Roger CARCASSONNELe débat s'engage par les exposés des rapporteurs : s'ils sont tous favorables à l'adoption des traités, ils font preuve d'un enthousiasme plus nuancé.

Rapporteur, au nom de la commission des affaires étrangères, du volumineux traité instituant la CEE , Roger CARCASSONNE (Bouches-du-Rhône - socialiste) avoue qu'il aurait « préféré vous commenter une lettre de Madame de Sévigné ou une page d'Anatole France ». Selon lui, le traité témoigne de la volonté des Gouvernements de bâtir l'Europe à partir de « réalisations économiques concrètes » au lieu de « réalisations politiques ». Le marché commun va amener une « révolution dans notre structure économique », laquelle permettra de « lutter à armes égales avec les Etats-Unis et la Russie  ».

CARCASSONNE insiste sur le fait que le traité ne propose « pas une simple union douanière » mais « une politique économique commune », dont l'agriculture devrait retirer de « grands avantages ». Répondant par avance à ceux qui redoutent les conséquences du marché commun sur l'économie française, laquelle connaît des prix plus élevés que ses cinq autres partenaires, il oppose les dispositions du traité qui constituent « des freins, des amortisseurs, des clauses de sauvegarde, des soupapes de sécurité » et se félicite des garanties obtenues par la France  : objectif d'harmonisation des charges sociales dans les Etats-membres, égalité des salaires masculins et féminins, clause de sauvegarde en cas de difficulté de la balance des paiements, et inclusion de l'outre-mer pour éviter une « distension des liens de l'Europe avec le reste de la zone franc ».

Gustave ALRIC Il conclut que le traité, s'il apportera « plus de prospérité et de bien-être », « impose, pour l'instant, beaucoup de civisme et de travail ».

Au nom de la commission des finances, Gustave ALRIC (Aube - Rassemblement du peuple français) examine les conditions d'une concurrence loyale entre les six et voit dans « l'influence des changes » l'une des principales causes de déloyauté. Quel avenir pour le marché commun si « l'harmonisation des charges sociales n'est pas réalisée » et si la « politique générale agricole commune n'[est] pas définie », s'interroge-t-il.

Intervenant au nom de la commission de l'agriculture, Paul DRIANT (Moselle - Rassemblement du peuple français) prévoit, dans ce domaine, des étapes « plus longues que pour les autres secteurs », mais qui aboutiront à « la construction d'une véritable communauté européenne agricole », « plus rapide et plus complète ». Il insiste sur les clauses de sauvegarde et la possibilité, « pour la France seule, de maintenir une surtaxe à l'importation ». Il juge que le marché commun ne représente pas une « victoire certaine pour l'agriculture française mais [plutôt] une chance qui lui est offerte ».

Henri ROCHEREAU 

 « Autant l'union douanière pure et simple nous eût heurtés, autant, en revanche, ce qui est dit de l'instauration d'une politique économique au sein de la communauté, dans la perspective du marché commun, nous a amené à donner un avis favorable » et ce, même si ce qui est dit de la politique économique est « beaucoup plus vague », annonce Henri ROCHEREAU (Vendée - non inscrit), rapporteur au nom de la commission des affaires économiques. Il considère que « nous entrons dans le marché commun non point pour faire jouer des clauses échappatoires mais pour jouer le jeu », et prédit un succès à condition « que l'Europe veuille bien considérer qu'elle n'est pas un espace fermé ».

  Emile VANRULLEN

Emile VANRULLEN (Pas-de-Calais - socialiste), rapporteur au nom de la commission de la production industrielle, rappelle non seulement les avantages potentiels du marché commun - développement de la production, adaptation des méthodes, production de masse, prix plus intéressants, amélioration « des conditions d'existence » - mais aussi ses inconvénients - déséquilibre possible de la balance des paiements et surtout concurrence avec des pays à charges salariales, fiscales ou sociales moins élevées -. Il invite la  France à « ne pas avoir de complexe d'infériorité ».

Léon MOTAIS de NARBONNE

Rapporteur au nom de la commission de l'outre-mer, Léon MOTAIS de NARBONNE (Français résidant en Indochine - Rassemblement du peuple français) décrit les solutions retenues par les traités aux problèmes spécifiques de l'outre-mer : participation des six au financement des investissements en outre-mer ; ouverture de l'Europe aux produits ultramarins  et ouverture de l'outre-mer aux produits européens. Il juge que « cette union douanière (...) aurait dû se doubler d'une union monétaire, ce qui eût bien simplifié les choses ». S'il perçoit les arrière-pensées du « monde industriel et commerçant », qui parie sur un marché commun dans lequel « n'interviendra jamais la politique », ainsi que celles des « hommes politiques qui pensent que l'union économique doit fatalement amener à l'Europe politique », il est conscient que « renvoyer ce traité, ce serait, une fois de plus, tourner le dos à l'idée européenne qui est pourtant une initiative française », notamment après l'échec de la CED.

Julien BRUNHES

Julien BRUNHES (Seine - Républicains indépendants), rapporteur au nom de la commission des transports, craint que le jeu du prix des transports qui demeurent dans le domaine de la compétence nationale, ne fausse la concurrence. Il souhaite l'avènement d'une politique commune des transports et insiste sur la nécessité de se doter des infrastructures fluviales et autoroutières reliant la France aux flux commerciaux de l'est et du nord. Au nom de la commission du travail et de la sécurité sociale, Maurice WALKERMaurice WALKER (Nord - Mouvement républicain populaire) réfute l'argument selon lequel l'Europe en construction serait une « petite Europe » : la population active des six n'est-elle pas comparable à celle des Etats-Unis ? Il admet que l'ouverture des frontières entraînera des « reconversions,[des] changements d'activités » mais a confiance dans les « méthodes modernes de formation professionnelle ».