Une république sénatoriale ?

Promulguée le 4 octobre 1958, la constitution de la Ve République confère au Sénat un rôle éminent dans les institutions. L'universitaire et sénateur Marcel Prélot n'hésite d'ailleurs pas à parler de "République sénatoriale". Le président du Sénat devient le deuxième personnage de l'État et assure l'intérim de la présidence de la République.

Il nomme trois des neuf membres du Conseil constitutionnel. Aucune révision constitutionnelle ne peut se faire sans l'accord de la Chambre Haute. Assemblée permanente (elle est renouvelée par tiers tous les trois ans), le Sénat ne peut être dissous son rôle de représentant des collectivités territoriales est désormais inscrit dans la Constitution.

Dans la pratique, la formule de Marcel Prélot est peut être à nuancer. Certes, le vote de la loi est désormais confié à égalité aux deux assemblées. Mais en cas de désaccord prolongé sur un texte, le gouvernement peut confier aux députés le soin de trancher. Quant à la responsabilité du gouvernement devant la Haute Assemblée, la Constitution prévoit simplement que "le Premier ministre a la faculté de demander au Sénat l'approbation d'une déclaration de politique générale".

Conçu comme un élément de régulation, le Sénat va en fait voir son rôle évoluer, à partir de 1958, en fonction du contexte politique et institutionnel français.

1959-1969 : tensions avec l'Élysée

Après les élections de novembre 1958 et avril 1959, alors que l'Assemblée nationale est majoritairement favorable au gouvernement, le Sénat, lui, compte une proportion important d'élus du centre et de la gauche. Un premier conflit entre la Chambre Haute et le gouvernement s'engage dès 1959 ; à l'occasion de la rédaction du règlement intérieur, traditionnellement mis au point librement par la Chambre elles-mêmes, les sénateurs admettant mal que le Premier ministre Michel Debré, tente de restreindre leur contrôle sur le gouvernement.

En 1962, nouvel affrontement : le général de Gaulle annonce qu'il va soumettre à référendum un projet de révision constitutionnelle permettant l'élection au  suffrage universel du président de la République. Pour les sénateurs - et particulièrement pour Gaston Monnerville, président de la Haute Assemblée - cette procédure n'est pas conforme à la Constitution et elle dessaisit le parlement de ses prérogatives. Ils combattent vivement la démarche du chef de l'État mais échouent : une majorité de français votera pour la réforme. Dès lors, le Sénat est isolé, à la fois sur le plan protocolaire et législatif. Les ministres ne viennent plus y défendre leurs textes mais se font représenter par un secrétaire d'État, le président du Sénat n'est plus reçu à l'Élysée, les propositions de loi d'origine sénatoriale ne "passent" plus.

En 1969, une nouvelle épreuve de force s'annonce. Le Général de Gaulle décide de soumettre à référendum un double projet de réforme des régions et du Sénat. Outre les collectivités territoriales - qui éliraient cent soixante-treize sénateurs - le Sénat représenterait désormais l'activité sociale, économique et culturelle du pays, avec cent quarante-six sénateurs désignés. Mais surtout le projet aurait ôté toute attribution législative et tout droit de contrôle du gouvernement à la Haute Assemblée et aurait fait d'elle une simple Chambre consultative? De plus, il aurait retiré au président du Sénat, au profit du Premier ministre, l'intérim de la présidence de la République.

L'opposition est très vive chez les élus locaux comme au Sénat, où le nouveau président, Alain Poher, prend la tête du combat pour le "non" au référendum. Les résultats de la consultation d'avril lui donnerait raison : par 52,41% des suffrages exprimés, les réformes proposées sont rejetées. Pour la seconde fois depuis l'après-guerre, l'attachement du pays à l'institution sénatoriale est confirmé

1969-1981 : une rénovation réussie

Pour le Sénat, une nouvelle période s'ouvre alors. Le général de Gaulle s'est retiré de la présidence de la République, au lendemain du référendum, et c'est Alain Poher, président du Sénat, qui assure son intérim, jusqu'à l'élection de Georges Pompidou à l'Élysée.

La Chambre Haute retrouve son influence. Elle est à nouveau associée au travail législatif. Son rôle de "gardien des libertés" s'affirme, autour de textes touchant aux libertés publique (loi Marcellin sur le droit d'association en 1971, texte sur la fouille des véhicules en 1977, loi Informatique et Libertés en 1978).

Sa mission de contrôle se développe, avec la création d'une première délégation parlementaire en 1972 et surtout l'essor de commissions d'enquête et de contrôle qui abordent des thèmes intéressant le grand public : le nucléaire, les écoutes téléphoniques, la qualité des constructions scolaires. En 1974, après le décès de Georges Pompidou, Alain Poher assure une seconde fois l'intérim de la présidence de la République. Sous l'influence de son président, le Palais du Luxembourg modernise ses méthodes de travail et s'ouvre sur l'extérieur. Le Sénat, qui fête son centenaire en 1975, en présence de Valéry Giscard d'Estaing, président de la République, dispose donc des moyens nécessaires pour exercer pleinement son rôle. Un rôle d'ailleurs de mieux en mieux reconnu par l'exécutif puisque, entre 1975 et 1978, le Sénat est appelé à trois reprises à approuver une déclaration de politique générale du gouvernement.

1981-2023 : le Sénat au travers des alternances

En mai 1981, François Mitterrand est élu président de la République. Les élections législatives de juin donnent à l'assemblée nationale une majorité de gauche, en opposition avec celle qui siège alors au Sénat. Alain Poher prêche la modération dans l'accueil des textes proposés par le nouveau gouvernement : " le rejet pur et simple est un aveu d'échec ; seule la proposition, même si elle n'est pas retenue en définitive, démontre la qualité du travail parlementaire". Mais les divergences entre les deux chambre sont telles que le compromis devient très vite difficile.

Entre 1981 et 1986 presque trente pour cent des textes sont adoptés par décision définitive des députés. En 1984, le Sénat parvient, en utilisant les armes que lui donne la Constitution, à faire reculer le gouvernement sur un projet relatif à l'enseignement privé, la "loi Savary", qui soulève de vives protestations dans l'opinion. Plus généralement, le recours aux moyens de procédure, à la temporisation, deviennent pratique courante au Sénat. Avec les élections de mars 1986, qui donnent à nouveau la même couleur politique aux deux chambres, les relations du Sénat avec le gouvernement reviennent à plus de sérénité. Disposant d'une courte majorité au Palais-Bourbon, le nouveau Premier ministre, Jacques Chirac, s'appuie largement sur la Chambre Haute.

Dès l'ouverture de la première session, il se rend devant les sénateurs et demandera systématiquement l'approbation du Sénat sur les déclarations de politique générale de son gouvernement.

En 1988, après la réélection de François Mitterrand à la présidence de la République, le Sénat joue à nouveau un rôle de contre pouvoir. En 1990 un sondage réalisé à la demande d'Alain Poher par la SOFRES, montre que l'image de la Haute Assemblée n'a pas souffert, au contraire, de cette évolution. Une majorité de Français (62%) estime que le fait que la majorité sénatoriale ne corresponde pas à la majorité de l'Assemblée nationale est "une bonne chose, cela fait contrepoids et évite que tous les pouvoirs soient entre les mains du même camp".

L'institution sénatoriale, estime alors Alain Poher, paraît "bien enracinée dans notre vie publique".

En 1993, le Sénat, présidé depuis octobre 1992 par René Monory, fait pour la deuxième fois l’expérience de la cohabitation. La convergence entre la majorité du Sénat et celle issue des élections législatives du mois de mars permettent au Sénat d’exercer la plénitude de ses pouvoirs législatifs : les lois, pour l’ensemble, sont désormais adoptées par accord entre les assemblées. Le 27 mai, sur le fondement du nouvel article 88-4 de la Constitution qui permet aux assemblées parlementaires d’exprimer leur point de vue sur des propositions communautaires comportant des dispositions législatives, la première résolution européenne est adoptée en séance publique.

La loi constitutionnelle du 4 août 1995 modifie profondément le rythme de travail du Sénat par l’instauration de la session unique, qui permet aux assemblées parlementaires de siéger du premier jour ouvrable d’octobre au dernier jour ouvrable de juin. Cette organisation nouvelle a notamment pour effet l’épanouissement des activités de contrôle, jusqu’alors contingentées par le calendrier des sessions (80 jours d’octobre à décembre puis 90 jours d’avril à juin). Les instruments du contrôle sénatorial vont connaître dans les années suivantes une diversification croissante : auditions ouvertes au public, missions d’information, groupes de travail, débats en séance publique sur des travaux de contrôle des commissions, questions orales avec débat… Dans le même temps, la maîtrise de l’ordre du jour des assemblées par le Gouvernement, hérité de 1958, connaît une première limite avec l’instauration de l’ordre du jour « réservé » : un jour par mois est dédié aux initiatives du Sénat. Cette réforme décisive aura pour conséquence l’épanouissement des propositions de loi d’origine sénatoriale.

En mai 1999, M. Christian Poncelet, président depuis 1998, inaugure l’antenne administrative du Sénat à Bruxelles qui, installée dans les locaux du Parlement européen, contribue au renforcement de l’information du Sénat sur les dossiers en discussion dans les institutions communautaires.

La nouvelle alternance liée aux élections législatives du printemps 2002 permet au Sénat de retrouver une influence d’autant plus décisive dans le domaine législatif et en matière de contrôle du Gouvernement qu’un sénateur, Jean-Pierre Raffarin, devient premier ministre, et que sept autres membres du Sénat entrent au Gouvernement : Mme Nelly Olin, MM. Alain Lambert, Xavier Darcos, Gérard Larcher, Jean-Paul Delevoye, Michel Barnier, Hubert Falco. Le Sénat participe pleinement au processus d’élaboration des lois : tous les textes législatifs adoptés à partir de 2002 sont issus d’un accord entre les deux assemblées. L’entrée en vigueur de la nouvelle « constitution financière » (la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances ou LOLF) contribue à renforcer les pouvoirs de contrôle du Parlement et annonce un développement continu des missions de contrôle budgétaire par la commission des finances.

2003 est l’année de l’« auto-réforme » du Sénat. La loi organique du 30 juillet 2003, issue d’une proposition de loi sénatoriale, diminue la durée du mandat à 6 ans, abaisse l’âge d’éligibilité de 35 à 30 ans, augmente le nombre de sièges de 321 à 348 (objectif devant être atteint en 2011), parallèlement au passage progressif, de 2004 à 2011, à un renouvellement par moitié tous les trois ans (au lieu d’un renouvellement par tiers tous les trois ans). La réforme harmonise également les poids respectifs des scrutins majoritaire et proportionnel dans la perspective d’une représentation équitable des collectivités territoriales.

La même année, une initiative sénatoriale conduit à la réforme constitutionnelle du 17 mars qui annonce l’« an II de la décentralisation ». Fondée sur les principes de subsidiarité, d’autonomie financière et de péréquation, cette réforme inscrit dans la Constitution la compétence traditionnelle du Sénat à l’égard des collectivités territoriales. Le Sénat devra être saisi en premier des projets de loi concernant l’organisation des collectivités territoriales.

En 2007, une réflexion sur les méthodes de travail du Sénat est conduite à partir d’une étude comparée des pratiques en cours dans les autres parlements de l’Union européenne. C’est ainsi qu’est mis en place, dans le cadre de l’« ordre du jour réservé » instauré en 1995, un « droit de tirage » des groupes destiné à assurer aux initiatives de ceux-ci un débouché en séance publique.

Les élections de septembre 2008 ont confirmé la féminisation constatée lors du renouvellement de 2004 : sur 343 sénateurs, on compte désormais 75 femmes qui représentent 22 % des effectifs de l’assemblée.

A la suite de ce dernier renouvellement par tiers du Sénat, M. Gérard Larcher est élu président. Avec les nouvelles autorités élues, il exprime la volonté de recentrer l’activité du Sénat sur le « cœur de métier « : le travail législatif, le contrôle et la prospective.

La mise en œuvre de la révision constitutionnelle adoptée en 2008 poursuit la tendance au renforcement des droits du Parlement observée depuis 1995.

La priorité du Gouvernement dans l’élaboration de l’ordre du jour est limitée à deux semaines sur quatre. Sur les deux semaines par mois réservées aux initiatives parlementaires, une semaine est consacrée par chaque assemblée à ses travaux de contrôle de l’action du Gouvernement : cette fonction essentielle se voit donc constitutionnellement reconnue.

Dans la logique de la prise en compte des droits de l’opposition, déjà renforcés en 2007 par l’instauration du « droit de tirage », un jour de séance par mois est réservé à l’initiative des groupes d’opposition et des groupes dits minoritaires.

C’est sur le texte de la commission et non plus sur le texte proposé par le Gouvernement (ou transmis par l’Assemblée nationale) que s’appuie désormais la discussion des textes législatifs en séance, sauf en ce qui concerne la discussion des lois de finance, des lois de financement de la sécurité sociale et des projets de loi constitutionnelle. Au Sénat, cette nouvelle procédure a été inaugurée dès le 3 mars 2009, avec le projet de loi pénitentiaire.

Les interventions militaires extérieures doivent faire l’objet d’une information du Parlement et, lorsque leur durée excède quatre mois, d’une autorisation de prolongation : le 22 septembre 2008, l’article 35 de la Constitution fut ainsi appliqué au Sénat pour autoriser le Gouvernement à prolonger l’intervention des forces armées françaises en Afghanistan.

Le 22 juin 2009, l’Assemblée nationale et le Sénat sont réunis en Congrès à Versailles pour entendre, pour la première fois, le message délivré au Parlement par le Président de la République en application du nouvel article 18 de la Constitution.

Dans la suite de la révision constitutionnelle, le Sénat introduit dans son Règlement, en juin 2009, le principe de l’organisation de débats d’initiative sénatoriale dans le prolongement de ses travaux de contrôle, ainsi que de séances de questions cribles sur un thème défini.

En décembre 2010 il fixe dans son Règlement les modalités d’exercice du contrôle du respect du principe de subsidiarité et les modalités de mise en œuvre du droit d’opposition, prévus par le Traité de Lisbonne.

Les élections sénatoriales de septembre 2011 conduisent au premier renouvellement par moitié du Sénat, en application de la loi organique de 2003.

Pour la première fois sous la Ve République le Sénat élit un président socialiste, M. Jean-Pierre BEL, qui met d’emblée l’accent sur la nécessité de renforcer le pluralisme ; la présidence de la commission des Finances est confiée à un sénateur du groupe d’opposition tandis que l’abaissement de 15 à 10 de l’effectif minimum d’un groupe politique permet aux dix sénateurs élus sous l’étiquette Europe Écologie-Les Verts de constituer le groupe écologiste.

Une septième commission permanente, chargée du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire est instituée pour renforcer la prise en compte du développement durable.

La nécessité d’assurer un suivi rigoureux de l’application des lois conduit par ailleurs à la création d’une commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

Enfin, une délégation à l’Outre-mer est chargée de veiller à la prise en compte des caractéristiques, des contraintes et des intérêts propres de ces collectivités et au respect de leurs compétences, ainsi que d'évaluer les politiques publiques les intéressant.

Depuis septembre 2014 : Gérard Larcher, Président du Sénat.

À la suite des élections municipales de mars 2014, les élections sénatoriales de septembre donnent une majorité à la droite républicaine. Le 1er octobre 2014, Gérard Larcher redevient Président du Sénat. Il sera réélu à ce poste en 2017 et 2020.





Personnages illustres

1918-1996
Une figure du radicalisme

Ingénieur de l'Ecole Supérieure des travaux publics de Paris, issu de la bourgeoisie parisienne, Etienne Dailly devient, à partir de 1952, exploitant agricole dans la région de Nemours, mais aussi consultant en études économiques et financières et en droit des affaires. Devenu parlementaire, il poursuivra cette activité de conseil : il sera administrateur de nombreuses sociétés et président de Lancia France de 1969 à 1971. Membre du Parti radical depuis 1946, il ne s'engage véritablement en politique que la quarantaine venue en devenant maire d'une commune de Seine-et-Marne, Montcourt-Fromonville, puis en entrant en 1959 au Palais du Luxembourg, où il siégera pendant trente-cinq ans.

En 1965, il deviendra maire de Nemours, puis, en 1967, président du Conseil général de Seine-et-Marne. Inscrit au groupe de la gauche démocratique (devenu par la suite le Rassemblement démocratique social et européen), grand défenseur de la Constitution de 1958, Etienne Dailly est élu en 1968 vice-président du Sénat et le reste pendant vingt-six ans. A ce titre, il remplace provisoirement en 1974 à la présidence du Sénat Alain Poher, pendant l'intérim de celui-ci à l'Elysée. Au sein de la commission des Lois du Sénat, Etienne Dailly se spécialise dans le droit des sociétés commerciales et le droit des affaires et participe activement au combat parlementaire de 1981 contre les nationalisations. Eminent spécialiste du règlement du Sénat, constitutionnaliste pointilleux, il joue également un rôle dans l'échec, en 1984, du projet de référendum sur la réforme de l'enseignement privé.

En février 1995, René Monory le nomme au conseil constitutionnel.

1896-1975
Militant, clandestin, sénateur

Fils d'un artisan charpentier, originaire des Pyrénées, Jacques Duclos “ monte ” à Paris dès l'âge de seize ans pour travailler comme pâtissier dans les hôtels de la capitale. Mobilisé en 1915, il est fait prisonnier en 1917 et se lie pendant sa captivité avec des prisonniers russes. A son retour, il adhère à la cause pacifiste puis rejoint, en 1920, la Xe section du futur Parti Communiste français et gravit très rapidement les échelons du parti : à vingt-neuf ans, il siège déjà au comité central. En 1926, Jacques Duclos est élu député de la Seine mais son engagement politique lui vaut de sérieuses difficultés.

Accusé de provocation à la désobéissance au cours d‘une campagne pour la paix au Maroc, Duclos, un temps protégé par l'immunité parlementaire, doit entrer dans la clandestinité en 1927 et ne pourra réapparaître qu'en 1931, à la faveur d'une amnistie. En 1935, il entre au Comité exécutif de l'Internationale communiste. Réélu au Palais-Bourbon en 1936, Jacques Duclos en devient le vice-président et y défend ardemment la cause des républicains espagnols. En 1939 son refus de désavouer le pacte germano-soviétique l'oblige à rentrer pour cinq ans dans la clandestinité.

En 1940, comme la plupart de ses collègues communistes, il est déchu de son mandat parlementaire. Sous le nom de Frédéric, il organise dans la France occupée le service de propagande du parti communiste et assume, avec Benoît Frachon, la direction de l'activité clandestine du parti. Membre de l'Assemblée Nationale constituante en 1945, puis député de la Seine, il est à nouveau élu vice-président de la Chambre des députés et se montre très actif dans l'hémicycle, notamment sur les questions de politique fiscale et de politique etrangère. en 1958, victime de la prise de position du PC au référendum, il est battu aux législatives.

L'année suivante, il est élu sénateur de la circonscription de la Seine. Président du groupe communiste du Sénat, il est membre de la commission des Finances, puis siège à la commission des Affaires économiques, et intervient fréquemment lors des débats budgétaires. La question algérienne est également au centre de ses préoccupations. Il intervient au Sénat chaque fois que sont discutées les mesures relatives au maintien de l'ordre et à la pacification et plaidera, après l'indépendance, en faveur de l'application loyale des accords d'Evian.

En 1969, à soixante-douze ans, il défend les couleurs du PC face à Alain Poher, président du Sénat, et à Georges Pompidou, dans la course à la présidence de la République. .

1902-1984
La voix des Français de l'étranger

Né à Casablanca, Louis Gros y débute comme avocat avant la Seconde Guerre mondiale, tout en prenant part à la vie publique, comme directeur du journal L'Ordre Marocain et comme membre de la Commission municipale de Casablanca. En 1948, il est élu au Conseil de la République, où il représente les Français du Maroc.

C'est le début d'une carrière parlementaire largement dédiée à la représentation des Français expatriés et aux questions générale des Nations-Unies, puis il sera membre, de 1958 à 1965, de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et, en 1965, de la Conférence des parlementaires de l'OTAN. Au Conseil de la République, dont il est devenu l'un des secrétaires en 1952, ses interventions portent notamment sur les questions relatives à l'Union Française et à l'Afrique du Nord.

Il participe également aux débats sur les affaires financières et économiques et sur la politique étrangère. siège sur les bancs des Républicains Indépendants et préside la commission des Affaires culturelles. En juin 1971, il est élu Premier vice-président du Conseil Supérieur des Français de l'étranger et sera membre, cinq ans plus tard, du groupe de travail interministériel chargé par le Premier ministre d'étudier les conditions de vie des Français à l'étranger. En 1974, il est élu vice-président du Sénat. En 1977 Alain Poher, président du Sénat, le nomme au conseil constitutionnel.

1920-1993
Un philosophe dans l'action

A vingt-deux ans, Jean Lecanuet conjugue déjà la passion des idées et le goût de l'action. En 1942, il est le plus jeune agrégé de philosophie de France, mais il est également membre du réseau de résistance du capitaine Michel, spécialisé dans les sabotages ferroviaires. Arrêté par les Allemands en 1944, il parvient à s'évader et termine la guerre dans la clandestinité. A la Libération, le jeune professeur de philosophie opte pour la carrière politique et participe à plusieurs cabinets ministériels MRP.

En 1951, il decroche son premier mandat parlementaire, en devenant député de Seine-Maritime, département dont il est originaire. En 1955, Edgar Faure le nomme secrétaire d'Etat à la présidence du Conseil. L'année suivante, nommé maître des requêtes au Conseil d'Etat, il est également chargé de mission auprès de Pierre Pfimlin, au ministère des Finances puis à la présidence du Conseil. En 1959, Jean Lecanuet est élu sénateur de Seine-Maritime. Au Sénat, il préside le groupe MRP et prend la tête de ce parti en 1962. Candidat du centre aux élections présidentielles de 1965, il contribue à mettre en ballottage le Général de Gaulle.

Elu maire de Rouen en 1968, il le restera durant vingt-cinq ans, veillant activement au développement et à l'embellissement de sa ville, qui est la toute première en France à instituer des rues piétonnes.

En 1973, Jean Lecanuet quitte le Sénat pour le Palais Bourbon mais il renonce à son siège de député l'année suivante pour prendre le portefeuille de la Justice, que lui confie à deux reprises Jacques Chirac.

Il fait alors voter l'abaissement de la majorité à dix-huit ans et défend la réforme constitutionnelle permettant à soixante parlementaires de saisir le Conseil constitutionnel.

En 1976, il devient ministre du Plan et de l'Aménagement du territoire du cabinet Barre. En 1977, Jean Lecanuet revient au Palais du Luxembourg et y préside, à partir de 1979, la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées. En 1978, il fonde l'Union pour la Démocratie Française (UDF), qu'il présidera pendant dix ans. Atlantiste, européen convaincu, partisan, dès 1965, des “ Etats-Unis d'Europe ”, il est élu député européen en 1979 et consacre les dernières années de sa carrière politique à ce combat européen, appelant avec enthousiasme au oui au référendum sur les accords de Maastricht.

1913-1993
Un socialiste du Sud-Ouest

Engagé dès l'adolescence dans les Jeunesses socialistes, André Méric entre tout aussi précocement dans la vie active. Apprenti mécanicien, le jeune Toulousain se forme pour devenir agent comptable, qualification qu'il obtient à la veille de son départ sous les drapeaux en 1939. Après l'armistice, il rejoint la Résistance mais il est arrêté et déporté au camp de Rawa-Ruska, en Prusse orientale. A la Libération, il est élu conseiller général de Haute-Garonne et devient, trois ans plus tard, le plus jeune sénateur de France, à trente-cinq ans.

Il est également maire, à partir de 1955, de la petite commune de Calmont et sera, sa vie durant, l'une des grandes figures politiques de sa région, célèbre pour son accent rocailleux et son franc-parler.

Vice-président du Conseil de la République, puis du Sénat, de 1956 à 1980, il remplace Alain Poher à la tête de la Haute Assemblée en 1969 quand celui-ci doit assurer l'intérim de la présidence de la République. En 1980, les sénateurs socialistes le choisissent pour présider leur groupe. L'année suivante, André Méric fait partie du conseil politique du candidat du Parti socialiste aux élections présidentielles, François Mitterrand.

En 1987, il est nommé vice-président de la commission chargée d'examiner la proposition de résolution sur la mise en accusation devant la Haute Cour de justice de Christian Nucci, ancien ministre délégué, chargé de la Coopération et du Développement. Il entre en 1988 dans le second gouvernement Rocard comme secrétaire d'Etat aux Anciens Combattants et Victimes de guerre et fait adopter un statut particulier pour les prisonniers du Vietminh pendant la guerre d'Indochine. Il se retire de la vie publique nationale en 1991...

1909-1996
Alain Poher

Ingénieur des Mines, diplômé de sciences politiques, Alain Poher commence un peu avant la guerre une carrière de haut fonctionnaire au ministère des Finances. Dès 1946, le ministre des Finances, l'un des pères de l'Europe, Robert Schuman, fait de lui son chef de cabinet. A la même époque, Alain Poher obtient son premier mandat parlementaire. Conseiller de la République de Seine-et-Oise de 1946 à 1948, il sera réélu sans interruption à la Haute Assemblée à partir de 1952 et y présidera, à partir de 1954, le groupe sénatorial du MRP.

Rapporteur général de la commission des Finances, il se voit confier un secrétariat d'Etat au sein

du ministère Schuman puis du ministère Queuille, avant d'être nommé commissaire général aux Affaires allemandes et autrichiennes. En 1957, Félix Gaillard l'appelle au secrétariat à la Marine, dans l'avant dernier ministère de la IVe République.

Européen fervent, Alain Poher assume des responsabilités importantes dans de nombreuses organisations qui préfigurent l'Europe moderne : président de la commission Transports de l'Assemblée commune du pool charbon-acier, président de la commission du marché commun, délégué à l'Assemblée parlementaire européenne puis président de celle-là.

Successeur de Gaston Monnerville à la présidence du Sénat en octobre 1968, Alain Poher en conservera le “ fauteuil ” pendant vingt-quatre ans. Dès son élection, il prend une part active dans la campagne du référendum d'avril 1969, dont l'échec entraîne le départ du général de Gaulle. Il assume alors les fonctions de président de la République par intérim, se présente à l'élection présidentielle, que remporte Georges Pompidou.

Alain Poher entreprend alors de rénover le fonctionnement de l'assemblée qu'il préside, en créant de nouveaux services, en donnant aux sénateurs des moyens supplémentaires, en ouvrant le Sénat sur l'extérieur. Cinq ans plus tard, la disparition de Georges Pompidou le conduit de nouveau à l'Elysée. L'influence du Sénat dans la vie politique est alors importante et la célébration du centenaire du Sénat, en 1975, est l'occasion de le rappeler.

En 1977, Alain Poher est élu président de l'Association des maires de France, élection qui conforte le rôle du Sénat dans la défense des collectivités territoriales.

A partir de 1981, devant une situation nouvelle, celle de l'alternance, Alain Poher sait faire jouer au Sénat un double rôle de modérateur et d'opposant.

En 1992, âgé de quatre-vingt-trois ans, il ne se représente pas à la présidence de la Haute Assemblée.

1923-2009
René Monory

Né en 1923, René Monory préside le Sénat depuis 1992. Elu maire de Loudun, sa ville natale, en 1959, il devient conseiller général de la Vienne en 1961, puis sénateur de ce département, sous l'étiquette UCDP (Union Centriste des Démocrates de Progrès), en 1968. Au Palais du Luxembourg, il est nommé, en 1975, rapporteur général de la commission des Finances. En 1977, Raymond Barre lui confie le ministère de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat. Réélu au Sénat la même année, il est à nouveau appelé en 1978 par Raymond Barre, comme ministre de l'Economie, charge qu'il assumera jusqu'en 1981.

Il mettra en place la libéralisation des prix et imaginera un système d'épargne populaire, les SICAV, auquel son nom reste attaché. En 1980, il est président du comité intérimaire du Fonds monétaire international. Il retrouve son siège au Palais du Luxembourg en 1981. Président du Conseil général de la Vienne depuis 1977, René Monory a également présidé le Conseil régional de Poitou-Charentes de 1985 à 1986.

En 1986, Jacques Chirac lui confie le portefeuille de l'Education Nationale.

En 1987, il crée à Poitiers le Futuroscope, le parc européen de l'image connu aujourd'hui dans le monde entier, et qui accueille plus de trois millions de visiteurs par an. En 1992, René Monory succède à Alain Poher à la présidence du Sénat. Il présidera le Sénat jusqu'en 1998.

1910-1987
La passion de l'indépendance

Fils d'un avocat parisien, Pierre Marcilhacy opte d'abord pour le journalisme - il entre à la rédaction de Paris-Soir - avant de reprendre en 1943 la charge d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation de son père. En 1948, il est élu Conseiller de la République en Charente, dans un canton que représente sa famille depuis le Second Empire. Au Palais du Luxembourg, il est brièvement membre du groupe des Indépendants, avant de rejoindre les non-inscrits et, bien que conseiller général et sénateur, ne fait pas mystère de sa conception nationale du métier d'élu.

En 1958, Pierre Marcilhacy fait partie des représentants du Sénat au Comité consultatif constitutionnel auquel est soumis l'avant-projet de Constitution de la Ve République. En 1965, il se présente, comme candidat “ libéral ”, à l'élection présidentielle mais ne recueille que 1,71% des suffrages exprimés. En 1969, il fait partie du camp des non au référendum sur le Sénat. Pour lui, la spécificité de la Haute Assemblée tient “ à la tradition et à la sérénité des élus municipaux, plus au fait des difficultés de la gestion politique que les électeurs de base ”.

Membre de la commission des Lois du  Sénat, Pierre Marcilhacy se voit confier, en 1970 et 1973, la présidence de deux commissions d'enquête et de contrôle dont les conclusions ne passeront pas inaperçues : leurs travaux portent sur les abattoirs de La Villette et sur les écoutes téléphoniques.

Partisan de la création d'un parti travailliste français, préférant se situer “à l'aile droite de la gauche plutôt qu'à l'aile gauche de la droite”, Pierre Marcilhacy soutient la candidature de François Mitterrand aux présidentielles de 1974 et, après l'élection de Valéry Giscard d'Estaing, ne ménagera pas ses critiques au nouveau président , publiant régulièrement dans Le Monde des articles aux titres retentissants. En 1980, il perd son siège au Sénat. En 1983, il est nommé par le président de l'Assemblée nationale, Louis Mermaz, au Conseil constitutionnel.

1913-1990
Un baron nordiste du gaullisme

Avocat de formation, fils d'un cadre des houillères nationales, Pierre Carous a trente-quatre ans lorsqu'il conquiert la mairie de Valenciennes. Gaulliste convaincu, il distance le maire sortant communiste de la ville. A ce premier mandat local, qu'il va conserver pendant quarante-et-un ans, s'ajoute en 1949 celui de conseiller général, puis de vice-président du  groupe de l'Union pour la Nouvelle République. Il est élu, en 1961, vice-président de l'Assemblée Nationale.

Après un court passage, entre 1963 et 1965, au conseil économique et social, Pierre Carous est élu sénateur du nord. Au Palais du Luxembourg, membre de la commission des lois, puis de celle des Affaires culturelles, il intervient notamment dans les débats qui touchent à l'administration des collectivités locales, au code rural, à l'urbanisme, au régime foncier. En 1971, il est élu à l'unanimité président du groupe de  l'Union pour la Nouvelle République (qui deviendra le groupe du Rassemblement Pour la République) et à ce titre, prendra la parole au congrès du Parlement réuni à Versailles en octobre 1974, sur une modification de l'article 61 de la Consitution permettant la saisine du Conseil constitutionnel par soixante sénateurs ou soixante députés. De 1968 à 1971 et de 1983 à 1986, Pierre Carous est élus à deux reprises vice-président du Sénat et préside, à partir de 1986, ma commission sénatoriale chargée de vérifier et d'apurer les comptes du Sénat.

Textes complémentaires

Le Sénat, défenseur de la République

En octobre 1962 , le président du Sénat Gaston Monnerville, exhorte les sénateurs à s'opposer au projet de réforme de l'élection présidentielle proposé par le  général de Gaulle. Le ton est vif : ce sont les prérogatives mêmes du parlement qui sont en jeu et, avec elles, la pérennité des valeurs républicaines. "Ce qu'on nous offre n'est pas la République ; c'est au mieux, une sorte de bonapartisme éclairé. Au plébiscite qui n'ose pas se découvrir, le Sénat répond : "Non", parce qu'il s'agit des libertés républicaines, et notamment de la liberté d'opinion, qui postule, pour être réelle, la liberté de l'information (vifs applaudissements prolongés)".

En mai 1975 , le Sénat de la République célèbre ses cent ans en présence du président de la République, Valéry Giscard d'Estaing. La brouille entre l'Elysée et le Palais du Luxembourg n'est plus qu'un mauvais souvenir, comme en témoigne la conclusion du discours du chef de l'Etat. "Dans cette salle où je me souviens être venu défendre le budget, comme jeune secrétaire d'Etat, l'esprit imprégné de la crainte révérencieuse qu'y faisait encore le souvenir de Joseph Caillaux, dans cette salle où se sont exprimés les plus grands talents de la politique française depuis cent ans, et dont nous sentons autour de nous les ombres hautaines ou débonnaires, ironiques ou tourmentées, dans cette salle où a retenti le langage de l'histoire, mais aussi, plus modeste et plus émouvant, la voix de tous ceux qui entendaient traduire à leur manière, les aspirations de leur terroir ou de leur ville, oui, dans cette salle, Mesdames et Messieurs les sénateurs, souffle une part de l'esprit de la France."

Le Sénat s'oppose au référendum

En avril 1984, François Mitterrand, président de la République, annonce qu'il souhaite soumettre aux électeurs un projet de révision constitutionnelle élargissant le champ du référendum de l'article 11 aux libertés publiques. Par la voix de son président, Alain Poher, le Sénat s'oppose à ce référendum sur le référendum qui ne lui paraît pas présenter des garanties constitutionnelles suffisantes.

"Pour ce qui concerne le texte du projet qu'il ( le président de la République) entend nous soumettre, je lui ai demandé de prévoir des garanties parlementaires constitutionnelles précises. En effet, je ne souhaite pas que se reproduise, dans un avenir sans doute lointain, un conflit comme ceux qui ont éclaté, en 1962 et en 1969 , entre le président du Sénat et le président de la République ; ce ne serait pas l'intérêt du pays. Il ne faut pour le futur, ni plébiscite ni question ambiguë ou mal posée."