Rapport de groupe interparlementaire d'amitié n° 139 - 28 juin 2016


Groupe interparlementaire d'amitié

France-Afrique de l'Ouest (1 ( * ))

LE NIGÉRIA, PREMIÈRE ÉCONOMIE AFRICAINE

Actes du colloque Sénat du 27 mai 2016

Sous le haut patronage de
M. Gérard LARCHER, Président du Sénat

Palais du Luxembourg
Salle Clemenceau

M. Charles Revet, sénateur de la Seine-Maritime,
Président délégué pour le Nigéria du groupe d'amitié
France-Afrique de l'Ouest

Salle Clemenceau

M. Tony Elumelu,
Président directeur général, Heirs Holdings

De gauche à droite : MM. Arnaud Fleury, journaliste,

Denys Gauer, Ambassadeur de France au Nigéria,

et Tony Elumelu

De gauche à droite :
M. Tony Elumelu et Mme Muriel Pénicaud,
Directrice générale de Business France

Vue de la salle Clemenceau
qui a accueilli près de 200 participants autour des 3 tables rondes de la matinée et une soixantaine d'entreprises au cours de l'après-midi pour des entretiens personnalisés

OUVERTURE

Message de M. Gérard LARCHER, Président du Sénat

lu par M. Charles REVET,
Sénateur de la Seine-Maritime et Président délégué pour le Nigéria
du groupe interparlementaire d'amitié France-Afrique de l'Ouest

« Mesdames, Messieurs,

Deux semaines après la participation du Président de la République française au sommet d'Abuja, le Sénat se félicite d'accueillir ce matin, pour la première fois dans l'histoire de son partenariat avec Business France, un grand colloque consacré au Nigéria.

En effet, nombreuses sont les raisons de mieux faire connaître ce géant africain au potentiel exceptionnel auprès des acteurs économiques et de nos concitoyens en général.

Avec plus de 180 millions d'habitants, le Nigéria est évidemment une puissance démographique. Sa population représente plus de la moitié de celle de l'Afrique occidentale et, au rythme actuel, elle pourrait atteindre les quatre cents millions d'habitants en 2050, se hissant ainsi au troisième rang mondial, devant celle des États-Unis.

D'ores et déjà, Lagos est une mégalopole de vingt millions d'habitants et douze autres villes dépassent le million d'habitants, ce qui génère d'immenses besoins en infrastructures.

Le Nigéria est également devenu la première puissance économique d'Afrique, forte de ses ressources naturelles et de son dynamisme entrepreneurial.

En effet, depuis 2014, le produit intérieur brut (PIB) du Nigéria a supplanté celui de l'Afrique du Sud avec un rythme de croissance soutenu de 6 % en moyenne par an.

Il convient de souligner que, malgré la chute du prix du baril de pétrole, l'économie nigériane a généré en 2015 plus de richesses que l'économie sud-africaine.

Il faut remarquer enfin, sous l'angle institutionnel, que le Nigéria est une démocratie. Il a su conforter son statut démocratique l'an dernier, à l'issue d'un processus exemplaire permettant la première alternance depuis le retour de la démocratie en 1999, et ceci malgré une situation sécuritaire difficile, en particulier dans le Nord-Ouest.

Dans ce contexte, nous nous réjouissons vivement de la qualité de nos relations bilatérales, qui se sont encore densifiées au cours des dernières années, notamment à travers la lutte contre la menace terroriste de Boko Haram.

Le Président du Nigéria Muhammadu Buhari est venu à Paris en 2015, réservant ainsi à la France sa première visite bilatérale hors du continent africain.

Le Président François Hollande s'est, lui, rendu deux fois au Nigéria depuis 2014.

Le rapprochement entre nos deux pays est incontestablement un des axes de notre politique diplomatique en Afrique à long terme.

Comme vous le savez, le Sénat est très attentif à tout ce qui peut développer la présence française dans le monde et qui peut accompagner la diplomatie nationale.

J'ai reçu, le 4 décembre 2105, M. Abubakar Bukola Saraki, Président du Sénat de la République du Nigéria qui dispose d'une institution fédérale très intéressante.

Je tiens ici à rendre tout particulièrement hommage à l'action menée par le groupe interparlementaire d'amitié France-Afrique de l'Ouest, conduit par son Président Jacques Legendre, ainsi qu'à l'implication de ses membres et de son Président délégué Charles Revet.

Mes remerciements vont aussi à toutes celles et à tous ceux qui ont permis la tenue de cette manifestation internationale : Mme Muriel Pénicaud, Ambassadrice déléguée aux investissements internationaux et Directrice générale de Business France ; M. Hakeem Olawale Sulaiman, Ambassadeur du Nigéria en France ; M. Denys Gauer, Ambassadeur de France au Nigéria ; et M. Bertrand de La Forest Divonne, Directeur Business France au Nigéria.

Chacun d'eux interviendra tout à l'heure.

Votre présence ce matin atteste bien de l'intérêt tout particulier que nos entreprises accordent à l'Afrique et au Nigéria en particulier. Celui-ci constitue déjà la première destination des investissements français et le premier partenaire commercial de la France en Afrique sub-saharienne.

Ce pays offre des perspectives prometteuses dans de multiples domaines : l'énergie, les transports, l'agro-alimentaire, les infrastructures, la grande distribution ou encore la santé. Autant de domaines où l'excellence française est reconnue.

La Haute Assemblée que j'ai l'honneur de présider entend contribuer, en renforçant ces liens privilégiés, au plein épanouissement de ces potentiels.

Je vous souhaite donc à tous de fructueux travaux. Ces travaux se poursuivront encore cet après-midi au Sénat par des entretiens personnalisés. Je souhaite vivement que ces entretiens contribuent au développement de nos investissements et de nos échanges réciproques, au service de la croissance et de l'emploi. »

M. Tony ELUMELU, Président-directeur général de Heirs Holdings

Monsieur le Président Charles Revet,

Messieurs les Sénateurs,

Mesdames et Messieurs,

J'ai eu le plaisir de pouvoir visiter le Palais du Luxembourg avant le début de nos travaux. J'ai conscience que cet édifice symbolise le coeur de la démocratie française. Je remercie particulièrement Mme Muriel Pénicaud, Directrice générale de Business France.

J'aimerais également remercier Son Excellence M. Denys Gauer, et ses collaborateurs car ils ont réussi à créer un très fort partenariat entre le Nigéria et la France.

Je voudrais pour commencer vous dire combien je suis heureux que mon pays et la France soient des partenaires très liés. Comme cela a été rappelé, notre Président est venu en France lors de sa première visite hors d'Afrique, ce qui est lourd de sens. Le Président François Hollande était au Nigéria il y a deux semaines. Auparavant, il avait assisté à Paris à une réunion portant sur la sécurité au Nigéria.

Effectivement, quand on cherche une destination pour développer ses affaires, on choisit une destination sûre. Le rôle du gouvernement français est déterminant pour établir la sécurité dans notre pays.

J'aimerais encore remercier les organisateurs de ce colloque. Je pense qu'il s'agit d'une initiative formidable, qui montre la voie à suivre en ce XXI e siècle.

Je tiens à saluer également la démarche de M. Pierre Gattaz, président du MEDEF, qui a conduit une délégation de cinquante entrepreneurs français au Nigéria l'an dernier et qui a permis à des entrepreneurs nigérians de venir en France. Je pense que ce type d'actions est à renouveler.

J'en reviens maintenant au Sénat.

Je voudrais dire à M. Charles Revet et à ses collègues sénateurs que je suis vivement impressionné par l'importance que vous accordez au développement économique.

En tant qu'homme d'affaires, je sais que celles-ci ne sont fructueuses que s'il existe un partenariat fort entre les gouvernements, ainsi qu'entre le secteur public et le secteur privé. Là où le secteur public encourage le secteur privé, le développement économique est florissant. Ce partenariat est la clé d'une économie inclusive en croissance. Nous sommes là au centre de la démocratie. Nous sommes ici pour parler d'affaires, et pas de politique, je l'admets, mais je suis obligé de constater la dimension politique dans les affaires entre la France et le Nigéria.

Je suis un entrepreneur comme beaucoup d'entre vous qui êtes dans la salle. Je suis le directeur de la United Bank for Africa. Nous possédons un bureau ici, à Paris, et nous opérons aussi à Londres et aux États-Unis d'Amérique, principalement depuis New York. Nous soutenons à la fois les entreprises et les entrepreneurs individuels. Je suis également le directeur de Transcorp, conglomérat qui investit dans trois domaines : l'énergie (le pétrole et le gaz), l'hôtellerie et l'immobilier.

J'ai également créé la Fondation Tony Elumelu qui encourage des mentors en entreprenariat dans les 55 pays d'Afrique. Notre intention est d'identifier et de soutenir 10 000 jeunes entrepreneurs dans toute l'Afrique. En développant l'économie de l'Afrique, nous souhaitons contribuer à l'établissement de la paix et de la stabilité non seulement sur notre continent, mais dans le monde entier.

Je suis ravi d'être invité à votre colloque car il m'offre l'opportunité de présenter l'environnement d'affaires du Nigéria et de l'Afrique. Le Nigéria est la première économie d'Afrique, comme la France est l'une des plus grandes économies européennes. Le partenariat entre ces deux économies puissantes est réellement prometteur.

J'aimerais partager avec vous mon point de vue sur la manière de mener des affaires en Afrique. Le Nigéria constitue un macrocosme de l'Afrique. Je crois fermement au succès de son économie.

Les conseils que vous entendrez aujourd'hui concernant le Nigéria, vous pourrez tout à fait les transposer ailleurs en Afrique. Je parle toujours de manière pratique, car j'ai l'expérience de quelqu'un qui a débuté en tant qu'entrepreneur sur le continent africain et qui, depuis lors, conduit des entreprises qui créent de l'emploi.

Notre groupe compte environ 30 000 collaborateurs directs. Nous investissons dans plus de 21 pays africains. Toutefois, nous souhaitons également investir en Europe.

À vous qui vous intéressez au Nigéria, je dois dire que plusieurs facteurs guident nos investissements. J'aimerais aborder cette question avec vous ce matin.

Tout d'abord, voyons la taille du marché du Nigéria. L'Afrique est porteuse d'une immense population. À lui seul, le Nigéria compte 180 millions d'habitants. Il faut comprendre la structure démographique de cette population et l'analyser. 60 % de cette population a moins de 30 ans : le potentiel est donc énorme. Ce boom démographique doit être bien analysé pour ne pas constituer un « désastre démographique ». Si vous souhaitez investir au XXI e siècle, le monde est votre marché. Réfléchissez bien à l'opportunité du Nigéria, car il représente un énorme potentiel.

Le deuxième point à considérer est le retour sur investissement. La question à se poser est : « Où puis-je investir pour obtenir le meilleur retour sur investissement ? ». Pour moi, l'investissement n'est pas qu'une affaire de dollars ou d'euros. Cet élément entre en ligne de compte, évidemment, mais il faut considérer d'autres enjeux. Nous parlons ici de capitalisme africain. Nous évoquons la participation africaine dans des investissements au long terme pour le développement économique de secteurs clés.

Nous enregistrons bien sûr des bénéfices, mais nous faisons également de l'« empowerment » (processus visant à accroître le pouvoir des individus ou des groupes à agir sur les conditions sociales, économiques, politiques ou écologiques dans lesquelles ils évoluent). Nous travaillons à l'amélioration de l'économie de manière globale. Par exemple, nous soutenons des hôpitaux, nous aidons des personnes à continuer leurs études, etc.

Vous ne trouverez aucun endroit dans le monde où vous puissiez avoir un meilleur retour sur investissement que l'Afrique et le Nigéria. Que le retour sur investissement soit considéré sur le seul aspect financier ou non, de toute façon, votre présence en Afrique sera intéressante. C'est également en Afrique que vous produirez le meilleur impact humanitaire.

Par ailleurs, vous devez considérer l'aspect du capital humain : « Existe-t-il au Nigéria un capital humain suffisant pour soutenir mes affaires ? ». Sur le continent africain et au Nigéria en particulier nous avons des talents et des collaborateurs bien formés. Certains d'entre eux mènent d'ailleurs leurs affaires de manière très agressive. Pour ma part, j'ai décidé de fonder une académie dans le but d'éduquer des individus et de les préparer à nos emplois. Il existe donc des travailleurs formés. Les matières premières sont là. Tout est propice à votre installation au Nigéria.

J'insisterai également sur le fait que le Nigéria est un État de droit et que celui-ci protège les contrats. Je n'y ai jamais entendu parler d'un cas où il y ait eu retournement de quelque transaction que ce soit. Bien sûr, nous pouvons encore faire mieux, notamment au niveau juridique, mais la situation est déjà très satisfaisante.

Je considère que l'environnement réglementaire est également déterminant. Il est toujours indispensable de se demander : « Sera-t-il facile d'obtenir les autorisations réglementaires nécessaires à mon implantation ? ». L'une des raisons pour laquelle les banques du Nigéria sont sorties de la crise financière de 2008-2009 est justement la réglementation du pays. Bien sûr, il reste des points à améliorer, mais grâce notamment au nouveau gouvernement, il n'existe aucune tolérance pour ceux qui ne respectent pas la réglementation. Les entreprises qui n'appliquent pas les lois sont sanctionnées. Grâce à l'attitude du gouvernement, la corruption est en diminution constante et les autorisations administratives délivrées à des entrepreneurs augmentent par ailleurs. Les investisseurs sont donc fortement encouragés.

Il est encore nécessaire de savoir si le contexte macroéconomique est stable. Au Nigéria, l'annulation de la dette a généré la stabilité politique. Très récemment, nous avons rencontré des difficultés de taux de change, en raison de la chute du prix du baril de pétrole, mais il ne s'agit pas d'un problème de long terme car il a été réglé.

En termes d'infrastructures, je dirais que le pays n'est pas exemplaire. Les transports peuvent être considérés comme archaïques. Toutefois, ce sujet peut constituer une opportunité pour des investisseurs : un pays de 180 millions de personnes, avec peu d'accès à l'électricité, par exemple, présente énormément d'opportunités économiques, que ce soit pour des électriciens traditionnels ou pour des producteurs d'énergies renouvelables. Au Nigéria, les infrastructures ne devraient donc pas être considérées comme un handicap. Au contraire, de mon point de vue, cet état de fait constitue une opportunité d'affaires.

J'attache par ailleurs beaucoup d'importance à l'écosystème d'affaires, qui est déterminant pour qui souhaite investir. Encore une fois, notre écosystème d'affaires est tout à fait porteur.

Les affaires dépendent d'un certain nombre de facteurs, notamment la sécurité. Chacun se demandera à juste titre : « Mes affaires sont-elles sûres ? Les personnes qui travaillent dans mon entreprise sont-elles en sécurité ? ». Je dois reconnaître qu'avec la crise induite par l'apparition du groupe terroriste Boko Haram, nous avons rencontré des difficultés de sécurité, mais il s'agit d'un problème très isolé. Ceux d'entre vous qui lisent les journaux savent ce qui se passe. Vous savez que le gouvernement nigérian est déterminé et que Boko Haram est fermement combattu. La situation s'est donc grandement améliorée.

Personnellement, étant moi-même investisseur, je vous encourage à vous focaliser sur tous les éléments positifs que j'ai évoqués et je vous invite chaleureusement à implanter au Nigéria les affaires que vous avez développées en France. Pour ce faire, il vous faudra identifier le partenaire qui pourra vous aider à mener votre entreprise avec succès.

J'aimerais voir davantage de petites et moyennes entreprises (PME) en Afrique. Nous avons bien sûr déjà chez nous le groupe Bolloré, Total, CFAO, Air France, etc. Les grandes entreprises sont importantes, mais nous avons besoin des PME, qui doivent saisir davantage l'opportunité africaine. Au Nigéria et partout en Afrique, nous les invitons à chercher des partenariats avec nous et à développer leurs affaires sur notre continent.

Les innovations n'ont plus de frontières. Les idées peuvent venir de n'importe où dans le monde. Nous en avons nous-mêmes, sur le continent africain, de très bonnes.

Le programme de soutien aux entrepreneurs de la Fondation Tony Elumelu vise à faire émerger de nouvelles initiatives. Nous voudrions tisser des partenariats avec des entreprises françaises et j'espère aujourd'hui pouvoir le faire.

Aujourd'hui, nous comptons plus de 65 000 entrepreneurs sur le continent. L'an dernier, ce chiffre était moindre, ce qui signifie que nous avançons dans la bonne direction. Nos interventions sont limitées à 10 millions de dollars par an. Nous avons un engagement à hauteur de 100 millions de dollars. L'an dernier, nous avons obtenu 45 000 dollars de différents pays d'Afrique. Nous comptons 2 000 entrepreneurs au sein de notre fondation. Certains veulent se développer en Afrique et ils ont trouvé des partenaires avec lesquels travailler.

Je suis tout à fait disposé à répondre à toutes les questions que vous pourriez avoir à ce sujet.

Mme Muriel PÉNICAUD, Ambassadrice déléguée aux investissements internationaux, Directrice générale de Business France

Monsieur le Sénateur Charles Revet,

Monsieur l'Ambassadeur de France au Nigéria, Denys Gauer,

Monsieur le Directeur, mon cher ami Tony Elumelu,

Chers entrepreneurs,

Mesdames et Messieurs,

Merci à tous d'être là.

Non seulement l'équipe Business France à l'international est présente ici aujourd'hui pour vous conseiller, mais aussi l'équipe franco-nigériane, basée au Nigéria, et je m'en réjouis.

Je voudrais d'ailleurs déjà saluer la présence dans la salle de beaucoup des acteurs impliqués dans cette opération et dans le soutien aux entreprises. Six conseillers du commerce extérieur sont ici, ainsi que les représentants de la Chambre de commerce franco-nigériane, l'Agence française de développement, Proparco et BPI France.

Le fait que nous soyons tous là aujourd'hui prouve que nous croyons aux opportunités du co-développement franco-africain. Nous savons que ce co-développement n'est pas limité aux grands groupes, mais qu'il s'ouvre également aux PME et aux entreprises de taille intermédiaire (ETI) de nos deux pays. Notre but est d'utiliser les opportunités de croissance du Nigéria pour vous aider, entrepreneurs français, à favoriser votre développement dans ce pays.

Nous souhaitons également aider les entreprises du Nigéria et d'Afrique sub-saharienne à trouver des partenaires français pour des activités d'export, d'import, de co-développement, mais aussi d'investissement en France. Tout le monde peut trouver le partenaire qui lui convient.

Certains grands groupes français sont déjà bien implantés au Nigéria. Ils peuvent en quelque sorte servir de « porte-avions » à des PME et à des ETI. Je remercie en particulier les groupes Bolloré Africa Logistics, Total, Schneider Electric, CFAO, qui sont partenaires de notre rencontre d'aujourd'hui.

Vous avez ici tous conscience du décollage économique fulgurant de l'Afrique. L'Afrique connaît une croissance très forte malgré des difficultés. Les faits prouvent que ces difficultés sont bien gérées. Vous savez tous également que le Nigéria est plus qu'aux avant-postes de cet essor, puisqu'il en est même la locomotive.

J'adresse une salutation spéciale à Tony Elumelu car il est l'un des « moteurs » de cette locomotive. Non content d'être directeur d'un grand groupe bancaire, d'une société d'investissement et d'une holding, il est surtout un grand « philanthrope entrepreneurial ». Il consacre de son temps, de son énergie, de son argent et de ses réseaux pour aider 10 000 entrepreneurs africains à se développer.

Nous partageons la vision de Tony Elumelu : une entreprise ne se développera durablement que si elle répond à des besoins de société. Tout l'enjeu des opportunités à saisir au Nigéria et, de manière plus générale en Afrique, tient au fait qu'il existe de grands besoins en infrastructures, en constructions, en agroalimentaire, en énergies renouvelables, en santé, etc. Ces besoins de société constituent des opportunités d'affaires. Le deuxième enjeu tient au fait qu'il existe au Nigéria et en France une relève d'entrepreneurs prêts à investir.

Je rappelle quelques éléments favorables aux entrepreneurs français. Tout d'abord, la France est le pays du monde qui possède le plus grand réseau diplomatique en Afrique. Nous sommes présents dans toutes les capitales. De fait, dans de nombreux pays, le droit des affaires est similaire au nôtre. Les règles françaises ont influencé les réglementations d'un certain nombre d'États africains. Par ailleurs, de nombreuses conventions bilatérales sécurisent nos relations juridiques, fiscales et sociales. Enfin, la diaspora africaine est importante en France.

Que fait Business France dans ce contexte ? Business France est l'agence pour l'internationalisation de l'économie française. Nous aidons les entreprises françaises ou implantées en France à exporter et les entreprises étrangères à investir en France. Nous faisons la promotion de l'image économique de la France.

Aujourd'hui, beaucoup de ceux qui investissent en France ne le font pas seulement à cause des infrastructures du pays, de ses talents, de sa productivité, de sa localisation et de son grand marché. Ils savent aussi que la France constitue une plateforme pour réexporter vers l'ensemble de l'Europe, l'Afrique et le Moyen-Orient. Les chiffres le prouvent : un tiers de l'export français est fait par les filiales françaises de groupes étrangers.

Business France est présente dans soixante-douze pays, grâce à 1 500 experts de tous les secteurs d'activité. Nous étions relativement peu investis en Afrique sub-saharienne. Après la création de Business France, suite à la fusion d'Ubifrance et de l'AFII il y a un an et demi, nous avons décidé d'y renforcer notre présence rapidement.

Depuis l'année dernière, nous sommes passés d'un bureau en Afrique du Sud, compétent pour toute la zone, à huit bureaux en Afrique sub-saharienne, qui couvrent vingt-trois pays. Les bureaux sont répartis en deux zones : Afrique occidentale et centrale, et Afrique orientale et australe.

Lagos est au centre du dispositif d'Afrique occidentale et centrale pour des raisons géographiques et économiques évidentes. Cette région représentait déjà quatre milliards d'euros d'échanges bilatéraux en 2015.

Cette année-là, nous avons accompagné près de 400 entreprises dans des rencontres acheteurs ou des forums de partenariat en Afrique du Sud, en Côte d'Ivoire, au Kenya et à Lagos. Nous avons également mené des opérations « sur-mesure » pour plus de 400 entreprises, en les orientant et en les soutenant dans leur recherche de partenaires, de distributeurs et d'importateurs.

En 2016, nous organisons 700 événements export. En avril dernier, par exemple, nous étions à Abidjan pour le forum d'affaires France-Afrique de l'Ouest et centrale.

L'année prochaine, nous accentuerons le développement à l'export. Nous organiserons sept grandes missions collectives sur le seul territoire du Nigéria. Nous travaillons à l'ouverture d'un bureau Invest permanent à Lagos. Nous proposons encore un programme « French tech », spécialement conçu à l'adresse des start-ups.

Nous développons le programme du volontariat international en entreprise (VIE), qui permet à de jeunes diplômés d'aller passer un ou deux ans à l'étranger pour le compte d'une entreprise. Si ce programme vous semble opportun, vous avez juste à choisir le jeune diplômé qui correspond à vos besoins : nous gérerons toutes les démarches nécessaires à son installation au Nigéria, jusqu'à son hébergement.

En partenariat avec l'AFD et Campus France, nous travaillons aux relations avec les 100 000 étudiants d'Afrique sub-saharienne que la France accueille chaque année.

N'hésitez donc pas à venir vers nous pour vous soutenir dans vos projets.

M. Denys GAUER, Ambassadeur de France au Nigéria

Monsieur le Président,

Madame l'Ambassadrice et Directrice générale,

Mesdames, Messieurs,

Je suis au Nigéria depuis près d'un an et demi. Présenter le Nigéria n'est pas chose facile, car ce pays est un monde en soi. Il est une espèce de « résumé de l'Afrique ». Au Nigéria, vous trouverez le pire et le meilleur. Votre vision pourra donc être soit très positive, soit très négative, selon l'endroit où vous regardez.

S'agissant du pire, nous parlerons de Boko Haram. En 2015, Boko Haram a été plus meurtrier que n'importe quel autre groupe terroriste au monde, y compris Daesh. Ce groupe terroriste contrôlait alors encore un territoire grand comme la Belgique. Le groupe est aujourd'hui repoussé et affaibli mais il continue à maintenir un climat d'insécurité prégnant dans le nord-ouest du pays, notamment à travers des attentats-suicides. En dehors de Boko Haram, l'extrême pauvreté et le fanatisme religieux, cumulés à l'absence d'infrastructures et de services sociaux constituent un terreau sur lequel peuvent émerger d'autres mouvements extrémistes.

Il existe par ailleurs de nombreux autres conflits endémiques et violents au Nigéria. Au centre du pays, des éleveurs peuls et des agriculteurs sédentaires se battent pour le contrôle des terres. Au Sud, des sabotages d'installations pétrolières sont régulièrement commis par des « militants » qui exigent leur part de la manne pétrolière.

Enfin, ce que j'appelle le « mal suprême », à savoir la corruption, accompagne le Nigéria depuis son indépendance dans des proportions quelquefois difficiles à imaginer. Dans le passé, une bonne partie de la richesse nationale a été détournée. M. David Cameron, Premier ministre britannique, parlait récemment du Nigéria comme d'un pays « extraordinairement corrompu ».

Voilà pour la partie obscure.

S'agissant du meilleur, le Nigéria sort d'une décennie de croissance continue à 7 % par an qui en a fait la première économie d'Afrique. Lagos est aujourd'hui la capitale du continent africain. Son économie croît de 10 à 12 % par an. Les conditions sécuritaires, la propreté et les transports y ont été améliorés. L'économie nigériane s'est diversifiée. Les services représentent aujourd'hui plus de la moitié du produit intérieur brut (PIB) nigérian, alors que l'économie pétrolière n'y représente plus que 15 %. Le pétrole fournit néanmoins toujours l'essentiel des ressources budgétaires du pays et de ses recettes en devises. Le Nigéria a désormais un système bancaire solide. Il possède par ailleurs la troisième industrie cinématographique au monde.

Cependant, l'aspect le plus impressionnant du Nigéria est, à mon sens, son formidable esprit d'entreprise. On trouve chez les jeunes Nigérians la confiance en soi et en l'avenir. Vous avez entendu M. Elumelu un peu plus tôt. Sa banque est maintenant présente dans de nombreux pays du monde. Toutefois, sa fondation a aussi, il y a 20 ans déjà, consacré 100 millions de dollars pour former les jeunes entrepreneurs « africapitalistes ».

Le groupe Dangote investit au Nigéria et dans toute l'Afrique dans des secteurs très divers : du ciment à la pétrochimie, en passant par l'agriculture. M. Mike Adenuga possède l'une des trois licences de téléphonie mobile du Nigéria. Il me disait récemment : « La téléphonie fixe n'a jamais fonctionné au Nigéria. J'ai payé 350 millions de dollars pour obtenir une licence de téléphonie mobile. Comme moi, les deux autres opérateurs de téléphonie mobile payent des taxes et des redevances. Aujourd'hui, la téléphonie fonctionne bien, sans que cela n'ait rien coûté à l'État, bien au contraire. »

Pour prendre un autre exemple, je citerai le groupe Chagoury. Ce groupe construit actuellement à Lagos une ville nouvelle ultramoderne sur des terrains gagnés sur la mer. Lors de sa visite au Nigéria, le président du MEDEF, M. Pierre Gattaz a d'ailleurs visité le chantier. Le financement de ce projet est entièrement privé.

Il y a donc aujourd'hui au Nigéria des acteurs privés dynamiques, aux moyens conséquents, qui croient en leurs pays et y investissent. Ils peuvent être vos partenaires.

Ceci dit, plusieurs ensembles et plusieurs réalités se côtoient au Nigéria. Ces décalages constituent un défi pour l'avenir et devront être corrigés. La créativité et l'esprit pionnier des nouvelles élites permettront assurément au pays de devenir le principal pôle économique du continent.

En ce qui concerne les insuffisances de la gouvernance politique et la corruption, la situation change également. Le Nigéria indépendant a connu une histoire mouvementée.

Les élections y ont longtemps été d'une crédibilité douteuse. Or, l'an passé, le Président Buhari a été élu en toute légitimité et sans violences, créant une véritable alternance politique. Le Président Buhari a déclaré : « Quand j'ai été élu, j'ai remercié Dieu et la technologie. » De fait, l'utilisation de cartes électroniques lors de l'élection, cumulée à une surveillance accrue des ONG et des médias, a drastiquement limité la possibilité de truquer l'élection. Le pays a franchi un palier que l'on peut espérer définitif.

Dans la même logique, on peut espérer que de meilleurs instruments d'audit et la capacité de dénonciation des ONG et des médias limitent la prédation financière à grande échelle. Le Président Buhari s'est fermement engagé dans la lutte contre la corruption bien qu'il ait rencontré, on l'imagine, une certaine opposition.

Je terminerai par l'évocation de nos relations bilatérales qui connaissent une période particulièrement faste. Notre partenariat économique avec le Nigéria n'est pas récent. Le lien politique, lui, n'a pas toujours été le meilleur. L'intervention de la France au Mali, seule à se mobiliser, puis la lutte contre Boko Haram nous ont indéniablement rapprochés.

En mai 2014, le Président Jonathan avait sollicité le Président François Hollande, lors d'un sommet régional à Abuja, pour que la France l'aide à lutter contre Boko Haram. Cette collaboration a permis les avancées que nous connaissons depuis deux ans. Nous avons également renforcé notre aide aux forces armées nigérianes, en matière de formation et de renseignement.

Sitôt élu, le Président Buhari est venu en visite officielle à Paris pour poursuivre dans cette même voie. Il vient d'organiser en mai dernier à Abuja un deuxième sommet régional, auquel il a convié le Président François Hollande. La France et le Nigéria se voient mutuellement comme des partenaires majeurs en faveur de la sécurité en Afrique.

Des efforts restent à fournir en matière d'échanges culturels, ainsi qu'en ce qui concerne l'enseignement de la langue française au Nigéria.

En conclusion, mon opinion est que si vous faites le choix de venir au Nigéria, la situation ne sera pas toujours facile. Le pays connaîtra encore des tensions politiques et religieuses donc sécuritaires.

Cependant, les économistes voient en l'Afrique le dernier moteur de la croissance mondiale. Or l'Afrique, ce sera d'abord le Nigéria. Il a pour lui le poids de sa population, l'importance de son marché intérieur, des élites bien formées, entreprenantes et sans complexes. Grâce à cette classe moyenne, le pays progressera.

TABLE RONDE 1 - POINT SUR LA SITUATION MACROÉCONOMIQUE DU NIGÉRIA ET POTENTIEL DU MARCHÉ

Table ronde animée par M. Arnaud FLEURY, journaliste économique

Ont participé à cette table ronde :

M. Dominique SIMON, Chef du service économique régional, Direction générale du Trésor

M. Bertrand de LA FOREST DIVONNE, Directeur Business France au Nigéria

M. Laurent COUDERC, Président de la section Nigéria des conseillers du commerce extérieur de la France, Directeur général de Ponticelli Nigéria Ltd

M. Arnaud FLEURY - Je donne la parole à nos intervenants pour une présentation macroéconomique du Nigéria.

M. Dominique SIMON - Le Nigéria suscite souvent autant d'intérêt que d'interrogations. Fort de quatre années passées au Nigéria, j'estime que ce pays mérite une approche décomplexée. S'agissant du pire, tout a été dit. S'agissant du meilleur, le pays rassemble tous les superlatifs et tous les contrastes.

Demain, le Nigéria sera le troisième marché en termes de population dans le monde, derrière l'Inde et la Chine. Les Nigérians d'aujourd'hui aspirent à être les consommateurs de demain. Les 30 millions de citoyens qui composent la classe moyenne sont considérés comme solvables. Ils seront environ 100 millions de consommateurs à l'horizon 2050. Avec 135 millions de lignes GSM, le double du marché français, le Nigéria deviendra un acteur majeur des services induits. Orange ne s'y est pas trompée puisqu'elle vient de s'installer à Lagos. Le PIB par habitant, évalué à 3 000 dollars, est certes encore modeste mais bien supérieur à celui des pays voisins.

Contrairement aux idées reçues, l'économie nigériane ne repose pas sur le pétrole, mais essentiellement sur les services. L'agriculture et l'industrie cinématographique sont également très porteuses.

Le Nigéria change de nature. Il est le pays de tous les superlatifs : il compte 18 milliardaires et 32 000 millionnaires en dollars, recensés par Forbes. Il possède la troisième flotte de jets privés au monde.

J'aimerais aborder avec vous les bonnes pratiques qui s'imposent à tout décideur souhaitant intégrer le Nigéria dans son « business plan ». M. Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères, nous invitait récemment à rompre avec l'approche dichotomique totalement obsolète consistant à dissocier l'Afrique francophone et une autre Afrique, anglophone ou lusophone, qui serait une simple option de rechange.

Le choix du partenaire local au Nigéria est encore davantage crucial que dans d'autres pays. L'environnement est anglo-saxon. La Common Law est la loi en vigueur. Par ailleurs, le règlement de contentieux se caractérise souvent par une judiciarisation à outrance. S'il est trop puissant, votre partenaire jouera de sa position asymétrique pour vous marginaliser. Selon l'adage, « si vous n'êtes pas à la table, vous êtes sur le menu ».

Le marché du Nigéria est, en outre, très concurrentiel. Les affaires s'y nouent et s'y dénouent très facilement, le plus souvent sur le seul critère du prix. Pour aborder le marché nigérian, la question de la taille de l'entreprise doit être posée. Le marché nigérian implique des finances saines et une trésorerie solide. Nos petites et moyennes entreprises (PME) et nos entreprises de taille intermédiaire (ETI) doivent s'y préparer.

Selon votre projet, vous pourrez choisir entre un bureau de représentation, une filiale ou une co-entreprise. Une autre option consiste à privilégier le portage. Adossé à un grand groupe, vous pourrez vous développer en partageant les coûts de structure qui sont souvent très élevés. À titre d'exemple, le choix d'une formule très légère comme un bureau de représentation implique un budget minimum de 200 000 euros, sans compter le fonds de roulement. Vous devrez, de plus, compter avec la lourdeur de l'administration et les pratiques procédurières.

Le Nigéria est aussi un pays d'innovation en matière d'architecture financière. Ainsi, les contrats de partenariat public-privé se développent. Le problème du financement, même s'il est présent, n'est pas aussi prégnant que dans le reste de l'Afrique sub-saharienne. D'après la Coface, le risque y est « modéré ». Les banques nigérianes sont très dynamiques et font preuve de créativité en matière de financements innovants. Nos entreprises doivent intégrer ces facilités dans leurs montages financiers.

En ce qui concerne l'aspect macroéconomique, on ne peut passer sous silence la chute du prix du baril, que le Nigéria a subie de plein fouet. Les pertes se sont élevées à 85 % des recettes d'exportation, mais surtout à 70 % des recettes budgétaires. Si le budget a été tardivement voté, le Président vient de donner son feu vert pour qu'il soit appliqué. Le baril a été retenu à 38 dollars dans les prévisions budgétaires.

Malheureusement, les actes de piraterie et de sabotage ont amputé la production de 400 000 barils par jour. Tout ce qui avait été regagné en termes de prix du baril a été perdu en termes de volume.

Aujourd'hui donc, la croissance économique du Nigéria n'est « que » de 3 %. L'inflation renoue avec les deux chiffres. Le déficit budgétaire sera difficile à combler sans faire appel aux institutions internationales même si, pour l'instant, toute sollicitation du FMI semble exclue. Il faudra trouver 11 milliards de dollars pour boucler l'exercice 2016. La trajectoire financière que le Nigéria a décidé de suivre mérite toute notre attention. Le Nigéria est un paquebot. Il s'inscrit donc dans le long terme.

Sur le marché des changes, l'apparition d'une décote de plus de 40 % par rapport à la valeur officielle a provoqué une quasi-paralysie des échanges avec l'étranger. Nos exportations pour le premier trimestre de l'année ont reculé de 50 %. Le ralentissement de l'activité des principaux partenaires économiques du Nigéria, que sont la Chine et l'Inde, est relativement inquiétant. Le Nigéria demeure néanmoins notre premier partenaire en Afrique.

Dans ce contexte difficile, je constate qu'aucune entreprise française n'a quitté le pays. Au contraire, ces douze derniers mois, nous avons accueilli AXA, Engie, Orange, Veolia, Carrefour, Decaux, Yves Rocher et j'en oublie certainement d'autres. Si ces groupes ont choisi de venir, c'est que l'attractivité du Nigéria demeure intacte.

Je vous recommande donc d'adopter une stratégie de long terme. Comme le disait l'ancienne ministre des Finances du Nigéria, « Si vous n'êtes pas au Nigéria, vous n'êtes pas en Afrique ». J'ajouterai que si vous n'êtes pas à Lagos, vous n'êtes pas au Nigéria.

Pourquoi n'êtes-vous pas encore au Nigéria ? Nous vous y invitons. Nous vous y attendons.

M. Bertrand de LA FOREST DIVONNE - J'aimerais tout d'abord souligner le fait que la volonté de diversifier l'économie est une priorité majeure des autorités du Nigéria.

Dans la pratique, il faut savoir que, quel que soit le secteur d'activité, l'installation d'une entreprise nécessitera de faire plusieurs voyages au Nigéria. Aucun secteur ne peut être exclu des perspectives de développement.

L'agriculture constitue une priorité. L'importation de produits alimentaires est considérable alors que, dans le même temps, beaucoup de matières premières ne sont pas transformées. L'expertise française, notamment en ce qui concerne l'équipement de l'industrie alimentaire, aura beaucoup à apporter.

L'amélioration des infrastructures va évidemment générer de nombreux appels d'offres dans l'avenir. Les discussions avec les bailleurs de fonds seront importantes. Le développement de l'hôtellerie dans le pays fera naître des opportunités dans l'immobilier. Je ne m'arrête pas sur l'énergie qui sera évoquée plus tard.

La distribution est en plein développement : les majors du domaine arrivent, par exemple Carrefour. L'e-commerce connaît un énorme succès au Nigéria. Sa croissance est de l'ordre de 200 % par an. Le domaine de la santé est un peu plus difficile à approcher car il est très hétéroclite. Nous allons étudier ce domaine de plus près car des niches existent forcément. Le Nigéria compte 67 millions d'usagers d'Internet : de fait, les besoins en numérique sont sans limites.

Business France a organisé trois opérations collectives qui auront lieu d'ici la fin de l'année : l'une portera sur le vin (de plus en plus consommé dans le pays), une autre sur la téléphonie mobile et la dernière sur les bailleurs de fond. Nos missions, depuis notre hub de Lagos, sont itinérantes. Nous avons un bureau à Abidjan. Nous rayonnons sur le Cameroun, le Gabon, la République démocratique du Congo et le Tchad.

J'insiste encore sur le fait que, pour s'installer au Nigéria, il est indispensable de venir, en amont, pour des opérations de prospection. J'invite tous ceux qui désirent s'installer au Nigéria à venir nous voir pour les aider dans ces démarches.

M. Laurent COUDERC - Beaucoup de points ont déjà été évoqués ce matin. Pour ma part, je mettrai en exergue quelques éléments fondamentaux.

D'abord, pour se développer au Nigéria, j'insisterai sur le fait qu'il est indispensable d'y être présent sous une forme ou une autre. Si vous ne possédez aucune implantation locale ni aucun partenaire, le fait de venir faire un passage trois fois par an ne servira à rien.

Ceci posé, il vous faudra trouver le bon partenaire. Trouver le partenaire qui vous convient constitue l'étape préliminaire à toute autre démarche. Il s'agit du point le plus important.

Ensuite, la question du financement sera déterminante. Le coût d'entrée au Nigéria est très élevé puisqu'il faut payer dès le départ deux années d'implantation. Si vous exercez dans un secteur phare, vous trouverez peut-être du financement en devises. Sinon, la question des difficultés actuelles de Forex n'est pas à négliger. Je souligne par ailleurs la nécessité de voir sur le long terme, même si les banques nigérianes ont tendance à raisonner sur le court terme.

M. Arnaud FLEURY - En tant qu'entrepreneur maintenant, Monsieur Couderc, quelle est votre grille de lecture sur le pétrole et le gaz ?

M. Laurent COUDERC - Au Nigéria, le rythme de production est, pour le moment, décroissant. Dans le passé, des licences ont été accordées à des entreprises qui n'avaient pas la capacité de financer la recherche. Nous sommes donc dans une période totalement différente.

Il existe par ailleurs un problème récurrent de gouvernance du secteur.

Enfin, une loi-cadre est en gestation depuis plus de cinq ans entre la Présidence et les deux assemblées. Le fait que la loi n'en finisse pas d'être votée génère une paralysie des investissements.

Le potentiel est tellement immense que les affaires, tôt ou tard, vont redémarrer. Cependant, il ne faut pas espérer que ce redémarrage ait lieu avant la fin de l'année prochaine, voire 2018. Je me fie à la formule nigériane : « à un moment tout va mal, puis, à un moment, tout repart ».

TABLE RONDE 2 - ACCÈS AU MARCHÉ NIGÉRIAN - TÉMOIGNAGES ET OPPORTUNITÉS

Table ronde animée par M. Arnaud FLEURY, journaliste économique

Ont participé à cette table ronde :

M. Yves-Robert LEFEBURE , Vice-président, France Nigéria Chambre de commerce et d'industrie (FNCCI) et conseiller spécial de Total-Nigéria

M. Francis WIDMER , Délégué du Chef du service économique régional (basé à Lagos)

M. Éric PEYSSON , Vice-président, Amber ressources Nigéria

M. Simon MELCHIOR , CEO, Asseco Nigéria

M. Marcel HOCHET , Président, Greenelec

M. Bertrand de LA FOREST DIVONNE , Directeur, Business France Nigéria

M. Philippe CHEDANNE , Directeur adjoint du Département Afrique, Agence française de développement (AFD)

M. Arnaud FLEURY - Pouvez-vous nous rappeler ce que représente la chambre de commerce franco-nigériane et vos axes de développement prioritaires ?

M. Yves-Robert LEFEBURE - La chambre de commerce a été créée en 1986. Elle est bilatérale, c'est-à-dire franco-nigériane. Le conseil d'administration compte 20 membres, dont un président nigérian et un vice-président français en alternance. Elle comprend environ 180 membres. Elle a pour objectif de créer des liens entre des sociétés françaises au Nigéria et des sociétés nigérianes qui exercent des activités vers la France ou l'Europe.

M. Arnaud FLEURY - Vous m'avez indiqué vous concentrer sur les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les petites et moyennes entreprises (PME) pour leur apporter une aide lorsqu'elles sont installées ou songent à s'installer.

M. Yves-Robert LEFEBURE - En effet, les grands groupes internationaux ne rencontrent guère de difficultés. Ils disposent déjà de réseaux et leur activité est suffisamment établie pour s'installer dans de bonnes conditions. Les PME françaises ont besoin d'être aidées dans leurs démarches et constituent donc le groupe cible.

Avant l'arrivée de Business France, la chambre de commerce avait une responsabilité dans la délégation de service public. Ce filtre lui permettait de bénéficier de contacts avec des opérateurs français. Des PME et des petites et moyennes industries (PMI) pouvaient nous interroger et pénétrer le marché nigérian par l'intermédiaire des chambres de commerce régionales.

Désormais, Business France dispose logiquement de compétences régaliennes, ce dont nous nous réjouissons. La chambre de commerce doit toutefois pouvoir jouer un rôle dans la mise en relation des sociétés nigérianes et françaises en proposant différents services « clés en main ».

M. Arnaud FLEURY - Tous les secteurs semblent porteurs. Les énergies renouvelables ou l'agroalimentaire ne recouvrent pourtant pas la même réalité. Une image précise des moyens et des besoins dans le secteur concerné est nécessaire.

M. Francis WIDMER - Effectivement, aucun secteur n'est à proscrire et certains secteurs sont très porteurs. À titre d'exemple, plusieurs actions ont été menées par la DETA au cours des deux dernières années dans l'agroalimentaire : entre 20 et 25 entreprises s'installent chaque année à Lagos, avec des résultats certains. La concentration est forte sur les services aux entreprises, notamment sur les technologies de l'information, pour les grands groupes comme pour les entreprises moyennes.

L'exemple de Carrefour en coentreprise avec le groupe CFAO est révélateur. L'étude réalisée fait apparaître un potentiel considérable sur l'Afrique de l'Ouest. Pour le seul marché nigérian, une trentaine d'implantations, de toutes tailles, sont prévues pour l'enseigne. La dynamique est forte.

M. Arnaud FLEURY - Existe-t-il des opportunités pour une belle PME bretonne, qui réaliserait un chiffre d'affaires de 80 millions d'euros dont un tiers d'exportations, par exemple ?

M. Francis WIDMER - Il ne faut pas exclure les moins grands au profit des très grands. En revanche, un coût existe et il convient de durer. Il ne faut pas attendre un résultat au bout de trois ou six mois, mais il est possible de récolter le fruit des investissements après deux ou trois ans.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur Peysson, votre société est spécialisée dans la soudure, en milieu marin et terrestre, et est présente au Nigéria depuis plusieurs décennies.

Est-il toujours aussi difficile de s'implanter au Nigéria ? Les coûts (hôtellerie, taxes pour monter un bureau de représentation, voiture, personnel, etc.) sont-ils élevés ?

M. Éric PEYSSON - Notre société est sous-traitante dans le secteur pétrolier et parapétrolier. Le coût d'entrée est en effet très élevé. La durée d'investissement s'est significativement allongée. Auparavant, les retours sur investissement étaient assez rapides, entre six mois et un an. Aujourd'hui, le délai est de trois à cinq ans, en raison d'une forte compétition des sociétés nigérianes. Notre PME est exposée à des sociétés nigérianes qui cassent le marché puis en ressortent.

La gestion du flux de trésorerie constitue la principale difficulté. Le coût du crédit est très cher au Nigéria, de l'ordre de 20 %. Les risques d'impayés sont par ailleurs assez élevés et les banques sont inflexibles. De plus, le coût des opérations est élevé puisque les industriels doivent générer leur propre électricité. La fiscalité est également importante, puisque le Nigéria cherche à générer de nouveaux revenus et qu'elle est apparue comme le premier levier d'action pour ce faire. Les organismes fiscaux ou de régulation, de l'État fédéral ou de l'État de Lagos, visitent fréquemment les entreprises. Une sorte de harcèlement bureaucratique existe et il convient d'y être préparé.

Ce pays mérite d'être connu et présente un fort potentiel. Il est nécessaire de s'y inscrire dans la durée, trois, quatre ou cinq ans minimum. Pour l'anecdote, je suis revenu du Ghana avec la conviction que le Nigéria était un beau pays, doté d'un fort potentiel. J'y suis maintenant depuis 17 ans.

M. Arnaud FLEURY - Le Ghana est pourtant présenté par le FMI comme l'élève modèle de l'Afrique de l'Ouest, mais le Nigéria possède un marché considérable.

M. Simon MELCHIOR - Je suis investisseur et entrepreneur. J'étais, à l'origine, armateur pétrolier. Au Nigéria, où je suis installé depuis quatre ans, j'ai développé d'autres opportunités et je dirige désormais la filiale nigériane du groupe Asseco, spécialisé dans les progiciels de gestion.

La lutte contre la corruption, l'automatisation des fonctions gouvernementales et de certains processus dans les sociétés privées constituent une formidable opportunité pour notre activité.

M. Arnaud FLEURY - Est-il difficile de trouver le bon partenaire ?

M. Simon MELCHIOR - Disposer d'un bon partenaire local est capital. Il doit être intègre et honnête. Il est donc nécessaire de prendre son temps. Des structures locales, comme les services du Consulat, peuvent aider les PME et doivent être sollicitées.

M. Arnaud FLEURY - Que valent les conseils locaux (notaires, avocats, etc.) pour séparer le bon grain de l'ivraie ?

M. Simon MELCHIOR -Un partenaire fort, qui peut vous protéger du harcèlement ou de la corruption, est précieux. Lorsque nous avons dû enregistrer notre bateau auprès de la Nimasa (agence nigériane d'administration maritime et de sécurité), nous avons rencontré différents problèmes. Un simple appel téléphonique de la mère de ma femme, qui est nigériane, dissipait tout problème.

Un partenaire dédié est également nécessaire. Il doit donc être honnête, fort et dédié. Un président nigérian, même important, mais siégeant dans cinq conseils d'administration, portera peu d'intérêt à votre activité et pourra manquer d'engagement. Les liens familiaux aident fortement.

M. Arnaud FLEURY - M. Marcel Hochet a créé une entreprise d'ingénierie pour la mise en oeuvre de systèmes solaires dans les zones reculées du pays.

M. Marcel HOCHET - J'ai en effet passé plus de 10 ans pour Schneider Electric au Nigéria. Après ma retraite, je me suis engagé dans les systèmes solaires afin d'apporter l'électricité à ceux qui en sont privés. La mission de Greenelec, que j'ai créée en juillet dernier, consiste à développer des sociétés de distribution électriques pour mettre en oeuvre des structures solaires, apporter de l'éclairage public dans des zones rurales et approvisionner écoles, hôpitaux ou petits bâtiments publics en électricité.

M. Arnaud FLEURY - La tâche est considérable puisque Lagos ne dispose d'électricité que quelques heures par jour. Les grandes entreprises doivent se doter de systèmes propres.

M. Marcel HOCHET - Plus de 120 millions d'habitants du pays n'ont aucun accès à l'électricité. Les 60 millions d'habitants connectés disposent d'électricité durant une période réduite chaque jour. Ils sont obligés d'avoir des générateurs ou d'autres systèmes. Les hôtels, les industries génèrent leur propre électricité. Nestlé génère ainsi quinze mégawatts d'électricité par turbine à gaz pour alimenter ses usines. Cette société étudie les manières de réduire ses coûts de production et ses émissions de CO 2 grâce à des systèmes solaires.

M. Arnaud FLEURY - Les énergies renouvelables sont en plein développement. Est-il facile de monter une opération dans ce domaine au Nigéria ?

M. Marcel HOCHET - Comme évoqué précédemment, une forte présence et de nombreuses connexions avec les États et les différentes entreprises, qui ont des besoins énergétiques, sont requises. Il est également nécessaire de disposer des infrastructures et des structures locales adéquates. De même, un partenaire fiable, bien introduit, avec une capacité financière permettant de développer cette activité, s'avérera précieux. Il est indispensable de comprendre toute la réglementation liée au secteur de l'électricité.

Ces marchés attendent les entreprises françaises. Dans le secteur des énergies renouvelables, certaines entreprises françaises disposent de savoir-faire qui correspondent aux besoins. Je pense qu'elles en ont conscience. En revanche, le Nigéria fait peur et ce type d'entreprises se tournent plutôt vers la Côte d'Ivoire ou l'Afrique du Nord.

M. Arnaud FLEURY - Existe-t-il une classe moyenne ? Consomme-t-elle ? Est-elle frappée par la crise ? En d'autres termes, un potentiel existe-t-il (pour le textile, la parfumerie, l'alimentation fine, les équipements en télécoms, etc.) ou est-il limité ?

M. Bertrand de LA FOREST DIVONNE - La classe moyenne compte, sauf erreur, 20 à 30 millions d'habitants, qui gagnent environ 640 dollars par mois en moyenne, soit un peu moins que les standards de la Banque mondiale. Nous allons assister au développement de la consommation au travers de la grande distribution puisque les prix seront différents de ceux affichés aujourd'hui dans les magasins de luxe. La classe moyenne existe, ce qui constitue un signe favorable.

M. Arnaud FLEURY - Consomme-t-elle des produits français ?

M. Bertrand de LA FOREST DIVONNE - Je n'en suis pas certain. Elle consommera ce qui lui sera proposé et qui sera différent de ce qu'elle trouve aujourd'hui. Contrairement à des pays voisins, le Nigéria n'est pas un pays avec des grandes surfaces à l'américaine. Il existe très peu d'hypermarchés.

M. Arnaud FLEURY - Le Kenya enregistre un développement important de la classe moyenne, accompagné de l'émergence de centres commerciaux. Ce phénomène existe-t-il au Nigéria ?

M. Bertrand de LA FOREST DIVONNE - Tel n'est pas le cas pour le moment. Nous avons cité le nombre de magasins qui ouvriront rapidement, nous verrons ce qu'il en ressort. Aujourd'hui, les supermarchés appartiennent à des chaînes sud-africaines et mesurent 3 000 m 2 .

M. Simon MELCHIOR - Des grandes surfaces existent même s'il ne s'agit pas d'hypermarchés. Sure Price, Spar, etc. sont déjà implantées. Carrefour a pris la décision de s'installer au Nigéria parce qu'une révolution est à l'oeuvre dans le domaine de la grande distribution. La classe moyenne est constituée des employés de banques, de sociétés de télécommunication, de services ou de l'administration publique. Selon moi, la classe moyenne est source de dynamisme. Ces personnes ont soif de création, de consommation et souhaitent participer activement à l'essor de leur pays. Il s'agit également d'un important réservoir de compétences pour recruter des jeunes cadres dynamiques.

M. Arnaud FLEURY - La fibre entrepreneuriale existe-t-elle, pour accompagner le développement des services aux entreprises (publicité communication, etc.) ?

M. Simon MELCHIOR - Au Nigéria, l'enfant ne rêve pas d'être Président de la République, il veut être Tony Elumelu ou Aliko Dangote. Les habitants se lèvent à quatre heures du matin et se couchent à 22 heures tous les jours.

M. Éric PEYSSON - Nous assistons au retour d'une élite, qui a étudié à l'étranger et y travaillait. Depuis une dizaine d'années, ces personnes estiment que ce pays leur apportera davantage que de rester aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, et réciproquement.

Nous assistons, depuis l'émergence de la classe moyenne, il y a une dizaine d'années, à des investissements autour des loisirs (cinémas, restauration). De nombreuses écoles sont également créées au Nigéria, parce que les Nigérians souhaitent que leurs enfants étudient sur place et non à l'étranger.

M. Arnaud FLEURY - Une place pour les groupes privés français d'éducation existe donc.

M. Éric PEYSSON - Le primaire évolue en priorité, suivi par le secondaire. Pour les études supérieures, l'étranger conserve la préférence des Nigérians.

M. Arnaud FLEURY - Le foisonnement est tel qu'il est difficile de savoir par où commencer.

M. Yves-Robert LEFEBURE - Je souhaite ajouter que la classe moyenne circule et voyage beaucoup. Elle investit beaucoup dans l'éducation, surtout aux États-Unis et en Grande-Bretagne, un peu en France, au travers du lycée français. Désormais, des investissements interviennent au Nigéria pour mettre en place des structures scolaires. Le retour de personnes de la diaspora, qui souhaitent s'engager plus intensément au Nigéria, est évident.

M. Arnaud FLEURY - Comment traiter avec les grands groupes, qui disposent d'activités un peu partout, y compris dans la banque, et qui obéissent à des logiques anglo-saxonnes ?

M. Marcel HOCHET - Il convient de proposer une offre différenciée. Il faut apporter une technicité, de l'ingénierie, connaître l'environnement et soumettre des propositions pertinentes à ces grands groupes. La France a beaucoup à leur proposer. Elle a notamment contribué au succès du groupe du milliardaire nigérian Mike Adenuga et en particulier de Globacom (le 2 e plus grand opérateur de téléphonie mobile au Nigéria). Il en va de même pour le groupe de Dangote auquel les entreprises françaises peuvent apporter beaucoup. Je pourrais en citer bien d'autres.

M. Arnaud FLEURY - M. Philippe Chédanne, vous qui traitez le Nigéria à l'AFD, que retenez-vous de ces différentes interventions, en termes d'image notamment ?

M. Philippe CHEDANNE - Les propos correspondent bien à nos observations. Le potentiel est énorme, mais l'attractivité est complexe pour les entreprises moyennes. Nous constatons malgré tout une demande d'expertise française.

Dans cet environnement naturellement anglo-saxon, l'offre française est appréciée dans certains secteurs, les infrastructures ou la prestation intellectuelle notamment, et la demande existe.

M. Arnaud FLEURY - Quelle est la stratégie de l'AFD depuis 2008 ? De quel budget disposez-vous et quels sont les secteurs privilégiés ?

M. Philippe CHEDANNE - L'AFD est une vieille institution et son coeur d'implantation a été l'Afrique, mais non le Nigéria. S'implanter dans ce pays en 2008 a été une aventure. Ma position peut être vue de façon double : comme une entreprise publique et comme un accompagnateur des offres françaises.

M. Arnaud FLEURY - Quels sont les encours ?

M. Philippe CHEDANNE - Le groupe AFD, y compris Proparco, a engagé un peu plus de 3,1 milliards d'euros en 2015 en Afrique subsaharienne. Pour le Nigéria, nous avons atteint notre vitesse de croisière, soit 200 millions d'euros par an. Sur une période aussi courte, ce résultat nous semble intéressant, avec des perspectives relativement fortes.

M. Arnaud FLEURY - Quels conseils donnez-vous aux entreprises françaises qui aimeraient suivre votre sillage dans les secteurs de l'électricité, de l'eau, de la formation professionnelle ?

M. Philippe CHEDANNE - Je ne sais pas si notre action est reproductible. Nous nous considérions comme un petit acteur, puisque nous ne disposions pas d'histoire avec ce pays. Notre taille était modeste comparée à des bailleurs multi ou bilatéraux - la coopération britannique est extrêmement présente. Nous devions nous faire un nom, dans un environnement difficile à appréhender, avec des contraintes. Nous avons été pragmatiques en agissant sur des secteurs de concentration dans lesquels nous disposions d'un savoir-faire et d'une valeur ajoutée. Trouver des alliés, des bailleurs, nous a beaucoup aidés. Nos premières activités ont démarré avec la Banque mondiale. Il était intéressant d'être accompagné d'un tel poids lourd et notre prise de risque était modérée. Cette logique de cheval de Troie nous a permis de comprendre les mécaniques de ce pays.

M. Arnaud FLEURY - Le Nigéria est un État fédéral qui comprend des États fédérés ainsi qu'un secteur public constitué de mastodontes qui ont besoin de sang neuf. Ces entités constituent autant d'interlocuteurs.

M. Philippe CHEDANNE - Nous travaillons évidemment avec l'État fédéral et les États fédérés. Nous intervenons avec des prêts souverains et nous prêtons à l'État.

Lorsque nous travaillons avec des États fédérés, la loi nigériane nous oblige à prêter les fonds à l'État fédéral, qui les rétrocède aux États fédérés. Ce processus rend plus complexe l'environnement de nos affaires.

M. Franck BOCKAERT - Je travaille pour les Établissements CATU qui fabriquent des équipements de sécurité électrique à Bagneux. Je me suis rendu plusieurs fois au Nigéria, où j'ai constaté un véritable manque en formation. J'aimerais des précisions concernant les structures de formation dans les métiers du secteur électrique et financées par l'AFD.

M. Philippe CHEDANNE - Comme l'a signalé M. l'Ambassadeur, nous venons de signer un prêt pour appuyer l'Institut national de formation aux métiers de l'électricité du Nigéria (NAPTIN). Nous sommes en étroite collaboration avec le groupe Schneider et avec le groupement CODIFOR [filiale de l'Union marocaine des Industries des Métiers de la Métallurgie]. Nous financerons des structures de financement de la transmission électrique. L'idée est d'accompagner NAPTIN, avec Schneider, pour la formation des électriciens de base au respect des normes de sécurité pour les installations domestiques et à la promotion de l'entrepreneuriat dans le secteur électrique. Je vous conseille de prendre contact avec le poste d'Abuja et avec notre directeur, M. Olivier Delfosse, basé à Abuja. Notre bureau Proparco, représenté par M. Olivier Follin à Lagos, peut également appuyer des projets privés purs.

M. Jean-Christophe ROUJA - Je suis directeur Afrique de Systra, consultant en ingénierie dans les transports publics et les chemins de fer. Nous sommes actifs au Nigéria depuis quelques années. Les entrepreneurs considèrent que les infrastructures seront développées par des financements privés, ce qui fonctionne difficilement. Le nouveau gouvernement développera-t-il les infrastructures routières et ferroviaires ?

M. Arnaud FLEURY - M. Elumelu nous indiquait en effet que les infrastructures étaient tellement déficientes que les opportunités étaient très nombreuses.

M. Simon MELCHIOR - Je ne peux évidemment pas me prononcer pour le gouvernement. Le mythe du partenariat public-privé (PPP) existe et le manque de ressources est patent, tant au niveau central que des États fédérés, même si Lagos et quelques autres États disposent de ressources positives, notamment grâce à des impôts locaux. Le modèle privilégié est celui de la licence, délivrée pour 20 ou 30 ans, et permettant à un acteur privé d'exploiter la route, ou autre infrastructure, qu'il a construite, avec ses financements.

M. Arnaud FLEURY - Des PPP peuvent donc être proposés.

M. Simon MELCHIOR - Oui, mais il faut vouloir s'inscrire dans ce type d'investissement. M. Marcel Hochet indiquait que le Nigéria fait peur et qu'il s'agit d'un marché difficile.

J'invite ceux qui sont intéressés par le Nigéria à adopter une approche inversée d'investisseur : ne vous demandez pas ce que vous avez à vendre, mais demandez-vous de quoi les Nigérians ont besoin. Si vous pouvez répondre à ces besoins, vous rencontrerez le succès.

M. Francis WIDMER - À Lagos, un plateau économique est installé au premier étage du Consulat. Il comprend le service économique régional, le bureau Business France, la chambre de commerce France-Nigéria et le bureau Proparco AFD. L'équipe travaille en synergie. À l'extérieur se trouvent une vingtaine de conseillers du commerce extérieur, qui disposent d'expertises. Des appuis existent donc à Lagos comme à Abuja. La peur évoquée doit être mise de côté.

M. Arnaud FLEURY - Comparée à ce dynamisme des affaires, visible en Afrique du Sud, à Nairobi ou au Nigéria, l'Afrique francophone fait figure « d'Afrique de papa ».

M. Yves-Robert LEFEBURE - J'ai travaillé en Afrique francophone et le contraste est en effet saisissant.

TABLE RONDE 3 - PRATIQUE DES AFFAIRES AU NIGERIA ET ASPECTS RÉGLEMENTAIRES

Table ronde animée par M. Arnaud FLEURY, journaliste économique

Ont participé à cette table ronde :

Me Elvira SALLERAS, Associée, Elvira Salleras & Associates

M. Steeve FADERIN, Directeur général, CFAO Nigéria

M. Jean-Christophe TRANCHEPAIN, Directeur général, Bolloré Africa Logistics

M. Jean-Raoul TAUZIN, Directeur régional, Groupe Air France

M. Sodji AHLONKO, Directeur pays, Nigéria, Aldelia

M. Walid SHETA, Président directeur général, Schneider Electric Nigéria

M. Yves-Robert LEFEBURE, Vice-président, France Nigéria Chambre de commerce et d'industrie (FNCCI) et conseiller spécial de Total-Nigéria

M. Arnaud FLEURY - M e Salleras dirige le cabinet d'avocats-conseils auprès du Consulat de France. Elle présentera le cadre légal, très anglo-saxon, et la pratique, qui diffère sensiblement du droit.

M e Elvira SALLERAS - Est-il nécessaire d'être coopératif pour faire des affaires au Nigéria ? C'est à la fois vrai et faux. Différentes manières sont envisageables. Il n'est pas indispensable d'être une petite ou moyenne entreprise (PME) très riche puisque le portage est possible.

Différentes stratégies d'entreprises peuvent être envisagées pour conquérir le Nigéria : l'investissement direct, l'investissement indirect et l'investissement hybride. Ces catégories proviennent de mon expérience et non d'une base juridique.

La première option est constituée par les sociétés en nom propre (WOFIE), par exemple si une société française ne veut pas avoir de partenaire nigérian. Un partenariat est également possible, tout comme une fusion acquisition, en achetant des parts d'une entreprise.

L'investissement indirect s'effectue par l'intermédiaire d'un distributeur, d'une franchise ou de la sous-traitance. Cette dernière intervient lorsque des sociétés ne souhaitent pas s'installer en tant qu'entité légale au Nigéria.

La méthode hybride peut concerner une société titulaire de licences de propriété intellectuelle par exemple et qui les gère de manière indirecte.

M. Arnaud FLEURY - Que conseillez-vous à une société qui voudrait s'installer au Nigéria ?

M e Elvira SALLERAS - Tout dépend de votre stratégie et de vos objectifs, qui doivent correspondre aux besoins du pays. Si vous voulez vendre vos produits au Nigéria, vous n'avez pas forcément besoin de créer une société sur place. Vous pouvez recourir à un fournisseur de services.

Les questions réglementaires sont complexes. Tout d'abord, il est nécessaire de disposer d'un secrétaire, qui appartient généralement à une firme juridique. Il faut recourir à une société comptable qui prépare les budgets, les documents et se charge des impôts. Les impôts sur les entreprises s'élèvent de 32 % à 34 %, en fonction du secteur. L'impôt sur l'éducation est de 2 %. Ces deux impôts sont payés au même moment. La TVA et l'impôt sur les entreprises, qui dépend des bénéfices, existent également, de même que diverses autres taxes. Le harcèlement fiscal a été évoqué. Les entreprises doivent répondre aux exigences réglementaires. Par le passé, 64 lois devaient être respectées, y compris sur les vacances. Souvent, ces informations ne sont pas connues au démarrage de l'activité. Si vous savez tout au départ, vous n'aurez pas de problème avec l'autorité fiscale. Si vous ne payez pas vos impôts à temps, surtout l'impôt sur les sociétés et l'impôt sur le revenu, vous serez pénalisés.

Vous devez respecter un quota d'employés locaux et en apporter la preuve à l'administration compétente. Pour chaque expatrié, exception faite du directeur, il doit y avoir ainsi deux assistants nigérians. Des dispositions spécifiques concernant l'emploi de Nigérians s'appliquent notamment dans le secteur pétrolier.

Vous travaillerez avec diverses institutions, comme le Conseil de promotion des investissements, le Bureau national d'acquisition de technologies, auprès desquelles vous devez vous enregistrer, ou l'Agence nationale pour les produits alimentaires et les médicaments.

Concernant les salariés, il appartient à l'entreprise de disposer notamment d'un plan de retraite, de proposer des assurances vie, de contribuer au fonds national du logement. La plupart des entreprises ne respectent pas ce dernier point. Comme évoqué précédemment, le gouvernement essaie d'augmenter ses recettes par les taxes. Il sera donc de plus en plus vigilant. Enfin, les permis de séjour et les visas des travailleurs étrangers doivent être actualisés annuellement.

Il convient de souligner l'existence d'une convention fiscale entre la France et le Nigéria afin d'éviter la double imposition. La plupart des sociétés implantées au Nigéria sont des succursales. Il convient de veiller à bien effectuer ses déclarations fiscales auprès des autorités. Il importe de garder à l'esprit la question de la sécurité, y compris celle de la propriété intellectuelle.

Pour les personnes qui souhaitent s'installer, les loyers sont généralement payés un à deux ans à l'avance. Le bail indique la valeur nette et non la valeur brute, sans les charges.

Respecter les lois et les réglementations et s'assurer que toutes les étapes des différents processus ont été réalisées est indispensable. Il faut éviter les raccourcis, toujours poser des questions, oser s'informer et s'adresser à des professionnels.

M. Arnaud FLEURY - De faux avocats, prodiguant de faux conseils, existent-ils ?

M e Elvira SALLERAS - Cette situation peut se présenter. Il est nécessaire de s'informer. Business France effectue un travail remarquable dans ce domaine.

M. Arnaud FLEURY - M. Steeve Faderin, que pensez-vous de cette présentation ? Le cadre réglementaire est-il facile à appréhender ?

M. Steeve FADERIN - La présentation de M e Salleras est très complète. La CFAO est présente au Nigéria depuis 1902, ce qui nous a permis d'assimiler ces différents éléments. Nos unités opérationnelles sont habituées à gérer les problèmes réglementaires et les défis associés. Vous pouvez imaginer le type de réglementations qui existaient durant la Première ou la Seconde Guerre mondiale, au moment de l'indépendance ou de la guerre civile. Nous avons tout vu, mais la situation constitue toujours un défi, surtout pour une société qui vient de s'installer.

Je retiens des interventions précédentes qu'il est nécessaire de disposer de bons partenaires et de ne pas investir à court terme. Le bon partenaire est une personne qui correspond à votre activité. Ainsi, ma société dispose de co-entreprises, avec Carrefour ou Yamaha. Nous mènerons bientôt une opération avec un constructeur japonais. Depuis 1973, nous fabriquons des produits Bic et notre usine est la plus importante en Afrique dans ce domaine. Les exemples de succès sont nombreux et les opportunités conséquentes.

À long terme, il convient de bien examiner l'économie du Nigéria pour guider vos investissements. Le gouvernement essaie d'effectuer aujourd'hui ce qui aurait dû être fait il y a 50 ans déjà, comme l'ont fait la Malaisie, Singapour ou la Corée du Sud. Cela prendra du temps - le Nigéria est comme un paquebot, qui ne change pas de cap instantanément - mais investir à long terme rapporte des bénéfices à long terme.

Une fois ces problèmes réglés, les fluctuations du prix du baril de pétrole ne poseront plus problème.

Les actions menées aujourd'hui au sein de l'économie nigériane sont de bon augure. Trouver les bons partenaires permet d'accéder à différents secteurs.

M. Arnaud FLEURY - Le Nigéria souhaite se diversifier et produire localement. CFAO y parvient pour l'automobile, les motocyclettes et les camions. Est-ce facile ?

M. Steeve FADERIN - A titre d'exemple, l'usine Yamaha que nous avons ouverte le 13 mai a nécessité deux ans de travail, pour planifier le coût de départ, hors équipement, qui s'élevait alors à 100 millions d'euros. Le coût importe moins que de trouver les personnes qui connaissent le secteur et qui souhaitent aller de l'avant.

Avec Carrefour, nous envisageons d'installer 20 à 30 sites dans les dix prochaines années, qui impliquent plusieurs milliards d'euros. Nous recruterons entre 10 000 et 15 000 employés. Tout dépend de l'échelle de votre activité. En 18 mois, vous pouvez être installés, à condition de bénéficier des conseils juridiques adéquats.

M. Arnaud FLEURY - M. Jean-Christophe Tranchepain, quel est votre point de vue sur l'activité portuaire, le transit, la logistique pour une entreprise qui souhaiterait exporter sa production au Nigéria ?

M. Jean-Christophe TRANCHEPAIN - Bolloré est installé au Nigéria depuis 60 ans, comme dans de nombreux pays d'Afrique. Même si le Nigéria paraît de prime abord difficile, il n'est pas plus complexe de bien y conduire sa société que dans d'autres pays africains, à condition de bien connaître sa « bible » et de travailler de manière régulière et transparente, avec les bons conseils et les bons avocats.

Pour importer des produits par la mer, de nombreux choix sont disponibles, puisqu'il s'agit du plus important marché de la côte. Tous les armateurs, européens ou asiatiques, font escale à Lagos qui compte deux ports et cinq terminaux, tous privés. Leur privatisation en 2006 a résolu des problèmes d'infrastructures et d'investissements auxquels l'État ne pouvait pas faire face. Toutes les opérations portuaires de manutention et de livraison sont assurées par des structures privées, nigérianes, internationales ou mixtes.

Pour les importations, il est fortement conseillé de se rapprocher de personnes adéquates. Des structures compétentes existent et permettent de dédouaner normalement et sans problèmes, si on leur fournit des informations précises.

Lorsque je suis arrivé au Nigéria, en 2011, le temps moyen de dédouanement d'un conteneur dans le port de Lagos était supérieur à 20 jours. Ce délai est aujourd'hui de dix jours.

Les administrations et les services de l'État ont donc accompli un réel travail de fond pour améliorer le flux des marchandises.

M. Arnaud FLEURY - Qu'en est-il du transport par route pour livrer dans l'ensemble du pays ? Le piratage est-il encore une réalité ?

M. Jean-Christophe TRANCHEPAIN - La route est le seul moyen disponible. Le réseau ferroviaire est quasi-inexistant et ne dessert pas les ports, hormis une petite branche sortant des terminaux de Lagos Apapa. Sur 600 000 conteneurs déchargés à Lagos chaque année, 20 ou 30 circulent par train par semaine.

Après avoir développé nos infrastructures dans les terminaux, notre vrai défi consiste à permettre aux marchandises d'entrer et aux camions de ressortir avec le conteneur chargé et de quitter le chaos d'Apapa, de Tin Can et du Lagos portuaire. Le réseau routier entre les principales villes nigérianes est correct.

M. Arnaud FLEURY - Les transports sont désormais fiables et les livraisons ont lieu, même si la chaîne du froid n'existe pas.

M. Jean-Christophe TRANCHEPAIN - Un transporteur fiable est indispensable pour disposer d'une bonne tranquillité d'esprit. Il est inutile d'essayer d'économiser 1 000 ou 2 000 nairas sur un transport de 500 ou 1 000 kilomètres. Il est préférable d'être assuré que le transporteur utilise des camions fiables, respecte la réglementation et rémunère ses employés. Ces éléments augmentent la probabilité que les marchandises arrivent à bon port. Nous dédouanons entre 1 500 et 1 800 conteneurs par mois. Nous n'en perdons aucun, même si certains rencontrent quelques difficultés pour parvenir à destination, en raison d'accidents. Leur nombre est toutefois très limité.

M. Arnaud FLEURY - L'aérien est également incontournable pour réaliser des affaires au Nigéria. Les besoins d'améliorations aéroportuaires (équipement, maintenance) sont importants.

M. Jean-Raoul THAUZIN - Bien qu'Air France soit présente au Nigéria depuis 70 ans, chaque jour représente une nouvelle aventure. Nous rencontrons de nombreuses difficultés pour traiter nos vols au quotidien. Avec 20 vols hebdomadaires, nous sommes le plus gros opérateur. British Airways et Lufthansa assurent chacune 14 vols par semaine. 21 compagnies internationales travaillent au Nigéria, principalement à Lagos, et 8 compagnies locales.

Le pays a besoin du transport aérien, pour ses relations internes, régionales et internationales. À l'image d'autres pays de la région, aucune compagnie nationale n'existe. Il s'agit d'un débat important. Les compagnies locales ont une activité assez erratique. Elles subissent en effet des problèmes opérationnels, liés à la maintenance, à la disponibilité opérationnelle des avions, à la disponibilité du pétrole ou à des difficultés financières.

Le potentiel d'activités est donc important, notamment dans les domaines de la maintenance et de la logistique.

Pour les compagnies, les infrastructures constituent le principal problème à Abuja, Port Harcourt et Lagos. Air France vit dans le cadre des relations bilatérales entre la France et le Nigéria, ce qui ne nous exonère pas de nos obligations fiscales. Nous ne sommes pas en contact direct avec les autorités pour mettre en place notre activité.

La pression fiscale est toutefois importante puisque le pays recherche des ressources supplémentaires. De même, les autorités des aéroports tentent souvent d'augmenter les taxes.

M. Arnaud FLEURY - Que conseillez-vous pour couvrir les besoins de maintenance, de restauration à bord, etc. ?

M. Jean-Raoul THAUZIN - La maintenance concerne essentiellement les infrastructures. Quatre terminaux sont en cours de construction par des entreprises chinoises à Abuja, Port Harcourt, Inugu et Lagos. Ils amélioreront à terme les infrastructures. Ils seront vraisemblablement opérationnels en 2017.

Le ministère des transports prévoit de privatiser quatre aéroports, Lagos, Abuja, Port Harcourt et Kano. Ces privatisations constituent selon moi des opportunités pour les opérateurs.

M. Arnaud FLEURY - Aéroports de Paris (ADP) serait intéressé. Des opportunités existent donc dans l'aérien au sens large pour des sociétés françaises.

M. Jean-Raoul THAUZIN - En effet. Un centre de maintenance aéronautique devrait être créé. Le pays est grand, certaines compagnies locales opèrent de petits modules (Boeing 737 et Airbus). De nombreux pays voisins pourraient bénéficier de ce centre. Des idées existent. Le projet est pour le moment embryonnaire, s'inscrit dans le long terme, mais il est pertinent.

M. Arnaud FLEURY - Est-il facile de trouver des talents aujourd'hui au Nigéria ?

M. Sodji AHLONKO - Depuis sept ans, Aldelia aide nos clients à trouver des talents, expatriés ou locaux au Nigéria. Il devient de plus en plus facile de trouver du personnel. Je conviens que les expatriés sont souvent réticents à s'installer au Nigéria, en raison d'une image négative, mais une fois sur place, ils sont ravis.

M. Arnaud FLEURY - Le recours à une main-d'oeuvre locale formée au management est-il en augmentation ?

M. Sodji AHLONKO - Oui, parce que le Nigéria souhaite recourir aux expatriés pour occuper des postes que les locaux ne peuvent pas assurer en raison de l'état du système éducatif.

De plus en plus de locaux sont bien formés, à l'étranger notamment. De nombreux Nigérians qui habitent aux États-Unis ou au Canada, voire en France, souhaitent retourner au Nigéria pour faire fructifier le potentiel du pays. Notre défi consiste à identifier ces profils partout dans le monde et à leur proposer des offres attractives pour les faire venir ou revenir au Nigéria.

M. Arnaud FLEURY - Ces offres avaient la réputation d'être assez onéreuses. Leur prix a-t-il diminué avec la crise ?

M. Sodji AHLONKO - La crise a en effet généré une baisse des salaires. Les expatriés représentent un investissement élevé pour une entreprise puisque le salaire de base doit être conséquent pour attirer les candidats. De plus, des coûts annexes - immigration, logement, logistique, scolarité - doublent souvent le salaire de base. Les salaires baissent également parce que les candidats sont prêts à consentir un effort en termes de rémunération.

M. Arnaud FLEURY - Combien coûtent les cols bleus et les employés de bureau ? La tendance est-elle inflationniste ?

M. Sodji AHLONKO - Il est compliqué de donner un montant pour ces catégories. Ils sont fixés au cas par cas et dépendent de nombreux paramètres (société internationale ou non, type de poste, etc.). Ces catégories comprennent des spécialités. Les soudeurs sont ainsi très chers au Nigéria. En raison de la crise, nous percevons une certaine stabilité des salaires, même pour les locaux ou les cols bleus. Nous ne constatons pas de phénomène de démobilisation. Les sociétés continuent de recruter des locaux.

M. Arnaud FLEURY - La sécurité coûte-t-elle cher, puisque la délinquance est importante y compris en dehors du delta et au Nord-Est ?

M. Sodji AHLONKO - La sécurité a un coût supérieur à l'Europe. Il faut en tenir compte lorsque vous mobilisez des expatriés. Il convient de bien planifier la logistique de ces expatriés. Le niveau de sécurité diffère entre Lagos et Port Harcourt par exemple. Nous déconseillons certaines zones et d'autres ne sont accessibles que durant des plages horaires définies préalablement afin d'éviter tout risque.

M. Arnaud FLEURY - La rotation du personnel est-elle forte ? La fidélité à l'entreprise existe-t-elle ou les salariés se tournent-ils vers le plus offrant ?

M. Sodji AHLONKO - Les rotations sont importantes parce que le Nigéria est très influencé par la culture anglo-saxonne. L'approche du travail diffère de la France, où un salarié effectue l'intégralité de sa carrière dans la même entreprise.

M. Arnaud FLEURY - Est-il facile, au quotidien, de réaliser des affaires au Nigéria pour une grande entreprise comme Schneider Electric, notamment pour l'exécution des contrats ? Sur quels sujets la vigilance est-elle de mise ?

M. Walid SHETA - Schneider Electric n'est basé au Nigéria que depuis dix ans. Notre présence directe est toutefois forte, avec l'investissement à 100 % dans la filiale du Nigéria. Nous avons deux visages. Le premier est très conventionnel, avec la fourniture de produits, de services et d'équipements électriques à nos clients et intermédiaires. Le second est lié à l'énergie renouvelable et à l'efficacité énergétique. Ce sujet est de plus en plus important en raison de l'augmentation des prix de l'électricité.

Il s'agit de deux mondes différents. Le marché des énergies renouvelables s'avère très volatil. Les opportunités sont extrêmement nombreuses au Nigéria, même comparé à d'autres pays d'Afrique. Les problèmes du financement et de la garantie de paiement sont centraux.

Certains projets sont en attente de financement et/ou de garantie de crédit depuis deux, trois, quatre, voire cinq ans. Par ailleurs, lorsque les projets sont réels - hôtel, usine, aéroport, etc. - et qu'une véritable volonté se manifeste, les fonds, les avances sont. Le financement peut être total, ce qui est surprenant.

M. Arnaud FLEURY - Les contrats peuvent-ils ne pas être exécutés ?

M. Walid SHETA - Oui, la probabilité est même forte. Les confrères du bâtiment et des travaux publics pourraient en attester. Il s'agit d'une des raisons des problèmes des infrastructures, notamment routières au Nigéria : les projets démarrent et s'arrêtent pendant plusieurs années. Les travaux doivent être exécutés dans la mesure du financement préexistant.

M. Arnaud FLEURY - Vous souhaitiez insister également sur la contrefaçon.

M. Walid SHETA - En effet, la contrefaçon représente plus de 50 % des produits dans notre secteur. Il s'agit selon moi d'un des sujets les plus problématiques. Le seul moyen de combattre la contrefaçon est la communication, d'autant que l'électricité est assez dangereuse pour l'utilisateur. Les Nigérians sont soucieux de leur sécurité et de celle de leurs enfants. Savoir qu'un produit est authentique les intéresse.

M. Arnaud FLEURY - Les entreprises sérieuses, comme Schneider, bénéficient donc d'une prime.

M. Walid SHETA - Absolument, et le savoir-faire français apporte une grande crédibilité aux clients. Nous avons parfois l'avantage d'être reconnus comme technologiquement avancés pour obtenir des affaires.

M. Arnaud FLEURY - Une logique de « business as usual », « comme si de rien n'était », est donc à l'oeuvre au Nigéria, même si la crise a réduit les perspectives. Restez-vous confiant sur le développement de Schneider au Nigéria ?

M. Walid SHETA - Oui.

M. Arnaud FLEURY - Total est l'une des rares grandes entreprises qui continuent à investir au Nigéria. Avez-vous l'impression que la situation s'améliorera et qu'un nouvel appel d'air est à prévoir pour toutes les entreprises françaises qui gravitent dans le secteur des hydrocarbures ?

M. Yves-Robert LEFEBURE - L'activité pétrolière suppose un cycle très long. Il est nécessaire de prendre du temps entre le moment où nous recevons un permis et le moment où nous pouvons produire, entre 7 et 10 ans plus tard. La patience est nécessaire.

Comme tout pétrolier, nous aimons la stabilité. Les dérèglements contractuels ou fiscaux perturbent l'activité. Tel est le cas du Nigéria. Hormis Total, le Nigéria n'enregistre pratiquement plus de nouveaux investissements lourds. Nous terminons les projets, extrêmement capitalistiques, en cours. C'est remarquable puisque des incertitudes contractuelles existent.

Le prix est évidemment un élément crucial dans ce secteur. Les variations importantes que nous avons subies réduisent la visibilité. Les grandes entreprises ont des plans de réduction de coûts drastiques de façon à produire avec des coûts opératoires et des investissements moindres. Nous avons la volonté de continuer, malgré une conjoncture qui peut paraître négative.

M. Arnaud FLEURY - Le « contenu local » imposé par les autorités dans le recrutement des personnels, notamment dans le pétrole et le gaz, constitue-t-il un handicap ?

M. Yves-Robert LEFEBURE - Le « contenu local » est justifié. Au préalable, nous bénéficiions d'une certaine liberté. Des compétences existent et se développent au Nigéria. Accompagner ces compétences est normal. Les efforts demandés doivent toutefois être réalisables de part et d'autre, afin d'éviter des échecs que personne ne souhaite. Les compagnies pétrolières doivent être incitées à produire ces efforts. Nous sommes désormais habitués puisque le projet possède plus de 60 % de contenu local, avec plusieurs millions d'heures travaillées au Nigéria. Le projet Egina atteint presque 70 %. Nous construisons six modules inédits au Nigéria. Le contenu local est irréversible.

M. Arnaud FLEURY - Quelles actions sont entreprises pour régler les problèmes de corruption ?

M e Elvira SALLERAS - La corruption est un problème de mentalité. La notion de corruption diffère entre la France et le Nigéria. Un Nigérian qui reçoit un dessous-de-table le considère comme une bénédiction, alors qu'il s'agit de corruption pour un Français. Un contracteur qui continue à obtenir des contrats publics par exemple et ne donne jamais rien est considéré comme extrêmement avare.

M. Arnaud FLEURY - Dès lors, que faut-il faire pour débloquer un dossier auprès des Ministères par exemple ?

M e Elvira SALLERAS - Il convient de rencontrer le Ministre, qui doit lui-même respecter certains critères. Les personnes au pouvoir n'osent plus être aussi corrompues qu'auparavant. Je conseille à mes clients d'écrire. Cette approche fonctionne. Une génération entière est nécessaire pour changer les mentalités.

M. Arnaud FLEURY - Comment réagissent vos entreprises, qui ont une « compliance » forte, c'est-à-dire qu'elles s'attachent à se conformer rigoureusement aux normes applicables et se dotent de règles éthiques fortes, lorsqu'elles sont confrontées à ce problème ?

M. Jean-Christophe TRANCHEPAIN - Nous considérons que nous respectons complètement nos engagements en la matière. Nous avons perdu certains clients et nous refusons de travailler avec d'autres. En effet, les arrangements sont tellement faciles vis-à-vis de la douane ou des administrations qu'ils peuvent entraîner des conséquences graves, comme le montre la fermeture de Panalpina, dont le comportement est considéré comme non conforme. Le respect des règles évite 95 % des soucis puisque personne ne vous propose alors d'affaires douteuses.

Parallèlement, lorsque votre dossier est bon, il ne faut pas hésiter à discuter avec les différents étages de l'administration. Plus votre interlocuteur est haut placé, plus il craint pour sa position, contrairement à la personne avec laquelle vous travaillez au quotidien.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur Steeve Faderin, votre analyse est-elle identique ?

M. Steeve FADERIN - En 2011 ou 2012, un fonds spécial a été lancé pour aider les promoteurs d'usines à avoir accès à des fonds à 9 % plutôt qu'à 19 %. En trois ans, trois banques ont refusé notre dossier. Il m'a été indiqué que, sans pot de vin, nous n'obtiendrions pas d'accord. J'ai donc décidé d'abandonner parce que CFAO suit un code éthique. Avec le nouveau gouvernement, notre candidature, pour ce même financement, a été retenue en trois semaines seulement.

Une crainte, appelée « la peur de Buhari » (du nom du nouveau président nigérian), est apparue : les personnes convaincues de corruption sont désormais emprisonnées. Lentement mais sûrement, les mentalités évoluent.

De la salle - Existe-t-il une volonté de développer la filière formation pour les métiers de l'aéronautique ?

M. Jean-Raoul THAUZIN - Du personnel formé existe déjà. La création du centre régional nécessitera davantage de ressources et donc davantage de formations. Les autorités y sont favorables.

M. Sodji AHLONKO - Je confirme que l'aéronautique constitue un axe de développement au Nigéria, pour les autorités ou les sociétés privées. Nous proposerons donc de plus en plus ce type de postes à nos candidats.

M. Thierry LEPERCQ - Je dirige l'Institut pour la conquête des marchés. Nous avons évoqué le sujet de la sécurité, mais les sociétés étrangères sont confrontées au risque employeur. Comment s'organise la maîtrise de la sûreté pour les expatriés, les personnels locaux et les missionnaires ?

M. Philippe MOURIER - Je dirige Risk & Co Nigéria, un groupe de sûreté. La sûreté des missionnaires est obligatoire dans certaines zones. Chaque missionnaire est pris en charge dès son arrivée, pour tous ses déplacements. Le Nigéria peut être découpé en différentes zones. Dans certaines, les personnes sont relativement libres, dans d'autres, il est fortement conseillé de les accompagner.

M. Arnaud FLEURY - Il convient d'être vigilant à Port Harcourt. Qu'en est-il pour Lagos ?

M. Philippe MOURIER - Chaque situation et chaque ville doivent être considérées au cas par cas.

M. Arnaud FLEURY - Les coûts sont-ils élevés ?

M. Philippe MOURIER - Ils restent raisonnables.

M. Jean-Christophe TRANCHEPAIN - L'image du Nigéria est tellement mauvaise que nous rencontrons davantage de problèmes pour conforter les candidats dans leur projet de venir que pour leur fournir des affaires une fois sur place. Les règles de sécurité dépendent des groupes. Schneider ou Total disposent de règles de sécurité différentes des nôtres, en raison d'assurances, de siège, etc. La sécurité est une vraie industrie. Nous, expatriés, sommes beaucoup moins confrontés à ces problèmes que les cadres locaux. Il convient donc de relativiser. Nous pouvons nous rendre à Apapa, qui comprend le port, la douane, etc., sans problème. En revanche, nous sommes accompagnés d'une escorte pour aller à l'aéroport ou pour les trajets de nuit entre Apapa et Lagos.

M. Alain MARCEAU - Je suis député des Français de l'étranger. Mes administrés vivent dans quarante-neuf pays, de la Syrie au Nigéria, en passant par l'Irak. Le Nigéria semble être le pays qui présente le plus de risques pour mes compatriotes.

Pourtant, le pays où on tue le plus de Français est Madagascar. Nous essayons depuis quatre ans de régler ce problème d'insécurité sur place, sans grand succès. Les gouvernements ont intérêt à établir une forme de sécurité. Nous avons l'impression que chacune de nos interventions auprès des autorités gouvernementales n'aboutit guère que sur des propos rassurants. Comment obtenir de meilleurs résultats ? M. Hollande doit-il adopter une posture plus coercitive ?

M. Arnaud FLEURY - Percevez-vous une amélioration, avec le changement d'équipe au pouvoir ?

M. Jean-Raoul THAUZIN - Les problèmes de sécurité ne doivent pas être surestimés. Certaines zones présentent des risques et doivent être évitées, d'autres non. La « colorisation » du pays [sur les cartes évaluant les dangers] a évolué dans le bon sens.

M. Denys GAUER - Le Nigéria n'a jamais été la Suisse. Autrefois, il était possible de circuler très librement. Deux éléments ont fait évoluer la situation. Au-delà du Nord-Est, Boko Haram a organisé des attentats dans tout le pays, notamment à Abuja ou Kano. Par ailleurs, trois affaires d'enlèvement ont touché la communauté française. Ces deux éléments nous ont conduits à prendre des mesures très dures et à attribuer des couleurs aux différentes zones. Les trois quarts du pays ont été colorisés en rouge. Cette mesure nous a certes mis à l'abri, mais a limité les possibilités d'actions des entreprises ou des diplomates.

Lors de mon arrivée au Nigéria, j'ai lancé une réflexion sur la sécurité, afin d'adapter notre dispositif. Nous devions également prendre en compte les évolutions positives intervenues depuis deux ans. Boko Haram a été affaibli, repoussé dans ses bastions forestiers et n'a pas perpétré d'attentats en dehors de sa zone du Nord-Est depuis octobre. Nous avons donc desserré le dispositif sécuritaire : Lagos et les États voisins sont désormais colorés en jaune, Abuja est passé d'orange à jaune et les États voisins de rouge à orange.

M. Benjamin LADEF - Je suis directeur technique de Sofresud, petite PME du Var qui produit des systèmes de sécurité maritime. Nous avons déployé la protection des champs pétroliers de Total, notamment contre la piraterie. Nous travaillons notamment avec Risk & Co qui opère notre système. Comment pouvons-nous trouver un support sur place, des techniciens compétents ?

M. Sodji AHLONKO - Au quotidien, nous faisons en sorte de bien comprendre l'activité et les besoins de nos clients, afin de leur proposer de bons profils locaux.

TABLE RONDE 4 - FINANCER SES PROJETS ET SES EXPORTATIONS

Table ronde animée par M. Arnaud FLEURY, journaliste économique

Ont participé à cette table ronde :

M. Paul CARDOEN, Directeur général, First Bank of Nigéria

M. Jean HAAS, Consultant, Directeur général de Relais International

M. Dominique SIMON, Chef du service économique régional, Direction générale du Trésor

M. Jérôme BERTRAND-HARDY, Directeur général adjoint des opérations, Proparco

M. Eric TAINSCH, Responsable, Bpifrance Export

M. Arnaud FLEURY - Monsieur Paul Cardoen, vous connaissez bien la First Bank, une des plus importantes banques nigérianes. Vous disposez également d'un bureau à Paris. Pouvez-vous nous présenter le paysage bancaire au Nigéria ?

M. Paul CARDOEN - Notre banque est la plus grande banque de la première économie africaine. Elle existe depuis 122 ans. Nous avons connu de nombreuses crises et nous avons su les gérer. L'environnement est aujourd'hui différent, mais difficile pour toutes les banques en Afrique, très dépendantes des matières premières dont les prix ont fortement chuté. Le portefeuille de crédit des banques s'en ressent. En raison des résultats des banques, y compris la nôtre, nous avons pris des mesures pour assainir nos portefeuilles. Nos performances sont bonnes. Nous sommes donc prêts à faire face à une situation économique difficile et détériorée par la pénurie de devises.

M. Arnaud FLEURY - Les acteurs du secteur bancaire sont-ils sérieux ?

M. Paul CARDOEN - Je conseille aux entrepreneurs, opérateurs et exportateurs de bien choisir leur banque. Trois niveaux de banques existent. Le premier groupe comprend quatre ou cinq banques, importantes et saines : UBA, Zenith, GTB et First Bank. La deuxième catégorie comprend huit banques. J'éviterais les petites banques de la troisième catégorie qui rencontrent de nombreuses difficultés. La banque centrale du Nigéria a consolidé et nettoyé le secteur. Les autres pays africains n'ont pas procédé à un tel nettoyage. Le Kenya possède ainsi 43 banques, dont peu sont rentables. Une banque a récemment fait faillite au Congo.

Le secteur bancaire nigérian est sain. Vous avez besoin de partenaires solides, qui respectent les règles, pour réaliser vos projets et vos transactions. Travailler avec les cinq premières banques apporte des garanties.

M. Arnaud FLEURY - Peu de banques internationales sont présentes. Le potentiel du pays les incitera-t-il à s'y installer ? Les banques françaises s'installeront-elles à terme ?

M. Paul CARDOEN - Il m'est difficile de parler des banques françaises, même si j'ai travaillé pour l'une d'entre elles. Je constate plutôt une segmentation qu'un renforcement sur le continent africain. Une banque comme la nôtre, à Paris, peut accompagner les grandes entreprises qui interviennent ici. Nous suivons quelques projets, mais les banques françaises les accompagnent. Pour les petites et moyennes entreprises (PME) en revanche, l'intérêt est moindre. Notre succursale de Paris peut jouer un rôle pour aider et conseiller les entreprises françaises qui aimeraient approcher le marché nigérian.

M. Arnaud FLEURY - Les banques nigérianes sont adossées à des grands groupes, comme celui de M. Elumelu. Il est possible de faire des affaires avec ces banques qui appartiennent à ces conglomérats.

M. Jean HAAS - L'existence de grands groupes industriels, diversifiés dans de nombreuses activités, dont le domaine bancaire, constitue un élément nouveau. Avant les années 2000, ces acteurs travaillaient dans le négoce, l'intermédiation, la vente de contacts plus ou moins sérieux et ont permis à certaines entreprises de rencontrer d'importants succès. Ils ont tous évolué vers les services, la construction ou l'industrie. Ces personnes ont toutefois conservé, au Nigéria ou à l'étranger, les capitaux considérables acquis durant cette période. Si le Nigéria est pauvre, il est aussi composé de personnes très riches. Je connais plus de 15 milliardaires. Le Nigéria est par ailleurs l'un des premiers pays pour les avions privés dans le monde. Ces groupes possèdent des banques et de l'argent.

M. Arnaud FLEURY - Ils semblent donc fiables.

M. Jean HAAS - Il convient de comprendre que l'époque du sell and run (vends et va-t'en) est terminée. Ces groupes, adossés à des banques, sont capables de lever des capitaux considérables pour construire des partenariats dans l'industrie, les services ou l'hôtellerie.

M. Arnaud FLEURY - La question des devises semble empoisonner la vie du Nigéria puisque la valeur de la monnaie est plus forte à l'interbancaire et au marché noir que son cours officiel. Qu'en est-il de la pénurie de dollars ? Les récentes décisions sont-elles de nature à améliorer la situation, même s'il ne s'agit pas d'une dévaluation formelle de la monnaie locale, le naira ?

M. Dominique SIMON - Je parlerais plutôt de marché parallèle que de marché noir. Depuis quelques mois, nous constatons une importante pénurie de devises pour toutes les opérations bancaires, et notamment les rapatriements de bénéfices à l'étranger. Il n'est aujourd'hui pas possible de rapatrier ses bénéfices, à moins d'appartenir à une des 41 lignes validées par la banque centrale. Les compagnies aériennes réalisent l'essentiel de leur chiffre d'affaires en nairas et ne peuvent pas le transformer en dollars.

Quelques mesures sont annoncées, mais ne donnent pas satisfaction. Le Président, un ancien militaire, considère que dévaluer signifie capituler. Il refuse donc la dévaluation et la loi du marché. Les chefs d'entreprise, comme Aliko Dangote, jouent la carte de l'industrialisation, mais ne peuvent pas exporter lorsqu'un dollar coûte 200 nairas.

M. Arnaud FLEURY - Pensez-vous qu'une dévaluation peut intervenir ?

M. Dominique SIMON - La ministre des Finances a défendu l'idée d'organiser un système dual. Cette position suppose une administration performante. Mener deux taux de change en parallèle est très compliqué.

M. Arnaud FLEURY - Comment agir face à cette situation et l'existence d'un système interbancaire officieux et très onéreux ?

M. Paul CARDOEN - Le problème est surtout la pénurie de dollars. Cette situation a été créée par la promesse du président de ne pas dévaluer, qui a eu trois conséquences. Avant même son élection, une fuite de capitaux est intervenue. Dès que les mesures de maintien artificiel du taux ont été prises, les investissements ont cessé, ce qui crée une pénurie de dollars supplémentaire. Enfin, les banques et les opérateurs conservent leurs dollars, souvent pour couvrir des transactions d'import-export. Les dollars présents sont donc bloqués.

M. Arnaud FLEURY - La remontée du cours du baril constituera peut-être une solution. Comment peut faire une société qui doit payer ses factures en dollars ?

M. Paul CARDOEN - Elle ne le peut pas. La politique de réduction de la demande de dollars s'effectue par la restriction des importations. Les contrats en cours sont restructurés. Nous finançons les banques nigérianes de deuxième rang, nous les aidons à réaliser des transactions avec leurs clients. Même ces banques ne parviennent pas à nous rembourser. Nous devons leur accorder des délais. Il s'agit selon moi d'un risque politique et non économique, qui sera réglé à plus ou moins brève échéance. Les mesures prises récemment par le comité de politique monétaire constituent un début de dévaluation. Dès que ce processus sera en marche, un équilibre et une stabilité seront trouvés et permettront de restaurer la confiance.

M. Arnaud FLEURY - Comment faire venir du matériel de France alors que les dollars manquent ?

M. Jean HAAS - Cette question a un caractère conjoncturel. Le gouvernement a abordé la question économique avec un logiciel qui ne correspond pas à la réalité. Il est en train d'évoluer lentement. Qui aurait pu croire en novembre à la suppression des subventions sur les produits pétroliers ? Le gouvernement comprendra rapidement que ce système ne fonctionne pas et qu'il faut revenir à un système plus souple. La diaspora nigériane rapatrie tous les ans 20 milliards de dollars. Les étrangers, les Chinois notamment, attendent de retrouver un cours réaliste pour investir. Les décisions politiques récentes ont conduit à cette pénurie de dollars.

M. Arnaud FLEURY - Comment le crédit documentaire est-il pratiqué ? Quelles précautions doivent être prises ?

M. Paul CARDOEN - La garantie consiste malheureusement à bloquer les dollars en espèces pour les transactions, qui ont lieu en devises. Avant de débuter une transaction, il est nécessaire de voir les dollars. La First Bank of Nigéria, qui a accès à des dollars via sa filiale internationale, accepte des risques de change auprès de banques en difficulté contre garantie des bons du trésor.

M. Jean HAAS - Le crédit documentaire est une arme particulièrement compliquée. Dans un pays comme le Nigéria, où l'environnement reste inquiétant, je suis méfiant sur ce sujet.

M. Arnaud FLEURY - Quelle est la stratégie de Proparco au Nigéria ? Comment traitez-vous cette problématique de la devise nigériane ?

M. Jérôme BERTRAND-HARDY - Proparco est implantée à Lagos depuis 2013 et travaille au Nigéria depuis 2006. Nous avons réalisé environ 500 millions d'euros d'engagement. Notre encours s'élève aujourd'hui à 290 millions d'euros. Notre activité a consisté essentiellement en un refinancement, en dollars, de banques. Nous travaillons avec les sept principales banques du pays. Nous avons également réalisé une opération dans le domaine de la production d'électricité.

Proparco est un prêteur à moyen long terme. Le prêt à la centrale d'Azura court ainsi sur 15 ans et nous attendons des hauts des bas sur cette période. Nous prêtons en dollars aux banques et aux entreprises. Pour éviter les problèmes de change, nous recherchons des banques qui prêtent elles-mêmes à des acteurs dont les ressources sont en dollars.

M. Arnaud FLEURY - Elles prêtent également en nairas.

M. Jérôme BERTRAND-HARDY - Certes, mais elles disposent de dépôts en nairas et n'ont pas besoin des prêts de Proparco en dollars pour ces opérations.

M. Arnaud FLEURY - Etes-vous certains que ces sommes parviennent bien à l'économie réelle ?

M. Jérôme BERTRAND-HARDY - Nous choisissons les intermédiaires financiers en fonction de leurs capacités, démontrées, à financer l'économie réelle.

M. Arnaud FLEURY - Proparco est engagée sur de nombreux fronts. Que représente le Nigéria dans sa stratégie en Afrique ?

M. Jérôme BERTRAND-HARDY - Le Nigéria est notre quatrième pays d'intervention en termes d'encours, et le second en Afrique derrière le Kenya (en encours) et la Côte d'Ivoire (en activités). Compte tenu de la situation du dollar, nous sommes prudents. Nous essayons de développer une activité dans les domaines des biens de consommation, de la santé, de l'agro-industrie, qui sont tournés vers le marché intérieur. Nous menons des discussions avec nos partenaires bancaires pour développer des systèmes de garantie en nairas, afin de financer en nairas des acteurs dont les revenus sont en nairas. Cette solution contribue à la mobilisation de l'épargne locale en faveur de l'économie réelle d'une part et au financement des entreprises nigérianes d'autre part.

Nous analysons la situation actuelle de faiblesse des dollars comme conjoncturelle et nous souhaiterions qu'elle se stabilise avant de reprendre nos opérations.

M. Arnaud FLEURY - Pensez-vous qu'un taux au marché noir perdurera si la situation persiste ?

M. Dominique SIMON - L'incertitude est le plus grand ennemi des investisseurs et des banquiers. Nous avons développé un scénario avec M. l'Ambassadeur pour analyser le trimestre à venir et anticiper la réaction des marchés vis-à-vis d'une dévaluation annoncée, mais qui n'intervient pas. Il est certain que le marché sondera la nouvelle parité et la capacité de la banque centrale à tenir. Les réserves de la banque centrale, qui sont passées de 48 à 25 milliards de dollars en un an et demi, sont aujourd'hui légèrement supérieures à quatre mois et demi d'importations.

M. Arnaud FLEURY - Ces réserves pourraient-elles remonter avec la hausse du prix du pétrole ?

M. Dominique SIMON - En effet, mais la production devrait également augmenter, ce qui est plus délicat. En revanche, les industriels nous ont indiqué que leurs estimations s'élevaient à 290 ou 300, contre 263 mois auparavant. Le spread (l'écart) est actuellement de 45 % à 50 %. Si la parité avec le dollar s'établissait à 290, les marchés tenteraient de savoir s'il est possible de la pousser à 320 ou 330. La banque centrale aura alors besoin de toutes ses réserves.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur Cardoen, êtes-vous d'accord avec ce scénario ?

M. Paul CARDOEN - Absolument, je m'attends à des turbulences à court terme. L'inflation progressera, les réserves souffriront. Tout dépend de l'action du gouvernement. Il faut laisser le taux trouver son équilibre naturel. Les réserves ne sont plus abondantes et quatre mois d'importations ne sont guère confortables ; certains pays africains disposent de sept ou huit mois.

M. Arnaud FLEURY - Le Nigéria importe de plus quasiment tout.

M. Paul CARDOEN - Les transactions avec le gouvernement chinois se soldent en renminbi (yuan). Le gouvernement cherche à réduire sa dépendance envers le dollar et se tourne vers une nouvelle monnaie.

M. Jean-Raoul THAUZIN - Fin mars, les encours des compagnies aériennes, en nairas, s'élevaient à 575 millions de dollars. Ce chiffre avoisine les 700 millions aujourd'hui et risque d'atteindre le milliard avec la période d'été. Des instituts financiers peuvent-ils soutenir la banque centrale pour payer rapidement les compagnies aériennes ? Iberia a fermé l'escale et United Airlines pourrait suivre.

M. Paul CARDOEN - Je ne pense pas qu'il soit possible d'aider la banque centrale. Tout le monde devra gérer ses encours, sans paniquer. Vous êtes des opérateurs de longue date et vous savez que la situation s'arrangera.

M. Arnaud FLEURY - Une solution sera trouvée pour le maintien d'Air France au Nigéria.

M. Yves-Robert LEFEBURE - Le prix du brut est dégradé, même s'il remonte légèrement. Par ailleurs, la dette des sociétés nationales vis-à-vis des sociétés pétrolières s'élève à environ 7 milliards de dollars. Nous entrons dans un cycle infernal où les investissements ne suffisent pas à maintenir l'appareil de production. La baisse du prix s'ajoutant à cette situation, les caisses de l'État sont terriblement pénalisées. Le système risque de s'arrêter. Les arriérés sont importants et stoppent les investissements des opérateurs.

M. Arnaud FLEURY - Exporter vers le Nigéria reste-t-il possible ?

M. Jean HAAS - Oui. L'argent existe au Nigéria, encore faut-il le trouver.

M. Paul CARDOEN - Je le confirme. De nombreux projets ont été planifiés à partir d'un prix de matière première plus élevé qu'il n'est aujourd'hui. De nombreux clients et projets ne parviennent donc pas à rembourser leurs dettes. Deux semaines avant ce colloque, je me suis rendu au Nigéria sur un projet à l'arrêt, dont les employés ont été licenciés, et nous craignions que le gouvernement ne retire la licence à l'opération. Trois des quatre banques impliquées ont paniqué et ne souhaitaient plus aider cette opération. Notre banque a proposé une restructuration à long terme de la dette, en reprenant celle des autres banques. Nous sommes allés voir le Président, avec les clients et l'opérateur et nous avons essayé de rassurer le gouvernement en rappelant que nous envisagions une présence à long terme, que nous étalions la dette sur cinq ans au lieu de deux, et que nous essaierions de réduire le coût de l'opération. Nous rouvrirons le projet et réembaucherons les salariés dès que le prix le permettra. Ces mesures nécessitent du courage et un comité qui vous apporte son soutien.

M. Arnaud FLEURY - Un bon sens de la communication et un gouvernement attentif sont également requis. Comment se matérialise le soutien de Bpi France aux exportateurs notamment ?

M. Eric TAINSCH - Bpi France a été créé en 2013 avec l'objectif de faire grandir les entreprises, de transformer les TPE en PME, les PME en ETI, les ETI en grands groupes et que la France dispose de start-up (licornes). Dans ce but, nous proposons des garanties qui permettent d'alléger les risques bancaires. Nous réalisons des financements directs pour des investissements, particulièrement immatériels. Nous finançons également l'innovation, la recherche et le développement jusqu'à la mise sur le marché. Nous finançons évidemment l'international.

L'innovation et l'international constituent nos principaux moteurs. Nous attachons beaucoup d'importance à l'Afrique. Nous ferons en sorte de mobiliser nos PME, nos ETI, nos start-up vers le Nigéria.

J'ai entendu les conseillers économiques nous indiquer que 200 000 euros minimum étaient nécessaires pour se lancer, que les besoins en fonds de roulement étaient importants et qu'il convenait d'attendre entre trois et cinq ans pour atteindre le point mort. La problématique du dollar semble complexe, la sécurité doit être prise en compte, même si les coûts restent raisonnables.

Ces éléments supposent de disposer d'un bilan pour réussir en Afrique. Or renforcer le bilan des entreprises est notre métier. Nous sommes un puissant intervenant en capital-risque, en capital investissement. Nous réalisons 200 opérations chaque année dans des start-up , des PME, des ETI ou dans des grands groupes.

Évidemment, tous les entrepreneurs ne souhaitent pas ouvrir leur capital, même si nous sommes convaincus que cette démarche apporte un souffle nouveau à l'entreprise.

Nous avons donc développé des alternatives à l'intervention en fonds propres sous la forme d'investissements longs, sur sept ans, remboursés à partir de la troisième année, sans garantie. Ils permettent de financer les multiples investissements immatériels nécessaires pour réussir à l'international, particulièrement en Afrique et au Nigéria. Nous donnons donc du temps à l'entrepreneur pour prendre des paris relativement osés. Comprendre un marché, les besoins révélés et latents, prend toujours du temps.

Nous finançons les ventes des entreprises à l'international, nous finançons les flux et sommes capables d'effectuer des mobilisations de créances.

Les besoins d'infrastructures sont importants au Nigéria et nous souhaitons aider nos entreprises à vendre leurs équipements, sous forme d'offre globale, incluant un financement. Nous effectuons ainsi du rachat de crédit fournisseur à une entreprise nigériane qui peut alors payer rubis sur l'ongle l'exportateur français.

Enfin, l'État nous fait l'honneur de nous confier l'activité « garantie publique » de la Coface. 230 collaborateurs de cet organisme nous rejoindront dans les prochains mois. Vous, exportateurs, pourrez ainsi profiter des solutions de financement que je viens d'évoquer ainsi que de l'assurance prospection. Obtenir de l'assurance-crédit garantie publique sur le Nigéria est possible. Se protéger contre les risques de variations de change est également important. Nous disposerons rapidement des garanties « risques politiques et catastrophes naturelles », actuellement proposées par la Coface. La garantie de « projet à l'international » assurera, contre le risque économique, les sommes qu'une société française investit au Nigéria. Si la structure nigériane dans laquelle vous avez investi déposait le bilan, Bpi France rembourserait 50 % de l'investissement à la société mère.

M. Arnaud FLEURY - Merci à tous. J'ai eu plaisir à vous accompagner dans la réflexion au sujet de ce pays qui sera dans une trentaine d'années le troisième plus peuplé au monde, devant les États-Unis. Je voudrais enfin vous indiquer que l'AFD organisera avec Business France un atelier sur le secteur de l'énergie au Nigéria le 5 juillet 2016.

De gauche à droite : MM. Charles Revet, Tony Elumelu et
Mme Muriel Pénicaud

De gauche à droite : Mme Muriel Pénicaud, MM. Tony Elumelu,

Charles Revet et Denys Gauer, Ambassadeur de France au Nigéria

M. Charles Revet entouré de la délégation de Business France

De gauche à droite : MM. Tony Elumelu, Charles Revet et
et Denys Gauer

Programme du Colloque du 27 mai 2016

Salle Clemenceau

ANNEXES

- Fiche pratique de présentation du Nigéria par le Ministère des Affaires étrangères et du développement international

- Présentation de la situation économique du Nigéria par M. Dominique Simon, Chef du service économique régional de la Direction du Trésor

- Présentation des secteurs porteurs du Nigéria par M. Bertrand de La Forest Divonne, Directeur du Business France-Nigéria

Présentation sur la situation économique du Nigéria :

« entre une conjoncture dégradée et des fondamentaux solides »

par M. Dominique Simon,

Chef du service économique régional de la Direction du Trésor

Croissance

• La croissance du PIB réel a atteint 2,7 % en 2015 (contre 6,7 % en 2014).

• Croissance inférieure à celle de l'Afrique subsaharienne (3,5 %). Pire performance depuis une décennie.

• Activité économique tirée par le secteur non-pétrolier. Chute du secteur pétrolier de 7,2 % du PIB en 2014 à 3,75 % en 2015.

• Les services, l'industrie et l'agriculture ont contribué respectivement à 53,2 %, 23,7 % et 23,1 % du PIB en 2015.

• Les prévisions du FMI pour 2016 ont été revues à la baisse, de 4,1 % à 2,3 %, avec une chute de la croissance non-pétrolière de 3,75 % à 3,1 %.

• La croissance au 1 er semestre 2016 pourrait être inférieure à 2 % en raison de la baisse de la production de pétrole.

Budget 2016 et finances publiques

• Le budget 2016 a été signé le 6 mai. En hausse de 20 %, il atteint 30,6 Mds USD. 34 actions prioritaires fondées 4 axes : politique, gouvernance et sécurité ; diversification de l'économie ; soutien aux pauvres et aux plus vulnérables ; investissement.

• Hypothèses du prix de référence du baril à 38 USD et d'une production pétrolière de 2,2 M de barils par jour (contre 1,4 actuellement).

• Le déficit public atteint 11,1 Mds USD (2,14 % du PIB). Plusieurs pistes de financement sont évoquées : un soutien budgétaire de la part de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement (3,5 Mds USD) ; un emprunt sur les marchés de capitaux internationaux (1 Md USD) ; des « panda bonds » (obligations en RMB) ; enfin, le Parlement a validé l'émission d'une obligation destinée à la diaspora (300 M USD).

• Hausse de la dette publique consolidée (fédéral + fédéré) de 2,5 % entre juin et décembre 2015, qui atteint 65,5 Mds USD. Le ratio dette/PIB atteint 14,4 %, et le service de la dette rapporté aux recettes pourrait passer de 32 % à 50 %.

• Moody's vient de dégrader la note souveraine du Nigéria de Ba3 à B1, soulignant le risque associé à la transition vers un budget moins dépendant du pétrole, et au service de la dette rapporté aux recettes publiques non-pétrolières espérées.

Inflation

• L'inflation a atteint un niveau record depuis 6 ans en avril 2016, s'établissant à 13,7%, tirée par la hausse des coûts de l'énergie et du pétrole.

• Hausse des prix alimentaires de 13,2%, portée par le coût du transport et l'impact du taux de change sur les aliments importés.

Politique monétaire

• Dernier Comité de politique monétaire : les 21 & 22 mars 2016.

• Hausse du taux directeur de 11 à 12 %.

• Resserrement du corridor asymétrique autour du taux directeur de +200 points de base / - 700 points de base à + 200 points de base / -500 points de base.

• Augmentation des réserves obligatoires de 20 à 22,5%.

• Prochain Comité de politique monétaire : les 23 & 24 mai 2016. Dévaluation rendue possible, avec la fin des subventions aux carburants.

• Changements au niveau politique : récentes déclarations du Vice-Président favorables à une flexibilisation du régime de change.

Marché des changes

• Suite à la décision de ne pas dévaluer, le taux de change NGN/USD a atteint un pic à 400 NGN/ 1 USD sur le marché parallèle en mars 2016.

• Le taux de change interbancaire reste stable à 197 NGN/1 USD. La prime (« spread ») entre les deux marchés est supérieure à 60 %.

• Le rapport au titre de l'Article IV du FMI considère que le NGN est surévalué (entre 20 et 30%), et entraine des distorsions au sein de l'économie : la volonté de protéger certains secteurs entraine des pertes d'emploi, une chute de la production et une baisse des investissements dans d'autres.

• Conséquemment, le FMI recommande un ajustement du taux de change, accompagné d'une politique budgétaire et monétaire plus restrictive et d'une suppression des mesures de contrôle de change. Cependant, il met en garde également en garde contre les effets d'une dévaluation significative sur la soutenabilité de la dette externe.

• Baisse des réserves de change de 6,5% depuis le début de l'année, atteignant 27,2 Mds USD fin avril 2016, soit un niveau équivalent à 4,5 mois d'importations.

Visite du Président Buhari en Chine

• La Chine a offert un crédit de 6 Mds pour financer des projets qui doivent être identifiés dans les secteurs de l'électricité, des mines, du transport routier et ferroviaire, des infrastructures et du logement.

• La Banque industrielle et commerciale de Chine (ICBC) a signé un accord de prêt de 2 Mds USD avec Dangote Cement pour financer la construction de deux cimenteries.

• Signature d'un accord monétaire entre la CBN et l'ICBC pour accroître le règlement des importations chinoises en RMB plutôt qu'en USD. Le Nigéria va devenir un « hub » pour le RMB en Afrique de l'ouest.

• Cet accord va permettre de réduire les coûts de transaction et de lutter contre la pénurie d'USD. Risques : diversion commerciale au dépend d'autres partenaires ; contradiction avec la politique de substitution aux importations du gouvernement.

• Du fait des retards des paiements en dollars, la demande d'USD n'est pas prête à se réduire à court-terme.

Secteur bancaire et financier

• Importations de capitaux : -74 % en g.a au premier trimestre 2016 à 711 M USD ; flux les moins élevés depuis 2007. Chute de l'indice de la bourse de Lagos entre décembre 2015 et mars 2016 de 11,6 % ; baisse de la capitalisation boursière de 11,8 % qui atteint 44 Mds USD.

• D'après le FMI, le secteur bancaire demeure sain et suffisamment capitalisé. Cependant, hausse de 78,8 % des prêts non-performants en 2015, qui atteignent en moyenne 4,9 % du total des prêts. Forte exposition des banques aux secteurs pétrolier et électrique.

• Exemple de FirstBank : 47 % des prêts au secteur pétrolier ; 18,8 % de prêts non-performants ; -82 % de bénéfices en 2015.

Secteur pétrolier

• Production pétrolière : d'après les dernières déclarations du secrétaire d'Etat au Pétrole Ibe Kachikwu, baisse de 40 %, atteignant désormais 1,4 M de b/j en raison des sabotages. Maintien du programme d'amnistie, mais fin des contrats de protection des pipelines.

• Réforme du « downstream » pétrolier : suppression des subventions aux carburants, hausse du prix des produits pétroliers (145 NGN/l) et libéralisation des importations de carburants.

• Loi sur l'industrie pétrolière : nouveaux texte présenté par l'Assemblée nationale, qui a passé la première lecture au Sénat.

Commerce extérieur

• Commerce extérieur : le total atteignait 74,5 Mds USD en 2015, soit 30,6% de moins qu'en 2014. Baisse essentiellement liée à la chute de 40,3% de la valeur des exportations.

• Le pétrole brut comptait pour 71,4% des exportations nigérianes en 2015.

• Les importations sont constituées à 32,4% de machinerie et de matériel de transport, à 18,5% de combustibles minéraux et à 15% de produits alimentaires et d'animaux vivants.

• Le Nigéria est le 1er partenaire commercial de la France en Afrique subsaharienne : en 2015, 4,2 Mds EUR en recul de -24,7% par rapport à 2014 (5,6 Mds EUR).

• Au premier trimestre 2016 : baisse de 38% des échanges bilatéraux ; recul de 50% des exportations et de 29% des importations.

• Présentation Pwp des secteurs porteurs du Nigéria

par M. Bertrand de La Forest Divonne,

Directeur du Business France-Nigéria

Le Nigéria 2016

• Un territoire de 924.000 km²

• Un marché de près de 180 millions d'habitants, connecté au marché de la CEDEAO, soit plus 300 millions de consommateurs.

• Une classe émergente, environ 20 % de la population

• Services = 52 % du PIB

Constat :

• Volonté marqué et nécessité de diversifier l'économie hors pétrole, de développer des économies alternatives. Situation de « stand by », mais le dynamisme demeure

• Aucun secteur n'est à exclure de la prospection mais nécessité de bien la préparer: possibles interdictions, aspects règlementaires, législation évolutive, droits douanes et taxes

Les secteurs porteurs

Le grand défi de la diversification hors pétrole

• Agriculture et agro-industrie, élevés au rang des priorités :

-  Faire baisser la facture des importations alimentaires.

-  Beaucoup de matières premières, peu d'industries pour les transformer

• Infrastructures: réseau routier, aéroport (équipements), ferroviaire

• Construction immobilière, hôtels

• Énergie: un enjeu majeur, celui de la hausse de la production électrique, développement des ENR également (solaire, éolien)

• Commerce et distribution : développement de la grande distribution. Les « majors » arrivent

• E-commerce: développement rapide des entreprises de type JUMIA, KONGA

• Santé: hôpitaux, dispositifs médicaux

• Numérique / digital : 67 millions d'usagers internet, en évolution permanente

• Télécommunications mobiles : plus de 140 millions d'abonnements


* ( 1 ) Membres du groupe interparlementaire d'amitié France-Afrique de l'Ouest : M. Jacques LEGENDRE, Président ; M. Charles REVET, Président délégué pour le Nigeria ; M. Joël GUERRIAU, M. Loïc HERVÉ, Mme Odette HERVIAUX, M. Robert HUE, M. Éric JEANSANNETAS, Mme Sophie JOISSAINS, M. Alain JOYANDET, M. Philippe KALTENBACH, Mme Christiane KAMMERMANN, Mme Fabienne KELLER, M. Georges LABAZÉE, M. Joël LABBÉ, M. Jean-Yves LECONTE, M. Jean-Baptiste LEMOYNE, Mme Claudine LEPAGE, Mme Valérie LÉTARD, M. Jean François LONGEOT, M. Jeanny LORGEOUX, M. Didier MANDELLI, M. Didier MARIE, M. Jean Marie MORISSET, M. Philippe MOUILLER, M. Hervé POHER, M. Henri de RAINCOURT, M. Daniel RAOUL, M. Daniel REINER, M. Charles REVET, Mme Catherine TASCA, M. Jean-Pierre VIAL et M. Richard YUNG

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N° GA 139 - Juin 2016

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