Rapport de groupe interparlementaire d'amitié n° 120 - 5 août 2014


Groupe interparlementaire d'amitié

France-Iran (1 ( * ))

Vers l'ouverture des

échanges commerciaux avec l'Iran

Actes du colloque du 23 mai 2014

organisé en partenariat avec

le CERCLE IRAN ÉCONOMIE

Sous le parrainage conjoint de

M. Aymeri de MONTESQUIOU , Président du groupe interparlementaire d'amitié France-Iran

M. Philippe MARINI , Président de la commission des Finances, Vice-président du groupe interparlementaire d'amitié France-Iran.

Palais du Luxembourg
Salle Clemenceau

COLLOQUE

animé par M. Georges MALBRUNOT, journaliste,

spécialiste du Moyen-Orient au Figaro

Le groupe interparlementaire d'amitié France-Iran , créé au Sénat en 1975, est actuellement présidé par M. Aymeri de Montesquiou, sénateur du Gers.

Comme tous les groupes interparlementaires d'amitié, il se propose de promouvoir des liens bilatéraux de confiance et de compréhension mutuelle entre les parlementaires des deux pays, tout en favorisant des échanges concrets dans des domaines très divers : coopération économique, dialogue culturel, rencontres de responsables, etc. Les groupes d'amitié du Sénat s'efforcent aussi de valoriser la coopération décentralisée et le bicamérisme au service de la démocratie.

Le groupe d'amitié France-Iran, tributaire du contexte diplomatique, a centré ses activités depuis quelques années sur des rencontres informelles ou des colloques favorisant une meilleure connaissance du dossier iranien, comme la conférence du 10 avril 2012 sur « l'Iran et ses grands partenaires ».

Le Cercle Iran Économie (association de la loi de 1901) a été créé début 2013 à l'initiative d'universitaires, de chefs d'entreprises et d'étudiants ayant en commun la connaissance de l'Iran et du persan. Le Cercle a pour but de mieux comprendre l'Iran et la société iranienne et de proposer une expertise et une analyse rationnelle à travers un prisme essentiellement économique.

Le Cercle est un lieu d'échanges et de confrontations d'idées autour de l'économie, de l'entreprise et de l'Iran. En 2013, il a organisé deux rencontres, avec le concours de l'équipe de recherche Mondes iranien et indien (CNRS), l'une sur « la situation économique en Iran et la vie continue ? », l'autre sur « la levée prochaine des sanctions », mettant en présence des points de vue français et américain. Il s'adresse aux milieux économiques, politiques, universitaires et des médias pour faire partager les expertises, les analyses et les expériences de personnes et d'institutions ayant une connaissance réelle de l'Iran et une pratique concrète des relations avec les Iraniens.

Le présent document constitue un document de travail. Il a un caractère informatif, il ne contient aucune prise de position susceptible d'engager le Sénat.

OUVERTURE DES TRAVAUX

M. Nigel COULTHARD, Président du Cercle Iran Économie

Merci à tous d'être venus en si grand nombre. Je tiens à remercier tout particulièrement Messieurs les sénateurs Aymeri de Montesquiou, Président du groupe d'amitié France-Iran et Philippe Marini, Président de la commission des Finances du Sénat et Vice-président du groupe d'amitié, d'avoir accepté d'organiser ce colloque en partenariat avec notre cercle et de nous accueillir au Palais du Luxembourg.

Avant de vous présenter le programme de ce colloque, je souhaite céder la parole à notre hôte, Monsieur de Montesquiou, qui vient d'effectuer une mission d'une semaine en Iran avec le Président et plusieurs membres de la commission des Finances du Sénat.

M. Aymeri de MONTESQUIOU, Président du groupe interparlementaire d'amitié France-Iran

Le Sénat est très heureux de vous accueillir et, pour ma part, je me félicite de constater que « l'axe du mal » est sérieusement ébréché, comme en atteste le nombre d'auditeurs de ce colloque !

C'est avec grand plaisir que je vais vous parler d'un pays important à la fois politiquement et économiquement. Le chiisme, fondement de la spécificité iranienne, permet à l'Iran d'exercer une influence considérable à l'Est et au Sud, que ce soit dans la zone de Dhahran en Arabie Saoudite, particulièrement pétrolifère, ou en Syrie et au Liban, où le Hezbollah joue un rôle de premier plan.

L'Iran souffre d'un déficit en termes d'image, imputable au pays lui-même, mais également aux Occidentaux.

Le poids démographique de l'Iran est conséquent, puisqu'avec 80 millions d'habitants, il constitue le pays le plus peuplé de la région avec la Turquie.

Notre mission en Iran a été riche d'enseignements. Nous avons été accueillis avec le raffinement et l'intelligence caractéristiques du peuple iranien. Pour des laïcs, l'orientation théocratique de l'Iran constitue parfois un facteur d'incompréhension. Cependant, il convient de rappeler qu'il s'agit d'un pays où les citoyens des deux sexes jouissent du droit de vote.

Il est parfois difficile pour un Occidental de comprendre la coutume consistant à voiler les femmes. Pour autant, je souhaite souligner que l'éducation occupe une place majeure en Iran, et qu'on y dénombre plus de trois millions d'étudiants, dont 60 % de jeunes femmes. Ce point est essentiel, car la mauvaise image de l'Iran en Occident découle en partie de la représentation erronée que nous nous faisons de la condition féminine dans ce pays.

Lors de notre voyage, nous avons eu l'opportunité de rencontrer d'éminentes personnalités, telles que : le Docteur Velayati, conseiller diplomatique du Guide suprême iranien, qui fut pendant de nombreuses années ministre des Affaires étrangères de la République islamique d'Iran et avec qui il est toujours intéressant, gratifiant et je dirais même délicieux de s'entretenir, tant il est courtois et doué d'une grande intelligence ; M. Mohammad Nahavandian, secrétaire général de la Présidence de la République ; M. Mohammed Javad Zarif, ministre des Affaires étrangères ; le Président du Majlis.

Nous avons ressenti chez tous ces interlocuteurs le désir d'intensifier les échanges avec notre pays.

À titre personnel, je considère que la politique menée par la France à l'égard de l'Iran n'a pas été des plus opportunes, en particulier sur le plan économique. Certes, les Iraniens sont des diplomates avertis et pointus, ce qui ne rend pas les négociations particulièrement aisées. Toutefois, je constate que la France a perdu des parts de marché très importantes, de telle sorte que nos échanges commerciaux sont passés en quelques années de 3 milliards à seulement 600 millions d'euros. Or il va de soi que ces parts de marché perdues ont été récupérées, entre autres, par la Chine, la Corée et certains pays européens moins pointilleux sur le respect de l'embargo frappant l'économie iranienne.

De manière peut-être paradoxale, l'abominable guerre entre l'Iran et l'Irak a favorisé un développement de l'industrie iranienne. Par ailleurs, je me demande si les restrictions imposées à l'Iran ne l'ont finalement pas incité à s'engager dans la voie de la modernité, comme en atteste le dynamisme de Tabriz, ville industrielle du Nord par laquelle nous sommes passés.

Nous avons visité un certain nombre d'entreprises intervenant dans les industries pétrochimiques, agroalimentaires et pharmaceutiques et avons constaté, avec regret, l'abandon des usines Peugeot.

Si l'embargo est un facteur de souffrance important pour l'économie et la population iraniennes, il touche également durement la France et profite indirectement aux pays qui le contournent. Loin de moi l'idée de faire des corrélations ; cependant, nous avons observé la présence de machines-outils italiennes et allemandes tout à fait modernes dans les usines.

La France bénéficie d'une excellente image en Iran, en raison de l'ancienneté des relations entre nos deux pays et, par opposition, de la mauvaise réputation dont pâtissent Britanniques et Américains depuis l'épisode Mossadegh. Par ailleurs, les plus hautes autorités iraniennes sont encore reconnaissantes envers la France de l'hospitalité qu'elle a offerte à l'Ayatollah Khomeini durant son exil, comme j'avais déjà pu m'en rendre compte lors d'un voyage effectué en 1998 aux côtés du Président Giscard d'Estaing.

Dans la stricte limite du périmètre fixé par l'embargo, j'encourage les entreprises représentées ici à se rendre en Iran. Le MEDEF a organisé récemment une mission d'envergure qui n'a pas manqué d'irriter les États-Unis, puisque le président Obama a, certes, salué la démarche, mais a également sous-entendu qu'elle pourrait générer un certain nombre de retombées négatives pour les entreprises françaises, en Iran comme aux États-Unis. J'accepte mal cette mise en garde, d'autant moins que les sanctions interdisent les exportations de pièces détachées automobiles, et non celles de voitures entières, ce qui profite à General Motors tandis qu'elle entraîne la fermeture des usines Peugeot dans les Vosges.

Le point le plus important reste cependant le tarissement des flux financiers. Il est en effet autorisé d'exporter des médicaments et de la nourriture vers l'Iran, mais il est extrêmement complexe de financer ces échanges. Certains pays parviennent à trouver des biais, mais les banques françaises ne prennent aucun risque, leurs intérêts aux États-Unis étant bien supérieurs à ceux qu'elles possèdent en Iran.

En ce qui concerne les négociations sur le programme nucléaire iranien, j'appelle de mes voeux un accord et espère que les forces politiques iraniennes ainsi que l'Europe partagent mon avis. L'Union européenne doit s'émanciper de l'influence américaine sur cette question, car ses échanges avec l'Iran sont infiniment supérieurs à ceux des États-Unis et elle ne peut se laisser dépasser. M. Ali-Akbar Velayati me signifiait récemment que Boeing est présent en Iran, alors qu'Airbus y est absent, ce qui constitue une anomalie regrettable, tant l'Europe a un rôle d'envergure à jouer dans ce pays.

Pour sa part, le groupe interparlementaire d'amitié est déterminé à être le fer de lance de la France en Iran, pays qu'il estime être un acteur central sur la scène internationale, à la fois politiquement, économiquement et culturellement.

M. Nigel COULTHARD

Avant de développer plus avant l'analyse, je souhaite vous présenter le cercle Iran Économie ainsi que les intervenants de cet après-midi.

L'idée de se rassembler autour des questions relatives à l'économie iranienne est née fin 2012, alors que les sanctions et autres mesures coercitives liées à l'embargo prenaient leur plein effet.

Le groupe Iran Économie s'est constitué autour de deux universitaires, de deux dirigeants d'entreprise et de deux étudiants, partageant tous une solide expérience de l'Iran, des liens d'amitié avec des Iraniens ainsi que la maîtrise du persan.

Nous sommes réunis autour de l'idée que l'Iran doit être considéré de manière rationnelle et que, de ce point de vue, l'expérience unique des entreprises est précieuse, car elle permet de dépasser la simple rhétorique politique. En associant expertise et expérience, nous avons la volonté d'échanger sur l'économie et le commerce et nous portons un regard particulier sur les entreprises souhaitant travailler avec l'Iran.

En avril 2013, nous avons organisé, avec le concours de l'équipe de recherche « Monde iranien » du CNRS, une première table ronde intitulée « La situation économique en Iran et la vie continue ? » dans les salons d'honneur de l'INALCO. Cette rencontre a connu un tel succès que la salle était archi comble et que nous avons dû refuser l'entrée à beaucoup de participants arrivés un peu tard, ce qui confirme l'ampleur de la demande des entreprises et du public sur ce sujet.

En novembre 2013, une deuxième table ronde réunissant plus de 200 participants a eu lieu dans les nouveaux locaux de l'INALCO, sur le thème « La levée prochaine des sanctions ». Nous avons enregistré pour la manifestation d'aujourd'hui plus de 300 inscrits.

À l'évidence, l'économie iranienne et les échanges commerciaux avec ce pays suscitent un grand intérêt parmi les entreprises, les industriels et les universitaires spécialistes de l'Iran. De même, le public et les médias sont demandeurs d'éclaircissements plus rationnels sur l'Iran.

Après ces succès, nous avons formalisé la structure du cercle Iran Économie en créant une association loi 1901, ouverte aux particuliers et aux entreprises qui souhaitent y adhérer. Parmi nos membres fondateurs, nous comptons, outre moi-même, M. Guy Devinoy, trésorier, M. Bernard Hourcade, spécialiste de l'Iran, M. Thierry Coville, économiste, M. Henri d'Aragon, et M. Alexandre Sudron.

Parmi les intervenants présents aujourd'hui, nous avons l'immense plaisir d'accueillir Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro et spécialiste du Moyen-Orient, qui revient d'un voyage en Iran et assumera le rôle de modérateur de ce colloque.

Sir Richard Dalton, ancien ambassadeur britannique à Téhéran entre 2002 et 2006 et actuellement responsable du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Chatham House, est venu expressément d'Angleterre ce matin pour vous présenter son analyse des négociations sur le programme nucléaire iranien. Nous sommes très honorés de sa présence, et nous le remercions d'avoir accepté d'intervenir en français.

Thierry Coville est, pour sa part, professeur à Novancia, chercheur à l'IRIS et spécialiste de l'économie iranienne.

Je citerai également Michel Makinsky, fort d'une expérience de trente années en tant que juriste d'entreprise, qui vient de publier un remarquable ouvrage sur l'économie iranienne.

M. Georges MALBRUNOT

Avant de lancer le débat, je souhaite vous livrer quelques impressions sur mon dernier séjour en Iran. En effet, bien que je ne m'y sois pas rendu en tant que journaliste, j'ai cependant pu poser un oeil avisé sur la situation du pays et constater que nous nous trouvions à un moment charnière.

A deux mois de l'échéance du premier cycle de négociations, nous avons pu observer que la dernière session de Vienne n'avait pas produit de résultats probants, en raison notamment des positions tranchées des Américains et des Iraniens, pourtant pleinement déterminés à conclure un accord. Si les négociations venaient à échouer d'ici au 20 juillet, un moratoire pourrait toutefois être décidé.

En outre, j'ai noté une crispation de la part des conservateurs, qui multiplient les critiques à l'encontre du ministre des Affaires étrangères, M. Mohammad Javad Zarif. Dix mois après l'élection du Président modéré M. Hassan Rohani, la politique du gouvernement tarde à porter ses fruits, ce qui suscite l'impatience non seulement des conservateurs, mais aussi de la population iranienne.

Si les vingt années de fermeture de l'Iran ont considérablement nui au développement de son secteur touristique, j'ai cependant remarqué la présence de nombreux touristes américains, italiens et français ainsi que la construction d'infrastructures hôtelières visant à répondre à cette demande.

Compte tenu de l'intransigeance des milieux décisionnaires français à l'égard du programme nucléaire iranien, le risque est grand de voir des entreprises étrangères établir des contacts commerciaux avec l'Iran, au détriment de nos entreprises. En effet, malgré l'allégement des sanctions consécutif à l'accord intérimaire signé en novembre, l'absence de circuits bancaires empêche encore le financement d'activités en Iran.

Je cède maintenant la parole à Sir Richard Dalton, qui nous donnera son point de vue sur l'issue possible des négociations et l'éventualité d'une détente entre les parties prenantes.

L'ANALYSE CONTEXTUELLE

Sir Richard DALTON, The Royal Institute of International Affairs (Chatham House), ancien ambassadeur britannique à Téhéran

État des négociations entre l'Iran et le groupe des « 5+1 » et perspectives d'amélioration des échanges commerciaux

Mesdames et Messieurs les sénateurs, Excellence, Mesdames et Messieurs.

Je souhaite tout d'abord vous remercier de cette invitation. C'est un honneur d'être l'hôte du Sénat de la République française.

Je félicite le cercle Iran Économie d'avoir pris l'initiative de nous réunir pour traiter ce sujet d'actualité et vous remercie tous de votre accueil et votre hospitalité.

Pour évaluer l'issue probable des négociations, il est nécessaire de se poser deux questions préalables. Pourquoi les commentateurs ont-ils perdu récemment l'optimisme qui prédominait en amont des négociations entre l'Iran et le groupe des « 5+1 » ? Quelles sont les forces politiques qui doivent s'entendre sur le texte de l'accord final ?

Les pourparlers actuels sont secrets, de telle sorte qu'aucun d'entre nous ne connaît les détails de leur avancement. Les deux parties se sont rendues à Vienne avec la ferme intention de trouver un accord. Cependant, les points de contestation sont si nombreux qu'elles ont jusqu'ici campé sur leurs positions.

Quelques points positifs peuvent cependant être observés :

La confiance réciproque, bien que fragile, apparaît aujourd'hui renforcée. Après la réunion de Vienne, les porte-parole respectifs des États-Unis et de l'Iran ont ainsi évoqué plus de réalisme de part et d'autre.

Un accord de principe aurait apparemment été trouvé sur la réduction de la production de plutonium du réacteur d'Arak, qui ne constitue plus un obstacle majeur à la réussite des négociations, comme cela pouvait encore être le cas l'an dernier.

Des progrès ont été réalisés sur la question de la transparence et la façon de construire une politique durable, fondée sur les engagements de l'Iran à s'ouvrir à des inspections internationales supplémentaires.

À mon sens, le Parlement iranien ratifiera le protocole additionnel de l'accord avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) sur les sauvegardes lorsqu'un accord global sur la levée des sanctions à l'encontre de l'Iran sera mis à exécution. Par ailleurs, il est tout à fait probable que l'Iran dépasse temporairement les exigences du protocole additionnel en matière de transparence et d'activité nucléaire.

En outre, le secrétariat de l'AIEA, qui enquêtera prochainement sur les possibles dimensions militaires du précédent programme iranien, note des progrès « raisonnables » dans les réponses apportées par l'Iran à ce sujet. De fait, l'Iran souhaite sincèrement régulariser son statut auprès de l'Agence internationale.

La négociation cruciale sur le futur niveau de capacité d'enrichissement de l'Iran n'en est qu'à ses prémices. Les Iraniens voudront qu'il soit aussi élevé que possible pour deux raisons connexes : d'une part, afin de développer leur capacité de production d'uranium faiblement enrichi et, d'autre part, pour transformer ce matériau en combustible en vue d'alimenter le réacteur de Bushehr et les futures générations de réacteurs nucléaires. À l'inverse, les États-Unis et Israël souhaiteront que cette capacité demeure à un niveau très faible afin d'endiguer au plus vite le risque de développement par l'Iran d'une bombe nucléaire.

Le débat sur les besoins pratiques d'enrichissement de l'Iran n'a guère commencé. Selon les informations dont je dispose, l'Iran n'a pas encore présenté à ses partenaires de négociation son programme de construction de réacteurs civils, qu'il s'agisse des réacteurs de faible puissance développés à des fins de recherche médicale, ou des réacteurs puissants destinés à générer de l'énergie électrique.

De même, le flou règne encore autour des quatre réacteurs puissants que l'Iran envisage d'acheter auprès de la Russie, afin d'assurer son autosuffisance.

La durée des dispositions transitoires visant à limiter et surveiller le programme iranien n'a toujours pas fait l'objet d'un accord, alors même qu'elle constitue un enjeu central. L'objectif ultime des négociations, tel qu'il est défini dans le plan d'action du 24 novembre, reste la normalisation, en temps voulu, du statut nucléaire de l'Iran auprès du Conseil de sécurité des Nations Unies et de l'AIEA.

Cela signifie-t-il que la normalisation aura lieu d'ici quatre ou cinq ans, soit le temps nécessaire à la mise en oeuvre du protocole additionnel et à l'obtention de la certification de l'AIEA sur l'absence d'activités belliqueuses ? Ou bien, comme le souhaitent les adversaires les plus intransigeants de l'Iran, la normalisation ne surviendra-t-elle que d'ici vingt à trente ans ?

J'ai le sentiment que, dans le cadre de ce véritable marathon diplomatique, les participants n'ont accompli que le quart du chemin.

Cependant, il est également possible que les canaux de négociation informels entre les États-Unis et l'Iran fonctionnent pleinement et que, comme en 2013, la situation soit moins bloquée qu'elle n'y paraît.

Trois hypothèses se font jour :

- l'Ayatollah Khamenei insiste publiquement, et à maintes reprises, sur la nécessité pour les négociateurs iraniens de ne pas céder aux intimidations et de faire du progrès nucléaire la priorité absolue ;

- Israël, avec l'appui des membres du Congrès américain, estime que l'Iran doit être privé de toute capacité de production d'une bombe nucléaire. L'administration américaine, pour sa part, se montre plus flexible, en déclarant que le but des négociations est un accord global, garantissant le caractère pacifique du programme nucléaire iranien et l'impossibilité pour ce pays de se doter d'une arme atomique. Toutefois, l'application pratique de cet objectif américain, qui semble raisonnable, se heurte toujours à l'intransigeance des négociateurs ;

- en raison de ces blocages, de nouvelles instructions, plus réalistes et flexibles, sont données des deux côtés, en prévision de la réunion du 16 au 20 juin 2014.

Du côté iranien, les négociateurs bénéficient du soutien du Guide, Ali Khamenei, bien que celui-ci ait exprimé publiquement son scepticisme sur une issue positive aux négociations. Cette position de prudence est une conséquence des négociations précédentes puisque, selon M. Khamenei, à chaque fois que l'Iran a fait des concessions, les États-Unis et leurs partenaires ont eu tendance à en réclamer davantage.

Bien que compréhensible, ce pessimisme n'en est pas moins regrettable dans la mesure où il encourage la frange radicale, farouchement opposée à un rapprochement avec les États-Unis et très attentive aux moindres restrictions ou limitations du programme nucléaire susceptibles d'être concédées par l'équipe du Président Rohani. Plus précisément, certains radicaux, voire certains militaires, estiment que la possibilité de se doter d'une arme nucléaire doit être défendue.

A l'heure actuelle, il est impossible de déterminer si le Guide se prononcera en faveur d'un accord assurant la levée des sanctions ou bien s'il le rejettera, comme le réclament les radicaux. Toutefois, il me semble que l'opinion publique iranienne est en majorité favorable à un tel accord, car celui-ci lui permettrait de se doter d'un programme de construction de réacteurs nucléaires viable sur le long terme, avec un apport technique national important. À mon sens, les Iraniens savent que la réalisation de ces objectifs dépend directement de l'application du plan d'action du 24 novembre 2013.

De leur côté, Washington et Tel-Aviv mènent d'intenses débats au sujet de principes théoriquement acceptables. Le Premier ministre israélien considère que les avancées survenues depuis novembre sont une erreur et impliquent de graves dangers à venir pour Israël. Selon lui, l'Iran n'est pas digne de confiance et les propos tenus par les Iraniens sur la nature pacifique de leur programme nucléaire sont mensongers. Par ailleurs, il craint que le système d'inspection mis en place par l'Occident soit susceptible d'être contourné.

Cependant, certains commentateurs israéliens partagent un point de vue opposé et estiment que la prétendue « menace existentielle » représentée par l'Iran est surévaluée par les Israéliens les plus radicaux.

Un certain nombre des membres du Congrès considèrent l'Iran comme un ennemi intime des États-Unis. Leur opinion est renforcée par des voix s'élevant de quelques-uns des pays du Conseil de coopération du Golfe, selon lesquelles la levée des sanctions économiques, même en contrepartie d'un bon accord sur le nucléaire, serait une erreur.

Jusqu'ici, l'administration américaine a résisté, de manière louable, à ces deux séries de pression, convaincue qu'elle finira par rallier le Congrès et les plus sceptiques à ses vues. J'en veux pour preuve la façon exemplaire dont la Maison-Blanche et le département d'État, avec l'appui de leurs partenaires occidentaux, ont géré la question iranienne depuis le printemps 2013.

Je pense que les sceptiques finiront par admettre que l'écrasante supériorité des armes stratégiques possédées par les États-Unis et Israël ne peut que dissuader l'Iran de modifier sa politique actuelle en matière d'armement nucléaire.

Néanmoins, la hiérarchie politique iranienne n'acceptera jamais d'accord si elle n'est pas assurée de la levée des sanctions économiques. Les négociations entre l'administration américaine et le Congrès ne pourront donc commencer sérieusement qu'une fois définies les grandes lignes d'un accord avec l'Iran. L'issue et le calendrier des négociations restent donc très incertains.

Trois dénouements possibles aux négociations de juillet prochain peuvent toutefois être envisagés :

- un accord global est signé, car tous les négociateurs sont parvenus à résoudre les questions en suspens ;

- un nouvel accord intérimaire public est approuvé, dans lequel les négociateurs détaillent les questions ayant fait l'objet d'un consensus et précisent les points de discorde ;

- un accord privé, par lequel les négociateurs attestent de certains progrès, est trouvé et constitue un préalable à de futurs travaux.

J'estime que la dernière possibilité est la plus probable et que les négociations aboutiront à un accord global dans le courant de cette année, car les deux parties ne disposent pas d'une meilleure solution pour réaliser leurs objectifs fondamentaux. Un échec serait en effet plus douloureux pour les deux parties que des concessions sur les points problématiques.

En outre, quelles conséquences l'issue des négociations induit-elle pour les opérateurs économiques ?

Il est encore trop tôt pour déterminer si le commerce et l'investissement avec l'Iran pourront retrouver le niveau qu'ils avaient atteint en 2006. Cependant, je crois à la suspension, dès 2015, des sanctions financières et pétrolières liées au programme nucléaire iranien.

À mon sens, le Conseil européen et le Conseil de Sécurité des Nations Unies seront en mesure de s'adapter rapidement à cette nouvelle situation. En revanche, le processus risque d'être plus long aux États-Unis, compte tenu des délais nécessaires pour obtenir des dérogations aux sanctions actées par le Congrès, modifier la législation fondamentale et supprimer les contrôles de l'OFAC ( Office of Foreign Assets Control ).

L'obtention d'un accord ne facilitera pas pour autant les échanges commerciaux avec l'Iran. En effet, les capacités des systèmes politiques et de gestion des affaires iraniens apparaissent limitées. Par ailleurs, la mise en oeuvre de politiques de discrimination à l'encontre de certains pays européens est également envisageable.

Bien que la patience et la prudence s'imposent, en raison notamment des mesures de rétorsion américaines, l'heure est toutefois venue de renouveler les contacts personnels, d'envoyer des messages politiques forts et de procéder à des visites exploratoires.

Certes, même dans l'éventualité où l'ouverture commerciale serait totale, des limites aux capacités commerciales des Iraniens continueront de se faire jour, en raison des problèmes structurels de l'économie iranienne et des conflits entre les différentes stratégies économiques intérieures. Néanmoins, je suis convaincu que l'Iran, placé sous la gestion prudente du Président Hassan Rohani, offrira des opportunités commerciales importantes.

Je ne peux donc que souhaiter le succès des négociations sur le nucléaire iranien : ce succès est le seul qui puisse donner vie aux attentes du peuple iranien, de la région et de l'Europe.

M. Georges MALBRUNOT

Merci, Sir Dalton, pour cet exposé très dense et très clair. Je cède maintenant la parole à M. Thierry Coville, qui abordera la question de l'économie iranienne, un an après l'élection du Président Hassan Rohani.

M. Thierry COVILLE, professeur à Novancia, chercheur à l'IRIS

Nouvelle présidence Rohani : quel impact sur l'économie iranienne ?

J'examinerai dans un premier temps la situation économique actuelle de l'Iran, en considérant notamment les chiffres de la croissance, de l'inflation et du taux de change.

Dans un deuxième temps, j'aborderai un certain nombre de problèmes relatifs à la politique économique de l'Iran, en particulier les questions des subventions, du taux de change et de l'investissement étranger, qui influent directement sur le climat des affaires.

Tout d'abord, il faut signaler que la plupart des sanctions continuent de peser lourdement sur l'économie iranienne. Ainsi, selon l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), la production pétrolière journalière iranienne a diminué de 50 % par rapport à 2011, ce qui équivaut à un million de barils par jour. Or les rentes pétrolières représentent environ la moitié des revenus budgétaires de l'Iran. De manière corrélée, nous observons également que la production de l'Arabie saoudite a augmenté afin de prévenir un éventuel choc pétrolier.

Dans le même temps, l'impact des sanctions sur la croissance iranienne est considérable. En 2012, l'Iran a connu une récession de près de 5 %, qui a contribué au mécontentement du peuple iranien à l'encontre du Président précédent. En 2013, la croissance a été nulle, témoignant d'une stagnation de l'activité.

Les économistes considèrent qu'une inflation autour de 50 % constitue le signe avant-coureur d'un emballement susceptible de dégénérer en situation d'hyperinflation. Or, en 2012, l'inflation des produits iraniens se situait officiellement autour de 40 %, avec un pic à 50 % observé pour certains produits d'alimentation.

Cependant, peu avant l'élection du Président Rohani, le taux de change du rial par rapport au dollar a commencé à se réapprécier, ce qui a permis d'abaisser le taux d'inflation aux alentours de 20 %. Toutefois, si le moindre incident survient en marge des négociations, il aura un impact sur le taux de change et l'inflation repartira à la hausse.

Les promesses du nouveau Président se traduisent-elles par une reprise de l'activité ?

À mon sens, il est extrêmement complexe de faire des projections sur la croissance en 2014, étant donné que l'évolution de l'économie iranienne est tributaire de l'avancée des négociations sur le programme nucléaire.

Le gouvernement iranien a intégré dans son projet de budget 2014 un scénario de statu quo concernant les sanctions dont il fait l'objet. En dépit de cette prudence, il escompte une croissance d'environ 3 %.

Indéniablement, un frémissement de l'activité est perceptible, notamment dans le secteur automobile, où une augmentation d'activité de 70 % est attendue. Cependant, ces chiffres doivent être relativisés, dans la mesure où les résultats de l'année 2013 étaient particulièrement faibles. Par ailleurs, il est inutile de préciser que si un allégement des sanctions survenait, la reprise de l'activité interviendra dans des proportions bien plus importantes.

Le taux de change en Iran constitue à la fois un symptôme des difficultés et un facteur d'augmentation de l'inflation et des coûts des entreprises. Pour cette raison, la Banque centrale iranienne souhaite unifier le taux de change officiel du dollar et son taux de change sur le marché noir, respectivement autour de 25 000 et 30 000 rials 2 ( * ) . La réussite de cette initiative dépend naturellement de l'issue des négociations.

Nous observons toutefois des divergences de points de vue sur la pertinence de stabiliser le taux de change de la monnaie iranienne à un niveau trop élevé. Certains secteurs estiment en effet qu'une telle démarche pourrait nuire à leur compétitivité. Or, à l'instar du président de Tractor Sazi, qui constate depuis quatre ans une accélération des exportations non pétrolières de l'Iran, je pense que les sanctions ont encouragé les entreprises iraniennes à développer leurs exportations. Par conséquent, établir un taux de change autour de 25 000 rials pourrait nuire à la compétitivité des entreprises non pétrolières, alors même que le développement régional et international de telles exportations, notamment dans le secteur automobile, constitue un objectif du gouvernement.

En ce qui concerne ce secteur automobile, le gouvernement iranien a autorisé les constructeurs nationaux à utiliser le taux de change subventionné pour importer des pièces, ce qui pourrait relancer la croissance en 2014.

La politique de réduction des subventions constitue un autre enjeu crucial. M. Mahmoud Ahmadinejad a initié avec succès une politique inédite de réduction des subventions, notamment sur les prix de l'énergie. Cependant, la question de la poursuite de cette politique se pose dans la mesure où elle a abouti à un choc inflationniste pour la population et les entreprises.

Pour autant, le gouvernement souhaite suivre l'exemple d'Ahmadinejad et a intégré un certain nombre de baisses de subventions sur l'énergie dans le budget 2014, ce qu'aucun pays émergent n'a encore fait dans de telles proportions.

Pour compenser la hausse des prix de l'énergie, le gouvernement verse mensuellement 45 500 tomans 3 ( * ) à chaque Iranien, ce qui constitue une somme considérable. Dans l'obligation de faire des économies, il a vainement demandé aux citoyens de se retirer volontairement de la liste des bénéficiaires de ces aides, estimant qu'ils n'en avaient pas besoin.

Ce dossier est particulièrement épineux pour le gouvernement actuel car, si en théorie, la hausse des prix de l'énergie est censée lui fournir des ressources suffisantes pour soutenir financièrement la population et les entreprises, le risque est grand que ses dépenses ne dépassent ses recettes.

Par ailleurs, la volonté du gouvernement iranien d'attirer les investissements étrangers est affichée de manière explicite. J'en veux pour preuve la presse quotidienne iranienne qui relaie des prises de contacts commerciaux avec les Américains.

Incontestablement, les autorités iraniennes encouragent les investissements américains dans les secteurs de l'énergie et de l'automobile. Des responsables iraniens constatent, par exemple, que si le MEDEF négocie de manière ouverte, les Américains marchandent, pour leur part, dans le plus grand secret.

De même, les principaux fournisseurs iraniens d'accès à Internet négocient pour obtenir des prises de participation de la part d'entreprises étrangères. Tous les secteurs ont donc besoin de capitaux et de technologies.

Cela étant, si nous nous référons au classement Doing Business produit par la Banque mondiale, le climat des affaires en Iran apparaît très peu attractif, à cause notamment de la lourdeur de la bureaucratie et de l'ampleur des phénomènes de corruption.

Les questions du change, des subventions ainsi que des réformes d'ouverture de l'économie iranienne sont donc les trois éléments qui pèseront sur l'environnement des affaires. Dans le secteur public comme dans le secteur privé, un consensus émerge en Iran sur la nécessité pour ce dernier d'assurer son rôle en matière de développement, le premier ayant atteint ses limites, notamment dans le domaine de la création d'emplois.

Le gouvernement iranien fait donc montre d'une volonté explicite d'attirer l'investissement étranger, de développer les exportations non pétrolières, d'améliorer l'environnement des affaires et de privatiser l'économie. Dans ce sens, cent très grandes entreprises oeuvrant dans les domaines de la pétrochimie, du pétrole, du transport et de l'ingénierie ont été proposées à la privatisation.

Pour conclure, il apparaît que l'économie iranienne évolue positivement et que ses capacités de croissance sont très importantes. Le plan quinquennal des autorités iraniennes prévoit ainsi une hausse de la croissance moyenne annuelle autour de 8 %.

Cependant, la marge de manoeuvre du gouvernement iranien reste fortement dépendante de l'issue des négociations sur le programme nucléaire.

M. Michel MAKINSKY, chercheur associé à l'IPSE, directeur général d'Ageromys International

Cadre juridique et réglementaire de l'investissement étranger en Iran et perspectives

Je souhaite procéder à un certain nombre de rappels et poser un regard sur les conditions juridiques préexistantes en Iran à la lumière de la levée possible des sanctions.

L'Iran est soumis au régime de l'accord transitoire de novembre 2013, qui comprend uniquement des allégements partiels, financiers et sectoriels.

S'agissant des allégements financiers, qui sont soumis au respect par l'Iran d'un certain nombre d'obligations formalisées par l'AIEA, nous constatons que la libération par tranches de 500 millions de dollars des avoirs gelés a permis d'atteindre au 20 juillet un total d'allègements de 4,2 milliards de dollars. Ces allégements ont donc pleinement fonctionné.

En revanche, les canaux financiers nécessaires à la réalisation des allégements sectoriels sur l'automobile, sur les biens dits humanitaires et sur les licences des pièces destinées à la flotte aérienne civile iranienne n'ont pas été mis en place par les Occidentaux. Or la question des garanties fournies par le groupe des « 5+1 » à ce sujet est centrale dans la mesure où l'absence de canaux financiers empêche les structures qui le souhaitent d'exporter en Iran.

Dès lors, même dans l'éventualité où un accord sur la levée des sanctions serait trouvé, les échanges commerciaux avec l'Iran n'évolueront pas si les banques américaines continuent à exercer des pressions sur les banques internationales et si l'OFAC ne leur permet pas d'opérer à nouveau en Iran. Les États-Unis doivent donc garantir aux banques internationales qu'elles pourront agir sans risques de représailles.

En outre, la levée des sanctions se heurte à un certain nombre de contraintes juridico-institutionnelles. Si celles-ci ne devraient pas constituer un obstacle majeur pour l'Union européenne, elles seront en revanche plus fortes pour les États-Unis, où les actes du Congrès imposent au Président Obama de procéder à des wavers 4 ( * ) quasi-permanents.

Par ailleurs, certains articles de la Constitution iranienne, notamment l'article 44, limitent les possibilités d'investissement en Iran. En effet, si un accord à caractère international est signé avec une entité publique, il doit être soumis à l'aval du Majlis , contrairement aux accords entre personnes privées. Il faut également signaler que le terme « joint-venture » ne recouvre pas la même signification pour les Occidentaux et les Iraniens, pour qui l'aspect commercial prime sur l'aspect juridique.

Lorsque nous nous sommes rendus en Iran avec la délégation du MEDEF, nous avons pu constater un véritable fossé entre le volontarisme affiché par le discours officiel et la réalité des faits.

À dire vrai, il n'existe pas en Iran de guichet unique, la bureaucratie y est monolithique, le système fiscal particulièrement opaque, la législation du travail très rigide tandis que l'on relève des lacunes et ambiguïtés dans la loi sur les investissements étrangers.

Cela étant, un certain nombre de fantasmes doivent être levés. En effet, une fois l'accord obtenu, les mécanismes de protection des investissements étrangers pourront être mis en application, à plus forte raison pour la France qui dispose d'une convention bilatérale avec l'Iran. De même, les contrats de distribution et de représentation ainsi que des mécanismes de coopération multiformes permettront de développer les exportations avant que les réformes mises en oeuvre par l'État iranien ne prennent leur plein effet.

Bien que l'ouverture de l'économie iranienne aux privatisations soit avérée, force est de reconnaître que les huit dixièmes d'entre elles sont factices et profitent en réalité aux pouvoirs publics, aux amis politiques et aux fonds de pension. De ce fait, le gouvernement Rohani a inscrit, avec l'appui du Guide, de véritables privatisations dans son programme de réformes.

Un hiatus existe entre les signaux verbaux, pour le moins excellents, et la réalité du terrain. À titre d'exemple, le secteur iranien de la pétrochimie a émis de vives critiques sur le programme de privatisations, qui, selon lui, risque de faire retomber ces activités dans les travers qu'elles ont connus auparavant.

La prudence s'impose donc, notamment du fait que le processus de due diligence 5 ( * ) ne permet pas toujours de se faire une idée précise de la situation réelle des entreprises iraniennes. En effet, les Iraniens ont pour coutume de dire qu'il existe trois types de comptabilité en Iran : celle pour le fisc, celle pour le banquier et celle pour le Président... Il faut donc être particulièrement attentif à certaines pratiques et au choix de ses partenaires.

Enfin, les entrepreneurs ne doivent pas mésestimer le potentiel très attractif des zones économiques spéciales. Sur place, nous avons pu constater la présence des Italiens, des Allemands, des Anglais et des Américains. Il appartient donc aux entreprises françaises de saisir les opportunités qui se présentent à elles, sans perdre de temps.

ÉCHANGES AVEC LA SALLE

De la salle

Deux questions me viennent à l'esprit. Tout d'abord, quelle est l'utilité de la Chambre de Commerce franco-iranienne ? A-t-elle des représentants en France, et, si oui, peuvent-ils aider les entrepreneurs français ?

Par ailleurs, les droits de douane sont extrêmement élevés en Iran. Quelles mesures le gouvernement est-il prêt, selon vous, à concéder en la matière ? Pour l'heure, les importations favorisent la paupérisation de la population iranienne au profit de quelques bourgeois et commerçants téhéranais et esfahanis.

M. Michel MAKINSKY

La révision des politiques douanières constitue l'un des nombreux chapitres des réformes économiques iraniennes. Toutefois, le plan de résistance économique, publié il y a environ un mois par le Guide, traduit une volonté de préserver les équilibres financiers du pays en limitant les importations et en promouvant les exportations. De ce fait, nous pouvons aisément en déduire qu'une baisse notable et systématisée des droits de douane, hormis pour les biens de première nécessité, ne semble pas à l'ordre du jour.

En ce qui concerne la Chambre de Commerce franco-iranienne, je peux vous assurer de son dynamisme, mais je préfère, sur ce point, me tourner vers M. l'Ambassadeur Ahani.

Son Exc. M. Ali AHANI, ambassadeur de la République islamique d'Iran en France

Je tiens à remercier les initiateurs de ce colloque fort intéressant. Par ailleurs, je ne peux que rejoindre les conclusions formulées par M. Makinsky, relatives à la nécessité pour les entrepreneurs français de renouer rapidement des contacts avec l'Iran afin de ne pas accuser de retard supplémentaire.

En outre, je souhaite simplement préciser que les contrats internationaux signés entre des entités privées ne sont en aucun cas soumis à ratification par le Parlement. Il appartient simplement aux gouvernements des pays concernés de donner leur aval.

M. Michel MAKINSKY

Je partage tout à fait le point de vue de M. l'ambassadeur Ahani, et signale à nos amis iraniens que, s'ils désirent procéder à des allégements bureaucratiques et fiscaux, il est probablement préférable qu'ils ne se réfèrent pas au modèle français en la matière !

De la salle

A l'instar de Sir Richard Dalton, j'estime que les négociations sur le programme nucléaire iranien vont aboutir rapidement à un accord, tant les enjeux géopolitiques sont élevés.

En outre, je rejoins les différents intervenants sur la nécessité pour les entreprises françaises de réinvestir rapidement en Iran. Certes, le circuit financier est difficile à contourner, mais des solutions existent très certainement.

M. Michel MAKINSKY

Votre optimisme est louable, mais la réalité est quelque peu différente. En effet, lorsque les entreprises françaises s'adressent à leurs banques pour investir en Iran, celles-ci les menacent purement et simplement de supprimer les comptes de leur société. De fait, les établissements financiers, et a fortiori les entreprises, sont mis sur liste noire et interdits d'accès au dollar dès qu'il est question d'opérer en Iran. Le risque est réel.

Il nous est souvent rétorqué que les banques allemandes parviennent à mener des opérations en Iran. Toutefois, il faut comprendre que le système bancaire allemand est différent du nôtre. En effet, l'Allemagne dispose de banques régionales qui ne possèdent aucun intérêt ou filiale aux États-Unis, ce qui facilite grandement leurs transactions car elles ne s'exposent pas à des risques de rétorsion.

Cela étant, les grandes banques et les grands groupes allemands rencontrent les mêmes difficultés que leurs homologues français et choisissent bien souvent de ne pas opérer en Iran pour ne pas mettre en jeu leurs intérêts aux États-Unis.

M. Georges MALBRUNOT

Je souhaite simplement préciser que la Banque centrale espagnole vient d'autoriser les opérations en Iran. La frilosité française en la matière ne relève donc pas totalement du fantasme.

De la salle

Préparer le terrain me semble un préalable incontournable au retour de la France en Iran, notamment pour contrecarrer l'influence américaine. En effet, la plupart des cadres dirigeants iraniens ont été formés aux États-Unis et la société entretient des affinités culturelles croissantes avec les membres de la diaspora iranienne implantée en Amérique.

De ce fait, il est essentiel de mettre l'accent sur la formation et la francophonie pour développer les échanges humains entre nos deux pays, sinon le retour de la France en Iran fera long feu.

M. Thierry COVILLE

Je rejoins totalement ces propos et je souligne qu'il existe un véritable problème de volonté politique. L'attentisme des autorités françaises est une source importante de frustration, dans la mesure où les opportunités sont réelles. Indéniablement, les Iraniens ont une appétence pour la France et souhaitent pouvoir échanger avec elle. Cependant, la prudence des autorités, qui rejaillit sur un certain nombre d'institutions françaises, nuit considérablement à la création de liens, notamment universitaires, et favorise les autres pays, au premier rang desquels figurent les États-Unis.

M. Georges MALBRUNOT

Lors de mon séjour à Ispahan, j'ai été stupéfait d'apprendre dans la presse qu'une délégation d'étudiants du séminaire religieux de Qom, l'équivalent chiite du Vatican, était invitée à visiter les universités américaines.

Par ailleurs, fin février, les Présidents de dix grandes universités américaines ont fait le tour des universités iraniennes et ont été reçus par le directeur de cabinet du Guide, Ali Khamenei, pourtant peu réputé pour son penchant pro-américain, ainsi qu'au ministère de la culture et de la guidance islamique, à Téhéran.

QUELQUES TÉMOIGNAGES SECTORIELS

M. Pierre OLINGER, délégué Pays du Moyen-Orient, Exploration et Production, Total

Quelles évolutions pour le secteur pétrolier ?

Mesdames et Messieurs, c'est un honneur de vous présenter mon témoignage au sujet de l'expérience de Total et des évolutions du secteur pétrolier en Iran. Je concentrerai mon exposé sur le secteur de l'exploration-production et répondrai, dans la mesure du possible, aux questions relatives à l'aval pétrolier et la pétrochimie.

Pour commencer, je souhaite rappeler la place importante de l'Iran sur la scène énergétique mondiale. L'Iran détient respectivement 10 % et 18 % des réserves pétrolières et gazières mondiales, étant entendu que ces chiffres n'intègrent pas le potentiel d'hydrocarbures de schiste dans les autres pays. Par ailleurs, il se place aux quatrième et deuxième rangs mondiaux en matière de réserves pétrolières et gazières et partage avec le Qatar une part importante de South Pars, le plus grand champ gazier du monde.

Pour autant, la production iranienne de pétrole et de gaz représente moins de 5 % de la production mondiale. Le potentiel de développement de sa capacité de production est donc important et, couplé au fait que les coûts de production dans la région sont parmi les plus faibles du monde, ces deux facteurs expliquent l'intérêt que l'Iran suscite chez les compagnies internationales.

Ces rappels effectués, je peux maintenant aborder la question des réalisations de Total en Iran.

De 1955 à 1975, Total faisait partie du consortium de majors qui exploraient et exploitaient le pétrole iranien pour le compte de la compagnie nationale NIOC. La production atteignait alors environ six millions de barils par jour. Naturellement, cette présence a pris fin en 1979, avec la nationalisation des ressources consécutive à la Révolution iranienne.

Total a été la première compagnie à revenir en Iran après la guerre avec l'Irak, en signant en 1995 le premier contrat buy back 6 ( * ) relatif au développement du champ de Siri. Le groupe a signé en 1997 un autre contrat de ce type pour le site de South Pars, avec une capacité de production évaluée à vingt milliards de mètres cubes par an. Puis, deux autres contrats buy back ont été signés en 1999 pour les sites de Balal et Dorud, ce dernier ayant connu un développement de sa capacité de production aux alentours de 75 000 barils par jour, grâce à l'ajout de nouveaux puits et d'injections sur un champ préalablement en production.

Les investissements totaux sur ces quatre projets représentent environ quatre milliards de dollars, dont la moitié à la charge de Total.

Parallèlement, Total a collaboré avec la NIOC et la compagnie malaisienne Petronas au développement d'un projet d'usine de gaz naturel liquéfié. Cependant, celui-ci a été suspendu en raison de la conjoncture politique et économique.

En 2008, Total a décidé de se retirer d'Iran et le renforcement des régimes de sanctions depuis 2010 n'a fait que conforter le groupe dans cette décision. Toutefois, celui-ci a maintenu sa présence à Téhéran, par l'intermédiaire d'un bureau de représentation, et entretient toujours des liens avec les autorités pétrolières et la NIOC.

Je souhaite désormais détailler la nature du contrat buy back , qui constitue une spécificité iranienne. Pour simplifier ma démonstration, je prendrai le cas d'un contrat pour le développement de réserves déjà découvertes et ne nécessitant donc pas d'exploration préalable.

Dans le cadre d'un tel contrat, la compagnie pétrolière réalise et finance les travaux de conception, les forages des puits et les installations de production du champ pour le compte de la NIOC. Elle prend donc en charge le début de la production, puis cède l'opération à la compagnie nationale. La compagnie pétrolière est ensuite remboursée de son financement suivant un calendrier fixé dans le contrat et touche une rémunération généralement calculée en pourcentage de l'investissement consenti.

Parallèlement au contrat principal est signé un contrat auxiliaire prévoyant le droit de rachat buy back d'une partie de la production à un prix de marché par la compagnie internationale. La revente des volumes correspondants sur le marché international lui permet ainsi de réaliser des gains équivalents au remboursement et à la rémunération qui lui sont dus par la NIOC.

Pour vous donner un ordre de grandeur, la période allant de la construction des installations à la mise en production dure généralement de trois à cinq ans. Les remboursements sont, pour leur part, étendus sur sept années et la rémunération est de l'ordre de 70 % des dépenses contractuelles.

Le contrat buy back se différencie de la majorité des contrats pétroliers usuels, qui offrent un rôle beaucoup plus large aux compagnies et une rémunération plus incitative, liée notamment au volume des produits et/ou au prix des hydrocarbures.

Dès lors, quel bilan tirer de l'expérience de Total au sujet de ces différents projets buy back ?

Le groupe a mis en place près de 600 000 barils par jour de capacité additionnelle de production de pétrole et de gaz pour le compte de la NIOC, sans que celle-ci n'ait eu à dépenser le moindre dollar en amont de la production. Par ailleurs, il a développé sur le projet South Pars le premier schéma de transport de flux mélangés liquide et gaz sur plus de cent kilomètres, ce qui constituait alors une véritable prouesse technologique.

En outre, l'action de Total a permis un transfert local de compétences et de ce fait, une création de valeur pour l'économie iranienne. À titre d'exemple, 750 ingénieurs, techniciens et managers iraniens ont été formés sur le site de South Pars et bon nombre de ces personnes forment aujourd'hui l'ossature des opérationnels sur le champ.

Les succès précités expliquent largement la bonne image dont Total bénéficie actuellement en Iran et constitueront un atout majeur pour un éventuel retour du groupe le jour venu.

Sur le plan financier, le bilan apparaît correct, bien que les résultats soient en deçà des prévisions formulées lors des prises de décision d'investissement. Il y a là une anomalie, dans la mesure où les contrats buy back assurent théoriquement un remboursement et une rémunération fixes. Cependant, il faut signaler que ceux-ci sont assortis de clauses pénales très préjudiciables aux intérêts des compagnies étrangères.

En outre, la nature même du contrat buy back est porteuse de difficultés. Le problème du plafond des dépenses remboursables apparaît à ce titre exemplaire, dans la mesure où il oblige la compagnie internationale à s'engager contractuellement sur un plan de développement et une estimation de coûts, alors que celle-ci ne dispose pas d'informations techniques suffisantes pour procéder à une évaluation correcte.

Par ailleurs, le contrat buy back ne tire pas profit des compétences des compagnies internationales en matière d'optimisation de la production et de gestion des réservoirs, dans la mesure où leur action est cantonnée à la phase de développement. De même, le mode de rémunération fixe et non incitatif de ces contrats ne correspond pas au modèle d'entreprise propre aux organisations internationales.

Le contexte de fermeture de l'Iran a considérablement nui aux performances des entrepreneurs, notamment locaux, ainsi qu'au développement d'infrastructures et d'administrations performantes autour des sites, engendrant des délais et des surcoûts importants.

De plus, l'application parfois rigide des contrats buy back , inadaptée à des projets complexes, ainsi que la difficulté à obtenir les approbations nécessaires en cas de changement de scope engendrent des délais et des retards et, par conséquent, une dégradation de la rentabilité.

Enfin, si les négociateurs iraniens apparaissent particulièrement habiles et professionnels, le système qui sous-tend leur action se définit par une certaine méfiance à l'égard des compagnies étrangères.

Dans l'ensemble, les projets aboutis ou avortés de Total ont représenté une belle aventure. Des liens solides ont été tissés avec la NIOC et certains entrepreneurs, que ce soit à haut niveau ou à l'échelle des équipes, et le groupe compte de nombreux passionnés de l'Iran en son sein.

Cela étant, quelles évolutions se dessinent pour le secteur exploration-production et les contrats afférents ?

Pour augmenter leur capacité de production tant pétrolière que gazière, les nouveaux dirigeants pétroliers iraniens ont défini plusieurs priorités encore sujettes à d'éventuels changements. Dans ce cadre, le développement des grands champs vierges, tels qu'Azadegan et Yadavaran à la frontière irakienne, apparaît comme un enjeu central, de même que l'amélioration de la récupération sur les grands champs matures, notamment Ahvaz.

En ce qui concerne le gaz, les autorités font du développement de South Pars une priorité, y compris pour l'export régional ou sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL). Celles-ci sont conscientes, selon nous, de la nécessité d'apports financiers et technologiques en provenance des compagnies étrangères, notamment occidentales, pour porter leurs projets sur le court et le long terme.

Les effets d'annonce visant à inciter les entreprises étrangères à revenir travailler en Iran ne suffisent pas à éclipser la faible attractivité des contrats actuels. Depuis dix ans, des réflexions sont menées afin d'améliorer les contrats buy back . Cependant, elles se heurtent à certaines contraintes constitutionnelles ou légales, qui rendent cette réforme particulièrement sensible politiquement.

Une impulsion décisive a été donnée par le nouveau gouvernement, via la création d'un comité ad hoc sous la présidence de Mehdi Hosseini, inventeur du contrat buy back dans les années 1990. Celui-ci a abouti à l'élaboration d'un nouveau modèle original, l' Iran Petroleum Contract , qui, selon nos sources, couvrirait tout le cycle d'un champ, encouragerait les compagnies internationales à conclure des partenariats avec la NIOC ou d'autres entités iraniennes, afin de favoriser le transfert de compétences, et instituerait une rémunération plus incitative, liée aux niveaux du risque et de la difficulté des projets.

Pour autant, le modèle comporte des incertitudes résiduelles relatives à la suppression réelle du plafond de remboursement et aux modalités de gouvernance ayant trait à la gestion des projets au sein des partenariats conclus entre les compagnies internationales et la NIOC.

En novembre 2014, la NIOC prévoit de présenter au cours d'une conférence à Londres le nouveau contrat type pétrolier ainsi que les champs faisant l'objet de propositions de la part des compagnies internationales.

Les sanctions empêchent pour le moment toute activité d'exploration-production de la part des compagnies internationales en Iran. Leur levée est une condition nécessaire, bien qu'insuffisante, au retour des investissements émanant de compagnies soumises aux régimes américain et/ou européen.

Pour conclure, il est évident que les ressources en hydrocarbures de l'Iran en font un pays important pour l'alimentation du marché énergétique mondial. Son vivier humain de grande qualité et son industrie pétrolière et parapétrolière de bon niveau rendent possible l'activité des compagnies internationales sur son sol, à condition qu'elles s'adaptent aux modes de pensée d'un pays ancien, au fonctionnement très différent du nôtre.

L'Iran est conscient de son retard et a besoin de technologies et d'investissements étrangers. Par ailleurs, si le nouveau type de contrat pétrolier en préparation apporte des améliorations au modèle buy back , il ne fera probablement pas de ce pays l'eldorado rêvé par les compagnies étrangères.

M. Patrick BLAIN, président du Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA)

Comment appréhender le secteur automobile en 2014 ?

Messieurs les sénateurs, Messieurs les ambassadeurs, chers collègues entrepreneurs, chers amis.

L'histoire de l'automobile en Iran est particulièrement riche. Cependant, je souhaite concentrer mon propos sur ses aspects les plus récents.

L'Iran a pris l'initiative d'organiser une conférence internationale sur l'industrie automobile, le 30 novembre 2013. Je dois reconnaître ma stupéfaction face à la rapidité avec laquelle le nouveau gouvernement a pris la décision de préparer un tel événement, alors même que les négociations sur le programme nucléaire étaient à l'arrêt.

Convaincu par le pragmatisme et le volontarisme manifestes du gouvernement iranien, je me suis donc rendu à ce colloque en qualité de Président de l'Organisation internationale des Constructeurs d'Automobiles, ce qui m'a permis d'évoquer plus largement l'industrie automobile et de siéger aux côtés de personnalités importantes du gouvernement. Les constructeurs français et seize équipementiers hexagonaux étaient présents.

En outre, une délégation du MEDEF, constituée d'une centaine de participants, dont je faisais partie, s'est rendue début février en Iran. Nous avons été remarquablement reçus et pour ma part, je suis passé outre les consignes de ne pas parler à la presse, sans qu'aucun débordement ne soit à déplorer, ce qui montre la qualité de la maîtrise de la délégation et de son organisation.

Ces deux moments traduisent la volonté conjointe de l'Iran et des entreprises françaises de collaborer à nouveau, malgré les injonctions contraires émanant des États-Unis et de certains ministres français. Cependant, si certaines personnes dans la salle m'ont signifié que ces deux événements avaient produit des effets concrets, cela n'a pas été le cas pour le secteur automobile.

Permettez-moi maintenant de vous présenter quelques chiffres relatifs à l'activité du secteur automobile iranien. Tout d'abord, nous constatons qu'un peu moins de 90 millions de véhicules sont produits au niveau mondial, dont 52 % par l'Asie. Dans la mesure où les années 2012 et 2013 ont été respectivement marquées par l'arrêt de la production d'Iran Khodro, partenaire de PSA, et par l'arrêt quasi complet de la production automobile iranienne, j'ai choisi de prendre en compte les chiffres de 2010 et 2011, à mon sens plus représentatifs de l'activité iranienne dans ce secteur.

Sur cette période, nous constatons que 1,6 million de véhicules ont été produits en Iran, dont un tiers par Renault et PSA. En 2010 et 2011, l'Iran occupait ainsi respectivement les treizième et onzième places sur le marché mondial en termes de production et de marché. Par ailleurs, l'Iran représentait à cette époque le huitième marché de Renault et le deuxième marché de PSA.

En ce qui concerne le taux de motorisation, nous observons que la moyenne mondiale se situe autour de 170 véhicules pour 1 000 habitants. Dans les marchés dits « matures », à savoir l'AFTA (Asian Free Trade Area), l'Europe et le Japon, ce chiffre s'élève à environ 600, 700 voire 800 véhicules pour 1 000 habitants. En Iran, nous dénombrons environ 156 véhicules pour 1 000 habitants, ce qui témoigne d'un gisement de croissance absolument considérable, en particulier si l'on prend en compte le PNB par habitant, supérieur dans ce pays à celui du Brésil.

La demande iranienne pour les véhicules et les pièces détachées est donc très importante et nous pouvons situer le potentiel de marché en Iran autour de deux millions de véhicules au minimum. Cependant, pour que ces perspectives se concrétisent, les autorités iraniennes devront perfectionner les normes d'homologation et de pollution et normaliser le cadre légal régissant le secteur automobile. En revanche, la compétitivité de la main-d'oeuvre ne semble pas constituer un obstacle au développement de cette activité.

En outre, si les tensions régionales se dissipent quelque peu, l'Iran pourra profiter d'opportunités conséquentes en matière d'exportations, notamment vers les pays limitrophes tels que l'Irak.

Les sanctions empêchent, à l'heure actuelle, nos principaux partenaires Iran Khodro et SAIPA (Société Anonyme Iranienne de Production Automobile), qui était de 1966 à 1976 la filiale iranienne de Citroën, de renouer des liens avec leurs homologues français, malgré l'attente très forte qu'ils expriment en ce sens. Par ailleurs, les entreprises sont soumises à une pression considérable, dans la mesure où elles continuent de payer leurs employés malgré leur inactivité, ce qui explique l'attitude parfois agressive et injuste qu'elles adoptent à l'égard de leurs partenaires hexagonaux.

Pourtant, les usines, de même que les salariés iraniens, sont prêts, comme en témoignent l'actualisation des plans gamme et la dimension opérationnelle de certains projets. Si le tissu des fournisseurs a indéniablement souffert de la sévérité des sanctions, les partenariats ne demandent qu'à être mis en oeuvre, notamment pour améliorer la recherche et développement.

De plus, le risque chinois semble avéré, puisque, malgré les sanctions, la production chinoise devrait connaître une hausse de l'ordre de 30 % à 40 % par rapport à 2013. Aussi, s'il est fort probable que les Américains négocient en secret, la véritable menace réside dans la politique mercantile très agressive menée par l'empire du Milieu. En effet, alors que les entreprises chinoises ne détenaient encore récemment que 2,5 % des parts de marché, elles sont en passe d'en obtenir plus de 25 % à l'avenir. Il appartient donc aux entreprises françaises de retrouver leur rang en Iran, avant que le marché ne s'ouvre totalement.

En raison de l'impossibilité d'exporter des pièces vers l'Iran, l'investissement français apparaît au point mort. En pratique, même les pièces produites sur place nécessitent des pièces importées. Or, si l'embargo théorique sur les pièces automobiles a été levé, l'interdiction imposée aux équipementiers américains de collaborer avec l'Iran limite considérablement la marge de manoeuvre des fournisseurs français.

Par ailleurs, le problème le plus critique réside dans l'absence de canaux financiers, comme en témoigne l'exemple de BNP Paribas, dont l'amende pour avoir effectué des paiements en dollars en Iran pourrait s'élever à 4 milliards de dollars ou plus. L'attitude américaine à ce sujet, pour le moins inacceptable, conditionne donc l'inertie des banques françaises.

Enfin, du fait de la posture pusillanime des banques, les entreprises françaises ne sont pas en mesure de profiter de l'accès aux devises. Un accord sur le programme nucléaire iranien, qui, à mon sens, devrait voir le jour à l'horizon 2015, apparaît donc comme la condition nécessaire à une reprise de l'activité des constructeurs automobiles français en Iran.

M. Georges MALBRUNOT

M. Florian de Saint Vincent, la question de l'industrie agroalimentaire en Iran est au coeur de l'actualité, puisque le ministre iranien de l'Agriculture, M. Hodjati, rencontrera son homologue français lundi prochain à Paris.

M. Florian de SAINT VINCENT ,
chargé de développement Proche et Moyen Orient, Association pour le développement des échanges internationaux de produits et techniques agroalimentaires (ADEPTA)

L'attractivité du secteur agroalimentaire

Je souhaite vous présenter l'Association pour le développement des échanges internationaux de produits et techniques agroalimentaires (ADEPTA), une association d'équipementiers travaillant dans les secteurs de l'agroalimentaire et de l'agriculture, qui, depuis quinze ans, oeuvre au maintien des relations avec l'Iran à travers des missions et des délégations, malgré un climat des affaires pour le moins décourageant.

Il existe en France un savoir-faire extraordinaire, partagé dans tous les secteurs par les industriels de l'agroalimentaire. L'ADEPTA concentre donc son action sur les pays émergents afin de dispenser ces compétences, en équipant notamment les industriels étrangers et en développant des solutions de formation dans différents domaines.

Par ailleurs, l'ADEPTA couvre l'ensemble des filières agricoles. En ce qui concerne l'élevage et l'industrie laitière, la France dispose d'un savoir-faire éprouvé en matière d'exploitation agricole, de génétique et d'industrialisation des produits.

Celui-ci s'exprime également dans le secteur céréalier, à travers le stockage, la transformation et l'extrusion, et dans la boulangerie, qui constitue un domaine d'intérêt particulièrement important en Iran, où nous constatons une volonté forte de perfectionner la viennoiserie. L'industrie des fruits et légumes est également considérable, de même que celle du vin.

Notre métier repose donc sur la conception de projets agricoles et industriels, la fédération de l'offre française, l'accompagnement du client étranger pour lui proposer des solutions clé en main et l'aider à obtenir des financements et la formation. À ce titre, nous sommes en relation permanente avec des écoles techniques d'ingénieurs agroalimentaires ou en lien avec l'industrie laitière.

L'ADEPTA est présente en Iran depuis 1997 et jusqu'en 2005, nous étions une vingtaine d'exposants à participer au salon Iran Agrofood . Nous ne sommes plus que cinq aujourd'hui, mais nous avons souhaité maintenir notre représentation, à la fois pour des raisons internes et pour mieux préparer l'avenir.

Plus largement, la coopération entre le ministère de l'Agriculture français et l'État iranien est ancienne. Dès les années 1950, des relations entre des écoles françaises telles que l'École d'industrie laitière et des groupements laitiers iraniens ont vu le jour. Celles-ci ont pris fin en 2004 pour diverses raisons, mais de 1999 à 2004, le ministère de l'Agriculture français s'est montré très actif dans le cadre d'un protocole bilatéral visant à échanger des experts en structuration de l'élevage et en génétique.

En outre, des séminaires techniques faisant appel à des experts et des entreprises français oeuvrant dans les domaines des céréales, du lait et de l'élevage ont été organisés à Téhéran, afin de présenter l'offre française aux professionnels.

A l'occasion d'un sommet mondial de l'élevage et de l'épizootie qui débutera dimanche et durera trois jours, le ministre de l'Agriculture iranien se rendra à Paris pour renouer le dialogue avec les partenaires français. De ce fait, le ministère de l'Agriculture français est à pied d'oeuvre pour concevoir un programme technique et présenter l'ensemble des savoir-faire nationaux. Pour sa part, le MEDEF accueillera mardi matin une réunion restreinte visant à favoriser le dialogue entre Monsieur Hodjati, sa délégation et les entreprises françaises.

Compte tenu des sanctions, de nombreux industriels iraniens sont contraints de se fournir en Chine, ce qui implique des problèmes de qualité importants. Cela étant, ceux-ci connaissent l'offre française et se tiennent informés de ses évolutions, notamment car des entreprises équipementières françaises telles que Serac, Clextral, Sersia, Richel ou le groupe CMF travaillent ou ont travaillé en Iran.

Par ailleurs, les clients iraniens apparaissent très variés. Les entités privées comme publiques, à l'instar de la municipalité de Téhéran qui, avant 2006, projetait de créer des serres horticoles dans la région, représentent autant d'interlocuteurs pour les entreprises, de même que les fondations religieuses. Celles-ci constituent véritablement un État dans l'État et disposent, pour les plus puissantes d'entre elles, de fermes et d'usines pour un budget avoisinant les 300 millions de dollars.

Il y a encore deux ou trois ans, nos équipementiers parvenaient à trouver des solutions alternatives de financement à certains projets. Aujourd'hui, leur présence est essentiellement politique, dans la mesure où les canaux financiers font l'objet de restrictions particulièrement sévères.

J'invite donc les entreprises de tous secteurs à entretenir des relations avec l'Iran et à considérer les besoins des entreprises iraniennes, car celles-ci bénéficient de compétences extraordinaires dans les domaines de l'ingénierie et de l'innovation technologique.

Afin d'abaisser les droits de douane très élevés auxquels certains équipementiers et fournisseurs d'intrants sont confrontés et positionner les produits de haute technologie, l'ADEPTA développe une stratégie de lobbying auprès du gouvernement iranien et des douanes. Dans ce cadre, nous organiserons à Paris et Téhéran une série de rencontres et inviterons en fin d'année des représentants du secteur privé iranien pour faciliter la prise de contact avec les entreprises françaises.

Pour conclure, je souhaite mettre l'accent sur la nécessité pour les entrepreneurs français de travailler de concert, afin de profiter des possibilités qui s'offrent à eux. Certains produits, tels que les vaccins et les produits de laboratoire, peuvent bénéficier des canaux humanitaires. Les autres pays européens réfléchissent à des solutions de financement innovantes, nous devons impérativement en faire de même.

M. Jérôme DUPREZ, PDG de Moret Industries

Défis et opportunités pour une entreprise industrielle de taille intermédiaire (ETI)

Le groupe Moret est une société familiale créée il y a cinq générations et dont le chiffre d'affaires atteint 320 millions d'euros. Il a connu une forte croissance ces dernières années, grâce notamment à l'export, puisque le marché français ne représente que 20 % de ses débouchés.

Le coeur de notre activité se situe dans les biens d'équipement de l'agro-industrie de première transformation. Nous cherchons à créer de la valeur ajoutée sur l'ensemble de la chaîne de production et diversifions notre activité à travers notamment la production de pompes industrielles.

L'embargo constitue sans nul doute un frein à l'entrée de nouveaux concurrents sur le marché iranien. Toutefois, il a eu un effet positif, dans la mesure où il a contraint les entrepreneurs iraniens à solliciter des équipementiers chinois, incapables de leur offrir les gages de qualité suffisants. Le retour des entreprises françaises en Iran n'est donc pas compromis, si tant est que celui-ci s'effectue rapidement.

De ce fait, la perspective de levée des sanctions représente un point très positif pour les entreprises oeuvrant dans le domaine des biens d'équipement.

Dans le cadre de la mission organisée par le MEDEF, nous avons visité la société MAPNA, productrice de turbines à gaz. À cette occasion, nous avons pu constater que, en dépit de l'embargo, des pièces estampillées Siemens et General Electric étaient livrées sur place. Par ailleurs, nous avons observé que les Iraniens avaient développé un véritable savoir-faire, à tel point qu'ils sont aujourd'hui capables de perfectionner les produits étrangers et concurrencer les compagnies étrangères dans leurs domaines de prédilection. Il est donc fort probable que la levée des sanctions favorise les exportations iraniennes sur nos marchés nationaux.

A l'inverse des grands groupes pétroliers et automobiles, les producteurs de biens d'équipement bénéficient d'opportunités pour satisfaire le client iranien et entretenir des relations avec l'Iran.

En outre, la législation iranienne connaît actuellement des changements fondamentaux. À titre d'exemple, un certain nombre d'équipements devront à l'avenir être fabriqués à 65 % au niveau local. Il apparaît donc impératif pour les entreprises françaises de développer localement une partie de la production, sinon elles ne pourront pas bénéficier de l'ouverture du marché.

Enfin, permettez-moi de vous faire part d'une anecdote personnelle. En 2012, nous avons signé un contrat avec une licence d'exportation nécessitant l'aval du gouvernement français. Or, celle-ci nous a été refusée. Nous sommes donc passés par notre filiale belge, qui fabrique les mêmes équipements et qui, elle, a obtenu sans aucune difficulté la licence. En outre, nous avons voulu livrer les pièces à partir du port d'Hambourg. Celles-ci ont failli faire l'objet d'une rétention, alors que nos concurrents allemands ont obtenu une licence d'exportation pour fournir des équipements identiques au même client.

Il apparaît donc évident que la France doit faire des progrès conséquents en ce qui concerne la prise en compte des intérêts de ses entreprises.

ÉCHANGES AVEC LA SALLE

De la salle

Si j'en crois les propos tenus à l'occasion de ce colloque, les risques politiques, juridiques et bancaires pesant sur les entreprises françaises sont nombreux. Pourtant, je reviens de Téhéran aujourd'hui et puis affirmer que les autorités iraniennes nous ont assuré qu'elles fourniraient des garanties aux entreprises souhaitant investir dans le pays.

Par ailleurs, les Italiens, les Allemands et les Américains préparent actuellement l'après-embargo, en dépit de diverses injonctions contraires. Ma question est donc la suivante : la France doit-elle faire prévaloir le principe d'audace ou le principe de précaution dans ses échanges avec l'Iran ? Et va-t-elle enfin s'aligner sur les États-Unis et les autres pays européens, qui signent des avant-contrats sans s'arrêter aux règles existantes ?

M. Michel MAKINSKY

Essayons de synthétiser les éléments de réponse formulés jusqu'ici. Tout d'abord, nous constatons que le principe d'audace semble de mieux en mieux intégré par les entités françaises, qu'il s'agisse des entreprises ou des autorités gouvernementales, comme en témoignent les initiatives du MEDEF et de la commission des Finances du Sénat. À titre personnel, je pense qu'une partie de la classe politique française est sous l'emprise de groupes de pression, eux-mêmes sous influence de pays étrangers, et manifeste une résistance ferme.

Pour contrer cette opposition, fondée principalement sur une vision naïve de l'Iran, il appartient aux hommes politiques d'utiliser les médias et d'informer l'opinion publique des enjeux économiques que représentent les échanges avec ce pays pour les industries françaises.

Les risques de sanctions sont réels et justifient qu'on applique le principe de précaution. Cependant, les entreprises françaises bénéficient d'une marge de manoeuvre dont elles ne profitent pas à l'heure actuelle. À mon sens, il est donc essentiel de trouver un équilibre pour saisir toutes les opportunités. Dans le même ordre d'idée, la classe politique et les médias doivent être les cibles privilégiées de notre action d'information.

De la salle

La mission du MEDEF a-t-elle eu des retombées concrètes ? Par ailleurs, une suite sera-t-elle donnée à cette initiative ?

M. Patrick BLAIN

Cette mission a eu des retombées positives, notamment pour de petites et moyennes entreprises. Je ne saurais dire combien d'entreprises sont concernées, cependant des contrats ont été effectivement signés à l'issue de la visite de la délégation du MEDEF. Naturellement, ceux-ci ne se chiffrent pas en milliards, mais il s'agit là d'un premier pas encourageant.

Par ailleurs, je pense que cette mission exploratoire a permis à certaines entreprises n'ayant pas repris de contacts avec l'Iran, de réfléchir à des initiatives allant dans ce sens. Toutefois, la question des financements reste d'actualité.

En outre, l'affluence constatée au colloque d'aujourd'hui, qui réunit des entrepreneurs et des représentants de l'État, traduit à mon sens un effet indirect de cette démarche, qui a pour objet la création d'emplois en France et en Iran, facteur essentiel de la stabilité dans le monde.

De la salle

Si je puis me permettre de donner un conseil, n'utilisez pas le dollar mais l'euro pour vos transactions, sinon vous serez soumis à la juridiction américaine et ferez l'objet de toutes les sanctions.

Par ailleurs, je souhaite lever les inquiétudes relatives à la législation sociale, fiscale et générale iranienne. Celle-ci est simple et n'a que peu changé depuis 1936. Les règles très sévères concernant la propriété du capital ont été considérablement allégées, tandis que le régime social apparaît tout à fait opérationnel.

Sur le plan fiscal, une législation inspirée des principes antérieurs existe depuis 2002. Les taux ainsi que les systèmes d'assiettes sont clairement établis. Vous ne devez donc pas éprouver la moindre crainte à l'idée d'investir en Iran, malgré la domination politique israélo-américaine à laquelle nous sommes soumis.

Ma question concerne l'éventuelle réouverture du Bureau de représentation commerciale à Téhéran, fermé en 2012 et qui soutenait localement les entrepreneurs français.

M. Nigel COULTHARD

Il a été rétabli il y a trois mois.

M. Patrick BLAIN

Je le confirme, nous avons rencontré M. Bruchon, en poste au sein de ce bureau.

De la salle

Les barters 7 ( * ) ont-ils facilité certaines opérations commerciales dans les différents secteurs, et si oui, pour quels montants ?

M. Patrick BLAIN

Je crois savoir que beaucoup d'entreprises s'adonnent au bartering , mais je n'ai pas la moindre idée des montants en jeu.

M. Nigel COULTHARD

Le bartering est pratiqué principalement par des Chinois et des Indiens. Par ailleurs, un problème s'est produit entre Chinois et Iraniens, dans la mesure où les fonds chinois de devises alloués aux exportations pétrolières de l'Iran vers la Chine ont été retenus et un taux d'intérêt négatif leur a été appliqué, provoquant la colère des Iraniens. Il existe donc des opportunités théoriques pour les Français à ce niveau également.

De la salle

Nous sommes aujourd'hui à un tournant de l'histoire iranienne. Trente-cinq années de République islamique ont fortement marqué le pays, et les négociations actuelles sur le programme nucléaire iranien traduisent l'émergence d'une ère nouvelle. De ce fait, il est très important d'investir sur le long terme en Iran. J'ai pu constater les efforts essentiels réalisés par Total en matière de formation des techniciens. Or, la formation constitue le fondement de la valorisation de nos compétences dans ce pays.

Il appartient non seulement aux entreprises, mais également à l'État français, à travers les services culturels, de prendre en compte cette donnée capitale. Cela étant, l'Iran doit également faire preuve de volontarisme pour faciliter la création d'une relation durable. Le nationalisme iranien, renforcé par l'islamisme, n'a jamais été aussi fort qu'aujourd'hui et l'arrogance des autorités ne peut qu'être décuplée au regard des compétences acquises par les travailleurs iraniens depuis l'application des sanctions.

L'Iran n'étant pas un pays facile d'accès pour les étrangers, il apparaît donc nécessaire d'inciter les Iraniens à créer des liens avec la France.

De la salle

Sir Richard Dalton, ne pensez-vous pas que la dimension secrète des négociations entre l'Iran et les États-Unis relève plutôt d'une exigence de la part de M. Hassan Rohani que d'un souhait de M. Barack Obama ? Par ailleurs, celle-ci ne constitue-t-elle pas un handicap pour les Américains ?

M. Georges MALBRUNOT

La réponse semble aller de soi.

De la salle

Quelles actions peuvent être engagées concrètement pour défendre notre industrie, étant donné que la France est un partenaire historique de l'Iran dans ce domaine ?

M. Patrick BLAIN

Je souhaite revenir sur la question du principe de précaution et du principe d'audace. À mon sens, tout dépend de la sphère considérée. À l'échelle des entreprises, c'est naturellement le principe d'audace qui prédomine. Il appartient désormais aux mondes bancaire et politique de suivre cet exemple.

M. Georges MALBRUNOT

Beaucoup de problèmes et de lenteurs empêchent de renouer des liens avec l'Iran. Cependant, nous ne disposons pas de tous les éléments, car un certain nombre d'avancées se font dans le secret. Les futures visites du ministre des Affaires étrangères iranien en Arabie Saoudite, particulièrement véhémente à l'égard de l'Iran, et de l'Émir du Koweït à Téhéran témoignent de ces évolutions notables.

Il appartient donc aux entrepreneurs français d'en profiter pour montrer qu'ils ont pour ferme intention de continuer à commercer à l'Iran, même si les autorités iraniennes se souviendront probablement longtemps de la méfiance exprimée par le gouvernement français à leur égard.

M. Nigel COULTHARD

Avant de clore nos travaux, je souhaite vivement remercier le groupe d'amitié France-Iran du Sénat et tous ceux qui ont contribué à l'organisation de cette rencontre.


* (1) Membres du groupe d'amitié France-Iran : M. Aymeri de Montesquiou, Président, MM. Jean-Yves Leconte, Philippe Marini, Vice-présidents, Mme Leila Aïchi, MM. Jean-Pierre Plancade et Dominique Watrin, Secrétaires, MM. André Dulait, François Fortassin, Mmes Nathalie Goulet, Christiane Kammermann, et M. Jean-Vincent Placé.

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N° GA 120 - Juillet 2014

* 2 Monnaie officielle de l'Iran.

* 3 Ancienne monnaie de l'Iran, encore utilisée par beaucoup d'Iraniens comme référence pour exprimer les prix courants, sur la base de 1 toman = 10 rials.

* 4 Exemptions temporaires aux restrictions imposées dans le cadre des sanctions

* 5 Investigation comptable et financière

* 6 Littéralement, contrat de rachat, à un prix fixé en référence à celui du marché.

* 7 Personnes ou organismes pratiquant l'échange de biens, marchandises ou prestations entre entreprises.

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