Les relations entre Jules Ferry et la Haute Assemblée ont été longtemps conflictuelles. C’est en effet le Sénat qui repousse le fameux " article 7 " en mars 1880 et qui réussit à mettre en échec l’obligation et la gratuité scolaire jusqu’en juillet 1881.

Pourtant l’homme d’État soutient le Sénat lors de la révision constitutionnelle de 1884. En effet, initiée par la gauche, la révision de la Constitution de 1875 se voulait radicale. Jules Ferry la souhaite modérée : les sénateurs inamovibles sont supprimés et remplacés au fur et à mesure de leur disparition par des sénateurs élus.

Ferry a évité que l’existence du Sénat, dénoncée par l’extrême-gauche, à l’image de Madier de Montjau qui parlait du Sénat comme d’un " sabot ", ne soit remise en question. Et " le Sénat de s’accrocher à Ferry comme à son protecteur (…) contre les méchants de l’extrême-gauche qui voulaient sa mort " (Jean-Jacques Chevallier).

Jules Ferry a été, en effet, le premier à concevoir la Haute Assemblée comme celle de la démocratie rurale. Il insistait également sur l’utilité du bicamérisme, comme il l’a notamment souligné dans son discours d’investiture du 27 février 1893.

Extraits du discours d'investiture de Jules Ferry au Sénat le lundi 27 février 1893

 " (…) En me choisissant parmi tant d’hommes si dignes d’occuper cette haute charge, le Sénat a voulu faire avant toutes choses un acte de haute et paternelle bienveillance. Il a mis un terme à une longue épreuve. Il a décidé que l’ostracisme, cet enfant hérité de la cité antique, n’aurait pas de place dans notre démocratie libérale et tolérante.

 (…) Celui qui recueille aujourd’hui ce noble et lourd héritage a pris aussi sa large part des mêlées brûlantes de la politique. Sa vie publique n’a été qu’un long combat. Vous ne l’avez cependant pas jugé incapable de ce rôle élevé d’arbitre qui semblait peu fait pour lui.

 Vous avez pesé que l’adversité ne porte pas les mêmes fruits dans toutes les âmes ; que si les unes en sortent aigries et révoltées, d’autres s’y retrempent et s’y instruisent à la clarté des jours d’épreuve. L’expérience des hommes et des choses est une grande école d’équité.

 La vie parlementaire serait odieuse si l’on n’y apprenait pas à se respecter et à s’estimer les uns les autres. N’est-ce pas là précisément l’état d’esprit de cette grande assemblée, ce qui donne à vos débats tant de noblesse, ce qui assure ici aux relations personnelles tant de charme et de dignité ?

 Et se peut-il imaginer une plus admirable école de respect mutuel que ce Sénat illustré par tant de grands noms et dans lequel se rencontrent, comme par l’effet d’une secrète attraction, les orateurs et les hommes d’Etat qui ont porté le plus haut, dans l’opposition comme dans le gouvernement, l’honneur de cette tribune pour le plus grand renom de la patrie française ?

 (…) Des trois pouvoirs qui constituent le mécanisme gouvernemental, le Sénat était encore, il y a quelques années, le plus attaqué. Les événements ont pris sa défense et se sont chargés de le justifier. "

Jules Ferry - Sénat - 27 février 1893