrètes.

1. Une puissance politique et militaire

Au préalable, il me semble important de souligner que nous devons prendre l'habitude de considérer que l'Inde n'est et ne sera pas seulement une grande puissance économique : elle est également appelée à devenir une grande puissance politique et militaire. Sur le plan politique, par exemple, aucune grande réforme du Conseil de Sécurité ne paraît envisageable sans qu'une place ne soit faite à l'Inde au sein de cette instance. Il s'agit généralement du pays le plus souvent cité pour un siège permanent supplémentaire, devant des pays tels que le Brésil ou le Japon. Le potentiel militaire de l'Inde figure, en outre, parmi les principaux qui existent sur la planète, avec par exemple la première marine de la région, une puissance aérienne importante et une industrie d'armement en développement rapide.

2. Un fort potentiel scientifique

Il y a d'autres aspects encore au rayonnement indien. Le potentiel scientifique du pays est de plus en plus connu, mais ne laisse pas d'impressionner. Des coopérations avancées existent d'ailleurs avec la France dans ces champs. N'oublions pas non plus que l'Inde est et restera une grande puissance nucléaire. Sur le plan culturel, si les richesses de la civilisation indienne millénaire sont assez bien connues aujourd'hui, il ne faut pas oublier le développement important de sa culture contemporaine, ou encore de son industrie cinématographique, qui est la première du monde. Il faut avoir tout cela à l'esprit, faute de quoi on ne parviendra pas à imaginer ce que l'Inde représentera demain.

3. Un partenaire stratégique

Je crois que l'Inde est appelée à devenir un grand partenaire stratégique de l'Occident, face à un fondamentalisme islamique qui se développe des Philippines jusqu'au Maroc, et parce que l'Inde a déjà accompli sa révolution démocratique (avec les formes d'instabilité à court terme que cela suppose, mais une certaine stabilité à long terme, à la différence de la Chine notamment). Ces éléments doivent nous inciter à surmonter les hésitations que d'autres caractéristiques indiennes peuvent susciter : l'administration indienne, qui présente des visages similaires à la nôtre, en est un exemple, de même qu'une certaine lenteur dans les réformes mises en oeuvre (même si ces réformes ont démarré, avec des résultats spectaculaires en termes de taux de croissance). L'Inde a mis le cap sur une évolution qui paraît irréversible et qui est acceptée - il faut le souligner - par les deux grands partis politiques indiens. Cette orientation bi-partisane permet de croire dans le caractère de plus en plus prometteur des investissements qui pourront être réalisés en Inde. L'agriculture y est très présente, puisqu'elle représente encore 53 % de la main-d'oeuvre indienne. Mais des évolutions se dessinent déjà, et devraient prendre le même chemin que celui que nous avons emprunté depuis le XIXème siècle. Je souhaitais simplement, par ces quelques propos, bien situer l'Inde à travers plusieurs dimensions que nous n'avons pas toujours suffisamment à l'esprit. L'Inde est une grande puissance en émergence, appelée à peser très lourd dans l'histoire de l'humanité.

III. Un partenariat stratégique, et précurseur, pour la France

Anne GRILLO-NEBOUT

Mesdames et Messieurs, la tâche me revient de préciser quelles sont les relations bilatérales de la France avec l'Inde. La politique asiatique de la France repose sur trois piliers : la Chine, le Japon et l'Inde, qui y occupe une place de choix. Une forte convergence de vues a en effet été constatée entre nos deux pays sur nombre d'aspects de la vie internationale. Nos relations sont aujourd'hui constituées d'abord par un partenariat stratégique, qui se traduit par une volonté de définir avec l'Inde notre contribution aux grands équilibres internationaux. La France a fait le choix, en 1998, d'un partenariat stratégique avec l'Inde, lors de la visite officielle du Président de la République. Le choix d'un dialogue de confiance, au plus haut niveau, a ainsi été fait, sur tous les aspects majeurs de la politique intérieure et internationale. Cette volonté a été affirmée avec force par la France, pour la première fois, au moment où l'Inde commençait à s'engager sur la voie des essais nucléaires.

Ce choix fut précurseur : aucun autre pays n'avait fait le choix d'un tel partenariat stratégique avec l'Inde, pas même le Royaume-Uni. Seuls trois autres partenariats de ce type existent pour la France, avec les Etats-Unis, la Russie et la Chine. Ce partenariat est aujourd'hui marqué par la recherche de complémentarités entre nos deux pays, comme l'a illustré la visite du Premier ministre en Inde, qui fut sa première visite officielle dans un pays hors d'Europe après sa nomination à la tête du gouvernement. Deux exemples illustrent cette complémentarité recherchée. Dans le domaine de la défense, outre des visites au plus haut niveau (ministres, Chefs d'État-major...), une coopération opérationnelle existe, à travers diverses manoeuvres, notamment au sein de la marine, de même qu'une coopération technique, et des contrats d'armement. D'autre part, notre coopération scientifique et technique, priorité essentielle de notre coopération avec l'Inde, mise sur la création de laboratoires mixtes permettant le financement de projets conjoints, dans divers domaines (santé, eau, chimie, technologies de l'information...).

Plusieurs échéances nous ont donné l'occasion récemment de renforcer encore les relations franco-indiennes. Outre le Forum d'initiative franco-indien, dont les membres ont été reçus par le Président de la République et par le Premier ministre, la commission mixte s'est réunie début novembre, et fut l'occasion d'évoquer l'insuffisance des échanges économiques entre la France et l'Inde. Une visite du ministre français des Affaires étrangères est prévue, en outre, au début du mois de février prochain.

Plusieurs conséquences découlent du partenariat stratégique existant entre la France et l'Inde. Nos relations avec les autres pays de la région ne sont pas de même nature. Avec le Bangladesh, par exemple, la France entretient une relation amicale mais moins soutenue que celle qui existe avec l'Inde, et fondée principalement sur les échanges économiques. Dans nos relations avec le Népal également, la place de l'Inde nous semble incontournable. Nos relations avec le Pakistan sont un peu différentes, compte tenu de la situation géostratégique particulière de ce pays, mais n'ont ni la même nature ni la même ampleur que celles de la France avec l'Inde.

Cela dit, c'est surtout eu égard au rôle de puissance internationale que la France voit dans l'Inde un partenaire privilégié. La France défend en effet une vision multipolaire du monde, et est décidée, de ce fait, à appuyer l'Inde pour conforter sa présence dans toutes les instances internationales de premier plan. Nous souhaitons aussi, dans cette perspective, que l'Union européenne entretienne une relation plus politique avec l'Inde, qui constitue surtout, aujourd'hui, un partenaire économique de l'Union. Ceci est l'un des objectifs guidant notre politique, à partir du constat de la puissance actuelle et future de l'Inde, mais aussi à partir de valeurs profondes largement partagées. L'Inde a vocation à participer à la définition des grands équilibres stratégiques internationaux, et nous souhaitons contribuer à voir ce rôle reconnu.

IV. La politique indienne à l'aube d'une année électorale

Christophe JAFFRELOT, Directeur du Centre d'études et de recherche internationales (CERI)

Il est vrai que les Indiens vont voter à plusieurs reprises dans les douze mois qui viennent, d'abord avec des élections régionales appelées à démarrer dès le mois prochain. Mais les Indiens vont également voter au plan national, pour les élections législatives qui auront lieu autour de septembre 2004 afin de renouveler l'Assemblée du peuple. Il me paraît utile, toutefois, de mettre d'abord en relief trois points de structure.

1. L'apprentissage de l'alternance politique

Le bilan que l'on peut tirer des années 90 consiste à reconnaître l'éviction durable du Parti du Congrès, qui aura pour la première fois été dans l'opposition durant toute une législature, si celle-ci atteint son terme. Ceci nous conduit à un deuxième constat, lié au premier : la fragmentation extrême du système de partis, qui reflète en réalité la régionalisation de la vie politique indienne. Une troisième grande tendance se dessine : les années 90 amorcent puis consacrent la montée en puissance du parti du Bharamya Jamata (BJP), qui a donné à l'Inde son Premier ministre en 1998, en réussissant à agréger un grand nombre de partis dans une coalition de gouvernement. Ceci achève de dessiner un paysage politique radicalement nouveau, et transformé en dix ans, faisant surgir une interrogation : cette configuration inédite est-elle durable, en particulier pour ce qui concerne l'ère des coalitions ?

Une inquiétude se fait jour chez les hommes politiques et les investisseurs, quant à la stabilité politique de l'Inde, alimentée notamment par le souvenir du début des années 90, époque où le Premier ministre changeait en moyenne tous les deux ans, avec cinq appels aux urnes en une décennie. J'ai le sentiment que ce risque est aujourd'hui écarté, car si pendant longtemps les partis ont éprouvé des réticences à entrer dans l'ère des coalitions, celles-ci semblent aujourd'hui admises. On pourrait voir émerger en particulier deux coalitions principales, dans une bipolarité affirmée, autour du Parti du Congrès et du BJP, avec, dans ce deuxième cas, une dimension régionaliste particulièrement affirmée. L'importance de ceci réside dans l'alternance qui serait ainsi introduite, durablement : les citoyens auraient le choix entre deux programmes, et le pouvoir pourrait changer de mains de façon dédramatisée.

Que ceci augure-t-il ? Le BJP perd élection régionale après élection régionale, depuis le milieu des années 90, et ne gouverne plus que dans un Etat important. Le Congrès, inversement, gagne du terrain et est aujourd'hui majoritaire dans le gouvernement des Etats indiens. Si les élections qui se profilent l'an prochain sont à nouveau marquées par une défaite du BJP, il est tout à fait permis d'imaginer un retour de certains partis vers le Congrès, dont la crédibilité serait renforcée de tels succès électoraux. Il reste que ce Parti souffre aujourd'hui d'une absence de leader incontesté à sa tête, Sonia Gandhi n'ayant pas, comme le montrent régulièrement les sondages, la capacité à rassembler suffisamment sur son nom. Plusieurs hypothèses peuvent, dès lors, être envisagées, en particulier un changement de pouvoir pour les enjeux nationaux.

2. L'influence de la religion et de la caste sur la sphère politique

On ne peut se contenter d'observer les grands partis politiques sans examiner la façon dont la politique se fait sur le terrain. Or une tendance lourde apparaît également sur ce plan : le registre de la caste tend à s'imposer de plus en plus, face à celui de la communauté religieuse. Les émeutes survenues au Gujarat en 2002 ont pu donner l'impression que le clivage communautaire religieux continuait à structurer l'espace public indien, et ceci est vrai dans une certaine mesure. Pour autant, on voit aujourd'hui que ce tropisme religieux n'est pas le seul à l'oeuvre. l'affaire Dayodia a rebondi cet été, car on a découvert que sous la mosquée détruite en 1992, se trouverait un temple hindou.

Ceci a entraîné un regain de mobilisation au sein de certaines communautés, mais il est à noter qu'aucun mouvement de foule n'a eu lieu, notamment en raison de la volonté du gouvernement central de ne pas rouvrir ce dossier, par calcul d'intérêt politique de moyen et long terme. Mais ceci tient aussi, à mes yeux, à la montée en puissance de la caste, qui tend à se substituer, schématiquement, à l'appartenance communautaire dans la structuration de la vie politique. Cette émergence remonte au milieu des années 90, où des partis basés sur l'appartenance à la caste (plus précisément des partis de basses castes) ont pris le pouvoir dans plusieurs Etats. Il s'agit là d'une tendance lourde, qui pourrait reléguer au second plan l'appartenance religieuse, d'autant plus que le Parti du Congrès semble vaciller, sur la question des castes : les élections se préparent et voient des leaders du Congrès jouer explicitement la carte de la caste (notamment au travers de promesses offrant une part réservée des sièges de certaines assemblées aux représentants issus de « basses castes »). On voit là se profiler une politique de discrimination positive, qui pourrait aboutir à la montée de discours populistes.

Situation économique et perspectives

I. La libéralisation de l'économie indienne

Nand Kishore SINGH, Minister, Member of the Planning Commission of India (( * )1)

Nombre des forces et des faiblesses de l'Inde ont déjà été évoquées. Je m'attarderai pour ma part sur les tendances de long terme que je perçois et sur les moteurs du changement qui devraient permettre à l'Inde de connaître une croissance du PIB susceptible d'un développement de long terme. On dit souvent que la seule façon de décrire l'avenir est de le modeler. Saurons-nous tirer parti des vents favorables, et cela permettra-t-il, par exemple, une meilleure intégration de l'Inde sur la scène internationale ? L'Inde a enregistré la croissance la plus rapide de ces dix dernières années parmi les démocraties, avec un taux moyen de croissance de 5,7 % au cours des dix dernières années. Un rapport récent de Goldman Sachs montre que, dans les cinquante prochaines années, l'Inde pourrait bien devenir la 3 ème puissance économique du monde. Des progrès importants ont en effet été enregistrés au cours des dernières décennies, dans le domaine de l'agriculture ou sur le plan des changes et des transactions avec d'autres pays. Je n'y reviendrai pas. Les taux de croissance de la période récente reposent en tout cas sur quatre moteurs.

1. La démographie

Le premier est le facteur démographique, sachant que l'Inde est appelée à voir sa population croître jusqu'en 2050 et au-delà, pour devenir le pays le plus peuplé du monde, avec une part importante de la population jeune. Ceci se traduira à la fois par un taux d'épargne plus élevé et par un soutien important à la consommation, dans un contexte en évolution rapide : plus de 100 millions de personnes devraient ainsi accéder à la classe moyenne indienne dans les cinq prochaines années. L'élévation du niveau des revenus ouvrira de nouveaux besoins de consommation, et le doublement des moyens de crédit octroyés par les établissements bancaires indiens au cours des dernières années en constitue une illustration. Il est également à noter que la consommation de biens alimentaires est en recul en milieu rural, au profit des biens non alimentaires tels que l'équipement audiovisuel. L'Inde rurale va ainsi, peu à peu, se trouver sur un pied d'égalité avec le reste du pays, et verra sa population augmenter tous les ans de l'équivalent de la population de l'Australie et, tous les cinq ans, de l'équivalent de la population française.

2. La connaissance

Un autre moteur du changement est la connaissance. On sait que l'Inde a acquis une position de choix en matière de prestation de services, notamment par sa capacité à se placer favorablement dans la chaîne de la valeur ajoutée. Ceci a déjà été reconnu par l'industrie pharmaceutique et par le monde de l'informatique. L'avantage concurrentiel est clair, en effet : un ingénieur informaticien aux Etats-Unis coûte environ 50 000 dollars ; il n'en coûte que le dixième en Inde. Notre pays développe, en outre, ses avantages compétitifs en les étendant à des secteurs tels que l'éducation, l'automobile et l'ingénierie ou encore la chimie. L'Inde pourrait ainsi devenir la « capitale mondiale du savoir ». Dans le domaine des services et de la transformation, on sait que les entreprises indiennes ont fait irruption sur la scène mondiale.

3. La productivité

Ceci nous conduit au troisième moteur du changement en Inde : la productivité, qui s'est sensiblement améliorée au cours des dernières années, mais qui dispose encore d'une marge de croissance importante, sous l'effet des réformes appelées à être mises en oeuvre. Un cadre macroéconomique stable sera en tout cas recherché, à travers une croissance soutenue, régulière, des réserves de change surveillées avec vigilance, et dans le même temps une inflation et une dette contenues. De nombreuses réformes de fond accompagneront ces mouvements, par exemple, dans le secteur des télécoms (avec un équipement des ménages en très fort développement), dans celui de l'électricité, pour la privatisation des infrastructures portuaires et aéroportuaires ou encore dans le secteur bancaire et financier.

4. Un haut niveau de formation

Des risques existent, certes, de même que des contraintes inhérentes au système. il est d'abord nécessaire d'accorder toute la priorité qui lui revient à notre système de formation et d'éducation, afin de permettre aux jeunes Indiens de valoriser leurs talents. Des centres d'excellence pourront être mis en place, de même que des réformes de l'enseignement primaire et secondaire.

Un autre voie de progrès touche à la gouvernance, dans un contexte de disparités régionales importantes et de déficits budgétaires récurrents. La rationalisation de l'administration fiscale doit notamment être envisagée dans cette optique. Si nous observons le passé, nous voyons que les gouvernements qui se sont succédés au pouvoir ont toujours été favorables au programme de réformes. Il n'y a jamais eu de retours en arrière et les politiques populistes ne sont pas toujours, d'ailleurs, les plus populaires. La démographie doit aujourd'hui nous permettre de franchir une étape supplémentaire dans la typologie du développement. L'Inde ne peut s'offrir le luxe d'hypothéquer son avenir. Des obstacles seront à surmonter, mais l'Inde constitue aujourd'hui un pari d'avenir et une opportunité d'investissement à considérer par les investisseurs français.

II. Questions-débats

Eugène MAGOAROU, Chambre de Commerce et d'Industrie du Havre

J'ai entendu ce matin beaucoup d'amour et de ferveur pour l'Inde. Nos mondes politiques, français et indien, semblent tout à fait en phase et un travail important a été accompli. En revanche, je me demande comment toucher la « France profonde » : un travail important de rapprochement me semble à engager à ce niveau, peut-être avec, symétriquement, les Etats de la fédération indienne. Je lance ici un appel au secours, car je m'efforce de mobiliser l'estuaire du Havre depuis deux ou trois ans pour le rapprocher avec un port indien. Toutefois, le chemin est encore long.

Jean-Louis LATOUR

L'intention du gouvernement indien est d'améliorer l'interconnectivité des services au sein des ports et de favoriser l'émulation avec les grands ports d'Europe. L'approche régionale est en tout cas prise en compte par les autorités françaises et nous souhaitons voir se développer des rapprochements à ce niveau.

Nand Kishore SINGH

L'organisation de colloques ou de manifestations telles que celle qui nous réunit aujourd'hui pourrait aussi être envisagée non seulement à Paris, mais aussi dans d'autres villes ou régions importantes de France. C'est le choix que nous faisons en Inde, pour que les rencontres n'aient pas lieu qu'à Bombay ou Delhi. Il faut sortir des métropoles pour initier un mouvement qui puisse ensuite s'étendre. Une politique d'attractivité des investissements est également importante à mettre en oeuvre.

Anne GRILLO-NEBOUT

La mission confiée à l'Ambassadeur de France en Inde comporte un volet important concernant l'appui et l'accompagnement des entreprises françaises recherchant un partenariat en Inde. Un Bureau des régions a en outre été créé au sein de l'Alliance française de Delhi, et ceci permettra aux régions françaises de disposer d'une vitrine en Inde. Il existe enfin un service de la coopération décentralisée au ministère des Affaires étrangères et il ne faut pas hésiter à rencontrer le Secrétaire général de cette structure.

Jean-François FADEAU

Je suis entrepreneur. J'ai visité l'Inde pour la première fois au mois de mai dernier et ce pays présente de nombreux attraits, notamment sur le plan culturel. Cela dit, les taxes à l'importation constituent une barrière réelle, d'autant plus handicapante que nous avons rencontré un intérêt réel pour nos produits en Inde.

Nand Kishore SINGH

L'Inde a un niveau de droits de douane trop élevé. Mais ce niveau était de 350 % en 1992, avec des restrictions de volumes. Celles-ci ont aujourd'hui disparu, et le taux maximum d'imposition est de 23 %. La situation appelle encore des efforts, mais un chemin significatif a déjà été accompli, et continuera de l'être, comme l'a affirmé notre Premier ministre, qui a plaidé pour des droits de douane d'environ 12 % ou 13 %, à l'instar de ce qui existe pour la plupart des grands pays présents sur la scène des échanges internationaux.

De la salle

J'ai été Conseiller auprès de l'UNESCO, chargé d'un Plan de Développement en Inde, en étroite collaboration avec la Banque mondiale. Je suis étonné de constater que vous mettez surtout l'accent sur les échanges commerciaux et technologiques, sans mettre en relief la dimension culturelle et la place de la langue française en Inde, alors même que la langue anglaise y est aujourd'hui omniprésente. Cet obstacle constitue pourtant, à mes yeux, un frein probable aux échanges, en particulier dans le domaine universitaire et culturel.

Anne GRILLO-NEBOUT

Je n'entrerai pas dans le débat consistant à se demander s'il faut développer le français pour favoriser les échanges commerciaux : des positions très diverses, et argumentées, existent sur ce point. Cela dit, nous disposons en Inde d'un important réseau d'Alliances françaises (14), qui fonctionnent très bien. Il est également à noter que le français est la première langue étrangère étudiée en Inde - l'anglais n'y étant pas considéré comme une langue étrangère. Nous avons enfin une politique active (même si les flux ne sont pas à la hauteur de nos souhaits) d'accueil d'étudiants indiens en France.

S. Exc Mme Savitri KUNADI

Il existe un très riche programme d'échanges entre la France et l'Inde, avec de nombreux aspects (bourses, festivals de musique ou de danse, etc.) et des évènements consacrés à l'Inde ont lieu en France pratiquement tous les jours de l'année.

III. Les relations économiques et commerciales bilatérales
1. La situation économique de l'Inde

Jean-Louis LATOUR

On peut rappeler, en quelques mots, que l'économie indienne est encore largement dominée par le secteur agricole (25 % du PIB, avec 70 % de la population vivant en zone rurale). L'Inde a réussi le pari de l'autosuffisance alimentaire, à travers la « révolution verte », même si cette formidable réussite se double d'un fort protectionnisme agricole. Surtout, les performances de l'agriculture indienne laissent encore à désirer, et il y aura sans doute là un enjeu majeur des années à venir. L'effet mousson est également à signaler : la croissance, en Inde, est fondée sur un certain nombre de paramètres constants, qui sont ensuite modulés par le caractère plus ou moins favorable de la mousson sur les revenus des foyers et leur capacité à consommer.

L'Inde a connu au cours des dix dernières années une croissance moyenne soutenue de 5,7 % et s'est révélée assez imperméable aux chocs extérieurs, comme en témoigne la quasi absence d'impact de la crise asiatique de 1997 ou encore l'effet nul des réactions internationales après les essais nucléaires effectués par l'Inde en 1998. Les catastrophes naturelles et trois mauvaises moussons (entre 2000 et 2002) ont eu un impact, mais lui aussi très limité, sur la croissance du pays. Si les conditions sont également favorables sur le plan macroéconomique, avec une inflation contenue et un compte courant positif, des problèmes persistent. Les investissements directs étrangers, en particulier, demeurent insuffisants ; les déficits internes se creusent et le rythme des réformes peut être jugé trop lent. Surtout, il a été établi qu'une croissance de 5 à 6 % par an ne permettait pas de juguler la pauvreté que connaît encore toute une frange de la population.

2. Les relations commerciales bilatérales

Du point de vue des relations bilatérales, les exportations de l'Inde vers la France représentent environ 2 % du total des exportations indiennes et les importations indiennes de France représentent 1,8 % des importations totales de l'Inde. Surtout, les exportations françaises vers l'Inde ne représentent que 0,3 % des exportations françaises totales, soit une journée d'exportation. La part de marché des exportations françaises s'est redressée au cours des dernières années, pour se porter à 1,8 % en 2002, mais ce niveau demeure toutefois assez bas. On observe, en outre, que si les exportations indiennes en France augmentent de façon significative, les exportations françaises en Inde (matériel électrique et électronique) ont beaucoup de mal à « décoller ».

3. Les investissements étrangers en Inde

L'Inde n'a pas eu, jusqu'à présent, de politique très forte d'investissement direct étranger (bien que les possibilités de ce type aient été considérablement accrues), et a reçu 4,8 milliards de dollars (US) en 2002, soit dix fois moins que la Chine ou la France. Depuis 1991, la France est le huitième investisseur direct en Inde (en flot cumulé d'investissements approuvés). Il existe cependant une grande différence entre les investissements approuvés et les investissements réalisés. Le taux de réalisation est de 19,08 % pour la France, c'est-à-dire au niveau de la moyenne des pays de l'Union européenne (20 %). Nos principaux concurrents, au regard de la part des exportations françaises dans les importations indiennes, sont les Etats-Unis (7,2 %), la Belgique, avec 6 % des importations indiennes (pour le commerce de pierres précieuses, qui « gonflent » quelque peu artificiellement les chiffres) ou encore la Chine et le Royaume-Uni, qui totalisent chacun 4,5 % des importations indiennes. L'Allemagne représente 3,9 % de ce total, et le Japon en représente 3 %, devant la France, qui ne totalise que 1,8 % des importations indiennes.

Il apparaît que l'Asie est aujourd'hui, devant l'Union européenne, le premier partenaire de l'Inde. D'aucuns voient même dans ce constat une « dérive » du continent indien vers l'Est, dont atteste aussi le rapprochement de l'Inde avec l'ASEAN. Ceci signifie sans doute des difficultés accrues, pour les pays européens et la France, à voir augmenter leurs parts de marché dans les importations indiennes, sauf pour des secteurs qui seraient ouverts, tels que la distribution de détail. Le diagramme des dix principaux investisseurs en Inde, sur la période 1991-mai 2002 (outre les flux provenant de la diaspora, notamment de Maurice), fait apparaître le rôle majeur des Etats-Unis, devant le Japon, Singapour et plusieurs pays européens situés à des niveaux proches, mais sensiblement inférieurs du niveau des Etats-Unis.

Force est de reconnaître que si le commerce international a changé, au cours des dix ou quinze dernières années, la position française dans le commerce avec l'Inde est aujourd'hui relativement faible. Pour autant, l'espoir doit demeurer, car l'Inde n'a pas encore ouvert certains secteurs dans lesquels notre part du marché mondial est importante. Il me semble, en tout état de cause, qu'investir en Inde pour produire et vendre sur le marché domestique indien peut, dans certains cas, s'avérer plus payant pour une entreprise que de s'essouffler à tenter d'exporter, d'autant plus que l'Inde semble délibérément jouer la carte de l'investissement direct étranger pour accroître son développement économique.

IV. La situation financière de l'Inde

Jean-Joseph BOILLOT, Conseiller financier, Mission économique de New Dehli

Le concept de cycle est mal connu en France. Il gouverne pourtant, dans une large mesure, l'évolution des données économiques se rapportant à l'Inde, au travers de la succession des moussons, qui déterminent pour une part importante le niveau des revenus agricoles, dont on a vu la place qu'elle représentait encore dans l'économie indienne. Il faut donc d'abord examiner le marché indien dans son cycle. Aujourd'hui, la mousson est très bonne, en 2003, et devrait signifier une croissance élevée pour le pays. Pour autant, il ne faut pas tomber dans le risque d'exubérance, qui se dessine de façon importante, pour l'ensemble des pays émergents. Leur responsabilité n'est pas en cause : ce sont les liquidités présentes dans l'économie mondiale qui se dirigent de façon prioritaire vers des petits marchés, où le placement est facile. Mais il faut avoir conscience du risque d'exubérance, car bien des déceptions pourraient en résulter.

En tendance, on peut observer que l'Inde, marquée par la crise de 1991, a su gérer de façon conservatrice son endettement et même à restructurer sa dette. En retour, cependant, l'endettement interne a explosé, au point que les agences de notation, avec quelque raison, ont alerté les investisseurs sur les problèmes que pourrait connaître l'Inde, du moins si une ou deux moussons beaucoup plus défavorables survenaient. Les Etats indiens sont en effet en quasi-faillite, et le pays connaît globalement un taux d'endettement sur PIB avoisinant 100 %. Un problème se fait jour, toutefois, dans le déphasage entre le cycle économique et le discours politique : celui-ci, répondant à des priorités autres, est marqué par un enthousiasme favorisant les investissements étrangers et la croissance, quitte à reporter les réformes dont la nécessité apparaît pourtant chaque jour plus forte.

Une première vague de réformes avait été mise en oeuvre à la suite de la réforme de 1991. Comment la situation va-t-elle évoluer ? L'heure n'est plus au débat, en tout cas : le VIIIème Plan indien est encore plus sévère que nous, sur ce sujet, en relevant par exemple l'absence des investissements dans le secteur éducatif. Il nous faut donc garder le sens des réalités. La tendance à la croissance devrait se poursuivre pour l'Inde dans les prochaines années. Mais ne tombons pas dans le piège qui consiste à nous « vendre » les pays émergents à travers des études dont le contenu laisse parfois rêveur : on ne peut comparer la France et l'Inde, et s'agissant des comparaisons souvent établies vis-à-vis de la Chine, il est temps de reconnaître que les arbres ne montent pas jusqu'au ciel. La poursuite d'un développement aussi rapide que celui que connaît ce pays ne pourra être éternelle, et s'accompagnera sans doute de difficultés plus ou moins marquées dans différents domaines. Il n'y a pas un pays au monde qui ne présente de risques pour les investisseurs.

V. Les dynamiques propres des grandes agglomérations urbaines et industrielles : infrastructures et recherche à Bangalore, Hyderabad et New Delhi

Joël RUET, Chercheur en économie, Centre de sciences humaines de New Dehli

L'examen de la croissance indienne permet sans doute de remettre en cause un lieu commun : un investisseur rechercherait en Inde des marchés, alors que dans de nombreux domaines la phase actuelle consiste plutôt à capitaliser sur des acquis pour mettre en place et conforter des modèles économiques non encore stabilisés. Nous sommes en fait en train de passer de marchés de décollage à des marchés plus stabilisés, mais il paraît indispensable d'accompagner ce développement. L'exemple comparé de deux secteurs permet d'illustrer ce constat.

1. Les technologies de l'information

Les technologies de l'information constituent un secteur très dynamique de l'Inde, où elle a développé un savoir-faire très élevé, et pas seulement en sous-traitance. Une idée qui se répand tend à prévoir un chemin similaire pour les biotechnologies indiennes. Les structures industrielles de ces deux activités sont toutefois différentes, et il faut tenir compte de cet écart. Les technologies de l'information constituent une activité de niche, et les firmes de service qui y sont présentes travaillent en quasi-intégration avec leurs clients, par des accords en amont avec les principaux acteurs du conseil.

Concrètement, l'Inde a vu un mouvement rapide de concentration dans les technologies de l'information, et le développement de Bangalore en résulte en large partie. Cependant, à la marge, des stratégies publiques de connectivité et les coûts salariaux peuvent jouer en faveur d'autres stratégies d'implantation et de partenariat, par exemple à Hyderabad.

En outre, si les entreprises indiennes de technologies de l'information se sont largement mondialisées, on observe que la France ne représente que 0,7 % des exportations : nous achetons aux États-Unis la valeur ajoutée qu'ils créent à bas prix en Inde, mais nous ne travaillons pas assez avec les meilleures firmes de technologies de l'information indiennes.

2. Les biotechnologies

Les biotechnologies présentent un modèle fort différent, avec une activité aux échéances plus longues et surtout moins sûres. Les constantes de temps ne sont donc pas les mêmes pour ces deux activités et un besoin de partenariats industriels se fera sentir de façon plus forte pour les biotechnologies, afin de satisfaire à la phase de montée en gains d'échelle.

En fait, il n'existe pas de mesure statistique des acteurs de ce secteur, dans son acception courante. Il apparaît toutefois que les modèles économiques et les stratégies de développement ne sont pas stabilisés. Le rapport Maria, Giraud, Ruet, Zérah (2002) identifie une cinquantaine d'entreprises impliquées dans les biotechnologies modernes en Inde et la stabilisation du secteur est en cours.

Les biotechnologies, plus intensives en capital, sont marquées par un savoir-faire d'ingénierie qui confère, à travers l'importance de la stabilité des partenariats, un caractère crucial à la localisation des différents acteurs. Bangalore a ainsi acquis un avantage compétitif pour des raisons locales. Pour les technologies de l'information, la tendance naturelle est à la globalisation, mais les relations contractuelles sont de court terme, et à cet égard les districts jouent pour des effets de marque (distinction d'image).

Dans le domaine des biotechnologies, il existe des marges de sous-traitance et de mise en commun de la recherche, eu égard à la faiblesse des partenariats qui existent aujourd'hui avec des acteurs étrangers. Il y a là une place, en particulier pour de jeunes entreprises françaises aspirant à se développer. Un marché est sans doute là en train de se créer, principalement à Delhi.

L'environnement des affaires

I. Approche du marché : les conseils d'un homme d'affaires indien

Mahendra Kumar JALAN, Consul honoraire de France à Calcutta

C'est un privilège pour un homme d'affaires de pouvoir s'adresser aujourd'hui à des sénateurs et à des entrepreneurs français, et je vous remercie de cette occasion que vous m'offrez.

Au cours des dernières années, des progrès importants ont été réalisés en Inde et la France a joué un rôle de catalyseur dans notre économie, grâce aux liens culturels qui se sont tissés et renforcés au fil des siècles. La pensée et la création françaises ont constitué une source naturelle d'inspiration pour les artistes et les auteurs indiens, et l'influence française s'est par exemple fait sentir de façon très nette dans une ville comme Calcutta, connue pour la richesse de sa vie culturelle. L'origine de la pensée démocratique constitue un autre point commun avec la France, et l'expérience de l'Ouest du Bengale constitue à ce jour la plus longue histoire de « gouvernance » par un parti élu dans le monde.

Sur le plan économique, la montée en puissance du secteur privé a illustré les évolutions de notre pays, et est allée de pair avec l'accroissement de la concurrence et l'ouverture d'un nombre croissant de secteurs. Le monde des affaires en Inde est sans doute le plus vaste marché du monde, et les opportunités y sont importantes en termes d'investissements directs étrangers. Des contrats d'externalisation existent aussi de façon importante dans le domaine de la recherche. L'Ouest du Bengale constitue le berceau de l'industrie indienne : cette région a vu se développer les activités manufacturières textiles. Mon expérience personnelle a commencé par une activité dans le domaine de l'acier. Mon entreprise est aujourd'hui présente dans l'agroalimentaire et je suis aujourd'hui récompensé de vingt années d'efforts.

L'investissement constitue toujours une activité pragmatique. Dans ce domaine, une étude a été réalisée par le cabinet McKinsey afin de procéder à des études d'opportunité et de faisabilité, et ce défrichage a été suivi de mesures concrètes visant à renforcer l'attractivité du territoire pour les investissements. Des résultats ont été obtenus, par exemple, à travers des projets d'investissement dans le domaine pharmaceutique. D'une façon générale, le gouvernement de l'Etat privilégie une politique « à la chinoise », visant à développer les investissements étrangers sans recourir à la réglementation. Merci à tous pour votre attention.

II. Des entreprises françaises témoignent
1. L'exemple de Suez

Marc PHILIPPE, Délégué régional du groupe Suez en Inde

Parmi les nombreuses activités du groupe Suez en Inde, j'évoquerai ici le secteur de l'eau et du traitement de l'eau en agglomération. Le taux d'urbanisation est aujourd'hui de 30 % en Inde, et devrait avoisiner 40 % dans les vingt prochaines années. Degrémont, filiale de Suez, s'est intéressée à l'Inde dès le début des années 80 et a réalisé ce qui demeure aujourd'hui la plus importante station d'épuration, à Bandhup. Puis la société a créé, en 1986, une joint-venture avec le groupe indien.

La société est devenue un acteur majeur du marché municipal indien, remportant 90 % des appels d'offres récents. Il faut signaler au passage le rôle joué par la qualité de la relation entre dirigeants, qui tient à un caractère particulier des affaires en Inde : la personnalisation des relations d'affaires. A ce jour, Degrémont India a construit 110 stations de traitement d'eau en Inde depuis 1986, dont par exemple l'une des plus grandes stations d'Asie de traitement des eaux usées, à Rithala.

Cette réussite tient, outre l'appui d'un partenaire dynamique, à l'appui sans faille de l'actionnaire français et à une « indianisation » poussée des équipes. L'appui des autorités françaises ont constitué un autre atout important, de même, au plan local, que l'identification d'un besoin auquel nous pouvions répondre.

2. L'exemple de BioMérieux

Pascal VINCELOT, Directeur général, BioMérieux Inde, Conseiller du Commerce extérieur de la France

Notre expérience en Inde constitue un succès, en interne mais aussi en externe : nous sommes en effet reconnus aujourd'hui par la communauté médicale indienne et nous sommes de ce fait régulièrement sollicités par les autorités pour participer à divers protocoles de contrôle. BioMérieux intervient aujourd'hui dans deux activités principales : le diagnostic clinique, où nous occupons le 8 ème rang mondial, et le contrôle de qualité alimentaire. Notre présence globale s'appuie aujourd'hui sur 12 sites de recherches et développement et 14 sites de production.

L'Inde présentait, dans ce contexte, l'intérêt d'un marché domestique important et d'une main-d'oeuvre très qualifiée, avec un marché du diagnostic in vitro croissant le plus vite au monde. en 1997, au début de l'étude, nous avions toutefois une perception contrastée de l'Inde, notamment en raison de l'échec que nous y avions essuyé dans les années 90. L'environnement d'affaires nous y semblait hostile, et l'avenir nous paraissait incertain pour nos produits. Ces idées se sont révélées fausses.

A la suite d'une longue année d'étude de faisabilité, un projet a été bâti autour d'une équipe, et plusieurs facteurs clés de réussite ont été identifiés :

- la connaissance culturelle du pays d'implantation ;

- une fine connaissance des marchés ;

- la multiplicité et la qualité des conseillers ;

- une offre de produit pertinente, de niche, après un ciblage correct.

Le projet s'est finalement traduit par la création, en décembre 1998, d'une filiale détenue à 100 % par le Groupe, recevant l'aval du Foreign Investment Promotion Board (FIPB). Il s'agit de la première société intervenant dans le domaine du diagnostic, prête à délivrer des innovations au marché indien. L'organisation commerciale de notre activité en Inde s'appuie aujourd'hui sur un bureau principal pour l'ensemble de l'Asie du Sud-Est situé à New Delhi. Nos effectifs comptent 54 personnes dans l'ensemble de l'Inde, à travers divers sites.

Plusieurs enseignements tirés de cette implantation :

- un délai d'approbation et de validation compatible avec le calendrier du projet défini en interne ;

- un système légal accessible et indépendant, correspondant à un Etat de droit ;

- un main d'oeuvre de haut niveau professionnel, avec pour principal enjeu la fidélisation du personnel ;

- une « décision client » longue dans son processus ;

- le caractère crucial de la réputation d'une entreprise.

Les principales difficultés que nous avons rencontrées, en fait, n'ont pas tenu à l'environnement indien lui-même, mais à notre compréhension, en interne, du pays et de la stratégie à définir pour s'y implanter de façon satisfaisante.

Jean-Louis LATOUR

Il me reste à remercier chaleureusement tous les participants qui ont bien voulu participer à cette rencontre, du côté de la tribune comme dans la salle. J'espère que nous nous reverrons tous prochainement en Inde pour aider les entreprises françaises à y conclure de brillantes affaires.

Synthèse réalisée en temps réel par la société Ubiqus Reporting
www.ubiqus-reporting.com
Téléphone : 01 44 14 15 00

LE GROUPE INTERPARLEMENTAIRE FRANCE-INDE

Le groupe interparlementaire France-Inde, créé en 1985, compte actuellement 46 membres et est présidé par M. Pierre FAUCHON, sénateur de Loir-et-Cher. Il a noué des liens étroits avec les autorités indiennes et notamment les deux Chambres du Parlement.

En septembre 2002, une délégation du groupe d'amitié a effectué une visite en Inde ; cette visite a fait l'objet d'un rapport « L'Inde au vingtième et unième siècle, entre tradition et modernité » (N° GA 42 - janvier 2003).

En France, le groupe d'amitié reçoit régulièrement différentes personnalités indiennes, notamment de nombreuses délégations parlementaires, aussi bien du Parlement fédéral que des Assemblées législatives des États indiens. En mai 2003, il a accueilli une délégation du National Defence College, l'équivalent de l'IHEDN.

LE FORUM D'INITIATIVE FRANCO-INDIEN

Le Forum d'Initiative Franco-Indien a été créé à la suite de la visite d'État du Président CHIRAC en Inde en 1998. Il vise à renforcer les liens d'amitié et de coopération, tant économiques que scientifiques et culturels entre la France et l'Inde. Pour la partie française, il est coprésidé, depuis l'origine, par M. Jean FRANÇOIS-PONCET, sénateur de Lot-et-Garonne.

Le Forum se réunit en session plénière, une fois par an, alternativement en Inde et en France et, pour la dernière fois les 13 et 14 octobre 2003 à Paris. A cette occasion les membres du Forum ont été reçus par le Président de la République et le Premier ministre, qui ont tenu à témoigner de leur attachement au resserrement des liens entre la France et l'Inde.

Entre deux sessions plénières, une réunion des coordonnateurs dans chacun des domaines d'activité abordés par le Forum est organisée afin de faire le point sur les différents projets en cours (scientifiques, économiques, culturels).


Colloque organisé sous l'égide du groupe interparlementaire France-Inde,
par la Direction des Relations internationales du Sénat
et la Direction « Evénements et Prospective Marchés » du C.F.C.E.
Pour toute information sur les colloques Sénat-CFCE, vous pouvez contacter
le Service des Relations internationales du Sénat :
M. Michel LAFLANDRE, Conseiller
Tél : 01.42.34.20.47 - Fax : 01.42.34.27.99 - Courrier électronique : m.laflandre@senat.fr
ou consulter le site internet du Sénat : www.senat.fr/international




(1) Le texte intégral de l' intervention de M. Singh, en anglais , assorti des graphiques et schémas correspondants, peut être téléchargé depuis le site du Sénat.



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