1. Éléments biographiques

Jean Alaux, dit Le Romain, est né le 15 janvier 1786 à Bordeaux. Il est mort le 2 mars 1864 à Paris (ill. 7)50 .

Fils d’un peintre décorateur, Pierre Joseph Alaux, il est d’abord l’élève de Pierre Lacour le père (1745-1814) à l’École des beaux-arts de Bordeaux, puis de François-André Vincent à l’École des beaux-arts de Paris à partir de 180751.
Il côtoie, à l’École, d’autres peintres et professeurs tels que Horace Vernet (1789-1863), Pierre Narcisse Guérin (1774-1833), Ary Scheffer (1795-1858) ou Eugène Delacroix (1798-1863). Il est lauréat du Grand Prix de Rome en 1815 avec Brédéis pleurant le corps de Patrocle dans la tente d’Achille52, ce qui lui ouvre les portes de la Villa Médicis de 1817 à 1821 (ill. 8) où il devient l’ami de Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867)

Recueil, Portrait de Jean ALAUX (1786-1864), peintre,
Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographies,
N-2 (ALAUX, Jean), D 070430.

Portrait de Jean ALAUX
Paris, Bibliothèque de l’Institut de France, Ms4198-N88.
 © Réunion des musées nationaux, Agence Photographique

Revenu de son séjour romain, il entame, à Paris, une carrière rythmée par une participation régulière aux salons officiels, par des commandes d’État et par son activité de portraitiste. Il bénéficie de commandes de la Maison du Roi dès 1821  et se fait connaître du grand public au salon de 1824 avec Combat des Centaures et des Lapithes et Pandore apportée du ciel par Mercure . Qualifié de « peintre favori de Louis-Philippe », il se voit confier le décor du plafond du Conseil d’État au Louvre et du château de Versailles où il réalise entièrement le décor de la salle des États généraux et plusieurs panneaux de la salle des Batailles. De 1847 à 1852, il est le directeur de l’Académie de France à Rome. Puis, pendant le Second Empire, il est choisi pour décorer la grande coupole de la galerie du trône du palais du Luxembourg. En 1858, il est désigné par Achille Fould, ministre d’État, pour restaurer les fresques du Rosso dans la galerie François Ier et du Primatice dans la galerie Henri II du château de Fontainebleau .

Pendant son directorat, il candidate pour la cinquième fois à son entrée à l’Académie et obtient la majorité des voix à l’élection du 22 février 1851 face à Hippolyte Flandrin (1809-1864) . Pour le féliciter, J. A. D. Ingres lui adresse les mots suivants :

« Mon cher Allaux [sic], […] je m’empresse d’ajouter que sa déception [celle d’Hippolyte Flandrin] ne m’empêche nullement de me réjouir avec vous […] de votre arrivée à l’un des titres où vous appelaient naturellement votre beau talent, votre honorable caractère et tant de titres reconnus par l’Académie. »

De retour en France en 1853, il loge désormais à l’Institut . Reconnu pour son talent de son vivant, il n’est pas étonnant que Jean Alaux ait été choisi en 1854 par la commission des arts pour exécuter le décor le plus important de la galerie du trône : celui de la coupole sous laquelle se trouverait le trône de l’Empereur Napoléon III.

Portrait de Jean ALAUX posant dans le jardin de la villa Médicis à Rome
Recueil, Portrait de Jean ALAUX
(1786-1864), peintre, Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographies,
N-2 (ALAUX, Jean), D 070433

2. L’Apothéose de Napoléon Ier


Respect du programme : une analyse iconographique

L’exécution de la peinture de la coupole de la galerie du trône du palais du Luxembourg repose sur le respect du programme iconographique défini par la commission et approuvé par l’Empereur. Le sujet est précisé en ces termes :

    « La coupole représentera comme sujet principal l’apothéose de NAPOLÉON Ier, enveloppé dans son manteau impérial et entouré des figures vêtues groupées autour de lui. Elle retracera les grandeurs et les triomphes de NAPOLÉON Ier ; un peu le présent et surtout l’avenir pour le règne de NAPOLÉON III. En un mot c’est la société nouvelle s’élevant sur les débris de la société détruite ; ce sont nos soldats couvrant de leur gloire les misères de nos désordres intérieurs ; c’est NAPOLÉON partant de Millesimo, de Rivoli, des rivages du Nil pour donner à la France et par elle à l’Europe des lois qui reconstituent le pouvoir et la société ; même pour rendre aux arts et à l’industrie leur fécond mouvement ; pour imprimer aux grandes entreprises la hardiesse savante qui n’a été dépassée que de nos jours ; ce sont les trônes distribués, assignata regna, comme portent les médailles, ce sont nos victoires qui nous ont conduits [sic] des rivages de la Baltique aux colonnes d’Hercule, et depuis lors, ce sont les efforts faits pour développer les forces dont la France est prodigue ; c’est l’impulsion donnée par NAPOLÉON III, aux entreprises utiles, aux chemins de fer, à la vapeur, aux institutions qui soulagent le pauvre, aux travaux qui accroissent le bien être des familles, les mers libres, l’Amérique, ouverte à nos arts et à notre industrie ; Rome déjà délivrée ; Constantinople déjà défendue, et le souverain pontife relevé par la même main qui pose notre épée sur la carte d’Europe, pour empêcher qu’on ne la déchire. C’est enfin l’immense avenir qui semble s’ouvrir dans le ciel et qu’il faut voir de loin en dépit des tempêtes. C’est dans ce cadre que M. ALAUX devra prendre les sujets des peintures de la coupole ; c’est à lui à tirer le meilleur parti de ces pensées, qui devront être indiquées sur son esquisse, afin que la commission puisse les apprécier. »

Détail de la coupole, NAPOLÉON III enveloppé dans des guirlandes de fleurs (JPG - 333 Ko)

Détail de la coupole, NAPOLÉON III enveloppé dans des guirlandes de fleurs
© Daniel Sibilia

Jean ALAUX est un habitué de la peinture allégorique, historique et plus particulièrement de l’iconographie napoléonienne : en 1837, il peint notamment au château de Versailles Le Tombeau de Sainte-Hélène. Allégorie de la sépulture de Napoléon. Au palais du Luxembourg, son Apothéose doit mettre en regard le règne de NAPOLÉON Ier et celui de NAPOLÉON III qui vient alors de s’ouvrir. Le peintre semble répondre à merveille au programme qui lui a été remis.

Réalisée directement au cœur de la coupole de la galerie du trône du palais du Luxembourg62, la forme nécessairement circulaire de l’œuvre de Jean ALAUX permet une lecture continue de la composition et un jeu de correspondances entre les représentations des deux empereurs. Ainsi, ce n’est pas seulement l’apothéose de NAPOLÉON Ier qui est dépeinte, mais aussi et surtout la consécration de l’Empereur commanditaire du décor. Dans une parfaite maîtrise de la composition, les différentes représentations allégoriques se répondent et se confondent. Ainsi, la glorification de NAPOLÉON Ier permet, en creux, d’évoquer cette même apothéose promise au nouvel Empereur des Français, car, comme le précise le programme, c’est bien l’avenir radieux du pays promis par l’arrivée de NAPOLÉON III sur le trône impérial qui doit être brossé par une subtile mise en regard avec son passé, et non pas une valorisation pure et dure du passé lui-même.

À la manière d’un empereur romain, NAPOLÉON Ier est représenté déifié et couronné de lauriers dorés. Il est, comme le projetait le comité, enveloppé dans son manteau rouge impérial semé d’abeilles dorées et s’élève vers les cieux, dans les nuées, porté par l’aigle impériale déployant ses ailes – geste qu’exécute parallèlement NAPOLÉON Ier, en signe de paix63. Il est entouré de figures allégoriques ailées qui, symboles de victoire, se pressent à ses côtés pour l’auréoler et lui remettre les palmes récompensant ses prouesses militaires. Ces dernières, soulignées dans le programme, sont elles-mêmes évoquées par l’artiste. On retrouve en effet, sous le cortège ailé de NAPOLÉON Ier, une pyramide en arrière plan accompagnée par l’allégorie masculine d’un dieu fleuve, le Nil, évoquant les campagnes menées en Égypte entre 1798 et 1801. Le dôme des Invalides évoque le lieu où repose désormais son tombeau.

Détail de la coupole, urne et allégorie féminine (JPG - 3.54 Mo)

Détail de la coupole, urne et allégorie féminine

© Daniel Sibilia

Diamétralement opposé à NAPOLÉON Ier, le règne de NAPOLÉON III, quant à lui, est représenté par une figure féminine, la France, plébiscité par le peuple. Élevé au même rang que son aîné, cette représentation du Second Empire se tient debout, de face et les bras levés sur un piédestal entouré de personnages allégoriques et de putti qui l’enveloppent de guirlandes de fleurs. Autour de cette image, on célèbre la victoire obtenue lors du plébiscite des 20 et 21 décembre 1851. Rien n’évoque, au contraire, le coup d’état perpétré quelques jours auparavant. Le résultat du scrutin est d’ailleurs précisé sur l’urne tenue par une figure féminine brandissant la palme de la victoire disposée quelques marches plus bas : Louis-Napoléon BONAPARTE obtient près de 7,5 millions des suffrages et devient NAPOLÉON III, Empereur des Français.

Détail de la coupole, les allégories des beaux-arts et notamment de l’Architectur (JPG - 317 Ko)

Détail de la coupole, les allégories des beaux-arts et notamment de l’Architecture

© Daniel Sibilia

Là aussi, les triomphes militaires de NAPOLÉON III sont dépeints. Cette fois, loin d’être uniquement évoqués par des allégories ou des symboles, ils sont explicitement représentés par un guerrier tenant entre ses mains un écu gravé aux noms des batailles que gagne l’Empire pendant la campagne de Crimée (1853-1856) : Sébastopol, Alma, Balaklava, Inkerman, Mamelon-Vert et Malakoff (ill. 11)64 .
Devant le piédestal sur lequel se trouve l’Empereur sont disposés – entre autres – un globe, une machine électrostatique qui répond à celle figurée dans la lunette, au-dessus de la fenêtre sur la cour d’honneur, une lunette astronomique, un livre et des bocaux. Ces instruments, analogues à ceux qui se trouvent dans les collections du Conservatoire national des arts et métiers, symbolisent l’ère du progrès industriel et scientifique que promet ce renouveau politique mentionné par le comité dans son programme précité (ill. 12).
Les beaux-arts sont également mis à l’honneur. Sur un fond présentant le palais du Louvre dont NAPOLÉON III poursuit le grand dessein65 , trois allégories féminines personnifient la Sculpture (reconnaissable à sa masse et son ciseau), la Peinture et l’Architecture. Cette dernière tient un compas dans sa main droite et déroule le plan d’un édifice de l’autre, aidée par un chérubin (ill. 13). Bien qu’il ne s’agisse pas d’un véritable plan du palais du Luxembourg66 , J. ALAUX semble en évoquer les traits. Il est probable que ce dernier a souhaité mettre en abîme les travaux engagés par Alphonse de GISORS, auxquels il participe alors, afin de valoriser les projets architecturaux mis en œuvre concrètement par NAPOLÉON III.
Au centre de la coupole se dessinent les signes du zodiaque, symboles du pouvoir universel du souverain. Ce pouvoir s’affirme enfin dans la figure de la religion au-dessous de laquelle est inscrite la mention « Pio IX » (Pie IX), signe de l’alliance du trône et de l’autel condamnée par Victor HUGO dans Les châtiments :

"Ces coquins vils qui font de la France une Chine,
On entendra mon fouet claquer sur leur échine,
Ils chantent : Te Deum, je crierai : Memento !
Je fouaillerai les gens, les faits, les noms, les titres,
Porte-sabres et porte-mitres ;
Je les tiens dans mon vers comme dans un étau.
On verra choir surplis, épaulettes, bréviaires,
Et César, sous mes étrivières,
Se sauver, troussant son manteau !67"


Quelques mots sur la campagne de restauration de 1994

L’ensemble de la peinture sur plâtre de la coupole de la salle des conférences réalisée par Jean ALAUX a été restauré en 1994 lors d’une grande campagne de restauration de l’ancienne galerie du trône sous le contrôle de la direction de l’Architecture du Sénat, par une équipe placée sous l’autorité du Service de restauration des musées de France68

Détail de la coupole, écu aux noms des batailles de la campagne de Crimée © Daniel Sibilia

Détail de la coupole, écu aux noms des batailles de la campagne de Crimée
© Daniel Sibilia

Détail de la coupole, instruments scientifiques et techniques © Daniel Sibi

Détail de la coupole, instruments scientifiques et techniques
© Daniel Sibilia

Notes:

50.BÉNÉZIT Emmanuel, Dictionnaire critique et documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs de tous les temps et de tous les pays, Paris, Gründ, 1976, vol. 1, p. 138.
51.[Anon.], La dynastie des Alaux, Cloître Imprimeurs, Saint-Thonan, 1994, n. p.
52.Le tableau est conservé dans les collections de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris.
53.BÉNÉZIT Emmanuel, Dictionnaire critique et documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs de tous les temps et de tous les pays, op.cit., p. 138.
54.Institut impérial de France, Académie des beaux-arts, Discours de M. Beulé, secrétaire perpétuel, prononcé aux funérailles de M. Alaux, mai 1864, 4 p., p. 1.
55.BÉNÉZIT Emmanuel, Dictionnaire critique et documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs de tous les temps et de tous les pays, op.cit., p. 138.
56.BÉNÉZIT Emmanuel, Dictionnaire critique et documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs de tous les temps et de tous les pays, op.cit., p. 138.
57.BROCKMEYER Michael, Alaux Jean. Sa vie, son œuvre, op.cit., p. 97-99.
58.Ibid., p. 100.
59.Arch. du Sénat, CP 419, document signalant l’adresse de Jean Alaux à l’Institut de France.
60.Arch. du Sénat, 71S 348, document non daté détaillant les sujets et les exécutants des peintures de la galerie du trône.
61.BAJOU Valérie, Louis-Philippe et Versailles, cat. expo., Versailles, château de Versailles (6 octobre 2018 – 3 février 2019), Paris, Somogy, 2018, 421 p., p. 283.
62.Il s’agit d’une peinture à l’huile sur plâtre, réalisée sur place.
63.[Anon.], Le patrimoine du Sénat, op.cit., p. 152-153.
64.Ces villes ont été terrassées pendant la campagne de Crimée menée par la France aux côtés de la coalition formée avec l’Empire ottoman, le Royaume-Uni et le royaume de Sardaigne : « Sébastopol, Alma, Balaklava, Inkerman, Mamelon-Vert, Malakoff ».
65.La première pierre des travaux du plan Visconti est posée au palais du Louvre le 25 juillet 1852.
66.Arch. du Sénat, direction de l’architecture, du patrimoine et des jardins, correspondance entre Laurent Delrieu, administrateur adjoint et Jean-Louis Hérin, secrétaire général, 9 décembre 2015.
67.HUGO Victor, Les châtiments, 37ème éd., Éditions Phaass, 1871, 358 p., p. 41.
68.Arch. du Sénat, Opération 193-201 BE, travaux 1994-1996, restauration des peintures et décors de la salle des conférences, dossier de restauration, première tranche de travaux.

Table des matiéres