L’architecte Jean-François Chalgrin est à l’origine d’une transformation inédite du jardin du Luxembourg. Sous la Révolution, ses plans absorbent les terrains des Chartreux et leur pépinière. Sur la volonté du comte Chaptal, ministre de l’intérieur, la pépinière est replantée au sein d’un jardin dont le tracé initial est encore visible aujourd’hui.

L’enclos des ci-devant Chartreux

Archives Nationales-Plan général du Palais et Jardins de LuxembourgLa pépinière des Chartreux voit le jour vers le milieu du 17e siècle. En 1804, Calvel, membre de sociétés d’agriculture et littéraires, rapporte ses balbutiements dans sa Notice historique sur la pépinière nationale des Chartreux au Luxembourg. « Vers 1650, un des habitants de Vitri, que le goût de la retraite avait attiré chez les Chartreux de Paris, où on lui donna le nom de Frère Alexis, fut chargé d’élever de jeunes arbres, pour planter d’une manière économique le vaste enclos de ces moines, lequel contenait alors plus de 80 arpents, et, à cette époque, il avait été considérablement diminué. Son talent, ses succès portèrent les Chartreux à employer utilement ses connaissances et leur terrein ; ils établirent chez eux, des pépinières. » Plusieurs responsables succèdent à Frère Alexis. Tout d’abord des religieux, Frère François et Frère Philippe, puis des arboriculteurs laïcs, Christophe Hervy, assisté de son fils, Michel-Christophe Hervy. Hervy père restera directeur de la pépinière durant 46 ans.

Les Chartreux ont pour principal voisin le Palais du Luxembourg, dont le jardin s’étend sur une surface de plus en plus vaste depuis son aménagement sous Marie de Médicis. Le comte de Provence reçoit en apanage le Palais et ses dépendances en 1779. Pour financer les travaux du Palais, il ampute le jardin de 8 hectares à l'Ouest. La Révolution française permet de repousser les limites du jardin au Sud. En effet, la loi sur la nationalisation des biens du clergé, votée le 2 novembre 1789, scelle le sort de la Chartreuse de Paris. Celle-ci est vendue en plusieurs lots à partir de 1790. Les bâtiments et le jardin font l’objet d’une première adjudication par la Municipalité de Paris le 6 juin 1792. Après de nombreux rebondissements, dus à des adjudications infructueuses, la Chartreuse est transformée en « établissement des ateliers ou forges pour la fabrication des armes ». Ces ateliers cessent leur activité en prairial an III (mai 1795) et ferment définitivement le 16 frimaire an V (6 décembre 1796).  Durant cette période, un « nommé Favrin fut chargé de la « conservation » de ce qu’on continue à appeler la pépinière[1]. » Celui-ci dénonce régulièrement un problème de main-d’œuvre et la paie insuffisante des ouvriers.

Les travaux d’aménagement de la pépinièreDevis des ouvrages de maçonnerie du mur

Le 25 prairial an IV (13 juin 1796), une délibération du Directoire vise à démolir la Chartreuse et enjoint à Chalgrin de faire les travaux de terrassement. Le clos des Chartreux sert alors de décharge pour les matériaux liés à la transformation du Palais. Le terrain sur lequel est tracée l’avenue de l’Observatoire est remblayé pour combler les différences de niveaux entre l’Observatoire et le jardin.

Deux ans plus tard, la loi du 27 germinal an VI (16 avril 1798) définit la distribution et l’emploi de l’enclos des ci-devant Chartreux. L’article 4 porte plus particulièrement sur le sort de la pépinière. Dès l’an VI, Chalgrin a l’autorisation de faire démolir les bâtiments de la Chartreuse et le mur qui sépare l’enclos des Chartreux du jardin du Luxembourg. Aussitôt, un nouveau mur est maçonné.

Malgré ces dispositions législatives et des débuts prometteurs, les travaux ne progressent pas au rythme souhaité par Chalgrin. L’architecte fait partie de la commission des artistes préposés à la division, l’embellissement et l’assainissement de Paris, chargée notamment des projets de percement des rues. C’est surtout à ce titre qu’il se plaint de cette lenteur dans une lettre adressée au ministère de l’intérieur, le 24 brumaire de l’an IX.

L’avancée des travaux est suivie par la presse, qui ne tarit pas d’éloges sur le projet d’agrandissement du jardin.

Le 22 pluviôse an X (11 février 1802), Chaptal autorise Chalgrin à vendre les « arbres qui existent dans l’enclos des ci-devant Chartreux et qui nuisent à l’établissement de la pépinière et aux plantations d’arbres fruitiers ». Le produit de la vente est destiné au ministère, qui finance une grande partie des travaux.

Entrée du jardin du côté de l'Observatoire Au cours de l’an XIII (1804-1805), Chalgrin fait construire deux pavillons à la tête de la principale avenue aboutissant sur le boulevard du Montparnasse. Les deux bâtiments, qui sont établis de part et d’autre de la grande grille, sont destinés, l’un à un corps de garde, l’autre au logement d’un portier. De plus, une loge de portier est construite à l’entrée du jardin donnant sur la rue d’Enfer.

En juillet 1807, la pépinière est dotée de deux hangars, pour abriter les arbres avant leur transfert et divers outils. Les serres sont achevées en août.

A l’origine, le sol de la pépinière est impropre à la plantation. Sur les directives d’Hervy, Chalgrin entreprend de défricher, ôter les pierres, niveler la surface et la recouvrir de terre végétale. Pour cela, il s’entoure d’une centaine d’ouvriers[2]. Si quelques uns sollicitent directement une place de commis, la plupart sont embauchés par les ateliers de charité, créés par le ministère de l’intérieur.

L’ouverture de l’Ecole

La plupart des arbres des Chartreux sont vendus sous la Révolution. Les responsables de la pépinière sauvent de la dispersion complète « deux arbres de chaque genre, variété et espèce[3] ». Calvel rapporte qu’« un ordre parvenu aux CC Hervy, père et fils, le 27 ventôse an 4, les força de transporter aussitôt à Sceaux les restes infortunés de cette pépinière, jadis si brillante, où, en semis, en plantes et en arbres, on comptait peu d’années auparavant par millions, et où il n’en restait qu’environ 18 000. » Hervy père replante avec l’aide d’un seul jardinier l’ensemble des arbres, par un hiver très rigoureux.

Six ans plus tard, les arbres quittent Sceaux pour la nouvelle pépinière. Le comte Chaptal reconduit Michel-Christophe Hervy à la direction de la pépinière.

L’an X marque un tournant pour la plantation. Calvel en fait une description très vivante : « La fin de l’hiver et le commencement du printemps de l’an X, virent commencer la plantation de cette pépinière ; en ce moment le bas de la terrasse offre un espalier de pêchers, dont plusieurs fait dès la première année des pousses d’un mètre cinquante ou de deux mètres (4 pieds et 6 pieds) de longueur. L’allée parallèle à cette terrasse est bordée de chaque côté de poiriers pyramidaux de 2 ans, de la plus belle espérance et dont la vigueur dépose en faveur de celui qui eut le talent de les former et de les planter. L’allée du fond renferme la collection la plus complète en prunes et cerises de toute espèce, et à proportion que les carrés se formeront, la collection augmentera, des arbres  qu’on tirera de la pépinière, et qui seront écussonnés cette année.» 

Chaptal demande à l’ensemble des préfets de faire parvenir à la pépinière des plants de chaque espèce et variété de vigne de leur département, afin de constituer une collection à visée scientifique, dont le catalogue rappelle la diversité unique.

La pépinière a ses détracteurs : le terrain serait épuisé (mais la nouvelle pépinière n’est pas établie sur l’ancienne), le terrain serait trop bon (donc les arbres vendus périraient ailleurs), le terrain aurait été planté trop tôt (la suite le dément). Pour encourager un projet dont il a été le principal instigateur, Chaptal visite la pépinière et témoigne publiquement sa satisfaction. Il fait changer l’opinion publique. Les gelées tardives menacent les pieds de vignes (80 sur les 3000 périssent) et quelques pommiers. 24000 plants sont écussonnés, malgré la perplexité de la société d’agriculture. Ces initiatives sont un succès.

 
Le 13 mai 1809, l’arrêté de Champmol, nouveau ministre de l’intérieur, officialise l’établissement « d’un cours pratique et gratuit pour la culture des arbres ». Dans son ouvrage, Calvel rappelle la vocation d’éducation populaire du lieu, souhaitée par le ministre : «  cette pépinière fut ouverte aux amateurs qui voulaient la visiter, aux personnes qui désiraient acquérir des connaissances pratiques. On en a vu demander à travailler avec les ouvriers instruits, ou qui pouvaient les guider. » Les cours se déroulent du 15 janvier au 15 octobre, « en 3 parties, chacune d’une durée de deux mois » (15 janvier, 15 mai, 15 août).

Dans son Catalogue[4], Hervy décrit la topographie de l’école : « pour atteindre ce but avec plus de succès, dans un terrain absolument séparé de la pépinière par l’allée qui conduit du jardin du Luxembourg aux nouveaux boulevards, son Excellence a ordonné qu’on formât une école de la contenance d’environ deux hectares et demi (5 arpens) où se trouveraient réunies, dans un ordre classique, toutes les espèces et les variétés de chaque fruit. »

Chalgrin ne voit pas l’achèvement des travaux de la pépinière dans lesquels il s’était tant investi. Thomas Baraguey, son collaborateur, les poursuit après son décès, qui survient en 1811.

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[1] Notes de M. Hustin, secrétaire général de la Questure (1901-1921)

[2] Les ouvriers sont payés à la fin de chaque décade : 100 ouvriers à 1,50 francs, les 2 chefs d’ateliers à 2,50 francs.

[3] Calvel

[4] Catalogue méthodique et classique de tous les arbres, arbustes fruitiers et des vignes formant la collection de l’école impériale établie près le Luxembourg. 1809

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