Le discours de Bayeux

Le 16 juin 1946, à Bayeux, le général de Gaulle se prononce pour un bicamérisme équilibré.

"Il est clair et il est entendu que le vote définitif des lois et des budgets revient à une Assemblée élue au suffrage universel. Mais le mouvement d'une telle Assemblée ne comporte pas nécessairement une clairvoyance et une sérénité entières. Il faut donc attribuer à une deuxième assemblée élue et composée d'une autre manière la fonction d'examiner publiquement ce que la première a pris en considération, de formuler des amendements, de proposer des projets. Or, si les grands courants de politique générale sont naturellement reproduits au sein de la Chambre des députés, la vie locale, elle aussi, a ses tendances et ses droits."

Une République au fil de l'eau

Lorsqu'il faut, à la Libération, donner une nouvelle Constitution à la France, rares sont ceux qui souhaitent retomber dans le "parlementarisme absolu" de la IIIe. On envisage alors de supprimer la seconde Chambre. Cependant, en mai 1946, les Français repoussent par référendum (10 584 359 non contre 9 454 034 oui) un premier projet de constitution qui prévoit une assemblée unique. Le 13 octobre, un nouveau projet, qui institue un bicamérisme amoindri, en réservant le plein exercice du pouvoir législatif à l'Assemblée nationale, recueille 36,1% de oui et 31,3% de non. La IVe République naît de cette courte majorité. Tout en plaçant le Parlement au premier plan, la constitution multiplie les mécanismes destinés à freiner l'instabilité ministérielle. Ainsi, la démission collective du gouvernement ne peut désormais se produire que dans deux cas : si les députés ne votent pas la confiance au gouvernement (c'est la "question de confiance") ou si une motion de censure contre le gouvernement remporte une majorité de voix. Enfin, le gouvernement a le droit de dissoudre une Assemblée qui l'aurait renversé. On verra que toutes ces précautions vont se révéler pour le moins inefficaces ...

La seconde Chambre à la reconquête de ses pouvoirs

La Constitution de 1946 crée une Chambre Haute qui ne s'appelle plus Sénat mais "Conseil de la République". "La sagesse est parfois dans l'audace, la prudence dans l'initiative et dans le mouvement, rappelle Léon Blum, président du gouvernement provisoire de la République, lors de l'installation de cette nouvelle Chambre, et c'est pourquoi cette chambre de réflexion sera aussi une chambre de progrès et de création." En vérité, le tout-puissant Sénat de la IIIe a bel et bien cédé la place à une assemblée aux prérogatives diminuées, puisque le Conseil de la République ne peut initialement qu'émettre des avis sur les textes d'abord examinés - et finalement votés - par l'Assemblée nationale. Ses trois cent quinze membres - qui prennent le titre de conseillers avant de retrouver, dès 1947, celui de sénateurs, sont élus au suffrage universel indirect et représentent les collectivités communales et départementales. Élu président de la nouvelle Chambre le 27 décembre 1946, Auguste Champetier de Ribes est empêché par la maladie et décède en mars 1947. Gaston Monnerville lui succède au fauteuil et présidera sans interruption le Conseil de la République durant toute la IVe République. Il faudra à peine dix ans au Conseil de la République pour reconquérir une partie des droits de l'ancien Sénat. Très vite, en l'absence d'une majorité stable à l'Assemblée nationale, la seconde Chambre redevient un contrepoids politique. Dès 1948, souhaitant faire barrage au RPF, le radical Henri Queuille, président du Conseil, fait voter une loi rétablissant pour le Conseil de la République le régime électoral de la IIIe. Le Conseil redevient le "Grand Conseil des communes de France", d'autant plus que les sièges sont répartis de façon beaucoup plus équitable entre les départements. En 1949, le droit d'interpellation est rétabli, sous la forme de "questions orales" qui ne mettent toutefois pas en jeu la responsabilité ministérielle. Autre signe d'un retour à une tradition d'avant-guerre, c'est un vice-président du Conseil de la République, René Coty, qui entre à l'Elysée en 1953. Enfin, le 7 décembre 1954, une révision constitutionnelle rétablit la navette. Mais l'Assemblée nationale reste seule habilitée à statuer définitivement sur le dernier texte voté par elle...

La Chambre Haute manque de disparaître

Le moins que l'on puisse dire, c'est que la Constitution de 1946 a manqué son objectif : assurer à la France une véritable stabilité gouvernementale. Entre 1946 et 1958, pas moins de vingt-trois ministères vont en effet se succéder ! Comme aux plus beaux jours de la IIIe République, certains ne dépassent pas vingt-quatre ou quarante-huit heures d'existence. Entre l'opinion publique et le personnel politique, le fossé se creuse. "Les partis français ne gouvernent pas, ils occupent le pouvoir, ils ne veulent qu'un droit de veto sur leurs alliés et leurs rivaux ... le couronnement de ces impuissances combattantes, c'est le jeu parlementaire, un système de neutralisation mutuelle", note durement un observateur américain, Stanley Hoffmann. Seuls deux présidents du Conseil parviendront à s'assurer une relative marge de manœuvre. Investi en 1952, Antoine Pinay, sorte de "Raymond Poincaré" de la IVe, "tient bon" pendant près de neuf mois. De juin 1954 à février 1955, Pierre Mendès France bénéficie d'un état de grâce suffisant pour réaliser la paix en Indochine, mais il doit s'incliner devant une coalition résolue, autour du débat sur la question algérienne. C'est aussi autour de la situation en Algérie que la crise du régime va culminer. Le 13 mai 1958, les partisans de l'Algérie française prennent possession à Alger du bâtiment du gouvernement général. La France est au bord de la guerre civile. Le 15 mai, le général de Gaulle fait savoir qu'il se tient "prêt à assumer les pouvoirs de la République". Le 29, le président de la République, René Coty annonce qu'il a demandé à de Gaulle de former un gouvernement et qu'il démissionnera si l'Assemblée nationale refuse sa confiance au "plus illustre des Français". Justifiée, selon le chef de l'Etat, par "le péril de la patrie et de la République", la procédure est pourtant contestable et contestée : c'est à une chambre "de gauche" que René Coty demande l'investiture du leader gaulliste. Mais, conclut alors Jacques Julliard, la constitution née en 1946 "ne pouvait pas compter sur un seul homme qui se fît tuer pour elle (...) La IVe République est morte de peur, voilà la vérité".

Personnages illustres

1882-1947
Un juste en politique

Fils de notaire, petit-fils d'avocat, Auguste Champetier de Ribes débute à Paris une carrière “d'homme de robe” tout en s'initiant à la politique, dans le sillage de son maître et ami Albert de Mun. Il se range alors parmi les partisans du christianisme social, une doctrine qui ouvre une troisième voie entre individualisme libéral et syndicalisme révolutionnaire. Plusieurs fois blessé pendant la guerre de 1914-1918, Champetier de Ribes devient en 1924 député des Basses-Pyrénées et fonde la même année une nouvelle formation politique, le Parti Démocrate Populaire (PDP), qui comptera une quinzaine de membres à la Chambre. Appelé à plusieurs reprises à des fonctions ministérielles, il passe en 1934 du Palais-Bourbon au Palais du Luxembourg.

Le 10 juillet 1940, les deux Chambres réunies à Vichy votent les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Champetier de Ribes fait partie des quatre-vingts parlementaires qui votent contre. Il se retire aussitôt dans le Béarn où il devient président départemental du mouvement de résistance Combat, ce qui lui vaudra d'être arrêté et interné pendant dix-huit mois à partir de décembre 1942. A la Libération, nommé délégué à l'Assemblée consultative provisoire, il tente, sans succès, de promouvoir ses conceptions politiques, en unissant les trois branches de la “famille démocrate” : PDP, Jeune République et MRP. En janvier 1946, de Gaulle le nomme délégué du gouvernement provisoire auprès du tribunal militaire de Nuremberg. Il y représente l'accusation de la France, de la Belgique, de la Hollande et du Luxembourg. A son retour à Paris, Champetier de Ribes devient le premier président du tout nouveau Conseil de la République. C'est un homme malade et affaibli qui prend “le fauteuil”, raconte Le Monde des 29 et 30 décembre 1946 : “M. Champetier de Ribes, silhouette fragile au visage émacié et pâle, prononce l'allocution d'usage.” Réélu à la présidence de la seconde Chambre en janvier 1947, Champetier de Ribes est devancé par Vincent Auriol, président de l'Assemblée nationale, lors de l'élection à la présidence de la République. Malade, il ne pourra assumer la présidence du Conseil de la République : il décède en mars 1947.

1887-1958
L'élégante précision d‘un juriste de haut vol

Juriste, originaire de Bourges, Marcel Plaisant se spécialise dans le droit international en matière de protection de la propriété industrielle, avant d'entamer, à la fin de la Grande Guerre, une carrière politique. Elu député en 1919, il siège neuf ans au Palais-Bourbon puis devient sénateur en 1929. Spécialiste des questions de politique étrangère, il est à cette époque plusieurs fois délégué de la France auprès de la Société des Nations. Ancien combattant, il y défend passionnément les accords de Locarno. En 1940, Marcel Plaisant fait partie des quatre-vingts parlementaires qui refusent les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Entré dans la Résistance, il est arrêté en 1944. Longuement torturé par la Gestapo il devra sa libération à l'avancée des forces alliées.

En 1948, il entre au Conseil de la République, dont il préside, à partir de 1951, la commission des Affaires étrangères. Entre 1949 et 1951, il renoue avec les missions internationales, en représentant la France à l'assemblée des Nations unies. Lors du décès de Marcel Plaisant, en 1958, Gaston Monnerville tracera le portrait de cet orateur juriste. “Pour soutenir son argumentation, notre collègue était servi par une éloquence vraiment personnelle (…) Il avait en outre le respect de son auditoire et une négligence de forme, quelque laisser-aller dans ses propos, lui eût semblé une incorrection; son élégance naturelle - physique et morale - n'eût pas plus supporté une faute de langage qu'une tache sur son gilet. Sa culture était une courtoisie.”

1897-1972
La “Cassandre” du Luxembourg

Fils d'un employé des PTT, Marcel Pellenc va connaître plusieurs carrières en une seule vie. Polytechnique, Ecole nationale supérieure des PTT, Ecole nationale d'électricité : un solide bagage scienti-fique et technique le propulse à vingt-cinq ans directeur de la Radiodiffusion nationale. Il restera quatorze ans à ce poste, qui l'amène à effectuer de nombreuses missions de conseil à l'étranger. A la même époque, fort de cette expérience internationale, il est à plusieurs reprises délégué pour représenter la France auprès de la Société des Nations, tout en poursuivant une activité d'enseignant et de conférencier. Quelques mois avant la guerre, il est chargé de préparer les liaisons en Afrique du Nord. En 1940, souhaitant ne rien devoir à l'administration de Vichy, Marcel Pellenc décide, à quarante-cinq ans, d'entrepren-dre des études de médecine qui lui assureront une profession indépendante.

Pendant toute la période de la guerre, il fait partie du réseau “Ramsès” de l'armée clandestine et participe, grâce à un émetteur clandestin installé dans son propre appartement, à l'action des services de renseignements. Il devient docteur en médecine peu avant la Libération.

En 1948, Marcel Pellenc obtient son premier mandat électif en devenant le représentant du Vaucluse au Conseil de la République - mandat dans lequel il sera reconduit à trois reprises lors des scrutins suivants. En qualité de président de la sous-commission chargée de suivre et d'apprécier la gestion des entreprises nationalisées, il se fait très vite une solide réputation, en critiquant vigoureusement ladite gestion, notamment celle de la SNECMA ou de la SNCF. Il mène aussi une campagne active en faveur du rétablissement des prérogatives de la seconde Chambre, estimant que “la réforme constitutionnelle visant notamment le partage équitable du pouvoir législatif entre les deux assemblées, la raison aussi bien que l'examen des faits conduisent à en reconnaître l'évidente nécessité.”

Inscrit au groupe de la Gauche démocratique, rigoureux et redouté rapporteur général de la commission des finances du Conseil de la République en 1954, il assume à nouveau cette charge dans le Sénat de la Ve, à partir de 1959. Il participe activement au combat d'Alain Poher et de Gaston Monnerville contre le référendum qui soumet aux suffrages des Français le projet de supprimer le Sénat.

1899-1970
Gaulliste avant la lettre

Originaire du Béarn, courtier en grains, Edmond Michelet vient tard à la politique. Avant-guerre, il est proche du Sillon de Marc Sangnier et des idées de la démocratie chrétienne. Mais c'est parla Résistance qu'il entre réellement en politique. Dès 1940, il commande l'échelon régional du mouvement Combat puis de Mouvements Unis de Résistance. En février 1943, il tombe aux mains de la Gestapo et, après six mois au secret à Fresnes, est déporté à Dachau jusqu'à la fin de la guerre. A la Libération, désigné comme membre de l'Assemblée Consultative provisoire, Edmond Michelet devient l'une des figures du MRP. D'abord député de la Corrèze, il en est élu sénateur en 1952.De Gaulle fait de lui son ministre des Armées, portefeuille qu'il conserve après le retrait du général. Ce dernier lui confiera, à son retour en 1958, le ministère des Anciens Combattants puis celui de la Justice. En conflit avec le premier ministre Michel Debré, Michelet s'efface en 1962. Cinq ans plus tard, il devient député du Finistère et occupe à nouveau plusieurs postes ministériels : Fonction publique en 1967, ministre d'Etat sans portefeuille sous Pompidou et ministre des Affaires culturelles dans le cabinet Chaban-Delmas.

1912-1996
Le père de la Vème

Docteur en droit, maître des requêtes au Conseil d'Etat, Michel Debré n'a pas trente ans lorsqu'il devient chargé de mission auprès de Paul Reynaud, alors ministre des Finances du cabinet Daladier. Mobilisé en 1939 comme officier de cavalerie, fait prisonnier, il s'évade, gagne le Maroc puis s'engage dans la Résistance en France. En 1943 et 1944, il relaie en France les décisions du gouvernement de la France libre, installé à Londres puis à Alger. A la Libération, il est chargé de mission pour la réforme administrative auprès du général de Gaulle, qui préside le gouvernement provisoire. Il crée alors l'Ecole Nationale d'Administration et met en place des instituts d'études politiques, destinés à donner à l'Etat des hauts fonctionnaires de qualité. Le 7 novembre 1948, Michel Debré est élu sous l'étiquette Rassemblement des Gauches Républicaines au Conseil de la République, dans le département de l'Indre-et-Loire. Réélu en 1955 sous les couleurs du RPF, il préside le groupe gaulliste de la seconde Chambre. Il multiplie alors, dans l'hémicycle ou dans sa chronique hebdomadaire, Le Courrier de la Colère, les attaques contre la Constitution de la IVe. Le 15 avril 1958, il lance depuis la tribune : “Comment ne pas crier à tous les Français : “on vous trompe et on abuse de votre candeur. Faites comme vos ancêtres de 1789, de 1830 et de 1848 et révoltez-vous !””. Devenu le dernier président du Conseil de la IVe République, le général de Gaulle en fait son garde des Sceaux et lui confie la préparation de la nouvelle Constitution.

En 1959, Michel Debré devient le premier Premier ministre d'une Ve République dont il a largement contribué à dessiner les contours. Au printemps 1962, il passe le relais à Georges Pompidou et retrouve l'arène parlementaire en devenant, en 1963, député de la Réunion, siège qu'il conservera jusqu'en 1988. Mais dès 1966, il se voit de nouveau confier des responsabilités ministérielles : ministre de l'Economie et des Finances du troisième gouvernement Pompidou, il passe aux Affaires Étrangères dans le ministère Couve de Murville, et devient ministre d'Etat chargé de la Défense nationale, sous la présidence de Georges Pompidou. En 1973, son projet de réforme du sursis d'incorporation accordé aux étudiants suscite une vague de protestations chez les étudiants et les lycéens. En 1981, sa candidature à la présidence de la République ne recueille que 1,64% des suffrages en métropole et 2,94% outre-mer. En janvier 1989, à soixante-dix-sept ans, Michel Debré, auteur de nombreux ouvrages de réflexion politique, est reçu à l'Académie française.

1897-1991
L'homme qui a dit “non” au général de Gaulle

Né à Cayenne, Gaston Monnerville commence sa carrière d'avocat à Toulouse, au lendemain de la guerre de 1914-1918, puis s'inscrit au barreau de Paris en 1921. A trente-quatre ans, il s'illustre dans la défense de quatorze Guyanais traduits en cour d'assises après les émeutes déclenchées par la mort de Jean Galmot : avec ses confrères de la défense, il obtient pour eux l'acquit-tement. Sollicité pour se présenter à la députation en Guyane, le jeune avocat entre au Palais Bourbon en 1932 et devient sous-secrétaire aux Colonies en 1937 et 1938. Quand survient la guerre, Gaston Monnerville, en principe non mobilisable puisqu'il est parlementaire et âgé de plus de quarante ans, obtient de pouvoir s'engager dans la Marine. Démobilisé après l'armistice, il entre dans le mouvement de résistance Combat et fait partie des maquis d‘Auvergne, sous le nom de Commandant Saint-Just. Désigné en 1944 pour siéger à l'Assemblée consultative provisoire, Gaston Monnerville y préside la commission de la France d'Outre-mer et, l'année suivante, la com-mission chargée de préparer le futur sta-tut politique des Territoires d'Outre-mer.

Elu député de la Guyane à l'Assemblée constituante, Gaston Monnerville devient conseiller de la République de la Guyane en 1946 et est aussitôt désigné vice-président de la nouvelle Chambre Haute. En 1947, il est élu président du Conseil de la République. En 1948, il est élu sénateur du Lot. Il conservera le “fauteuil” de la Chambre Haute (Conseil de la République puis Sénat de la Ve) pendant vingt-deux ans. Devenu, aux termes de la Constitution de 1958 (à l'élaboration de laquelle il a contribué), le deuxième personnage de l'Etat, Gaston Monnerville joue un rôle de premier plan dans la vie politique française. En 1962, il est, au nom du respect de la Constitution, au premier rang des opposants au référendum instituant l'élection du président de la République au suffrage universel. La presse le présente alors comme “l'homme qui a dit non au général de Gaulle”. Après 1962 et jusqu'en 1968, date à laquelle Gaston Monnerville annonce son intention de ne pas se représenter à la présidence du Sénat, les rapports entre le Petit Luxembourg et l'Elysée seront de plus en plus tendus. L'ancien président du Sénat fera d'ailleurs connaître en 1969 sa désapprobation à l'égard du projet de réforme du Sénat proposé par le général de Gaulle. Nommé en 1974 au Conseil constitutionnel, Gaston Monnerville y siégera jusqu'en 1983.

1876-1968
De l'affaire Dreyfus à la construction européenne

Figure emblématique de la SFIO, Marius Moutet aura connu trois Républiques. Quand il naît sous la IIIe, à Nîmes, ses choix politiques sont déjà fixés ! “Dans la petite ville où nous habitions, ma famille, comme toutes les autres familles, se divisait très simple-ment entre les “blancs” et les “rouges”. Mes parents faisaient partie des rouges et j'étais très fier qu'ils aient été partisans de la fondation de la République.” A vingt ans, il adhère au groupe des étudiants socialistes de Lyon. Deux ans plus tard, il fonde avec Edouard Herriot la première section lyonnaise de la Ligue pour les Droits de l'Homme. En 1914, il se présente à la députation dans le Rhône et sa campagne est marquée par le soutien de Jaurès qui prononcera à cette occasion son dernier discours, à la veille de l'attentat du Croissant. Fervent défenseur des droits de l'homme, il plaide en 1917 en faveur de Joseph Caillaux devant le Sénat réuni en Haute Cour de justice.

Devenu député de la Drôme en 1929, Marius Moutet se voit confier à plusieurs reprises le portefeuille des Colonies et met en place une politique économique et sociale marquée par des décisions hautement symboliques, comme la suppression du bagne de la Guyane ou la nomination d'un gouverneur noir des Colonies, Félix Eboué. En 1940, Marius Moutet fait partie du groupe des “80” qui refusent les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Il devra passer toute la période de la guerre dans la clandestinité.

En 1946, il est chargé de négocier avec le gouvernement de Ho Chi Minh. Ministre des Territoires d'outre-mer, il fait également voter l'article 8 de la Constitution de 1946 qui prévoit l'évolution des populations d'outre-mer vers l'indépendance. En 1947, il entre au Conseil de la République comme représentant du Soudan puis, à partir de 1948, de la Drôme. Débute alors une nouvelle période de sa carrière, largement consacrée à la construction européenne. Membre de plusieurs instances européennes et internationales (Assemblée consultative du Conseil de l'Europe, Assemblée de l'Union de l'Europe occidentale, Groupe français de l'Union interparlementaire), il place au premier rang de ses préoccupations l'organisation de la sécurité et de la paix. Doyen du Sénat, il décède le 29 octobre 1968, à quatre-vingt-douze ans.

1882-1962
René Coty

Un Normand à l'Elysée Inscrit au barreau du Havre, la ville dont il est originaire, René Coty se tourne rapidement vers la vie politique. Il assume, avant la guerre de 1914-1918, plusieurs mandats locaux (conseiller muni-cipal, conseiller général, vice-président du Conseil général), puis obtient en 1923 son premier mandat parlementaire. Elu député, il est inscrit au groupe des républicains de gauche et intervient sur des questions touchant au commerce et à l'industrie. En 1935, élu sénateur, René Coty choisit de renoncer à son mandat de député pour siéger au Palais du Luxembourg. Après 1945, il est député de l'Assemblée nationale constituante puis de la première Assemblée nationale, avant d'être appelé par Robert Schuman au ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme. L'année suivante, il est élu au Conseil de la République.

Le 23 décembre 1953, à soixante-et-onze ans, René Coty devient le second président de la IVe République, au terme d'un scrutin “marathon”. Le climat de “marchandage” entre les partis est tel qu'il a fallu treize tours pour départager les votants ! Le style présidentiel du nouveau chef de l'Etat doit beaucoup à son épouse, qui devient rapidement une “première dame” très populaire. Mais le septennat de René Coty est marqué par une forte instabilité ministérielle, avec six cabinets successifs. La crise du régime - pourtant anticipée par le président qui plaide depuis plusieurs années en faveur d'une révision des institutions - culmine le 13 mai 1958. Devant la gravité des événements, René Coty décide d'appeler le général de Gaulle à former un gouvernement de salut public. En décembre 1958, il renonce à se représenter à la magistrature suprême.

Le 8 janvier 1959, il accueille sur le perron de l'Elysée son successeur, le général de Gaulle.

Audios et textes complémentaires

Discours du 27 mai 1975

Le 27 mai 1975, Valéry Giscard d'Estaing, revient, à l'occasion du centenaire du Sénat, sur les débuts de la IVe République. Le chef de l'Etat rappelle que la Chambre Haute a bien failli disparaître. “ (…) la dégradation de l'image du Sénat (…) explique qu'à la Libération, l'Assemblée constituante ait proposé un régime monocaméral. Mais le vote négatif des Français, le 5 mai 1946, plus clairvoyant que celui de ses premiers constituants, écarta cette solution. Il y a lieu, me semble-t-il, de se réjouir, car ce choix, en permettant le maintien d'une seconde Chambre, même sous la forme modeste du Conseil de la République, a préparé la renaissance du Sénat.
 

En dépit des précautions prises, dans les premiers textes constitutionnels de la IVe République, à l'encontre d‘un développement de son influence, le Conseil de la République acquit peu à peu, par la qualité de ses délibérations, par la sagesse et le courage de ses prises de position (…) une autorité qui lui permit en 1954 d'obtenir de l'Assemblée nationale une révision constitutionnelle propre à aménager de façon satisfaisante l'équilibre des pouvoirs législatifs entre les deux Chambres du Parlement.”