Rapport de groupe interparlementaire d'amitié n° 161 - 26 avril 2022



Sous le haut patronage de

M. Gérard LARCHER, Président du Sénat

Groupe interparlementaire d'amitié

France - Afrique de l'Ouest 1 ( * )

En partenariat avec Business France

Colloque économique international

sur la Côte d'Ivoire

Actes du colloque du 12 juillet 2021

Palais du Luxembourg

Salle Clemenceau

ALLOCUTIONS D'OUVERTURE

M. Arnaud FLEURY - Nous clôturons en beauté cette saison des grands rendez-vous Business France ; en beauté car nous nous réunissons en présentiel dans ce beau cadre du Sénat pour un partenariat toujours réussi entre Business France et le Sénat. Nous avons beaucoup parlé d'Afrique avec Business France avec des évènements notamment sur le Sénégal, sur l'Afrique de l'Est, sur la Tunisie, la semaine dernière sur le Nigéria et l'Afrique du Sud. Il nous semblait naturel de conclure sur la Côte d'Ivoire, poumon de l'Union économique et monétaire de l'Afrique de l'Ouest avec près de 40 % du Produit intérieur brut (PIB) et un pays qui a plutôt bien surmonté la crise sanitaire et représente de très nombreuses opportunités pour notre pays.

M. André REICHARDT, président du groupe d'amitié France-Afrique de l'Ouest du Sénat - « Messieurs les ministres de la Côte d'Ivoire, Monsieur l'ambassadeur, Monsieur le directeur général de Business France, chers collègues, Mesdames et Messieurs, chers amis si vous le permettez, je me félicite que le Sénat puisse accueillir aujourd'hui un grand colloque sur la Côte d'Ivoire dans le cadre de notre partenariat avec Business France. »

Ainsi s'exprime dans le message d'amitié que je vais vous lire le président Gérard LARCHER.

« Cet évènement s'inscrit dans la dynamique des forums Ambition Africa initiés en 2018 et dédiés au resserrement des liens économiques entre la France et l'Afrique, témoins d'une nouvelle dynamique des relations économiques et commerciales entre la France et ce continent africain. C'est ainsi que le Sénat avait accueilli un colloque sur le Gabon en mars 2019. Je tiens à remercier chaleureusement de leur participation à ce colloque les ministres du gouvernement de la Côte d'Ivoire. Leur participation est un signal positif pour nos entreprises qui ont répondu nombreuses à notre invitation - plus de soixante entreprises sont présentes, représentées par près de cent vingt personnes aujourd'hui. Permettez-moi de remercier tout particulièrement notre collègue André REICHARDT, président du groupe d'amitié France-Afrique de l'Ouest et Agnès CANAYER, présidente déléguée pour la Côte d'Ivoire. Mes remerciements s'adressent aussi aux différents organisateurs du colloque, en particulier Business France, et à nos représentations diplomatiques à Paris comme à Abidjan.

La Côte d'Ivoire est un véritable champion régional en matière économique. Le secteur privé y est aujourd'hui très actif et les opportunités d'investissement pour nos entreprises sont légion. Le pays a connu une croissance de 8 % entre 2012 et 2019 - cela a de quoi nous faire rêver. Et si la Côte d'Ivoire est le premier producteur de cacao au monde, elle est évidemment performante dans beaucoup d'autres secteurs. C'est le cas pour de nombreuses productions agricoles d'exportation, ce qui permet à la Côte d'Ivoire d'être le seul pays de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) à présenter une balance commerciale excédentaire. La Côte d'Ivoire possède également de grands atouts dans le secteur industriel, qu'il s'agisse de l'agroalimentaire, de l'énergie ou du bâtiment et des travaux publics (BTP).

Si la crise sanitaire a quelque peu ralenti la croissance ivoirienne, les fondamentaux structurels restent bons et permettent d'envisager une nouvelle décennie fructueuse pour son économie. Le pays possède notamment un réseau d'infrastructures denses et de qualité, héritées de la période du miracle ivoirien que le plan national de développement 2021-2025 va assurément continuer de développer. Chacun le sait, la Côte d'Ivoire présente également des atouts dans le secteur tertiaire, qui constitue un important gisement de croissance à moyen terme. C'est le cas dans le domaine bancaire, dans la distribution, mais aussi dans celui des technologies numériques. Il existe entre nos deux pays une étroite coopération en matière de recherche. J'ai pu le constater lors de ma visite en février 2020 d'un département de l'Institut national polytechnique HOUPHOUËT-BOIGNY à Yamoussoukro.

Les points forts de l'économie ivoirienne sont autant d'opportunités à saisir pour nos entreprises dans un contexte d'intensification de nos relations bilatérales à deux niveaux. Au niveau économique d'abord, la Côte d'Ivoire est notre premier partenaire commercial en Afrique de l'Ouest. Plus de sept cent de nos entreprises sont implantées dans le pays, ce qui constitue la plus forte présence française en Afrique subsaharienne. Premier investisseur étranger, la France est aussi le premier bailleur bilatéral de la Côte d'Ivoire et finance à ce titre, via l'Agence française de développement (AFD), des programmes structurants de développement. D'un point de vue politique également, la relation franco-ivoirienne est dense et dynamique, au plus haut niveau mais aussi entre nos parlements. Nous avons une coopération particulièrement riche avec le nouveau Sénat ivoirien car la Côte d'Ivoire fait désormais partie intégrante de la grande famille du bicamérisme. J'ai eu des échanges et j'ai des échanges réguliers avec mon homologue Jeannot AHOUSSOU-KOUADIO, que je salue. Les administrations de nos deux Sénats ont signé un accord de coopération pour faciliter la mise en place du bicamérisme en Côte d'Ivoire. J'ai eu l'occasion, en ouvrant à Yamoussoukro le premier quorum du Sénat ivoirien avec les collectivités territoriales le 17 février 2020, de souligner devant les maires et présidents de région les nombreux apports d'une chambre vouée à représenter les territoires. À cet égard, nos deux pays partagent des problématiques communes en termes de déséquilibres territoriaux - pour la Côte d'Ivoire, une région capitale et un espace littoral très attractifs avec un arrière-pays qui ambitionne de le devenir. Cette perspective, l'échange d'expériences dans les domaines de l'organisation territoriale et de la décentralisation entre nos deux pays, devrait contribuer pleinement à un développement équilibré et harmonieux des régions ivoiriennes, favorisant dans le même temps leur prospérité économique.

Voilà, mes chers amis, brossés à grands traits les principaux enjeux de cette journée, visant à pousser un peu plus encore les relations historiques et étroites entre la France et la Côte d'Ivoire. À tous, je vous souhaite de fructueux travaux, pour le plus grand bénéfice de nos deux pays. Je vous remercie. »

À titre personnel, en qualité de président du groupe d'amitié France-Afrique de l'Ouest qui recouvre seize pays, dont l'importante Côte d'Ivoire, je souhaite également m'adresser à vous. Messieurs les ministres, Monsieur l'ambassadeur, Monsieur le directeur général de Business France, chers collègues, Mesdames et Messieurs, notre objectif prioritaire est de mobiliser le capital humain et le potentiel démographique de l'Afrique et ainsi fournir au secteur privé les atouts dont il a besoin. Voilà ce qu'on peut lire dans la déclaration adoptée le 18 mai dernier à l'occasion du sommet sur le financement des économies africaines à Paris. Je suis donc particulièrement heureux de voir le Sénat, avec le soutien précieux de Business France, prendre sa part à cet objectif à la fois ambitieux et nécessaire. Ce colloque permet assurément de mettre en relation les experts publics et privés du marché ivoirien autour de thématiques très variées qui donneront lieu à autant de panels actifs. Le groupe d'amitié France-Afrique de l'Ouest que je préside s'intéresse naturellement de près à la situation de la Côte d'Ivoire. Il s'est d'ailleurs entretenu récemment, je viens de le dire, avec l'ambassadeur qui nous a rappelé que son pays avait retrouvé une stabilité politique depuis une dizaine d'années, ce dont il faut se féliciter. Cela ne peut qu'être bénéfique au climat des affaires. Je voudrais à mon tour insister sur la qualité de nos relations bilatérales. Le président de la République a d'ailleurs effectué son premier voyage officiel en Afrique en Côte d'Ivoire en novembre 2017, à l'occasion du sommet Union européenne-Union africaine. Les relations commerciales entre nos deux pays sont très resserrées et sept cent entreprises françaises sont implantées en Côte d'Ivoire.

Je voudrais également saluer la coopération parlementaire forte entre le Sénat ivoirien et notre assemblée, symbolisée par la signature - dont a parlé le président LARCHER - d'un accord avec son homologue ivoirien. Sur le plan économique, la Côte d'Ivoire est une puissance régionale qui dispose d'énormes atouts. Sa croissance économique était très importante avant la pandémie. Malheureusement, cette pandémie de Covid-19 a provoqué une crise économique mondiale sans précédent, aux conséquences sociales majeures. Après vingt-cinq ans de croissance continue, l'Afrique est cependant moins affectée que d'autres continents. Sur le plan sanitaire, l'Afrique n'en est pas moins également touchée - elle a connu la récession en 2020 et selon le Fonds monétaire international (FMI), 240 milliards d'euros seraient nécessaires sur la période 2021-2025 pour renforcer la réponse apportée par les pays africains à la pandémie.

Certaines économies africaines ne possèdent malheureusement pas toujours les capacités pour mettre en place de massifs plans de relance, raison pour laquelle le sommet de Paris a acté une série d'actions qui reposent sur deux axes importants, à savoir 1/ répondre aux besoins de financement pour promouvoir cette relance rapide, verte, durable et inclusive et 2/ soutenir une croissance de long terme stimulée par un secteur privé et un entreprenariat dynamique. La relance et la prospérité à long terme sont indissociables de réformes favorables au développement du secteur.

Je voudrais d'ailleurs, en ma qualité de sénateur, dire à quel point nous restons ici au Sénat attentifs au développement et à tout le moins au maintien de la coopération décentralisée. C'est naturellement important en sortie de crise de pandémie mais également face à la menace terroriste du djihadisme islamique qui commence à essaimer au Nord de votre pays. Nous souhaitons ainsi l'endiguer rapidement pour ne pas freiner la croissance de l'Afrique, et tout particulièrement de votre magnifique pays.

En conclusion, je vous souhaite à toutes et à tous des échanges fructueux. Investir dans le développement durable des économies africaines et dans leur population active en pleine expansion conduira à n'en pas douter à faire de l'Afrique la future championne de la croissance mondiale - c'est du moins l'objectif poursuivi par nos gouvernements respectifs et auquel ce colloque entend contribuer.

M. Franck RIESTER, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et de l'attractivité - Monsieur le président, Messieurs les ministres, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, je ne peux malheureusement pas être avec vous aujourd'hui du fait d'un déplacement à l'étranger de dernière minute. Je le regrette d'autant plus que vous m'aviez réservé, chers amis ivoiriens, un très chaleureux accueil à Abidjan, dès juin, fidèles à votre merveilleuse hospitalité dont on m'avait tant parlé.

Messieurs les ministres, je tiens néanmoins à vous dire à mon tour ici à Paris « Akwaba ». Je suis très heureux de vous savoir réunis ici au Sénat pour continuer l'important travail de renforcement des liens économiques entre la France et la Côte d'Ivoire dans la continuité des échanges que nous avons eus ensemble à Abidjan il y a seulement quelques semaines, et ce tout au long de ma visite. Que ce soit à l'occasion de l'évènement « Inspire & Connect » de BPI France qui a réuni près de quatre cent chefs d'entreprises français et ivoiriens, que ce soit à Treichville, à Koumassi ou encore lors de ma rencontre avec le patronat ivoirien, j'ai pu mesurer l'extraordinaire dynamisme et la grande énergie de votre magnifique pays. La Côte d'Ivoire est un phare en Afrique de l'Ouest et elle joue un rôle majeur dans le développement économique régional. Elle est un partenaire clé de la France sur le continent et je crois fermement en son potentiel, particulièrement dans cette période forte où elle vit une vraie transformation sous l'impulsion des réformes conduites par le président OUATTARA et le premier ministre ACHI.

Deuxième client et deuxième fournisseur de la France en Afrique subsaharienne, la Côte d'Ivoire est un pays central de notre stratégie économique internationale. Nos entreprises ne s'y sont d'ailleurs pas trompées. Plus de six cent d'entre, elles dont près de deux cent cinquante filiales, ont fait le choix de s'y implanter, d'y investir, d'y créer de la valeur et de l'emploi localement. Partout sur le terrain, j'ai senti une forte aspiration des acteurs économiques à renforcer encore les liens qui unissent nos deux pays. Madame la sénatrice CANAYER, ainsi que les quarante entreprises de la task force du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) international et de l'accélérateur Afrique de BPI France et Business France sont porteurs de la même volonté. Ces entreprises françaises, pleinement implantées dans le paysage ivoirien, parfois depuis plusieurs décennies, sont mobilisées pour accompagner les ambitieux projets de la Côte d'Ivoire. Je me réjouis que vous puissiez échanger autour de tables rondes sur les thématiques prioritaires de la Côte d'Ivoire : la ville durable ; la mobilité en pleine mutation à Abidjan avec le formidable projet de métro ; l'économie numérique, véritable accélérateur de la croissance ivoirienne, avec un écosystème très dynamique ; l'agriculture, secteur-clé en Côte d'Ivoire autour duquel nous voulons, avec le premier ministre ACHI et le ministre ADJOUMANI, nouer un partenariat pour développer les chaînes de valeur localement ; le sport enfin, qui a un rôle majeur à jouer dans l'éducation de la jeunesse et pour lequel la France et la Côte d'Ivoire ont construit ensemble la première agora, véritable poumon de culture, de sport et d'entreprenariat dans les quartiers ivoiriens. Dans chacun de ces domaines, l'offre française brille par son excellence, son expertise et son expérience. Dans chacun de ces secteurs, il existe des opportunités énormes pour co-localiser certaines de nos productions afin d'assurer la résilience des chaînes de valeur dont dépend la prospérité de nos deux pays.

Vous connaissez l'ambition de la France. Le président de la République l'a affirmée très clairement à Ouagadougou en 2017 : nous voulons inventer avec les pays du continent africain un partenariat renouvelé. Nous voulons que ce partenariat soit mutuellement bénéfique, de long terme, et qu'il réponde aux besoins concrets de développement du continent. Il est essentiel d'entretenir cette ambition partagée et d'encourager des synergies nouvelles, plus étroites et plus fortes encore entre nos pays et entre nos secteurs privés. Il faut créer de nouveaux partenariats entre nos gouvernements, mais aussi et peut-être surtout des partenariats entre les acteurs économiques, de chef d'entreprise à chef d'entreprise. Je sais que je peux compter sur la mobilisation de tous les acteurs de l'équipe France pour cela : notre ambassade, le service économique régional, l'opérateur Business France et BPI France, l'AFD, Expertise France, les conseillers du commerce extérieur de la France, mais aussi la French Tech Abidjan, le club Abidjan ville durable ou encore le club agro que nous avons lancé avec le ministre d'État ADJOUMANI lors de mon déplacement. Cet écosystème d'affaires franco-ivoirien engagé témoigne de la vitalité des relations entre nos deux pays et de la volonté de tous les acteurs de dessiner ensemble un destin commun, main dans la main, pierre après pierre.

Chers amis, je ne peux être présent parmi vous mais il est pour moi très important de vous adresser ce message : osons et construisons. Aux entrepreneurs français, je vous dis : osez la Côte d'Ivoire, et à mes homologues ivoiriens, je dis : continuez d'oser l'expertise française ; vous pouvez compter sur nos entreprises et sur notre totale mobilisation pour construire avec vous la Côte d'Ivoire de demain. À toutes et à tous, je vous souhaite de fructueux échanges.

M. Benoît TRIVULCE,
directeur général délégué de Business France

Monsieur le sénateur REICHARDT,

Monsieur le ministre chargé de la promotion de l'investissement, du développement et du secteur privé,

Monsieur le ministre de l'économie numérique, des télécommunications et de l'innovation,

Monsieur l'ambassadeur de Côte d'Ivoire en France,

Mesdames et Messieurs les sénateurs et chefs d'entreprise,

C'est un immense plaisir d'être parmi vous après dix-neuf mois de « diète ». Un moment comme celui-là incarne trois de nos convictions : la proximité, le partenariat et les projets. S'agissant de la proximité, l'aventure internationale est une aventure humaine et il faut davantage d'humanité, de cordialité et des moments comme celui-ci permettent de les atteindre. Pour le partenariat, différents acteurs interviennent ; sans partenaires, nous irons moins vite et moins loin ; je voudrais exprimer ma gratitude au président du Sénat et par extension à toute l'institution d'avoir pris l'initiative de ce colloque pour faire la promotion de la Côte d'Ivoire. Enfin, il n'existe pas d'action sans projet et je pense que l'investissement en Côte d'Ivoire est un projet qui doit rentrer dans la stratégie des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI).

Nous pourrions exprimer à travers trois grandes idées les raisons qui nous amènent à vouloir nous intéresser à la Côte d'Ivoire. Premièrement, il faut noter la robustesse de l'économie ivoirienne, qui croit de l'ordre de 7-8 % depuis sept à huit ans, mais surtout qui a su résister en 2020, contrairement à de nombreux autres pays. Deuxièmement, la Côte d'Ivoire est un pays business friendly et tech friendly. Le gouvernement ivoirien investit considérablement dans ces projets, avec deux priorités claires : des projets inclusifs et des projets portés par le secteur privé. Enfin, la Côte d'Ivoire est un hub régional sur tous les niveaux (logistique, agricole, économique, industriel, technologique). Les équipes de Business France le constatent tous les jours sur le terrain. Les entreprises françaises s'implantent et utilisent le volontariat international en entreprise (VIE) : les talents sont les armes de demain et il faut que ces talents soient français et ivoiriens.

Nous croyons énormément en l'Afrique, et particulièrement en la Côte d'Ivoire. Il a été décidé que la troisième édition de l'évènement Ambition Africa, qui avait regroupé plus de mille cinq cent entreprises, dont la moitié d'entreprises françaises, lors des premières éditions, se tiendra les 5 et 6 octobre 2021.

M. Emmanuel Esmel ESSIS,
ministre auprès du Premier ministre chargé de la promotion
de l'investissement privé de Côte d'Ivoire

Monsieur le président du groupe d'amitié France-Afrique de l'Ouest représentant le président du Sénat,

Son Excellence Monsieur l'ambassadeur de Côte d'Ivoire en France,

Mesdames et Messieurs les sénateurs,

Monsieur le directeur général de Business France,

Mesdames et Messieurs les dirigeants d'entreprise,

Chers amis de la presse,

Mesdames et Messieurs,

L'honneur m'échoit ce jour de m'exprimer au nom de Son Excellence le Premier ministre de la République de Côte d'Ivoire, Monsieur Patrick ACHI, qui aurait bien voulu vous livrer en personne ce message, mais des contraintes de calendrier l'en ont empêché. Cette représentation traduit toute la volonté de Son Excellence le Premier ministre de consolider les liens historiques entre la Côte d'Ivoire et la France. C'est donc mon devoir de lire son discours.

« Monsieur le président du groupe d'amitié France-Afrique de l'Ouest, représentant du président du Sénat, Monsieur Benoît TRIVULCE, directeur général délégué de Business France, Mesdames et Messieurs, je suis très heureux de m'adresser ce matin en cette auguste assemblée en séance inaugurale de ce colloque réservé à la Côte d'Ivoire et au cours duquel le gouvernement ivoirien prévoit des échanges avec des acteurs du secteur privé. Je voudrais vous remercier, Monsieur le président du Sénat et le directeur général délégué de Business France pour l'honneur qui est fait à la Côte d'Ivoire et de l'opportunité qui nous est réservée de parler de notre beau pays.

Comme je l'ai déjà indiqué, à plusieurs occasions, l'ambition du développement économique de la Côte d'Ivoire est résumée dans le projet de société « la Côte d'Ivoire solidaire » de Son Excellence Monsieur le président de la République Alassane OUATTARA, qui s'articule autour de cinq piliers. Le premier pilier repose sur la consolidation de la sécurité, de la paix et de la cohésion sociale. Le deuxième pilier porte sur la création de richesses, source d'emplois, et vise la transformation structurelle de l'économie ivoirienne par l'industrialisation. Le troisième pilier prévoit la création d'un cadre attractif de l'investissement dans chacune de nos régions, renforçant ainsi la compétitivité régionale et la création d'infrastructures économiques de qualité. Le quatrième pilier favorise le développement d'une administration plus efficace et plus engagée. Le cinquième pilier consiste à mettre le peuple devant un capital humain qui devrait être au coeur de grandes compétences pour porter ce projet de société.

Notre ambition est de propulser la Côte d'Ivoire dans le groupe des pays à revenus intermédiaires, avec une majorité d'Ivoiriens de classe moyenne, et d'assurer une croissance économique stable au cours des dix prochaines années.

Pour atteindre cet objectif, notre gouvernement compte faire du secteur privé le pilier de la croissance économique tout en créant un climat d'affaires plus concurrentiel en Afrique, pour rendre les entreprises plus compétitives et renforcer leur impact dans l'économie. C'est pourquoi je veux remercier très sincèrement les représentants du secteur privé ici présents. Le rôle du secteur privé dans le développement économique et social de la Côte d'Ivoire est absolument déterminant car le secteur privé constitue le principal levier de la création d'entreprises et de la création de richesses, d'innovations et d'emplois. C'est le secteur privé qui permet à l'État de rêver grand et de bâtir en grand. En effet, les deux-tiers des investissements et plus de 80 % des emplois dans notre pays sont créés par le secteur privé.

Depuis 2011, parce qu'il sait le rôle stratégique du secteur privé dans le développement économique et social, Son Excellence le président de la République et ses gouvernements successifs ont engagé d'importantes réformes structurelles et sectorielles pour améliorer l'environnement global des affaires avec plus de quatre-vingt-cinq réformes au total, maintes fois saluées par la communauté financière internationale. En dépit de la pandémie de la Covid-19 et de ses conséquences mondiales, la Côte d'Ivoire est l'un des rares pays qui affiche un taux de croissance de 2 % pour 2020, et de 6,5 % pour 2021 déjà. En effet, comme le relève la deuxième édition de l'Africa CEO Forum dans sa publication réservée aux économies africaines publiée en septembre 2020, la Côte d'Ivoire demeure le pays africain le plus attractif pour l'investissement pour les acteurs du secteur privé. Ce rapport est émis à la suite d'une enquête auprès de dirigeants d'entreprises. La Côte d'Ivoire a accompli d'importants progrès, mais notre ambition est de lui permettre d'intégrer la classe des pays à revenu intermédiaire d'ici 2030. L'essence même de notre mission, nous la connaissons. Le cap est clair, la route est droite : il s'agit d'accélérer radicalement l'industrialisation de la Côte d'Ivoire afin de générer des emplois pour tous et de continuer à réduire la pauvreté en la divisant par deux sur dix ans et en développant une classe moyenne très importante. L'État voit donc son rôle comme un catalyseur de l'investissement, un encadreur de l'initiative privée.

Mesdames et Messieurs, le changement de paradigme que nous portons, celui d'un État partenaire du secteur privé, d'un État moteur du secteur privé, doit être intégré par toutes les composantes de notre société ainsi que par nos partenaires. Il s'agit d'un engagement fort de l'État. Tous les membres du gouvernement sont ainsi mis en mission à cet effet. Il en est de même de toute l'administration et de ses fonctionnaires, du plus gradé au moins gradé. Encore une fois non pas tant pour servir l'administration, mais pour se mettre au service du secteur privé. Ce changement de paradigme est très important pour la suite de notre combat. L'idée du partenariat avec le secteur privé tire sa source de la vision de Son Excellence Monsieur le Président de la République et de son projet de société « une Côte d'Ivoire solidaire ». Ce partenariat passera par un dialogue stratégique, novateur et durable, disposant d'un agenda précis et respecté de toutes les parties. C'est donc à la lumière même de ce changement de paradigme si ardemment souhaité par Son Excellence Monsieur le Président de la République, que nous voudrions une fois de plus vous remercier, chers amis, acteurs privés français, pour votre présence qualitative à ce colloque.

Je conclurai Mesdames et Messieurs, chers sénateurs, chers acteurs du secteur privé, sur l'expression de cette ambition nouvelle, exaltante et exigeante. Car la réussite de notre partenariat est la seule des options à considérer, en nous souhaitant à toutes et à tous une excellente et fructueuse journée de débats et de résultats. »

PANEL N°1 :

« PERSPECTIVES ÉCONOMIQUES ET CLIMAT DES AFFAIRES » EN PRÉSENCE DU MINISTRE CHARGÉ DE LA PROMOTION DE L'INVESTISSEMENT PRIVÉ

Table ronde animée par M. Arnaud FLEURY, journaliste économique

Ont participé à cette table ronde :

M. Emmanuel Esmel ESSIS, ministre auprès du Premier ministre chargé de la promotion de l'investissement privé de la Côte d'Ivoire

M. François SPORRER, chef du service économique régional pour l'Afrique de l'Ouest à la direction générale du trésor (DGT)

M. Éric N'GUESSAN, directeur associé chez EY Côte d'Ivoire, fiscaliste

M. Philippe DUBOIS, directeur marché entreprises Afrique à la Société générale

M. Pedro NOVO, directeur exécutif en charge de l'export chez BPI France

M. Arnaud FLEURY - La croissance semble solide, potentiellement intéressante sur 2022 si la situation s'améliore durablement. Comment se portent les investissements étrangers aujourd'hui en Côte d'Ivoire et quel message souhaiteriez-vous faire passer aux investisseurs français qui, peut-être, ont retardé ou décalé leur volonté d'investir en Côte d'Ivoire ?

M. Emmanuel Esmel ESSIS, ministre auprès du Premier ministre chargé de la promotion de l'investissement privé de la Côte d'Ivoire - De 2011 à 2020, l'investissement direct étranger (IDE) en Côte d'Ivoire est passé d'environ 230-250 millions de dollars à 1 milliard de dollars. 2020 a vu apparaître une forte décroissance en raison des effets de la Covid. Si les flux d'investissement mondiaux ont subi une baisse globale de 42%, la Côte d'Ivoire a aussi connu environ 40 % de baisse de ces IDE. Mais nous voulons faire passer le message selon lequel la Côte d'Ivoire est un pays où la multiplicité des opportunités d'investissement rendent l'économie très résiliente : 2 % de croissance en 2020, 6,5 % de croissance en 2021 et une projection de 8 % de croissance pour les quatre prochaines années. Cela signifie que l'investissement direct étranger va très fortement rebondir et que les opportunités d'industrialisation, d'intégration des filières, d'infrastructures, d'énergie, font qu'il s'agit d'une plateforme. La Côte d'Ivoire fait en outre partie de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), une communauté de quinze États représentant 350 millions de personnes. La Côte d'Ivoire fait également partie de l'Union monétaire Ouest Africaine (UMOA) regroupant huit pays partageant la même monnaie et 150 millions d'habitants.

M. Arnaud FLEURY - Selon le classement de Doing Business, votre pays est dans le top 10 mondial des pays réformateurs ayant un climat d'affaires amical. Néanmoins, votre pays demeure au-delà de la cent-dixième place dans le classement général, bien que vous ayez progressé ces dernières années. À quelles prochaines grandes réformes peut-on s'attendre ? Que souhaite le monde économique et quels sont les axes de progrès qu'il réclame, notamment une fiscalité plus juste, élargie et une justice plus indépendante ? Quel message souhaitez-vous faire passer à cet égard ?

M. Emmanuel Esmel ESSIS - Nous sommes engagés dans le processus avec Doing Business depuis 2013. Nous sommes passés de la cent-soixante-dix-septième place à la cent-dixième place aujourd'hui. Quand nous avons fait le benchmark, nous avons constaté que tous les pays ayant eu une forte progression sont allés vers la dématérialisation des actes et services. Le rapport 2021 n'a pas pu sortir mais nous avons quatre-vingt réformes en cours et nous avons lancé il y a quelques jours la création d'entreprise en ligne. Aujourd'hui, les impôts se font en ligne et la dématérialisation va permettre de faciliter la vie des investisseurs, de lutter contre la fraude et la corruption, et d'accélérer le processus de transparence. Si le secteur privé estime que les taux d'impôt sont excessifs et qu'il existe une pression fiscale, nous affirmons au contraire que cette dernière n'est pas suffisante. Notre taux de pression fiscale s'élève à 12 % alors que la norme communautaire s'établit à 20 %. Il nous est même reproché d'être sous-fiscalisé. L'impôt sur le bénéfice est très peu élevé, mais il faut mettre de l'ordre pour permettre au secteur privé de jouer pleinement son rôle.

M. Arnaud FLEURY - Le plan national de développement jusqu'en 2025 est très ambitieux, avec des priorités autour d'un développement économique plus inclusif, porté par le secteur privé. Quelles opportunités y voyez-vous ? En quoi le monde économique français pourrait-il vous aider à réaliser ces objectifs d'industrialisation et d'inclusion sociale pour le secteur privé ?

M. Emmanuel Esmel ESSIS - Nous avons eu deux plans de développement nationaux depuis 2011, cumulant environ vingt-trois milliards de francs CFA d'investissement public et privé, l'investissement privé représentant environ 50 % à 60 % de cet investissement total. Notre objectif de doubler le PIB par habitant d'ici 2025 et de le tripler d'ici 2030 nous amène à accélérer le processus. Le projet d'investissement sur la période 2021-2025 se chiffre à quarante-trois milliards de francs CFA, dont 70 % proviennent du secteur privé. Nous présentons en Côte d'Ivoire une pluralité d'opportunités. La France a un avantage dans le sens où la langue française est parlée en Côte d'Ivoire et où les entreprises françaises en Côte d'Ivoire y sont les plus anciennes.

M. Arnaud FLEURY - François SPORRER, je me tourne vers vous pour faire un point sur le cadre macro-économique. En quoi la Côte d'Ivoire est un hub ?

M. François SPORRER, chef du service économique régional pour l'Afrique de l'Ouest à la direction générale du trésor (DGT) - J'aimerais que vous reteniez trois idées. Premièrement, l'économie ivoirienne est extrêmement dynamique, diversifiée et résiliente. Deuxièmement, elle joue à la fois un rôle de locomotive et de hub régional en Afrique de l'ouest. Troisièmement, la relation économique entre la Côte d'Ivoire et la France est privilégiée.

Sur la dynamique, les chiffres ont été donnés, avec une très forte période de croissance depuis 2011. Cela est lié à la taille du marché ivoirien et à la diversification de l'économie ivoirienne. Nous assimilons souvent la Côte d'Ivoire à un grand pays agricole mais il s'agit aussi d'un pays industriel. L'industrie pèse plus lourd dans le PIB de la Côte d'Ivoire (22-23 %) que l'agriculture (21-22 %).

Enfin, plus de 50 % du PIB est constitué par les services. En 2017, les cours du cacao se sont effondrés de près de 40 % et la Côte d'Ivoire a néanmoins enregistré 7 % de croissance à la fin de l'année. Cela montre que le pays n'est pas tributaire de la seule rente cacaoyère, alors qu'il en est le premier producteur mondial. Tous les indicateurs sont bons. Seul un indicateur est orange, celui de la pression fiscale. La Côte d'Ivoire en est consciente et nous en parlons notamment avec le FMI. Si elle veut se donner les moyens de ses grandes ambitions en termes de développement d'infrastructures, elle doit accroître cette pression fiscale, non pas par une augmentation des taux mais par un élargissement de l'assiette. La digitalisation est l'un des outils très puissants pour parvenir à cet objectif. Quant à la résilience, la Côte d'Ivoire atteindra au minimum 2 % de croissance d'ici à la fin 2020, ce qui n'est pas le cas de tous les pays ayant vécu la crise sanitaire et économique.

Sur la dimension régionale, la Côte d'Ivoire est une locomotive dans la sous-région. Le géant Nigéria pèse environ deux tiers du PIB de la CEDEAO. Viennent ensuite deux poids moyens, à savoir le Ghana et la Côte d'Ivoire, qui sont d'une taille environ comparable avec 55 à 60 milliards d'euros de PIB. Puis viennent les autres pays, classés en une troisième catégorie. Vu de France, nous comparons souvent la Côte d'Ivoire et le Sénégal. Or, le PIB du Sénégal représente moins de la moitié du PIB de la Côte d'Ivoire. Le marché du Sénégal est certes un marché important pour la France ; il n'en est toutefois pas de même en termes de poids économique et d'influence régionale. Pour ce qui est de la plateforme régionale, Abidjan constitue en effet l'un des plus grands ports d'Afrique. Par ailleurs, l'aéroport et la compagnie aérienne Air Côte d'Ivoire ont des liaisons vers toutes les capitales d'Afrique de l'Ouest et centrale, et le pays exporte son électricité vers les pays frontaliers. En outre, le réseau ferroviaire constitue une artère névralgique pour le Burkina Faso voisin car il permet de transporter des matières premières. La Côte d'Ivoire est ainsi un hub logistique et de transport indéniable pour la région. Enfin, en termes de dimension sociale, la Côte d'Ivoire compte 25 à 26 millions d'habitants, dont environ 5 millions qui ne sont pas Ivoiriens mais viennent de la sous-région afin de trouver un emploi et rapatrier des revenus dans leurs pays d'origine. De ce point de vue, la Côte d'Ivoire a donc également un rôle de stabilisateur social très important dans la région.

M. Arnaud FLEURY - C'est d'ailleurs l'un des rares pays en Afrique qui, par les contributions de ses immigrés, reçoit moins qu'il n'exporte de devises dans la sous-région.

M. François SPORRER - C'est même l'un des rares pays au monde qui perd de l'argent sur les transferts de revenus : la Côte d'Ivoire perçoit environ 500 millions de dollars de transferts de revenus de la diaspora ivoirienne dans le monde, mais environ 1 milliard de dollars transite de Côte d'Ivoire vers le Mali et les autres pays de la sous-région.

Le rôle de plateforme régionale n'a pas échappé aux entreprises en général et aux entreprises françaises en particulier. De nombreuses entreprises françaises sont installées à Abidjan mais ont une compétence régionale (pays frontaliers, Afrique de l'Ouest, voire Afrique centrale). Compte-tenu des liens historiques et de la relation affective qu'a mentionnée le ministre, la présence française est massive, avec deux cent cinquante filiales au sens strict et entre six cent et sept cent entreprises qui ont été fondées et sont souvent encore dirigées par des compatriotes français en Côte d'Ivoire, essentiellement sur le grand Abidjan. Sur le plan commercial également, la Côte d'Ivoire est le deuxième débouché de la France en Afrique subsaharienne, derrière l'Afrique du Sud. En 2020, nous avons exporté 1,3 milliard d'euros vers l'Afrique du Sud - qui a été très affectée par la crise - et 1,1 milliard d'euros vers la Côte d'Ivoire. Le troisième marché est le Sénégal, vers lequel nous avons exporté 800 millions d'euros. Quant au Nigéria, la France n'y a exporté que 500 millions d'euros. Dans l'autre sens, la Côte d'Ivoire est notre deuxième fournisseur, derrière le Nigéria (pour le pétrole notamment). Nous avons des liens commerciaux très denses et assez diversifiés : la France exporte une multitude de produits vers la Côte d'Ivoire (médicaments, machines, agro-alimentaire, etc.). Compte-tenu de son tissu productif, la Côte d'Ivoire exporte essentiellement des produits agricoles. Quant aux investissements, l'écosystème ivoirien est extrêmement dynamique. Outre la chambre de commerce France-Côte d'Ivoire, il existe un cercle d'affaires, une chambre européenne dont les deux tiers des membres sont des entreprises françaises, des clubs sectoriels dynamiques (French Tech, club agro, club développement durable). L'écosystème est bouillonnant et s'inscrit dans un contexte serein et une volonté partagée d'aller de l'avant

M. Arnaud FLEURY - En ce qui concerne le plan de renforcement du secteur privé et d'inclusion sociale, la Côte d'Ivoire a-t-elle le cadre et les moyens de son ambition ?

M. François SPORRER - Le plan est très clair. Il existe probablement encore des mesures à prendre et les autorités ivoiriennes sont en train d'y travailler pour améliorer le cadre de l'investissement et des affaires. Toutefois, la Côte d'Ivoire était déjà business friendly , de par la mentalité du gouvernement en place depuis quelques années. Une inflexion supplémentaire est donnée dans le nouveau Plan national de développement 2020-2025, dans lequel le secteur privé aura un rôle crucial. Environ quatre cent mille jeunes Ivoiriens arrivent chaque année sur le marché de l'emploi. Or, la fonction publique offre entre dix et quinze mille emplois par an. S'il n'existe pas de secteur privé qui se développe et propose des emplois à ces jeunes, il y aura un problème social dans cinq ou dix ans. Cet appel au secteur privé n'est pas une posture mais une conviction intime des autorités ivoiriennes. Comme l'a affirmé le ministre, l'administration ivoirienne entre dans un nouveau paradigme visant à se mettre au service du secteur privé pour l'aider à se développer et à créer des emplois. Le défi est énorme. Il ne suffit pas de le décréter, il faudra aussi avoir une politique de formation sur tous les métiers techniques. La Côte d'Ivoire forme d'excellents ingénieurs mais les entreprises disent manquer de cadres intermédiaires. L'inflexion et la volonté sont bien présentes. Récemment, plusieurs responsables d'agences nationales, dont le management et les activités n'étaient pas satisfaisants, ont été remerciés par les autorités ivoiriennes. Nous rentrons dans un processus d'amélioration et d'accélération du développement, en faisant le pari que le secteur privé permettra au pays de se développer et de créer des emplois.

M. Arnaud FLEURY - Cela inclut la partie informelle, qui reste encore dominante dans le pays. Cette fameuse monnaie unique dont il est question, le franc CFA, a déjà partiellement été réformée. En cas de monnaie unique avec le géant Nigéria, la Côte d'Ivoire serait-elle perdante ou gagnante ?

M. François SPORRER - Je ne suis pas certain que ce soit une question simple. En ce qui concerne la monnaie unique de la CEDEAO, il s'agit d'une perspective qui n'arrivera pas avant longtemps car le Nigéria et les autres pays n'ont pas la même approche : le Nigéria ne souhaite pas se dessaisir de sa souveraineté monétaire au profit des quatorze autres pays alors que ces derniers ne veulent pas confier leur politique monétaire au géant nigérian.

Le franc CFA, tel qu'il existe aujourd'hui a fait ses preuves, encore tout récemment pendant la crise sanitaire, durant laquelle certains pays, protégés par cette monnaie, n'ont pas connu d'inflation, ou seulement de 1 % à 2 %. Le ministre appelle de ses voeux plus d'investisseurs à venir en Côte d'Ivoire. Un investisseur étranger qui investit cent millions de dollars dans une économie dans laquelle le taux de change est garanti de manière illimitée est plus rassuré que s'il investit dans un pays voisin dont la monnaie n'est pas comparable et où elle perd 15 % de valeur par an. Le franc CFA est un atout extrêmement fort pour la Côte d'Ivoire et les pays de l'UMOA. La réforme annoncée en 2019 par les présidents OUATTARA et MACRON a modifié la gouvernance du franc CFA sans toucher à son taux de change fixe garanti et illimité.

M. Arnaud FLEURY - Éric N'GUESSAN, directeur associé chez EY et fiscaliste, vous êtes particulièrement attiré par les sujets d'attractivité et de cadre des affaires. Il y a eu des avancées notables en matière économique et fiscale.

M. Éric N'GUESSAN, directeur associé chez EY Côte d'Ivoire, fiscaliste - Effectivement, nous connaissons la place occupée par la Côte d'Ivoire dans la sous-région et dans l'Afrique noire francophone, de nombreuses réformes ont été faites sur le plan juridique et fiscal. Sur le plan fiscal, un comité de réforme fiscale a été mis en place à la suite des plaintes du secteur privé. Quatre ou cinq pavés ont été traités par ce comité de réforme fiscale et ces rapports ont petit à petit été mis en oeuvre dans les projets de loi de finances. Le code des investissements a par ailleurs été retravaillé en août 2018.

Sur le plan juridique, un niveau d'appel a été introduit au niveau du tribunal de commerce d'Abidjan. Des textes en faveur de l'avènement d'une administration numérique ont été mis en oeuvre, ainsi qu'une réforme du droit pénal et du code des marchés publics.

M. Arnaud FLEURY - Que reste-t-il à faire ?

M. Éric N'GUESSAN - Le mieux est l'ennemi du bien. La Côte d'Ivoire s'est engagée dans un élan de réforme mais la question du cadre juridique et fiscal des sociétés en capital d'investissement est souvent posée. La loi uniforme en Afrique de l'Ouest a été transposée dans de nombreux pays, mais la Côte d'Ivoire ne l'a pas encore fait. Il faudrait le faire car cela favoriserait l'écosystème et les intentions directes d'investissement par les private equities notamment. Le taux de pression en lui-même ne pose pas nécessairement problème, contrairement à la question de l'assiette et de la prise en compte du secteur informel. Avec le secteur informel, nous perdons entre 40 % et 60 % des revenus potentiels. Or les réformes prévues donnent quelques idées permettant de capter un peu plus de revenus, libérant ainsi quelques multinationales qui s'estiment trop taxées.

M. Arnaud FLEURY - Aujourd'hui, la Côte d'Ivoire est peu engagée sur les obligations de contenu local par rapport à certains pays comme le Nigéria ou le Gabon, mais le gouvernement s'interroge sur l'opportunité d'imposer du contenu local. Pensez-vous que cela constituerait une contrainte pour le secteur privé international qui pourrait se détourner de la Côte d'Ivoire ?

M. Éric N'GUESSAN - Il s'agit d'une question sensible qui est liée surtout au niveau d'expertise dont dispose un pays. En soi, le contenu local est normal pour permettre l'éclosion d'une classe de main-d'oeuvre dans le pays, avec un transfert progressif de savoir-faire, mais la question est de savoir si nous disposons des ressources nécessaires pour satisfaire le besoin dans chaque pan de la société. Or nous sommes limités car dans l'industrie pétrolière par exemple, nous ne disposons pas forcément des connaissances en sismique, robotique, etc. Mais il faudra un jour y arriver.

M. Arnaud FLEURY - Il faudra arriver au contenu local, mais il faudra bien entendu monter en expertise et toute l'administration ne pourra pas tout absorber. De nombreux étudiants vont entrer sur le marché du travail. Le produit local peut être une solution mais il ne faut pas détourner les investisseurs internationaux.

M. Emmanuel Esmel ESSIS - Nous avons fait le choix d'aller à l'inverse d'autres pays. Depuis l'indépendance, la Côte d'Ivoire s'est déclarée comme un pays libéral. L'association dans le capital ou dans la valorisation des produits locaux conduit à obtenir un crédit fiscal additionnel. Nous sommes donc partis sur un système d'incitation plutôt que d'obligation. Nous avons essayé de voir comment les PME nationales pouvaient profiter davantage de ce système. Sur le secteur minier récemment, nous exigeons que certaines compétences soient apportées par certaines sociétés. Par exemple, la distribution de nourriture sur un chantier en mer est réalisée par une entreprise suisse. Nous avons ainsi rédigé un texte indiquant qu'en fonction des niveaux de technicité, il est exigé que telle ou telle prestation soit réalisée par une entreprise nationale. Le débat n'est pas encore terminé.

M. Arnaud FLEURY - Un point avait été fait sur les fonds Covid impulsés par les organisations internationales pour 2,5 milliards d'euros. Il a été dit que cela n'allait peut-être pas assez vite pour les PME et les entreprises.

M. Éric N'GUESSAN - Sur ce sujet, l'intention est bonne et louable. La Côte d'Ivoire, par rapport à d'autres pays, fait un effort massif en dotant ces quatre fonds d'un montant important. La question est toujours la même, celle de l'opération et de la destination finale, mais je ne peux pas dire que cela relève de la faute de l'État.

M. Arnaud FLEURY - La question du financement de l'économie est un grand projet et les PME ne seraient pas suffisamment financées par le système bancaire. Philippe DUBOIS, la Société générale est la première banque, toutes banques confondues, de Côte d'Ivoire.

M. Philippe DUBOIS, directeur marché entreprises Afrique à la Société générale - Exactement, la Société générale est la première banque de Côte d'Ivoire et dans la zone UMOA. Nous sommes présents en Côte d'Ivoire depuis soixante ans, donc nous avons pu croître et nous développer de manière très forte. Il s'agit d'une banque universelle qui s'adresse à tous les segments de clientèle. Nous avons quatre cent mille clients au total, principalement des clients particuliers, même si nous avons aussi des grandes entreprises et des PME. Nous avons également une plateforme régionale installée en Côte d'Ivoire qui permet de couvrir, pour certaines activités, l'Afrique de l'ouest, et pour d'autres l'ensemble de l'Afrique subsaharienne.

M. Arnaud FLEURY - Vous connaissez la critique du financement des PME : le crédit est souvent réputé cher, rare et peu profond en Afrique.

M. Philippe DUBOIS - Les PME représentent 90 % des entreprises dans le pays, 70 % de certaines catégories d'emploi et 40 % à 50 % du PIB. Une banque comme la nôtre doit être présente aux côtés des PME, et en particulier dans un pays comme la Côte d'Ivoire pour lequel il s'agit d'un segment lié à l'emploi essentiel. Il faut néanmoins trouver les bonnes réponses, en s'adaptant à la situation du pays et en essayant d'être original. En l'occurrence pour l'Afrique subsaharienne et en particulier pour la Côte d'Ivoire, nous avons développé un programme de croissance « Growing Africa » qui présente plusieurs piliers, dont l'un visant à accroître nos encours de crédits auprès des PME de 60 % en cinq ans. Nous faisons beaucoup par ailleurs pour l'entreprenariat féminin en Côte d'Ivoire avec des partenaires pour voir comment les aider à répondre à leurs principales questions dans leur cycle de vie (aide à bâtir un bilan, un business plan, etc.). Nous avons organisé des formations avec BPI France, en accueillant cinq cent PME. Cela nous a permis de développer notre activité et notre processus de crédit : la Société générale est ainsi capable de dire à un entrepreneur au bout de quarante-huit heures s'il peut avoir un crédit.

M. Arnaud FLEURY - Sur les financements de projets, les infrastructures en Côte d'Ivoire sont parfois vieillissantes et ont besoin d'être relancées. Il s'agit de savoir comment accompagner le développement économique, notamment dans l'électricité, où il existe des problématiques importantes pour le tissu productif. Vous avez des équipes de financement structurées basées à Abidjan pour la région. Que prévoyez-vous ? Quels crédits allouez-vous et avec quelle collaboration interbancaire ?

M. Philippe DUBOIS - Le financement des infrastructures est essentiel, comme celui des PME. Si nous ne sommes pas présents pour le financement des infrastructures alors que les besoins sont colossaux en Afrique, de l'ordre de 150 milliards d'euros par an, nous ne faisons pas correctement notre métier d'accompagnement du développement. Il faut cependant des experts connaissant aussi très bien les sponsors qui vont accompagner ces projets, comme EDF. Il faut donc des gens globaux et des gens installés localement, pour comprendre les marchés, identifier les projets et accompagner ces projets. Nous avons créé il y a cinq ans à Abidjan une plateforme de financement structurée avec vingt cadres venant de toute l'Afrique subsaharienne qui structurent les opérations avec les équipes locales. Cette combinaison d'expertises internationales et locales permet également de combiner notre capacité de financement. Nous pouvons ainsi proposer des prêts finançables sur sept à dix ans en monnaie étrangère.

Nous avons identifié un certain nombre de projets, sur lesquels nous travaillons en partenariat, notamment avec Proparco et des fonds d'investissement.

M. Arnaud FLEURY - Pedro NOVO, directeur exécutif en charge de l'export chez BPI France, que faites-vous pour les entreprises françaises qui prospectent et qui veulent investir en Côte d'Ivoire ?

M. Pedro NOVO, directeur exécutif en charge de l'export chez BPI France - Je voudrais tout d'abord revenir sur le financement. La Société générale est un acteur plus que prépondérant, leader et relativement systémique en Côte d'Ivoire. Il n'en demeure pas moins qu'elle est soumise, comme les autres banques, à une régulation régionale de la Banque centrale des États d'Afrique de l'Ouest (BCEAO). Ces contraintes font que les banques ne font pas d'avantages sur les durées, les taux, etc.

Pour les entreprises françaises, il faut d'abord comprendre la Côte d'Ivoire. Ce pays constitue un attrait, une curiosité, et de nombreux entrepreneurs y investissent car ils le connaissent.

D'autres entrepreneurs, notamment issus de la diaspora, ne considèrent pas encore la Côte d'Ivoire comme une opportunité et ne comprennent pas ce qu'elle offre en termes d'opportunités de développement économique pour leurs entreprises. En outre, il faut leur faire comprendre qu'ils doivent devenir des entreprises africaines, et en particulier ivoiriennes. Cette lecture du business comme un acteur qui vient et impose un modèle n'existe plus. Nous sommes dans une logique de partage et de transmission. À ce titre, le travail que nous faisons dans les accélérateurs est un travail dans lequel nous réunissons l'écosystème privé pour que face à face, ils construisent des projets communs, réfléchissent à des opportunités de développement ensemble.

Ensuite, la question des moyens financiers se pose. Ill n'y a jamais eu autant de moyens financiers pour mettre la Côte d'Ivoire à la portée du bilan des entreprises françaises en priorité. La Côte d'Ivoire demande de considérables moyens financiers car cela suppose de pouvoir investir sur place, embaucher, créer du stock, communiquer, recruter localement, créer des centres de formations. Il faut beaucoup d'immatériel avant d'être rentable, et cela se finance. Les moyens mis à disposition par le gouvernement français sur les outils de garantie publique et la réserve de puissance en matière d'assurance-crédit sont importants. Il existe également une réserve de puissance en termes d'assurance-prospection, un outil de financement qui met la Côte d'Ivoire en prospection et en démarche commerciale largement à la portée des entreprises avec quatre ans de différé, quatre ans d'amortissement et un taux quasiment à 0 %. Enfin, devenir ivoirien, cela signifie s'implanter, ce qui suppose de financer un besoin en fonds de roulement (BFR). Or nous avons des dispositifs de financement en complément de la Société générale et d'autres banquiers français, pour justement apporter des ressources efficientes et adaptées.

M. Arnaud FLEURY - Vous proposez aussi des financements en crédit-export à des entreprises ivoiriennes ou au gouvernement ivoirien clients d'une entreprise française, pour qu'ils achètent du made in France. Est-ce utilisé aujourd'hui par le tissu économique ?

M. Pedro NOVO - Pas assez. Le secteur public connaît bien le dispositif du financement international et structuré et est plutôt rigoureux dans son recours, mais la nouvelle barrière est celle du secteur privé. Il s'agit de démontrer aux PME, aux entreprises ivoiriennes qu'il est possible, en complément des solutions existant sur place, d'acheter le meilleur de l'industrie française, pour permettre à des entreprises françaises qui s'y établissent de coopérer avec eux au moyen de ressources financières, qui complètent des outils que le secteur public utilise déjà comme les prêts directs de l'État ou d'autres ressources de l'AFD ou de Proparco. Ces ressources ont permis de financer, par exemple, la digitalisation du cadastre de la ville d'Abidjan par une entreprise française, afin de sécuriser l'assiette foncière et d'avoir une opposabilité du titre foncier, condition préalable à l'investissement. De plus petites entreprises dans le transport, la santé, la boulangerie industrielle regardent la région avec beaucoup d'intérêt, notamment la Côte d'Ivoire, et proposent, au-delà de ce qu'elles vendent dans le contrat commercial, des solutions de financement pour que l'acheteur ivoirien puisse en faire l'acquisition.

M. Arnaud FLEURY - Quand vous avez réalisé votre évènement « Inspire & Connect » à Abidjan le mois dernier, j'ai compris que BPI France s'engageait à doubler ses interventions en Afrique. Que voulez-vous mettre en avant sur la stratégie de BPI France sur l'Afrique ?

M. Pedro NOVO - De nombreux moyens sont mobilisés et nous avons l'ambition de déployer beaucoup plus de ressources pour permettre aux entreprises françaises qui s'y intéressent de comprendre les enjeux et de devenir des entreprises ivoiriennes. La seule logique de projection d'une vente ou d'un contrat commercial ne suffira pas. Si nous voulons réussir et créer un destin commun, si nous voulons établir des entreprises françaises pour la création d'une valeur partagée, si nous voulons former les étudiants, les influenceurs locaux, les décideurs et capitaliser sur une diaspora qui se pose de plus en plus la question d'un retour d'investissement sur le pays en créant des entreprises à cheval entre la Côte d'Ivoire et la France, nous avons une réserve de valeur et de richesse énorme, sur laquelle nous sommes prêts à mobiliser des moyens.

M. Arnaud FLEURY - Votre bureau à Abidjan est pour l'Afrique de l'Ouest, mais vous ouvrez également à Dakar et à Casablanca pour le Maghreb, n'est-ce pas ?

M. Pedro NOVO - Tout à fait, Abidjan étant le hub régional pour BPI France.

M. Arnaud FLEURY - « Inspire & Connect » a été un grand succès à Abidjan.

M. Pedro NOVO - Pour ceux qui ne connaissent pas BPI France Innovation Generation (BIG), je vous invite à venir le 7 octobre prochain à l'Arena. Nous aurons en clôture un sommet à Montpellier le 7 octobre et « Ambition Africa » les 5 et 6 octobre. Il s'agit d'une très grande et importante séquence africaine en France que je vous invite à venir voir. Nous avons fait la même chose à Abidjan, en réunissant des entrepreneurs sous l'autorité d'Amadou COULIBALY et avec Franck RIESTER qui a emmené une délégation d'entreprises. Il s'agissait de mettre en contact des entrepreneurs. Trois-mille rendez-vous business ont eu lieu en une seule journée. Cela a été très intense, avec beaucoup d'espoir d'investissements communs.

De la salle - Je suis président du groupe DIMEX NET international (mécanisation agricole et minière). Vous avez parlé des possibilités de financement, de création d'emplois, de fiscalité, etc. J'ai une solution toute faite pour développer la création d'emplois depuis le Canada en amenant les systèmes d'irrigation, la machinerie agricole et tout l'aspect technique. Je voudrais savoir concrètement comment vous pouvez nous accompagner.

De la salle - Je suis dans le domaine du cacao. J'aimerais transférer ma filiale en Côte d'Ivoire mais je ne sais pas si je dois l'installer à Abidjan ou à l'extérieur d'Abidjan.

M. Emmanuel Esmel ESSIS - Il existe le centre de promotion des investissements en Côte d'Ivoire (CPICI), dédié aux investisseurs. Il informe, assiste, accompagne et donne aux investisseurs toutes les informations sur les avantages fiscaux et douaniers. Le code des investissements donne des avantages en fonction des zones d'établissement. À Abidjan, vous avez des avantages sur cinq ans. Dans une capitale de région, vous avez des avantages sur huit ans. En dehors de ces deux zones, vous avez des avantages sur quinze ans.

De la salle - Je suis chargé de développement économique chez Trendeo, l'observatoire de l'emploi et de l'investissement dont BPI France est partenaire. Ma question s'adresse au ministre Emmanuel ESSIS. Je voudrais vous remercier pour le CPICI et les innovations mises en place. Nous sommes une plateforme de veille sur l'emploi et l'investissement en France et dans le monde, et nous avons observé la mise en place en Côte d'Ivoire de l'Observatoire national de l'emploi et de la formation (ONEF), instrument que nous avons ici également. Il s'agit pour nous d'une opportunité pour accompagner l'ONEF et le CPICI.

PANEL N°2 :

« PERFORMANCES AGRICOLES ET POTENTIEL DE L'INDUSTRIE AGROALIMENTAIRE » EN PRÉSENCE DU MINISTRE DE L'AGRICULTURE ET DU DÉVELOPPEMENT RURAL

Table ronde animée par M. Arnaud FLEURY, journaliste économique

Ont participé à cette table ronde :

M. Kobenan-Kouassi ADJOUMANI, ministre d'État, ministre de l'Agriculture et du Développement rural de la Côte d'Ivoire

M. Patrick POIRRIER, président du groupe Cémoi

M. Jérôme FABRE, président de la Compagnie fruitière

M. Philippe BERNARD, président du groupe Bouchard

M. Arnaud FLEURY - L'agriculture est l'un des moteurs de l'économie en Côte d'Ivoire (25 % du PIB), premier pays producteur de cacao, de noix de cajou, etc. Où en est le développement économique de la Côte d'Ivoire aujourd'hui, Monsieur le ministre ? Êtes-vous satisfait du programme national d'investissement agricole, dont le coût est estimé à dix-huit milliards d'euros sur une période de sept ans ? Êtes-vous satisfait des résultats pour arriver à une autonomisation suffisante et une transformation de valorisation des cultures ?

M. Kobenan-Kouassi ADJOUMANI, ministre d'État, ministre de l'Agriculture et du Développement rural - Nous sommes très satisfaits des résultats. Notre pays a opté pour un développement économique basé sur le secteur agricole. Nous avons certes un nombre restreint de spéculations choisies et financées (café et cacao), mais elles ont joué le rôle de locomotive du progrès dans notre pays. Ce binôme nous permet aujourd'hui de tenir nos promesses au plan économique, car le café et le cacao, à eux seuls, représentent 40 % des recettes d'exportation. Cependant, nous n'avons pas uniquement ces spéculations. Nous avons un secteur agricole très diversifié, ce qui constitue l'un des points forts de l'économie ivoirienne passant souvent inaperçu. Nous pratiquons une large gamme de cultures, qui participe à notre économie : l'hévéa, le palmier à huile, le coton, la banane de serre, l'ananas, ainsi que le riz qui est un secteur très prisé, le manioc, le maïs, etc. Nous sommes très satisfaits car la mise en oeuvre du programme national d'investissement, avec les réformes opérées dans certaines filières comme celles du café, du cacao, du coton, de l'hévéa et du palmier, permet une croissance continue du produit national agricole. Nous sommes aujourd'hui leader africain, voire mondial, dans plusieurs productions.

M. Arnaud FLEURY - Quels sont les challenges pour le secteur agricole ivoirien ? Je pense à la mécanisation, à un moindre recours aux intrants étrangers, à l'inclusion et au renforcement de la performance économique de ces filières.

M. Kobenan-Kouassi ADJOUMANI - La production agricole a connu une croissance exceptionnelle ces dernières années mais il reste d'importants défis à relever. Il faut gagner le pari de la modernisation des moyens de production. Aujourd'hui, 60 % des exploitants agricoles ont plus de soixante ans. Il faut renouveler la classe des producteurs. Or il n'est pas possible d'attirer les jeunes dans l'agriculture si nous continuons à produire avec des dabas et des machettes. Il existe donc un véritable défi de mécanisation agricole et nous sommes dans une dynamique collaborative avec l'association Coopératives d'utilisation de matériel agricole (CUMA) par le biais du service économique de l'ambassade de France afin de développer des solutions viables et accessibles aux producteurs. Tout notre défi réside dans la disponibilité de semences de qualité. La plupart des exploitants agricoles est obligée de recourir aux semences importées. Or, avec les problèmes de transport et de conservation loin des zones de production, il arrive souvent que ces semences subissent des aléas, ce qui a des incidences sur leur taux de germination lorsqu'elles arrivent au niveau des producteurs. Un programme moderne est en cours pour faciliter l'installation de producteurs semenciers privés. Il existe aussi le problème d'irrigation, mais le défi principal reste celui de la conservation et de la transformation in situ de nos productions. La transformation locale est en effet très faible, ce qui implique que la plus grande partie de la valeur ajoutée de la production agricole est engloutie dans les exportations.

M. Arnaud FLEURY - Les industries agroalimentaires représentent 15 % du PIB (brasserie, minoterie, produits de la pêche, etc.), mais pas suffisamment sur les produits agricoles (café, cacao, banane, maraîchers, etc.). Avez-vous des projets d'avantages fiscaux pour développer les investissements en agroalimentaire de transformation ?

M. Kobenan-Kouassi ADJOUMANI - Nous avons une politique qui permet à tous ceux qui s'installent en Côte d'Ivoire pour faire de la transformation de bénéficier de certains avantages. Nous voulons que des investisseurs privés viennent en Côte d'Ivoire du fait des faveurs qui leur sont proposées. La France a toujours été un partenaire sûr pour la Côte d'Ivoire.

Au niveau de la transformation, nous sommes prêts à accepter toute demande d'implantation d'usines françaises en Côte d'Ivoire. Nous avons travaillé avec Cémoi, qui fait un travail remarquable, et nous voulons que d'autres entreprises françaises s'installent pour aider à moderniser la transformation sur place. Deux zones industrielles sont déjà prévues et dans la filière cacao, d'autres investisseurs privés que l'entreprise Cémoi sont attendus et nous espérons avoir des entreprises françaises. Nous avons mis en place un programme pilote de transformation agricole. Le développement du secteur agroalimentaire est très important pour notre pays, et nous sommes convaincus que les investisseurs français joueront un rôle de catalyseur dans la création de richesses inclusives et dans l'innovation.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur POIRRIER, vous êtes président du groupe Cémoi basé à Perpignan. Avec huit cent millions d'euros de chiffre d'affaires, quatorze sites de production en France sur toute la ligne du chocolat, de la fève au consommateur, vous êtes premier producteur mondial de cacao avec 40 % des exports. La filière fait néanmoins face à des défis, notamment en raison des cours bas en ce moment, contrairement à d'autres matières premières, et se pose toujours la question de la valorisation. Racontez-nous votre sentiment, en tant qu'acheteur principal sur la zone. Combien satisfaites-vous de vos besoins en Côte d'Ivoire ?

M. Patrick POIRRIER, président du groupe Cémoi - Je voudrais remercier le ministre ESSIS que j'ai rencontré à l'époque quand il était au CPICI. Je peux donc témoigner que le CPICI aide à l'investissement en Côte d'Ivoire et nous avons fait le choix, en tant que groupe Cémoi, d'être présent de la fève jusqu'au produit du consommateur, y compris au niveau de la zone économique d'Abidjan et sur toute la sous-région. Aujourd'hui, nous achetons 95 % de notre cacao en Côte d'Ivoire, qui est le premier producteur mondial. Nous mettons en avant la qualité du cacao ivoirien avec lequel nous travaillons déjà depuis le milieu des années 1990 pour la majorité de notre production de cacao.

M. Arnaud FLEURY - Vous avez monté une usine de transformation. À quel niveau la filière doit-elle se moderniser ? Peut-être faut-il avoir des plantations plus environnementales, penser à la reforestation, etc.

M. Patrick POIRRIER - Nous travaillons déjà avec des coopératives et le but est d'avoir un accès direct à un cacao de qualité avec des coopératives. Le défi auquel est confrontée la filière reste l'image que nous avons de plantations énormes. En réalité, la production de cacao en Côte d'Ivoire passe par une multitude de petits planteurs qui sont groupés en coopératives. Nous avons un programme « transparence cacao » qui nous permet d'aller au plus près des planteurs. S'agissant de la lutte contre la déforestation, dans la filière cacao, nous en sommes à l'étape suivante de reforestation. Il y a eu des modèles économiques dans les années 1980 avec des plantations en plein soleil alors qu'habituellement, les cacaoyers poussent à l'ombre de la forêt. Nous aidons ainsi les planteurs à replanter et à sélectionner des essences qui leur permettront d'avoir une retraite car ce bois assure de l'ombrage, lequel implique moins de dépenses de traitement pour le planteur et pas de perte de rendement. Une plantation sous ombrage produit bien, voire mieux qu'une plantation en plein soleil, et elle permettra aussi dans l'avenir d'avoir un revenu par le bois.

M. Arnaud FLEURY - Vous avez une usine de première torréfaction des fèves et une usine de produits finis de tablettes. Il y a eu de sérieux problèmes de coupure d'électricité cette année, ce n'est pas toujours très simple. Comment cela se passe-t-il : avez-vous l'intention d'investir de manière importante en CAPEX sur cette transformation ou pensez-vous que les conditions ne sont pas suffisamment réunies aujourd'hui ?

M. Patrick POIRRIER - Notre usine de première transformation tourne à feu continu du 1er janvier au 31 décembre. Nous avons donc besoin d'électricité. L'avenir de la transformation passera aussi par la cogénération. La transformation de cacao génère aussi des coques de cacao que nous pouvons valoriser en engrais dans les plantations de bananes, voire utiliser pour la production d'énergie. L'énergie est un facteur crucial pour nous. Nous pensons aujourd'hui à étendre cette entreprise, sachant que nous avons déjà fait des investissements importants. Nous avons en outre investi il y a une dizaine d'années sur une chocolaterie et fait le choix de la qualité avec un chocolat 100 % pur beurre de cacao. Ce projet est à la taille de la sous-région.

M. Arnaud FLEURY - Vous avez dit qu'il fallait travailler en cluster.

M. Patrick POIRRIER - Aujourd'hui, nous avons confié au planteur la première transformation qui est le goût, mais nous travaillons aussi sur des centres de fermentation qui permettent aux coopératives d'améliorer aussi leur rentabilité. Nous travaillons avec d'autres entreprises comme Airbus car nous avons besoin de géolocalisation, d'images satellites et de traçabilité. C'est un travail qui se fait en commun.

M. Arnaud FLEURY - Vous êtes une entreprise familiale et vous le revendiquez. Mais vous allez vous marier avec une entreprise belge et vous allez donc grossir. Allez-vous continuer à être aussi amicaux vis-à-vis de la Côte d'Ivoire, et cela ne va-t-il pas renforcer les acheteurs internationaux qui sont déjà très concentrés, ce qui a tendance à tirer les prix vers le bas ?

M. Patrick POIRRIER - Nous resterons une entreprise familiale. L'idée est de croître entre entreprises familiales pour pouvoir lutter à armes égales avec des entreprises qui continuent à se concentrer. Ce secteur doit continuer à se transformer, c'est la compétitivité, on doit continuer à avancer. Ce qui nous intéresse aujourd'hui est de pouvoir travailler en direct avec des planteurs et des coopératives. Le dernier point a trait à la qualité, au goût, mettre en avant l'origine ivoirienne, qui n'est pas assez visible de votre point de vue.

M. Patrick POIRRIER - Nous travaillons sur ces aspects. Nous indiquons « origine Côte d'Ivoire » sur tous nos emballages dès que nous le pouvons. C'est aussi par le travail du marketing pays que nous pourrons mettre en avant l'origine Côte d'Ivoire. Nous comparons souvent avec le café de Colombie : le marketing d'origine est un réel marketing permettant de valoriser une valeur immatérielle.

M. Arnaud FLEURY - Jérôme FABRE, vous êtes président exécutif de la Compagnie fruitière basée à Marseille, entreprise familiale avec sept cent millions d'euros de chiffre d'affaires, dont un tiers représenté par la Côte d'Ivoire avec principalement la banane, mais également la mangue et l'ananas. Vous êtes aussi dans une logique totalement intégrée. Pouvez-vous nous donner quelques chiffres sur la banane en Côte d'Ivoire ?

M. Jérôme FABRE, président de la Compagnie fruitière - Nous sommes complètement intégrés en effet. La banane en Côte d'Ivoire représente environ quatre cent mille tonnes, soit près de la totalité de la consommation française, qui s'élève à six cent mille tonnes, et environ 8 % du marché européen (environ cinq à six millions de tonnes). Il s'agit d'un opérateur important pour le marché européen - plus de la moitié des bananes ivoiriennes sont envoyées sur le marché européen, tandis qu'une partie est envoyée sur le marché régional, qui représente un vrai marché de croissance pour les productions agricoles.

M. Arnaud FLEURY - Vous êtes donc un acteur intégré, des plantations jusqu'à la distribution en Europe auprès des centrales d'achat, en passant par la logistique portuaire et maritime. Pour autant, la filière de la banane ne se porte pas très bien.

M. Jérôme FABRE - Nous sommes effectivement totalement intégrés, comme beaucoup d'entreprises internationales dans le commerce de la banane. Les marges sont extrêmement faibles - il s'agit d'une commodity et de ce fait, la compétitivité est très forte. Nous opérons tous avec la même variété de banane. Il existe deux mille variétés dans le monde et seules deux sont commercialisées. Il existe des effets terroirs mais aujourd'hui, 75 % du marché mondial est contrôlé par les latino-américains qui ont un avantage comparatif structurel car ils se trouvent en zone dollar. Le franc CFA, qui est un vrai soutien pour un pays comme la Côte d'Ivoire, lui donne aussi un manque de compétitivité par rapport au dollar qui est structurellement moins cher.

M. Arnaud FLEURY - Vous m'avez dit aussi que vous n'étiez pas soutenus par l'Union européenne. Que réclamez-vous ?

M. Jérôme FABRE - On parle beaucoup de local content, en disant qu'un investisseur français qui s'installe en Côte d'Ivoire doit développer du local content. Je suis d'accord et nous le faisons en travaillant avec de nombreux sous-traitants et partenaires de qualité ivoiriens. Cependant, une agriculture d'exportation a besoin de marchés, et pas uniquement de subventions. De ce fait, l'idée d'avoir un african content ou un ivorian content dans les achats des grandes et moyennes surfaces (GMS) françaises et européennes, et donc de donner une préférence à la banane ivoirienne et africaine, et aux fruits ivoiriens et africains de manière générale, cela semble être une idée qui peut faire sens.

M. Arnaud FLEURY - Aujourd'hui se pose la question de l'intégration. Qu'est-il possible de faire en intégration avec la banane ?

M. Jérôme FABRE - La banane, même s'il s'agit d'un produit de base, comprend de nombreuses segmentations. Nous avons joué sur la gustativité en créant par exemple une segmentation de bananes très gustatives, les bananes « suprêmes ». Nous pouvons aussi en faire de la farine, et des filières de fruits séchés se développent de plus en plus avec une réelle augmentation de la consommation. En matière de qualité de production, il existe aussi les filières équitables et nous sommes même aujourd'hui le leader du commerce équitable en France et en Afrique subsaharienne. Il existe également le bio, à ne pas négliger car les taux de croissance sont à deux chiffres. Ce sont autant d'exemples pour améliorer la valeur des produits au-delà de la transformation. Ces filières leader que sont le cacao, la banane et la mangue peuvent permettre l'émergence de produits de transformation (produits phytosanitaires, engrais) qui vont accompagner de nouvelles filières (papier en fibre de bananier par exemple) dans lesquelles il est possible d'avoir de l'investissement étranger, en partenariat avec l'investissement ivoirien. À la fin des années 1990, la Côte d'Ivoire était le leader mondial du commerce de la banane. Aujourd'hui, c'est le Costa Rica mais cela ne signifie pas que la Côte d'Ivoire ne peut pas revenir, avec un leadership mondial et des produits transformés.

M. Arnaud FLEURY - Pourquoi ne faites-vous pas l'emballage ?

M. Jérôme FABRE - Il s'agit d'une question de taille critique. Pour pouvoir faire une cartonnerie de taille significative, il faut un volume minimum. Or aujourd'hui, nous n'avons pas encore atteint la taille critique : la Côte d'Ivoire produit quatre cent mille tonnes de bananes par jour, alors que l'Équateur, qui est le principal concurrent, en produit huit millions de tonnes. En Équateur, il existe donc des cartonneries et des productions d'engrais dédiées à la banane, et même un ministre de la banane, mais en Afrique, nous n'avons pas encore atteint la taille critique.

M. Arnaud FLEURY - Je voudrais citer un rapport diligenté par l'Union européenne qui estime les besoins de la filière banane entre deux cent mille et quatre cent mille euros pour la Côte d'Ivoire. Il existe d'autres produits intéressants, les légumes, les agrumes, les autres fruits comme la mangue et l'ananas. Il faut professionnaliser tout cela et y croire.

M. Jérôme FABRE - La Côte d'Ivoire présente comme avantages d'avoir des terres, de l'eau, un climat très diversifié entre le Nord et le Sud du pays, des infrastructures, ainsi que des femmes et des hommes qui sont compétents en matière d'agriculture (travailleurs dans les champs et personnels d'encadrement). Il faut cependant développer une nouvelle génération d'agri-entrepreneurs. Il s'agit d'une filière rapidement créatrice d'emplois et dans laquelle nous pouvons aider à créer des entrepreneurs locaux.

M. Arnaud FLEURY - Philippe BERNARD, vous travaillez dans la concession en France de matériel agricole, espaces travaux publics, manutention, etc. Votre entreprise fait quatre-vingt-quinze millions d'euros de chiffre d'affaires. Vous avez décidé de vous implanter en Côte d'Ivoire pour commercialiser du matériel agricole essentiellement, n'est-ce pas ? Racontez-nous comment cela se passe.

M. Philippe BERNARD, président du groupe Bouchard - Pourquoi la Côte d'Ivoire ? Nous estimons tout d'abord que le continent africain est celui qui aura la plus grosse croissance dans les années qui viennent. Il s'agit en outre d'un pays francophone. Enfin, il s'agit d'un pays agricole dans lequel, alors qu'en France nous faisons une récolte agricole par an, il est possible d'en faire deux ou trois, voire quatre. Nous travaillons à la fois avec de grosses entreprises et avec des agriculteurs ivoiriens qui peuvent commencer avec de petites fermes. Nous sommes en Côte d'Ivoire depuis six ans et notre société est de droit ivoirien. À part le directeur qui est français, nous n'avons que des employés ivoiriens, multi-ethnies et multi-religions.

M. Arnaud FLEURY - En termes de contenu local, qu'est-ce qui pourrait être produit localement en matériel agricole sophistiqué ?

M. Philippe BERNARD - Je pense que c'est trop tôt, mais la Côte d'Ivoire a un vrai potentiel de croissance en agriculture et en autosuffisance sous réserve que nous puissions aider l'agriculture. Le gros problème concerne le financement de l'agriculture et de l'agriculteur, pour investir dans du matériel et/ou des usines de transformation.

Nous estimons que le gros problème a trait non pas à la réglementation douanière mais au manque de fluidité pour sortir les matériels du port et aux taxes douanières qui surenchérissent ces derniers et diminuent le potentiel d'achat des agriculteurs.

M. Arnaud FLEURY - Vous m'avez dit au téléphone que les économies d'échelle étaient réalisables après quinze ans, et que vous visiez vingt à vingt-cinq millions d'euros de chiffre d'affaires - vous êtes à deux ou trois millions aujourd'hui. Est-ce possible ?

M. Philippe BERNARD - Bien sûr. Nous partons du principe que pour créer une filiale, il faut environ cinq ans : pendant la première année, nous découvrons le pays, pendant la deuxième et la troisième années, nous découvrons les clients, et pendant la quatrième et la cinquième années, les clients apprennent à nous connaître. Il faut que nos clients nous fassent confiance, et la confiance se gagne. Pour qu'une filiale se développe, il faut un temps certain.

M. Arnaud FLEURY - Comment sont les marges ?

M. Philippe BERNARD - Comme en France. Nous apportons exactement le même service en Côte d'Ivoire que celui que nous apportons en France, avec un service après-vente, des pièces détachées, du matériel d'occasion, etc.

M. Arnaud FLEURY - Il n'y a pas que le secteur agricole, vous vous intéressez également au forestier, à la manutention, aux travaux publics.

M. Philippe BERNARD - Tout à fait, nous reproduisons en Côte d'Ivoire ce que nous faisons en France.

De la salle - Je suis président d'une organisation spécialisée dans la valorisation des coproduits de la noix de cajou en solutions chimiques à forte valeur ajoutée. Aujourd'hui, nous avons réussi à réunir une ressource d'excellence en France. Nous souhaiterions implanter notre solution en Afrique, en Côte d'Ivoire, mais il s'agit de solutions à forte valeur ajoutée et propriété intellectuelle. Nous avons donc des difficultés à financer 100 % du projet en Afrique avec des partenaires locaux. Comme il s'agit d'un sujet-clé pour l'État ivoirien, il faudrait que ce dernier soit un peu plus entreprenant. Quelles solutions peut-il proposer ?

De la salle - Quelle est la stratégie du groupe de Monsieur FAVRE au niveau de la transformation des autres produits ? Avez-vous une stratégie de diversification de produits et de transformation locale ?

M. Jérôme FABRE - Notre produit principal étant la banane, je serais tenté de vous dire qu'il s'agit déjà d'un produit parfait en soi, parfaitement adapté à la consommation. Nous nous sommes demandé ce que nous pouvions faire comme produits transformés : de la farine, des bananes séchées, des chips, etc. Sur l'ananas, c'est plus simple (jus, fruit séché, etc.), comme pour la mangue. Il faut avoir en tête qu'un hectare de banane est productif entre six et dix ans et qu'il faut ensuite le mettre en jachère. Pendant la jachère, nous pouvons réfléchir à planter des plantes fourragères permettant de faire un apport de revenu pour le fourrage. Nous pouvons aussi utiliser les coproduits. Au Ghana par exemple, nous avons un partenaire auquel nous donnons les déchets de bananes et qui produit des insectes. Les larves d'insectes mangent les bananes, et nous récupérons l'excrément de ces larves d'insectes qui font du compost. En parallèle, notre partenaire produit ces insectes puis en fait de la farine pour nourrir le bétail et le poisson.

PANEL N°3 :

« HUB LOGISTIQUE - OPPORTUNITÉS DANS LE SECTEUR DES TRANSPORTS » EN PRÉSENCE DU MINISTRE DES TRANSPORTS

Table ronde animée par M. Arnaud FLEURY, journaliste économique

Ont participé à cette table ronde :

M. Amadou KONE, ministre des transports

M. Jean-César LAMMERT, directeur Business France Côte d'Ivoire

M. Alain KETE, associé transaction, EY Côte d'Ivoire

M. Jérôme de FREMONT, vice-président logistique de la Compagnie fruitière

M. Julien HUE, président de HAFA Lubrifiants

M. Arnaud FLEURY - La Côte d'Ivoire est souvent présentée comme un hub logistique (portuaire, ferroviaire, routier, aéroportuaire) en Afrique de l'ouest. Quels sont aujourd'hui les défis pour le secteur des transports ? Il y a l'agrandissement du port d'Abidjan, les interconnexions entre les routes, la problématique de la circulation, etc.

M. Amadou KONE, ministre des transports - En termes de défis, il faut rappeler d'où nous venons. Il y a une dizaine d'années, quand le président OUATTARA a accédé au pouvoir, le port d'Abidjan était fortement congestionné, avec des infrastructures qui n'étaient plus adaptées à la demande. Malgré la crise que nous avions connue, l'activité avait en effet continué de croître car la demande intérieure était forte. Le port d'Abidjan est adossé à la ville et créé beaucoup de problèmes de mobilité que nous sommes en train de traiter. Il fallait aussi rénover le port de San Pedro, où 50 % de la production agricole transitent, et ramener vers le port d'Abidjan les pays de l'hinterland qui s'en étaient détournés. Du fait de la forte croissance économique et démographique que nous avons connue (en dix ans, la population d'Abidjan a quasiment doublé), le port d'Abidjan a fait face à quelques soucis. Nous sommes restés le deuxième port container d'Afrique et le premier port cotonnier. Le défi pour nous était rapidement d'absorber cette très forte croissance. Des investissements ont été réalisés au niveau du port d'Abidjan et du port de San Pedro, de sorte que nous avons connu une croissance de 6 % en moyenne chaque année en termes de trafic portuaire. Il s'agit aujourd'hui pour nous d'accélérer la modernisation du port par la réalisation de projets d'envergure ; plus de mille milliards de francs CFA sont investis depuis 2012 dans le port d'Abidjan sur le terminal céréalier, le terminal minéralier, le terminal containeur, la construction d'un nouveau terminal roulier et l'élargissement du canal de Vridi afin d'augmenter les capacités de manutention. Nous avons également travaillé à la refonte du guichet unique pour simplifier les procédures. Avec tout cela, il y a de la marge et nous travaillons à capter cette marge car plus de 90 % du trafic portuaire sont réalisés par les structures présentes à Abidjan (et 10 % par des structures de l'hinterland).

M. Arnaud FLEURY - L'hinterland concerne le ferroviaire et les routes. Les investissements s'étant dégradés au cours des années précédentes, l'idée est aujourd'hui d'insister sur les investissements publics (route et ferroviaire), n'est-ce pas ? En avez-vous les moyens ?

M. Amadou KONE - Nous avons un projet de réhabilitation du chemin de fer Abidjan - Ouagadougou, réalisé par Sitarail, une filiale de Bolloré. Nous espérons que cela démarrera très rapidement pour permettre d'accroître le volume d'échanges. De nombreux produits pétroliers passent par le port d'Abidjan et un pipeline a été réalisé jusqu'à Yamoussoukro. Nous avons lancé avec le Premier ministre le début des travaux du port sec de Ferkessédougou.

M. Arnaud FLEURY - Le métro d'Abidjan a pris du retard. L'idée est-elle de mettre les bouchées doubles pour combler ce retard, car il s'agit d'un élément très important pour décongestionner Abidjan ?

M. Amadou KONE - Il s'agit d'un projet complexe très ancien. Il a été défini depuis 1979 et nous y avons travaillé avec le groupement d'entreprises françaises ASCA. Nous avons quelque peu été contrariés avec l'épidémie de Covid-19 et des élections délicates, ce qui a entraîné du retard dans le déplacement des populations habitant dans des logements se trouvant sur la ligne du prochain métro. Nous allons commencer ce déplacement pendant les vacances scolaires. Les travaux de génie civil sont prévus pour durer quatre ans. Nous espérons que le métro sera fonctionnel fin 2025 - début 2026.

M. Arnaud FLEURY - Nous avons fait le tour des sujets sur la Côte d'Ivoire en tant que hub. Le pays a une place centrale. Il faut développer l'hinterland et l'intégration économique. Souhaitez-vous ajouter un dernier mot ?

M. Amadou KONE - Le positionnement géographique de la Côte d'Ivoire nous permet de jouer un rôle logistique pour l'ensemble de la sous-région. Par ailleurs, il existe des marges assez importantes et la logistique devra concerner également le secteur aérien. Disposer d'infrastructures aériennes adéquates devrait aider davantage pour le transport de plusieurs produits agricoles et denrées périssables. Nous travaillons à ce que San Pedro devienne un aéroport de fret car plusieurs dizaines de millions de tonnes de marchandises sont transportées essentiellement par voie maritime, avec des durées de transport beaucoup plus longues. Il est important d'avoir une plateforme aéroportuaire dédiée au fret, de sorte à pouvoir faire un dispatching à partir de San Pedro. Nous avons vraiment de fortes ambitions en termes de transport aérien.

M. Arnaud FLEURY - Jean-César LAMMERT, que faites-vous chez Business France pour qu'il y ait une offre française en Côte d'Ivoire ? Le projet du métro est colossal, avec plus d'un milliard d'euros de budget.

M. Jean-César LAMMERT, directeur Business France Côte d'Ivoire - Il existe de nombreux projets différents dans les transports et le métro est l'un des projets-phare sur lequel nous voulons nous positionner. Une première opération a été menée à Paris en 2019 pour que l'offre française rencontre les personnes en charge du projet. Il s'agit maintenant de se positionner au premier semestre 2022 et d'organiser un évènement à Abidjan sous la forme d'un colloque sur les transports urbains afin de présenter l'offre française et de positionner les offres techniques et technologiques qui pourront intéresser les autorités et les personnes en charge du projet.

M. Arnaud FLEURY - Le projet d'extension de l'aéroport Houphouët-Boigny a pour objectif de doubler la capacité. Comment les Français peuvent-ils se positionner sur ce sujet ?

M. Jean-César LAMMERT - Il s'agit d'un deuxième grand projet sur lequel nous avons en effet tout intérêt à positionner des PME françaises. Des projets ont été remportés par des grands groupes français, comme le projet aéroportuaire en extension de l'aéroport d'Abidjan, l'objectif des autorités étant de passer à cinq millions de voyageurs, et le projet plus large d'aérocité comprenant également des hôtels, des complexes industriels, des commerces. Un autre projet porté par le ministère des transports est celui de la sécurité routière. Il est question de transport intelligent, d'information des voyageurs, de carrefours intelligents, de vidéos pour donner des infractions immédiatement, etc. La demande est forte et donc les opportunités sont très concrètes.

M. Arnaud FLEURY - Trouvez-vous que les Français sont suffisamment conscients des opportunités d'un pays qui relance ses investissements en matière d'infrastructures de transport au sens large ?

Nous avons conscience des projets et de la dynamique des infrastructures, mais nous n'avons peut-être pas suffisamment conscience des capacités d'innovation de ces pays et des besoins en innovation intelligents. La Côte d'Ivoire a besoin et est demandeuse de ces solutions innovantes.

Nous avons beaucoup de missions, la Côte d'Ivoire n'a pas réellement été touchée par la Covid et donc les entreprises françaises ont continué à se déplacer en Côte d'Ivoire. La présence française y est importante ; de tous les pays où j'ai été en poste, il s'agit du pays dans lequel les PME s'installent le plus rapidement et le plus facilement.

M. Arnaud FLEURY - Alain KETE, vous êtes associé transaction chez EY Côte d'Ivoire et vous connaissez bien les questions de financement de gros projets. Que signifie « associé transaction » ?

M. Alain KETE, associé transaction, EY Côte d'Ivoire - Depuis bientôt une dizaine d'années, nous avons développé des services s'apparentant à un conseil à l'investissement. Nous sommes connus pour toutes les questions hors audit et comptabilité.

M. Arnaud FLEURY - Quel message voulez-vous faire passer aujourd'hui sur ces grandes problématiques de transport au sens large, y compris sur la mobilité urbaine ?

M. Alain KETE - Nous avons eu l'avantage de collaborer avec le gouvernement sur les problématiques de transport. Nous sommes conscients aujourd'hui que selon les études de la Banque mondiale, les sujets de mobilité peuvent apporter des points de croissance si nous structurons la mobilité dans le grand Abidjan. Nous avons travaillé avec le ministère des transports pour construire un cadre de mobilité autour du grand Abidjan. Des organes ont été créés et seront en charge d'organiser la mobilité dans le grand Abidjan et de réguler la mobilité au niveau d'Abidjan. Le schéma directeur d'urbanisation du grand Abidjan comprend cent vingt-cinq projets d'environ quatorze milliards d'euros à l'horizon 2031. Ils concernent la voirie, les routes, les bus rapides transit et de nombreux autres projets de transport dans lesquels l'offre française a toute sa part.

Certains projets sont identifiés et chiffrés, d'autres sont même en phase de finalisation comme les bus rapides transit et l'autoroute Y4. Le conseil national des partenariats public-privé (PPP) a été mis en place et a fait l'objet de réformes récemment, avec de nouveaux tests qui permettent de rapprocher les entreprises privées de l'État.

M. Arnaud FLEURY - Les PPP ont commencé ?

M. Alain KETE - Les PPP sont fonctionnels, certains ont été signés.

M. Arnaud FLEURY - Qu'est-ce qui est fait en province ? En effet Abidjan dévore tout sur son passage, avec une population qui a doublé et une congestion qui entraîne un manque-à-gagner de l'ordre de 4 % du PIB. Qu'est-il fait pour rétablir l'équilibre ? L'autoroute vers le Nord doit avancer, des projets sont prévus à Bouaké, sur le littoral, etc.

M. Alain KETE - Au cours des dix dernières années, une amélioration significative de l'infrastructure routière a été réalisée. Aujourd'hui, il existe des infrastructures et des péages vers le Nord, qui permettent de gagner du temps en termes de mobilité vers la province. Des voies de contournement sont en train d'être construites et des projets d'externalisation de la mobilité urbaine vers des grands centres comme Bouaké ou des structures comme la SOTRA (équivalent de la RATP) sont en place. Cela concourra à améliorer l'environnement des affaires en province.

M. Arnaud FLEURY - Des concessions autoroutières pourraient-elles voir le jour, concédées au secteur privé ?

M. Alain KETE - Il s'agit de sujets à l'étude. Il est beaucoup ressorti de sujets relatifs à des acteurs historiques tels que Bouygues, Alstom, Bolloré, mais le tissu des PME françaises devrait s'intéresser aussi à ces sujets d'infrastructure.

M. Arnaud FLEURY - Il y a effectivement de nombreuses possibilités. Merci.

M. Jérôme de FREMONT, vous êtes vice-président logistique à la Compagnie fruitière. Vous intégrez toute la chaîne jusqu'au terminal, les lignes maritimes. Comment cela se passe-t-il pour exporter la banane ? Êtes-vous satisfait, les délais sont-ils bons, le marché est-il coûteux ?

M. Jérôme de FREMONT, vice-président logistique de la Compagnie fruitière - Nous avons totalement intégré la chaîne pour des raisons de service à nos propres produits et à nos propres coûts. Nous avons intégré le transport maritime car nous opérons neuf navires, dont quatre sur une ligne Méditerranée et cinq sur une ligne Europe du nord. Cela nous permet de transporter nos produits depuis le terminal fruitier d'Abidjan et depuis d'autres pays où nous opérons. Cela a une importance puisqu'en desservant plusieurs pays, nous amenons du trafic de produits d'autres pays de la sous-région qui vont transiter par le port d'Abidjan.

Les navires que nous opérons sont des navires Reefer conventionnels qui permettent de transporter des produits frais sous température maitrisée. Nous opérons le terminal fruitier d'Abidjan dans le cadre d'une concession et d'un PPP. La profession est historiquement opératrice du terminal fruitier. Une première période de vingt ans a fait suite à des investissements réalisés sur le terminal fruitier à la demande de la profession fruitière - des financements de la Commission européenne ont été apportés à la filière banane-ananas et ont été investis dans la modernisation du terminal fruitier. La deuxième phase comprend un nouveau projet de modernisation de ce terminal fruitier.

Le secteur est très compétitif avec les pays d'Amérique latine notamment. Les infrastructures coûtent cher, il faut investir, nous avons donc besoin de travailler énormément au coût de passage portuaire qui est extrêmement significatif pour nous. Au-delà de cette maîtrise des coûts, nous devons également avoir une maîtrise qualitative car nous sommes sur de l'ultrafrais. Toute cette logistique est mise en place pour nos produits mais également d'autres productions, notamment la mangue.

M. Arnaud FLEURY - Il y a un gros volume d'exportation de bananes vers la sous-région. Vous utilisez le ferroviaire, est-ce rentable ? Que pouvez-vous dire sur l'hinterland ? Nous ne parlons jamais du Nigéria par exemple, où la demande de fruits doit être considérable, mais nécessite une logistique ad hoc .

M. Jérôme de FREMONT - En matière de sous-région, les marchés se développent mais la quasi-totalité de nos exports se fait en camion. La qualité des infrastructures routières est donc importante pour nous, comme la réhabilitation de la route vers le Nord. Nous n'utilisons pas du tout le ferroviaire, dont l'infrastructure n'est aujourd'hui pas adaptée au transport de denrées sous température dirigée ou de containers qui doivent rapidement transiter. Nous ne transportons pas uniquement de la banane cependant, et nous avons la capacité à opérer sur l'ensemble de la sous-région.

M. Arnaud FLEURY - Est-ce que cela fait sens de viser le Nigéria depuis la Côte d'Ivoire ?

M. Jérôme de FREMONT - Nous sommes très concentrés sur notre production et sur ce que nous pouvons transporter sur les pays que nous opérons ; le Nigéria n'en fait pas partie. Nous utilisons Abidjan comme hub maritime pour nos besoins, en important des emballages cartons du Maroc par exemple et en transportant en échanges des produits vers le Cameroun.

M. Arnaud FLEURY - Il faudrait des corridors de froid, etc. Les autorités sont-elles conscientes de ce sujet ?

M. Jérôme de FREMONT - Oui, et nous travaillons avec des partenaires et les autorités. Pour pouvoir faire des relais avec le Burkina Faso, il nous faut des plateformes logistiques, et nous en avons une modeste dans le Nord de la Côte d'Ivoire qui nous permet de mettre les produits en froid jusqu'à l'arrivée au destinataire.

M. Arnaud FLEURY - Nous allons terminer avec HAFA Lubrifiants, qui fait quarante millions d'euros de chiffre d'affaires. Votre PME est basée à Yvetot en Normandie et distribue des lubrifiants pour les machineries.

M. Julien HUE, président de HAFA Lubrifiants - Nous avons deux métiers, à savoir d'une part la fabrication et la distribution de lubrifiants pour les véhicules au sens large (terrestre, maritime, aérien), et d'autre part la production de technologies de conseil pour intervenir auprès de nos clients sur l'optimisation des opérations de maintenance dans l'industrie.

M. Arnaud FLEURY - Tout est produit en France à Yvetot, et vous exportez 10 % vers l'Afrique, notamment vers la Côte d'Ivoire.

M. Julien HUE - Il s'agit d'une entreprise que j'ai eu la chance de reprendre en 2014, date à laquelle nous nous sommes demandé où nous pourrions nous développer dans le monde. Notre entreprise était totalement béotienne en matière d'export et nous nous sommes rendu compte que le continent africain était un marché d'avenir. Nous avons rapidement mené une mission de prospection qui nous a permis de repérer du potentiel et des partenaires avec lesquels nous travaillons encore aujourd'hui.

M. Arnaud FLEURY - Vous avez un distributeur ou des filiales ?

M. Julien HUE - Nous avons des filiales sur plusieurs pays. Pas encore en Côte d'Ivoire, mais nous y réfléchissons car il s'agit du pays sur lequel nous nous développons avec la plus grande dynamique. Monsieur BERNARD du groupe Bouchard expliquait qu'il était dans une temporalité de quatre à cinq ans pour découvrir le marché et créer une filiale ; nous sommes dans cette même temporalité.

M. Arnaud FLEURY - En termes de logistique, vous envisagez de discuter avec votre partenaire pour faire une joint-venture par exemple ?

M. Julien HUE - Il existe plusieurs hypothèses. La première consisterait à nouer un partenariat en joint-venture avec nos partenaires en Côte d'Ivoire dans une optique de distribution. La deuxième étape consisterait à s'implanter localement avec une activité industrielle pour desservir le marché local, et pourquoi pas la sous-région.

M. Arnaud FLEURY - Comment fonctionne la logistique ? Est-ce que la Covid a changé la situation ? Il est question de prix qui explosent. Est-ce le cas sur la Côte d'Ivoire ou pas spécialement sur les containers ?

M. Julien HUE - Le monde est un peu parti en folie sur les coûts. Nous sommes utilisateurs des infrastructures à travers nos importations et nous sommes plutôt globalement satisfaits de la manière dont cela fonctionne. L'avantage d'avoir une implantation à Abidjan est que le port est très bien desservi. Il y a énormément de fréquence et les connexions se font bien. Certes, le port est relativement congestionné, encore que d'autres ports africains soient plus compliqués, mais nous l'intégrons dans notre organisation. Comme le port est très bien desservi en outre, nous pouvons commencer à faire des groupages de commandes dans les containers. En revanche, il est plus compliqué de transporter plus loin que les pays limitrophes.

M. Arnaud FLEURY - Envisagez-vous la Côte d'Ivoire comme un hub régional ou privilégiez-vous le marché local ?

M. Julien HUE - Nous avons déjà des projets et nous commençons déjà à travailler avec des partenaires, mais l'idée avant tout est de s'implanter beaucoup plus fortement sur le marché ivoirien car nous sommes encore petits à son échelle. Nous avons de beaux projets dans la région de Bouaké et dans la région de Korogo.

M. Arnaud FLEURY - HAFA Lubrifiants, c'est quarante millions d'euros de chiffre d'affaire et 10 % d'exportation vers la Côte d'Ivoire, n'est-ce pas ?

M. Julien HUE - Nous exportons 10 % de notre production vers l'Afrique et cette année, la Côte d'Ivoire représentera 20 % de notre chiffre d'export.

De la salle - Je suis responsable Afrique de l'ouest de la société MENA. Nous sommes une entreprise française en ingénierie géotechnique et environnementale et nous faisons partie du groupe Vinci constructions. Nous avons un chiffre d'affaires d'environ quatre cent cinquante millions d'euros. Ma question s'adresse à Monsieur le ministre KONE : nous savons que le développement de la ville et du port de San Pedro fait partie du plan de développement général de la Côte d'Ivoire. Or la côtière, la route qui relie Abidjan à San Pedro, n'a pas été réhabilitée depuis environ dix ans. Allez-vous la rénover et pourquoi cela aura-t-il mis autant de temps ?

M. Amadou KONE - Les travaux vont démarrer assez rapidement. Nous avons pour objectif de réhabiliter la route actuelle d'ici la fin de l'année 2022, et plus tard de l'agrandir . Nous sommes très ambitieux en matière de sécurité routière et de mobilité, etc. Les PME françaises y ont leur place. Nous souhaitons aussi mettre en place des véhicules propres. Or des véhicules électriques demandent des études et des installations. Nous sommes en train de mettre en place une stratégie qui devrait permettre de réaliser le projet de passer de l'utilisation de l'énergie fossile pour les motos à l'utilisation de l'électricité.

PANEL N°4 :

« ABIDJAN, VILLE DURABLE : OPPORTUNITÉS DANS LES SECTEURS DES INFRASTRUCTURES, DE L'ÉLECTRICITÉ, DES DÉCHETS, EAUX-ASSAINISSEMENT ET DU SPORT » EN PRÉSENCE DU MINISTRE DE LA CONSTRUCTION, DU LOGEMENT ET DE L'URBANISME

Table ronde animée par M. Arnaud FLEURY, journaliste économique

Ont participé à cette table ronde :

M. Bruno-Nbagné KONE, ministre de la construction, du logement et de l'urbanisme de la Côte d'Ivoire

Mme Asta-Rossa CISSÉ, directrice générale d'Abidjan Terminal de Bolloré Port

Mme Isabelle MAUNOURY, directrice des opérations de Suez Afrique et Proche-Orient

M. Régis CHARPENTIER, président de Win Win Afrique

M. Arnaud FLEURY - Monsieur le ministre, vous connaissez la problématique, avec une population qui a doublé en quinze ans. Abidjan est une ville très congestionnée, en déséquilibre avec la province. Il existe de nombreuses opportunités dans les infrastructures, les déchets, l'assainissement, le sport, etc. La construction a été un élément majeur de la croissance économique de la Côte d'Ivoire ces dernières années. Cela continue-t-il ?

M. Bruno-Nbagné KONE, ministre de la construction, du logement et de l'urbanisme de la Côte d'Ivoire - Cela continue. Les dernières années ont été excellentes pour notre pays, avec des taux de croissance très élevés, et le secteur de la construction y a naturellement participé. Nous pensons que l'impact se situe aujourd'hui aux alentours de 10 % sur le PIB. Cependant, nous continuons d'avoir un très grand nombre de projets menés tant par l'État que via des PPP ou par des entreprises privées.

M. Arnaud FLEURY - Cela intéresse-t-il l'offre française, sur toute la chaîne de valeur ?

M. Bruno-Nbagné KONE - Bien évidemment, et nous convions les entreprises françaises à nous rejoindre. Nous avons aujourd'hui certains pays très bien implantés dans le secteur en Côte d'Ivoire, mais nous avons toujours déploré l'insuffisance de la présence française. C'est l'occasion de tendre la perche à ces professionnels et à ces entrepreneurs que nous savons qualifiés. Abidjan est une ville en transition. Elle a aujourd'hui soixante-dix à quatre-vingt ans et présente donc de grands besoins de rénovation urbaine, avec des quartiers précaires en très grand nombre (plus d'une centaine qu'il faut traiter). Le parc immobilier de l'État a besoin d'être réhabilité et surtout d'être étoffé. Nous devons par ailleurs mettre en valeur plusieurs parcelles foncières de l'État. Nous avons de nombreux projets dans le secteur immobilier et industriel, et également dans le logement. Aujourd'hui, il y a un déficit d'environ six cent mille logements dans la ville d'Abidjan. Imaginez ce que cela représente en construction, en boiserie, en sanitaires, etc. Les besoins sont colossaux et nous invitons les entreprises françaises à venir prendre leur part.

M. Arnaud FLEURY - Le logement social commence par ailleurs à être envisagé, et l'expertise française pourrait y aider, n'est-ce pas ?

M. Bruno-Nbagné KONE - Oui, et cela a déjà un peu commencé avec des partenaires français. Nous avons participé il y a moins d'un mois à la présentation d'un échantillon qui pourrait être le logement social made in France en Côte d'Ivoire. Ce projet contribuera à réduire l'empreinte des quartiers précaires et des bidonvilles. Il contribue directement à l'amélioration de la vie des populations ivoiriennes, et en particulier de la vie des populations les plus pauvres. Aujourd'hui, le gouvernement lui-même a avancé un projet de cent cinquante mille logements à réaliser pour les plus faibles, avec des prix à plafonner à 12,5 millions de francs CFA pour le logement social et 23 millions de francs CFA pour le logement économique. Tous les promoteurs qui participent à ce projet ont la possibilité de réaliser 60 % de logements avec les deux contraintes que je viens de mentionner, et 40 % de logements de façon totalement libre.

M. Arnaud FLEURY - Quelle est votre action quant à la ville durable ? Comment envisagez-vous un développement durable et pacifié d'Abidjan ?

M. Bruno-Nbagné KONE - Le contexte est relativement compliqué. L'urbanisation est très forte, avec un taux d'urbanisation ayant augmenté de 10 % à 55 % en soixante-dix ans, là où les pays européens ont mis environ trois cent ans pour faire le même parcours. La ville d'Abidjan concentre environ un quart de la population ivoirienne et 40 % de la population urbaine de Côte d'Ivoire ; elle comprend une centaine de bidonvilles. Abidjan n'a pas respecté les principes de base de l'urbanisme pendant toutes les années de crise que le pays a connues. Nous avons du retard et nous faisons tout pour le rattraper, tout en nous souciant de tout ce qui peut permettre de construire durablement cette ville.

M. Arnaud FLEURY - Les clubs « ville durable » organisés par le Medef regroupent l'ensemble de l'offre française aujourd'hui en lien avec toutes les solutions liées à la ville durable. Le « club Abidjan ville durable » est d'ailleurs réputé très dynamique en la matière. Quels sont les rapports de votre ministère avec ce club et des choses concrètes peuvent-elles émerger ou émergent-elles déjà avec ce club ?

M. Bruno-Nbagné KONE - Nous avons des rapports privilégiés et je me félicite que le « club Abidjan ville durable » soit reconnu dans le monde entier. Il est important de créer une émulation pour la ville durable au sein de la population. Le club regroupe des entreprises françaises qui interviennent déjà dans les secteurs de la construction et d'autres secteurs proches du nôtre. Notre collaboration est très forte et je voudrais d'ici saluer l'action de ce club et ses acteurs.

M. Arnaud FLEURY - Nous allons revenir sur le portuaire, le port d'Abidjan étant le premier port d'Afrique de l'ouest pour les marchandises et le deuxième d'Afrique pour les containers. Il est très intégré dans la ville, il fait partie de son développement économique et il doit être dans une logique de développement durable.

Mme Asta-Rossa CISSÉ, vous êtes directrice générale d'Abidjan Terminal de Bolloré Port. Quelles sont les grandes caractéristiques du terminal à containers dont le groupe Bolloré a la concession ?

Mme Asta-Rossa CISSÉ, directrice générale d'Abidjan Terminal, Bolloré Port - Nous avons connu depuis dix ans des chiffres à l'import qui augmentent de 10 %. L'année dernière, nous avons eu une croissance supérieure à celle du PIB car il existe une relation étroite entre la croissance du PIB et la croissance des volumes à l'import. Tout cela est poussé par les grands projets de la Côte d'Ivoire et la consommation interne. En termes de volumes, nous sommes aujourd'hui à trois cent mille boîtes, grâce à la croissance interne notamment. La création du ménage moyen ivoirien est une vraie réalité, ainsi que les gros projets d'infrastructures. La particularité d'Abidjan, ce sont des volumes forts à l'export (cacao, banane, cajou, mangue) qui passent par le port d'Abidjan.

M. Arnaud FLEURY - Ces volumes à l'import sur les containers sont-ils vraiment des gros volumes à l'échelle de l'Afrique ?

Mme Asta-Rossa CISSÉ - Il s'agit de gros volumes en effet. Le port d'Abidjan a été créé dans la ville il y a cinquante ans. Le terminal à containers est petit, d'où le projet de créer un deuxième terminal beaucoup plus grand, avec la notion de hub car il serait dédié au transbordement.

M. Arnaud FLEURY - Vous le disiez, comme toutes les villes africaines, le port d'Abidjan est congestionné. Quelles sont les initiatives mises en place pour améliorer la fluidité du passage portuaire dans les deux sens ?

Mme Asta-Rossa CISSÉ - Abidjan n'a qu'une seule voie d'entrée et qu'une seule voie de sortie. Aujourd'hui, toutes les initiatives que nous prenons consistent à fluidifier les flux à l'import et à l'export par le biais de la digitalisation. Il s'agit de mieux gérer les flux des camions, pour pouvoir gérer le flux des camions sur les routes et mieux appréhender le temps de transit des marchandises. Il s'agit de la seule solution pour améliorer la fluidité, tant sur la zone portuaire que sur les routes d'Abidjan.

M. Arnaud FLEURY - Les autorités pensent-elles que le port fait également partie de la ville durable ?

Mme Asta-Rossa CISSÉ - Tout à fait. Nous sommes en partenariat avec le ministère au sujet du guichet unique portuaire, et nous collaborons avec la douane pour faciliter ces opérations en ligne. Nous travaillons par ailleurs au e-paiement pour éviter aux personnes de se déplacer dans la zone portuaire. Les projets de dématérialisation et de digitalisation nous permettront de mieux gérer les flux qui entrent dans le port.

M. Arnaud FLEURY - Les camions attendent-ils en fonction de rendez-vous digitalisés également ?

Mme Asta-Rossa CISSÉ - Tout à fait, il s'agit de créer des zones-tampons pour pouvoir y mettre les camions et les appeler au moment opportun lorsqu'il faut charger ou décharger sur le port.

M. Arnaud FLEURY - Comment le port s'inscrit-il dans la tradition écologique de la ville durable ? Y a-t-il des actions sur lesquelles vous travaillez ? Une offre française que vous agrégez à vos solutions ?

Mme Asta-Rossa CISSÉ - Tout à fait, dès le départ, nous avons intégré les enjeux environnementaux à la création du terminal avec des équipements de manutention qui sont plus respectueux de l'environnement. Nous avons ainsi des tracteurs électriques et nous avons intégré le recyclage des déchets et des huiles afin de pouvoir rentrer dans une économie plus vertueuse.

J'ai entendu parler du schéma directeur à travers le ministre des transports et le ministre de la construction. S'il y a une bonne coopération entre tous ces ministères, les acteurs privés comme nous, sommes prêts à participer pour améliorer et mieux gérer les flux de transport.

M. Arnaud FLEURY - Isabelle MAUNOURY, vous êtes directrice des opérations de Suez Afrique et Proche-Orient. L'Afrique représente neuf cent millions d'euros dans le chiffre d'affaires de Suez. L'eau est essentielle et la Côte d'Ivoire a des résultats meilleurs que d'autres pays, mais toujours insuffisants dans l'eau. Disposez-vous d'un panorama sur la question de l'eau et de l'assainissement en Côte d'Ivoire ?

Mme Isabelle MAUNOURY, directrice des opérations de Suez Afrique et Proche-Orient - Nous sommes présents historiquement depuis plus de soixante-dix ans sur le périmètre africain, avec un historique de déploiement d'eau potable dans plus de 80 % de capitales africaines, et particulièrement en Côte d'Ivoire, où nous sommes arrivés à la fin des années 1950. La ville s'est construite avec ces équipements de production d'eau potable et le pays était plutôt en avance sur ce sujet. Il s'agit maintenant de distribuer l'eau partout de manière durable et écologique.

M. Arnaud FLEURY - Vous aviez gagné un contrat pour la fourniture et l'installation d'unités compactes modulaires de production d'eau potable à destination des villes secondaires, mais cela peut également être pour des quartiers de mégalopoles comme Abidjan ?

Mme Isabelle MAUNOURY - Tout à fait. L'un des secrets pour augmenter le développement de la ville durable est de segmenter son action et d'agir avec des unités décentralisées qui vont couvrir un périmètre chacune, puis les interconnecter et gérer la ville dans sa globalité. Une capitale comme Abidjan a gonflé avec le temps parce que les habitants des villes secondaires ou des villages s'y sont installés. Il est important d'outiller ces villes secondaires et ces villages pour que la population puisse trouver les conditions de vie convenables sans se sentir obligée de venir à Abidjan. La distribution d'eau potable requiert aujourd'hui de la digitalisation et de la technologie transversale pour comprendre comment interconnecter la ville. Quant à l'assainissement, cela nécessite des infrastructures très lourdes, mais la décentralisation permet d'équiper quartier après quartier pour avancer plus vite. Les trois derniers sujets que nous cherchons à toucher comprennent 1/ le traitement des déchets, avec une volonté de réduire notre empreinte carbone en apportant des financements, 2/ le traitement de l'air et 3/ l'hydraulique.

M. Arnaud FLEURY - Tout cela est-il applicable sur la Côte d'Ivoire aujourd'hui ?

Mme Isabelle MAUNOURY - Oui, car nous partons de l'écoute du client, nous essayons de nous positionner le plus en amont possible, au niveau des master plans, pour que la réponse soit globale et anticipée.

Nous sommes en train de monter des projets de financement notamment sur la partie Ouest d'Abidjan avec les nouveaux quartiers. Il existe des besoins tant pour l'industrie que pour les habitants, et nous nous positionnons sur ces sujets.

M. Arnaud FLEURY - Vous ne travaillez pas sur le déchet, mais il s'agit d'un sujet qui pourrait vous intéresser, que ce soit le déchet industriel, le déchet domestique, etc. Il n'existe pas de tri actuellement à Abidjan ?

Mme Isabelle MAUNOURY - Il existe un tri informel. La réussite de ce projet passe par l'écoute de toutes les parties prenantes, y compris les tiers et l'économie informelle. Au Maroc, sur la ville de Meknès, nous avons intégré à notre projet industriel les chiffonniers qui triaient les déchets, en les fédérant en coopérative, en les protégeant avec des équipements ad hoc, etc.

M. Arnaud FLEURY - Quelle est la suite pour Suez ? La Côte d'Ivoire constitue-t-elle un marché intéressant et prioritaire ?

Mme Isabelle MAUNOURY - Tout à fait, nous ouvrons aujourd'hui une filiale à Abidjan et nous sommes en train de recruter du personnel local, notamment des ingénieurs en traitement d'eau. La Côte d'Ivoire offre un dynamisme, un niveau de compétence et une croissance qui permettent d'y investir en toute confiance.

M. Arnaud FLEURY - Régis CHARPENTIER, vous êtes président de Win Win Afrique, une entreprise française active dans le domaine des infrastructures sociales, culturelles et sportives financées par les bailleurs de fonds. Vous avez monté un complexe socio-sportif que vous appelez une agora, sur la Koumassi qui est un quartier plutôt défavorisé d'Abidjan, et vous allez essayer de développer cela dans le pays. Racontez-nous ce projet : comment cela fonctionne-t-il et en quoi cela s'inscrit-il dans une logique de ville durable ? Vous ambitionnez d'avoir une dizaine d'agora, dont la moitié à Abidjan ?

M. Régis CHARPENTIER, président de Win Win Afrique - Nous développons le programme Agora pour le ministère de la promotion des sports en Côte d'Ivoire, avec pour commande d'offrir et de développer la pratique sportive auprès des Ivoiriens. Aujourd'hui, environ 7 % des Ivoiriens font régulièrement du sport. L'objectif du ministère est de mener une campagne pour développer la pratique pour 60 % des Ivoiriens. Il y a un énorme écart entre ces deux chiffres, qui passe forcément par le développement des infrastructures. Nous avons travaillé avec le ministère sur un programme original permettant de développer ces infrastructures et d'offrir aux Ivoiriens non seulement la pratique sportive, mais également un modèle qui allie des activités sociales, des activités sportives et des activités culturelles.

Le programme Agora comprend en lui-même quatre-vingt-onze sites sur toute la Côte d'Ivoire. Vous avez évoqué le premier site, qui a été construit et inauguré à Koumassi par les autorités ivoiriennes et françaises fin 2019. Il s'agit de trois hectares de terrains réaménagés où il est possible de pratiquer des sports de main, du football, etc. L'infrastructure est construite à partir de matériaux recyclés, en l'occurrence des containers, et accueille des espaces pour des organisations non-gouvernementales (ONG) et pour des organisations de la société civile qui viennent offrir des programmes à tous ces jeunes venant dans les agoras.

Les investisseurs se sont intéressés au programme non seulement parce qu'il permet de développer le sport et les activités culturelles et de construire un écosystème social dans les quartiers populaires, mais également parce qu'il s'agit d'un modèle de délégation de service public et que nous nous engageons à exploiter ces agoras à notre charge, sur un modèle privé, avec des sponsors, des privatisations qui permettent de rentabiliser ces infrastructures et ne pas faire supporter la charge de son exploitation au ministère.

Nous avons inventé ce modèle en commun avec nos amis ivoiriens et nous en sommes aujourd'hui au stade de la conception et de l'exploitation. Nous avons développé la première agora à Koumassi et nous sommes en train de construire les dix suivantes grâce à un prêt concessionnel du Trésor français. Trente agoras sont en discussions sur les fonds du C2D. Ce programme sera mis à l'honneur pendant le sommet Afrique-France afin que nous puissions valoriser ce type de modèle innovant.

M. Arnaud FLEURY - Nous allons parler du développement de la filière sport. La Coupe d'Afrique des Nations (CAN) aura lieu en Côte d'Ivoire en 2023 et nous savons qu'il y a tout un programme de construction et de rénovation des stades - avec déjà de nombreuses entreprises chinoises - où la France peut apporter une réelle valeur ajoutée en organisation de grands évènements, en billetterie, en marketing, etc. Avons-nous conscience du potentiel de la Côte d'Ivoire en business sportif ?

M. Régis CHARPENTIER - Il existe un énorme potentiel. Je suis un Ivoirien car mes amis du ministère des sports et du ministère des PME m'ont confié la tâche de développer cette filière économique. Comme le disait Pedro NOVO, il n'y a pas de développement pour une entreprise française si elle ne travaille pas au développement avec les entreprises ivoiriennes. Nous voulons développer cette filière ivoirienne à partir de tous ces grands évènements qui vont être accueillis comme la CAN. Il faudra utiliser l'expertise française en co-développement avec des entreprises ivoiriennes. Si des entreprises françaises veulent se développer dans ce très beau pays, elles doivent travailler avec des entreprises ivoiriennes. Pour la CAN par exemple, beaucoup d'expertises seront nécessaires ; de nombreuses entreprises ivoiriennes seraient capables de le faire et peuvent travailler avec des entreprises françaises qui savent le faire. Nous encourageons le développement de cette filiale.

M. Arnaud FLEURY - Il faut aujourd'hui des programmes d'impact et nous pensons, dans le domaine de la ville durable, à des enjeux tels que l'alphabétisation, le dépistage sanitaire, etc. On peut penser que l'offre française peut s'inscrire dans cette demande.

M. Régis CHARPENTIER - Oui, et c'est d'ailleurs ce que nous encourageons sur notre créneau. Il n'est pas possible de réfléchir à la construction d'une infrastructure si on ne réfléchit pas à son impact social ou à son impact économique. Ces programmes en conception/réalisation/exploitation ont par conséquent un sens. À travers le monde, de nombreuses infrastructures de grands évènements ont été construites puis laissées à l'abandon (Athènes, Rio de Janeiro, etc.). L'enjeu est de développer des infrastructures qui laissent des programmes à fort impact. L'offre française et tout ce qui est fait au sein du « club Abidjan ville durable » poussent à ce que les entreprises qui construisent s'inscrivent dans la durée pour apporter un impact social à ces infrastructures. Nos agoras permettent de venir faire du sport, mais aussi de passer du temps dans un maquis, de laisser les enfants dans un espace dédié pendant qu'on fait du sport, d'accéder à des programmes culturels comme des concerts, etc. Il s'agit de lieux de cohésion sociale.

PANEL N°5

« INNOVATION ET DÉVELOPPEMENT D'UNE ÉCONOMIE NUMÉRIQUE »

Table ronde animée par M. Arnaud FLEURY, journaliste économique

Ont participé à cette table ronde :

M. Roger-Félix ADOM, ministre de l'économie numérique, des télécommunications et de l'innovation

M. Patrick KOUASSI, French Tech Abidjan et président de Smile Côte d'Ivoire

M. Yaya SYLLA, président de SAH Analytics International

M. Ruben HALLALI, co-fondateur et président de HD-Rain

M. Lionel BARABAN, co-fondateur et président de FAMOCO

M. Jeoffrey WOODS, French Tech Abidjan, co-fondateur d'Altea et fondateur d'Intersat

M. Arnaud FLEURY - Monsieur le ministre, vous êtes issu du secteur privé, vous avez travaillé chez Vivendi et Orange et vous connaissez très bien les enjeux des télécoms. Il s'agit aujourd'hui de l'un des enjeux majeurs du développement pour les économies africaines. Il y a 25 % de classe moyenne en Côte d'Ivoire et le mobile banking est très important, de même que les taux d'équipement en téléphonie mobile. Nous avons l'impression que le numérique passe par le téléphone, mais pas seulement en réalité. Donnez-nous quelques chiffres : peut-on imaginer ce que représente le secteur du numérique aujourd'hui dans le PIB, en termes d'emploi, et notamment les télécoms ?

M. Roger-Félix ADOM, ministre de l'économie numérique, des télécommunications et de l'innovation - Merci pour votre initiative et de m'y avoir associé. L'économie numérique représente aujourd'hui 11 % du PIB ivoirien et environ quatre mille emplois en direct, dont 80 % par le biais des opérateurs en téléphonie (mobile, fixe et internet), et plus de quatre cent mille emplois indirects. En termes de taux d'équipement, nous avons vingt-trois millions de personnes connectées sur une population totale de vingt-six millions d'habitants. Dans les années 2000, il y a eu un grand boom du digital et de la téléphonie mobile, et aujourd'hui, nous avons de nouveaux usages vers l'accès à Internet. L'internet mobile s'est beaucoup développé, et nous devons aujourd'hui développer l'internet fixe. Ce secteur dynamique se tasse un peu car nous sommes passés d'une économie de luxe à une économie courante, et la concurrence par les prix fait rage. Au-delà de la téléphonie mobile, nous devons nous orienter vers une économie digitale.

M. Arnaud FLEURY - Y a-t-il une économie digitale justement qui se met en place, avec le e-commerce, le divertissement, l'e-santé, etc. ? De nouveaux usages et de nouveaux secteurs économiques se créent-ils comme on commence à le voir ailleurs en Afrique ?

M. Roger-Félix ADOM - Le premier secteur créé est celui de la mobile money il y a treize ou quatorze ans. Au niveau du contenu en revanche, c'est encore lent. Le peuple ivoirien est très imaginatif et innovant et nous souhaiterions pouvoir faire émerger des Ivoiriens champions dans ce domaine.

M. Arnaud FLEURY - Quelles sont les tendances actuelles en termes d'innovation, d'entreprenariat, de profil de start-up, etc. ?

M. Roger-Félix ADOM - Aujourd'hui, les Ivoiriens se lancent dans l'entreprenariat. Nous voyons que dès que les jeunes finissent leurs études, ils cherchent à développer des projets. La grande difficulté a trait à la taille critique des entreprises et à l'accès à certains marchés. Il n'existe pas encore de réelle politique industrielle de regroupement d'entreprises.

M. Arnaud FLEURY - Patrick KOUASSI, vous êtes le président de Smile, entreprise de développement de logiciels vers les opérateurs de télécoms. Parlez-nous un peu de votre vision de la tech en Côte d'Ivoire ?

M. Patrick KOUASSI, French Tech Abidjan et président de Smile Côte d'Ivoire - Smile est une entreprise que j'ai créée il y a huit ans et qui s'est spécialisée dans la digitalisation. Nous développons des logiciels, nous faisons de la big data, de l'intelligence artificielle. Aujourd'hui, environ cent-vingt Ivoiriens travaillent sur des sujets de pointe qui se vendent à l'international grâce entre autres au soutien du ministre ici présent.

M. Arnaud FLEURY - Vous vous positionnez sur du haut de gamme et vous êtes quasiment au même prix qu'Accenture parce que vous estimez que vous apportez une valeur ajoutée.

M. Patrick KOUASSI - Nous n'avons pas voulu faire des services bon marché, j'ai souhaité valoriser un peu plus la compétence de mes concitoyens. Il a été question à un moment d'africanisation des postes de direction. J'ai connu des maîtres de stage extrêmement brillants mais dont le talent n'a pas été valorisé car il n'existait pas d'entreprises capables de porter l'excellence locale à un certain niveau.

M. Arnaud FLEURY - Aujourd'hui c'est possible, il existe un marché qui est prêt à payer.

M. Patrick KOUASSI - Nous profitons du contexte actuel de pénurie de compétences de pointe sur certains sujets. Par exemple sur la big data, il y a une carence totale de compétences mondiales. Nous avons réussi aussi bien à nous positionner sur le marché local qu'à nous projeter à l'international.

M. Arnaud FLEURY - Il y a assez peu de start-ups ivoiriennes et assez peu de levée de fonds. Comment faire en sorte qu'il y ait plus de fléchage vers la Côte d'Ivoire dont tout le monde connaît le potentiel, surtout sur l'Afrique francophone ?

M. Patrick KOUASSI - J'avais une discussion avec un ami sénégalais travaillant dans un fonds et qui partageait ma frustration. Il disait qu'au Sénégal, la volonté politique existe ainsi que l'ambition privée, mais pas le marché, alors qu'en Côte d'Ivoire, le marché existe mais il semble que la volonté n'existe pas. Or ce n'est pas que nous n'avons pas la volonté. En réalité, nous avons été éduqués à l'employabilité. L'entreprenariat est nouveau dans la mentalité de l'Ivoirien. Le problème de fond a trait à la capacité des entreprises ivoiriennes à investir elles-mêmes dans leur écosystème. Aujourd'hui, nous parvenons à créer une relation avec la France pour amener les capitaux et compenser ce manque de dynamisme, mais il faudrait trouver des moyens pour inciter les grands acteurs privés locaux à développer les écosystèmes.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur le ministre, nous avons l'impression qu'il existe quand même une stratégie et que des incubateurs se sont mis en place. Êtes-vous conscient de la nécessité de flécher les investissements vers des nouveaux usages afin de créer un cercle vertueux ?

M. Roger-Félix ADOM - Tout à fait. La Côte d'Ivoire est un pays qui accepte l'entreprenariat libre et n'empêche personne d'entreprendre. Maintenant, il faut avoir des idées qui conviennent. Si les Ivoiriens ont des idées novatrices pour intéresser le marché, j'y crois.

M. Arnaud FLEURY - Je me tourne vers Yaya SYLLA, président de SAH Analytics International. Vous êtes présenté comme une entreprise de référence dans l'analytique et l'analyse de données. Vous avez créé plusieurs dizaines d'emplois, c'est une réussite.

M. Yaya SYLLA, président de SAH Analytics International - Effectivement, après une expérience passée en France et un peu partout dans le monde, je suis rentré en Côte d'Ivoire en 2019 pour créer SAH Analytics International. Je suis par ailleurs universitaire, j'enseigne à l'université technologique de Compiègne (UTC). Dans ce cadre, j'ai créé mon entreprise pour accompagner la Côte d'Ivoire dans son processus de digitalisation et dans la formation des élites autour de l'intelligence artificielle.

M. Arnaud FLEURY - Le marché de l'analyse de données en Côte d'Ivoire aujourd'hui vous achète des prestations en la matière ?

M. Yaya SYLLA - Absolument, avec la digitalisation, l'analytique a été nécessaire. Mes clients sont Orange, la société ivoirienne de raffinerie, l'État de Côte d'Ivoire et le régulateur de télécommunication, le ministère de la santé, etc.

M. Arnaud FLEURY - Vous avez des data scientists et des chefs de projet en Côte d'Ivoire. Mais vous m'aviez dit que vous montiez un centre de recherche et développement en France. Pourquoi pas en Côte d'Ivoire ?

M. Yaya SYLLA - J'ai un centre au Pakistan pour la partie offshore et depuis peu, je suis aidé par BPI France et Business France pour pouvoir mettre en place un centre de recherche et développement en France. En effet, je suis très proche de l'UTC et j'ai des étudiants français qui ont créé leur entreprise en France et que j'utilise pour pouvoir former des collègues en Côte d'Ivoire.

M. Arnaud FLEURY - Ce centre ne pourrait pas être implanté en Côte d'Ivoire ?

M. Yaya SYLLA - Si, mais SAH Analytics vient également en France pour partager son savoir-faire de la digitalisation et enseigner à utiliser les algorithmes mathématiques pour répondre à des problématiques métier à très forte valeur ajoutée.

M. Arnaud FLEURY - Ruben HALLALI, vous êtes le cofondateur de HD-Rain, une entreprise française. Vous avez décidé de prospecter le marché ivoirien et de monter une structure sur place.

M. Ruben HALLALI, co-fondateur et président de HD-Rain - Tout à fait. HD-Rain compte actuellement dix personnes. Nous avons réalisé une levée de fonds avec un acteur très présent en Côte d'Ivoire dans le secteur du cacao et nous avons également bénéficié de tous les outils que la France avait à nous proposer. Nous avons bénéficié du Fonds d'études et d'aide au secteur privé (FASEP), qui nous a permis de lancer un projet à Abidjan en partenariat avec Météo France International pour le bénéfice de la Sodexam (équivalent de Météo France et de la direction générale de l'Aviation civile - DGAC - en Côte d'Ivoire). Nous avons cent quarante capteurs météo qui renforcent la prévision pour le risque d'inondation en ville, pour les plantations sur l'Ouest du pays, etc. Nous allons utiliser une assurance-prospection, nous avons fait une mission avec Business France pour explorer le marché ivoirien. Nous bénéficions d'une vraie traction, liée au fait que la digitalisation comprend beaucoup d'actions sur le marché ivoirien, avec la présence d'un écosystème qui est en train de se construire.

M. Arnaud FLEURY - Il existe de nombreux autres pays africains pour lesquels les besoins en digitalisation sont avancés. La Côte d'Ivoire vous semblait proposer cet écosystème vous permettant d'installer vos capteurs, de réaliser la maintenance, de commercialiser des solutions ?

M. Ruben HALLALI - Cela s'est fait grâce à deux belles opportunités. Nous avons rencontré l'acteur ivoirien Lifi-Led, qui installe nos capteurs en Côte d'Ivoire, et le représentant officiel de l'organisation mondiale de la météorologie pour la région Afrique, Monsieur KONATE, qui est ivoirien et travaille pour la Sodexam.

M. Arnaud FLEURY - Vous facturez en Côte d'Ivoire ?

M. Ruben HALLALI - Pour le moment, nous avons facturé Météo France international qui nous aide à nous exporter à l'international et nous facturons Touton, mais le but est également de vendre cette donnée météo de haute qualité. Ce qui rend cette technologie attrayante pour le pays, c'est que nous connectons ces capteurs derrière les paraboles chez des particuliers. Quand nous installons un capteur météo, nous avons l'antenne, le capteur météo, le décodeur, la télévision chez une personne qui se sent impliquée et qui se dit que cette digitalisation peut aussi se faire à son domicile et que cela peut aider au niveau économique.

M. Arnaud FLEURY - Lionel BARABAN, vous êtes le co-fondateur et président de FAMOCO, une entreprise qui commercialise des solutions de terminaux mobiles professionnels sécurisés sur Androïd. Cela permet de déployer des applications métiers, de faire de la transaction, etc. Vous vendez déjà des centaines de milliers de ces terminaux en Afrique, avec une présence en Côte d'Ivoire où vous avez des fonctions support. Avant de parler de votre stratégie, que vous inspire ce qui se passe actuellement en Côte d'Ivoire ?

M. Lionel BARABAN, co-fondateur et président de FAMOCO - Ce que cela m'inspire, c'est que nous nous connaissons tous, nous travaillons tous ensemble. Cet écosystème est vivant et existe, et en Afrique, 97 % des accès Internet se font à partir d'un téléphone mobile. Nous entendons que l'Afrique est en retard et qu'il faut aller plus vite mais en réalité, ce n'est pas vrai. L'Afrique est en avance au contraire, car elle passe directement à la mobilité pour ses transactions, et pas par l'ordinateur. Le ministre parle de digitalisation des transactions et d'identité numérique, la convergence entre l'identité et le paiement est en avance en Afrique alors que l'on commence à peine à le voir en France.

M. Arnaud FLEURY - Quelle est votre stratégie en Côte d'Ivoire ? Que vendez-vous et à qui ?

M. Lionel BARABAN - FAMOCO fabrique des terminaux mobiles permettant la sécurisation de la transaction et de la donnée afin qu'elle reste la propriété du peuple ivoirien. Nos clients sont soit des États pour construire des solutions de digitalisation, les Nations Unies pour les coupons alimentaires, ou Orange ou des banques qui font du digital banking, ou des polices qui équipent leurs policiers avec un appareil mobile sécurisé pour mettre des amendes, contrôler une identité, etc., ou encore dans l'agriculture pour que l'État connaisse ses agriculteurs.

FAMOCO fait plusieurs dizaines de millions d'euros de chiffre d'affaires, dont 60 % en Afrique, et la Côte d'Ivoire est l'un des pays les plus importants de la zone.

Nous sommes un acteur d'infrastructures. Nous développons une infrastructure mobile pour que viennent s'y connecter des solutions métier de caisse, de collection de taxes, de gestion de l'agriculture, des policiers, de la loterie nationale, etc. Les applications métiers sont toujours développées localement. Si nous connaissons et si nous travaillons avec tous les partenaires autour de cette table, c'est parce que sur différents projets, l'infrastructure que nous développons permet à leurs applications et à leurs savoirs-faire de se déployer sur notre infrastructure.

M. Arnaud FLEURY - Patrick KOUASSI, est-ce que le développement de logiciels offshore depuis la Côte d'Ivoire en sous-traitance, externalisé, est envisageable et présente un réel avantage comparatif ?

M. Patrick KOUASSI - Oui, c'est possible, et c'est mon plus grand souhait que nous devenions une plateforme reconnue de production de logiciels. Il faut cependant un contexte qui nous permette de le faire. Il faut notamment adapter le système éducatif pour le mettre à jour dans la production d'ingénieurs logiciels par rapport à tout ce qui se fait aujourd'hui. Aujourd'hui, de nombreuses entreprises françaises ont fait de l'offshore en Inde, au Bangladesh, et en Europe de l'Est. Les partenariats que nous avons conclus avec des entreprises françaises ont été possibles car en Côte d'Ivoire, nous sommes des Français avec un drapeau différent. Plus de la moitié d'entre nous avons fait des études dans les mêmes écoles que vous et nous parlons la même langue.

M. Arnaud FLEURY - Jeoffrey WOODS, vous faites de la gestion de parc informatique et vous faites de la fourniture d'accès Internet en zone blanche en haut débit via les satellites. Vous êtes intéressés par la Côte d'Ivoire ; qu'y faites-vous et que pensez-vous de la scène numérique ivoirienne ?

M. Jeoffrey WOODS, French Tech Abidjan, co-fondateur d'Altea et fondateur d'Intersat - La société Altea propose des solutions clé en main dans les hôpitaux, les hôtels, les universités. Intersat propose une connexion Internet par satellite avec le téléphone satellitaire. Aujourd'hui, je suis venu plutôt avec ma casquette de représentant de la French Tech Abidjan. Désormais, grâce à la technologie, tous les secteurs d'activités, même les plus traditionnels, seront impactés . En Côte d'Ivoire, nous avons la chance d'avoir une French Tech qui travaille déjà avec de grandes sociétés établies de la place comme Orange et FAMOCO, qui participent à divers types de projets : des projets intégrés financés par BPI, des projets dans le domaine de la santé avec des entreprises ivoiriennes, etc. L'un d'entre eux consiste en trois mille points relais de la Poste dont la gestion sera assurée par des femmes souhaitant se lancer dans l'entrepreneuriat et par des personnes handicapées.

M. Arnaud FLEURY - Un entrepreneur français peut-il tenter sa chance en Côte d'Ivoire ? Y en a-t-il beaucoup ?

M. Jeoffrey WOODS - Le train est déjà sorti de la gare, il faut attraper le wagon maintenant. Il y a énormément d'opportunités mais une seule condition pour réussir : il faut persévérer. Une coopération se met en place avec la French Tech Abidjan et le ministère de Monsieur ADOM. Nous aurons bientôt des propositions concrètes pour la création d'un fonds qui va aider les Ivoiriens et les Français à travailler ensemble en vue de concrétiser des projets à valeur ajoutée plus rapidement, pour le bénéfice de la Côte d'Ivoire.

M. Arnaud FLEURY - Les intervenants ont tous dit que les infrastructures digitales et la donnée coûtaient cher. Monsieur le ministre, avez-vous conscience de ce problème ?

M. Roger-Félix ADOM - L'économie étant libre, il n'est pas possible de règlementer les tarifs. Cependant, il n'existe pas de raison aujourd'hui pour que cela soit cher car nous sommes l'un des rares pays à avoir quatre accès aux câbles sous-marins.

M. Arnaud FLEURY - Quelles sont les tendances ? La stratégie actuelle du gouvernement avec le e-gouvernement, la numérisation ? Nous avons l'impression que le chantier est énorme et que l'offre française peut y répondre.

M. Roger-Félix ADOM - Le secteur privé est très dynamique dans le digital. La stratégie numérique se fait en sept points principaux. Le premier consiste à réussir à mettre des infrastructures numériques sur tout le territoire. Il faudra ensuite développer des services numériques avec le e-gouvernement, la e-santé. Il s'agit ensuite de parvenir à créer un climat de confiance. Il faudra aussi avoir des compétences et donc former les personnes. Ensuite, il faut assurer la cybersécurité. Enfin, nous devons structurer l'innovation.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur SYLLA, proposez-vous déjà des solutions pour le chantier de digitalisation de l'administration ?

M. Yaya SYLLA - Oui, surtout au niveau de la cybersécurité. La formation est indispensable dans ce domaine, raison pour laquelle SAH Analytics s'associe avec l'École nationale supérieure de statistique et d'économie appliquée et certaines écoles ivoiriennes d'ingénieurs pour former les jeunes ivoiriens et les intégrer dans des projets visant à apporter des solutions de sécurisation des systèmes.

M. Arnaud FLEURY - Lionel BARABAN, une offre française se positionne sur la e-santé ?

M. Lionel BARABAN - La technologie française est une technologie plus responsable en termes de protection des données et excellente en termes de sécurité. La spécificité de la technologie française est tout à fait en lien avec les besoins de l'Afrique aujourd'hui. En Côte d'Ivoire et dans toute la sous-région, il y a besoin d'organiser les procédures de santé, la e-santé, à savoir l'accès à un dossier de santé partagé. Une offre française seule ne réussirait ni en Côte d'Ivoire, ni dans la sous-région.

De la salle - J'ai une PME française qui est leader dans les systèmes en sas pour faire le métier de l'assurance-crédit et celui des exports-crédits d'agencies. Nos clients sont donc des États qui se rendent compte que les assureurs-crédits n'apportent pas toujours les garanties indispensables que les banques demandent pour accorder des crédits, et qui créent donc leur propre assurance-crédit. Il y a deux ans, nous avons travaillé sur un dossier avec un ministre ivoirien mais cela n'a pas abouti.

De la salle - Je suis avocate, la question de l'inclusion financière fait-elle partie de votre agenda, Monsieur le ministre ?

M. Roger-Félix ADOM - L'inclusion financière est très importante car ce qui nous intéresse n'est pas la technologie mais son utilisation.

CLÔTURE DU COLLOQUE

Mme Agnès CANAYER,
présidente déléguée pour la Côte d'Ivoire
du groupe d'amitié France-Afrique de l'Ouest

Messieurs les ministres,

Monsieur l'ambassadeur,

Monsieur le directeur général,

Mes chers collègues,

Mesdames et Messieurs,

Chers amis,

Malheureusement retenue dans mon département de la Seine-Maritime, j'aurais beaucoup aimé partager avec vous cette journée qui a dû être riche en échanges et en nouveaux liens créés. Ce sont ces liens qui permettent de tisser l'étoffe des plus belles aventures humaines. J'espère qu'au Sénat sont nées aujourd'hui de belles initiatives au service des grands projets franco-ivoiriens. N'ayant pu participer à vos travaux, il m'en est difficile de faire la synthèse. Toutefois, ayant eu la chance d'accompagner notre ministre du commerce extérieur Franck RIESTER en Côte d'Ivoire au début du mois de juin, j'ai pu prendre la température du climat des affaires.

Je souhaiterais vous adresser aujourd'hui trois messages. Tout d'abord, un message d'amitié à nos amis ivoiriens. Permettez-moi de remercier chaleureusement les ministres du gouvernement de la Côte d'Ivoire qui se sont déplacés pour ce colloque au Sénat. J'ai eu le plaisir de rencontrer certains d'entre eux il y a quelques semaines à Abidjan. Leur présence atteste, s'il en est besoin, du fort désir de la Côte d'Ivoire de développer les échanges avec notre pays. Il y a en effet une forte attente avec de multiples besoins à satisfaire. J'ai pu m'en rendre compte sur place. Or pour répondre aux défis économiques de la Côte d'Ivoire, le recours à l'expertise française dans les domaines agricole, agro-alimentaire en particulier, mais aussi dans les secteurs d'avenir comme le numérique et le développement urbain ou encore les infrastructures et le transport, peut avoir un effet d'accélérateur sur le développement économique de la Côte d'Ivoire.

Mon deuxième message s'adresse à nos entreprises. Il y a de formidables opportunités à saisir en Côte d'Ivoire. Les entreprises françaises sont déjà nombreuses à s'être installées sur place - plus de six cent, mais il y a tant à faire. Située à moins de six heures de Paris et très bien desservie avec plusieurs rotations journalières, la Côte d'Ivoire est un marché en pleine expansion qui a connu une croissance de 8 % entre 2012 et 2019. Avec le rebond attendu de la période post-Covid, avec l'ambitieux plan national de développement qui prévoit notamment l'expansion du port d'Abidjan, le développement des infrastructures dans les domaines de l'eau, de la construction de logements, de l'énergie et du transport, les grands chantiers engagés pour l'organisation de la Coupe d'Afrique des nations de 2023, nous voyons l'envie d'investir et d'entreprendre. Votre participation à ce colloque montre l'intérêt de nos entreprises pour la Côte d'Ivoire qui a vocation à devenir une véritable puissance économique régionale.

Mon troisième message s'adresse aux jeunes Ivoiriens et aux jeunes Français : franchissez le pas de la mobilité internationale dès que ce sera de nouveau possible. Une belle solidarité peut se nouer entre nos jeunes dans le cadre de partenariats. En tant que présidente déléguée du groupe d'amitié pour la Côte d'Ivoire, j'entends maintenant m'investir en faveur de l'augmentation des échanges d'étudiants pour le bien entre nos deux pays et les entreprises qui les recruteront. En formant des jeunes, en investissant dans leur avenir professionnel, c'est l'avenir des deux pays que nous préparons. L'AFD en a fait l'une de ses priorités d'actions en Côte d'Ivoire.

Au terme de cette journée, j'espère que vous aurez pu récolter toutes les informations utiles et qu'elles vous auront permis de faire mûrir de très beaux projets au service de nos coopérations économiques franco-ivoiriennes. Alors vive la France, vive la Côte d'Ivoire.

M. Maurice BANDAMAN,
ambassadeur de Côte d'Ivoire en France

La difficulté de parler en dernier est que tout a été dit et l'on court le risque de n'avoir rien à dire. C'est pour cela que je serai bref. Je remercie le Sénat français et tous les partenaires dont Business France, les opérateurs économiques français basés en France et en Côte d'Ivoire d'avoir permis cet échange sur l'économie de la Côte d'Ivoire. Je me joins aux ministres envoyés par le gouvernement pour remercier le gouvernement ivoirien. Le témoignage est fait. La Côte d'Ivoire est une belle destination pour les affaires. Tout a été dit et cela confirme que les sociétés françaises, installées depuis des décennies en Côte d'Ivoire, y sont bien traitées et prospères, tout en laissant de la place pour d'autres. En tant qu'ambassadeur, ma feuille de route était de faire passer le nombre d'entreprises de sept cent à au moins mille, voire aller au-delà de mille cinq cent. J'ai donc un devoir et une obligation de résultats. Nous appelons les entreprises françaises à revenir encore plus nombreuses en Côte d'Ivoire, qu'elles ont été tentées de déserter en raison des épreuves que nous avons connues dans les années 2000. Le président vous invite à revenir prendre votre place car la France et la Côte d'Ivoire est une affaire de « collé-collé », signifiant que nous sommes inséparables. Venez, nous prospérerons ensemble. En Côte d'Ivoire en outre, il y a de la bonne musique, de la bonne cuisine, une bonne ambiance ; on va « s'enjailler ».


* 1 Membres du groupe interparlementaire d'amitié France-Afrique de l'Ouest : M. André Reichardt, Président, Mme Agnès Canayer, Présidente déléguée pour la Côte d'Ivoire, M. Bruno Belin, Président délégué pour le Burkina Faso, M. François Bonneau, Président délégué pour le Niger, M. Laurent Burgoa, Président délégué pour la Gambie, Mme Hélène Conway-Mouret, Présidente déléguée pour le Bénin, M. Thierry Cozic, Président délégué pour le Togo, Mme Nathalie Delattre, Présidente déléguée pour le Mali, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, Présidente déléguée pour le Sénégal, M. Xavier Iacovelli, Président délégué pour la Mauritanie, M. Patrice Joly, Président délégué pour la Sierra Leone, M. Alain Joyandet, Président délégué pour le Cap-Vert, M. Joël Labbé, Président délégué pour la Guinée-Bissau, M. Jean-Yves Leconte, Président délégué pour la Guinée Conakry, M. Jean-François Longeot, Président délégué pour le Libéria, M. Didier Mandelli, Président délégué pour le Nigeria, M. Jean Sol, Président délégué pour le Ghana, M. Joël Bigot, Vice-président, M. Guillaume Chevrollier, M. Olivier Cigolotti, Vice-président, M. Christophe-André Frassa, Vice-président, Mme Nathalie Goulet, Vice-présidente, M. Joël Guerriau, Vice-président, M. Abdallah Hassani, Vice-président, M. Bernard Jomier, Vice-président, M. Pascal Salvodelli, Vice-président, M. Olivier Cadic, Secrétaire, Mme Annick Petrus, Secrétaire, M. Lucien Stanzione, M. Stéphane Artano, Mme Eliane Assassi, M. Julien Bargeton, M. Philippe Bas, M. Yves Bouloux, M. Hussein Bourgi, Mme Marie-Arlette Carlotti, M. Alain Cazabone, M. Edouard Courtial, M. Yan Chantrel, M. Ronan Dantec, M. Stéphane Demilly, M. vincent Éblé, M. Guillaume Gontard, Mme Corinne Imbert, M. Laurent Lafon, M. Martin Lévrier, M. Ronan Le Gleut, Mme Annie Le Houerou, M. Victorin Lurel, M. Philippe Mouiller, M. Georges Patient, Mme Marie-Laure Phinera-Horth, M. Damien Regnard, M. Hugues Saury, M. Rachid Temal, M. Mickaël Vallet, M. André Vallini, Mme Dominqiue Vérien

N° GA 161 - Avril 2022

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