Médaille de Gaston Monnerville 

Le 17 mars 1947, Gaston Monnerville est élu Président du Conseil de la République. Régulièrement réélu par ses pairs, il présidera la Haute Assemblée jusqu'en 1968. Il y représente la Guyane de 1946 à 1948, puis le Lot de 1948 à 1974. En fait, cette brillante carrière politique, qui le mènera jusqu'au Conseil constitutionnel en 1974, se dessine de manière fortuite ; elle n'entre pas dans les projets du jeune Gaston Monnerville.

Né en 1897 à Cayenne, il fait des études de droit à Toulouse et soutient brillamment sa thèse de doctorat sur l'enrichissement sans cause en 1924. Il s'inscrit au barreau de Toulouse, puis de Paris et devient le principal collaborateur du célèbre avocat parisien, César Campinchi. En 1931 s'ouvre le procès de quatorze Guyanais inculpés à la suite de l'émeute de 1928 provoquée par la fraude électorale et la mort suspecte de Jean Galmot. La plaidoirie de Gaston Monnerville, défenseur de deux d'entre eux, a un effet considérable : les accusés sont acquittés et, du jour au lendemain, le jeune avocat devient célèbre. Si célèbre que les Guyanais lui proposent de devenir leur député. Après quelques hésitations, il accepte et est élu en 1932. En 1937-1938, Camille Chautemps lui confie le sous-secrétariat d'État aux colonies dans ses deux cabinets successifs. Après la guerre, il est membre de l'Assemblée consultative provisoire et des deux assemblées constituantes. En novembre 1946, il se présente en Guyane aux premières élections législatives, mais il est battu. Quelques semaines plus tard, il est élu conseiller de la République dans ce même département « en son absence » et « sans avoir été candidat ».

Le Conseil de la République de 1946 est essentiellement une chambre chargée de donner des avis techniques sur des projets ou propositions de loi, mais qui, en aucun cas, ne peut être associée au contrôle gouvernemental. Gaston Monnerville, dans son premier discours présidentiel le 21 mars 1947, prend l'engagement de faire respecter les droits et prérogatives de la Haute assemblée et de la faire évoluer. Cette reconquête des pouvoirs perdus se fait petit à petit. Lors de ses réélections successives, le président en note les avancées dans ses interventions : il affirme en novembre 1948 que « notre Assemblée [n'est pas] souveraine ...mais elle n'en possède pas moins la totale indépendance d'une Chambre du Parlement ». Plus tard, il insiste sur la réforme constitutionnelle de 1954 qui permet au Conseil de la République , « simple donneur d'avis », de devenir « une assemblée législative effective ». En 1957, il explique sa conception du bicamérisme : « A côté d'une chambre sensible aux courants mouvants et variés de l'opinion publique, le Français veut une assemblée plus sereine, plus stable, représentative des entités géographiques, des collectivités locales qui constituent l'une des structures essentielles du pays ». Finalement, la Constitution de 1958 redonne au Sénat son nom et ses pouvoirs.

Photo de Gaston MonnervilleSa fonction de Président du Conseil de la République , il l'envisage en 1947, comme celle d'un « arbitre impartial entre les partis. Un arbitre... [qui] entend respecter et faire respecter les droits de tous les membres de cette assemblée, quel que soit le banc où ils siègent » et qui insiste sur le caractère indispensable de l'apport de chacun. Ses collègues apprécient son objectivité. Il devient très vite celui que l'on consulte en cas de crise, celui à qui l'on confie des missions délicates. En 1957, il est chargé par le Président de la République , René Coty, d'aller exposer aux pays d'Amérique latine la position de la France dans la guerre d'Algérie. En mai 1958, les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat ont pour mission de négocier avec le général de Gaulle, les conditions de son retour au pouvoir.

Outre son objectivité, son ouverture d'esprit et son intégrité proverbiale, sa fidélité à ses convictions est l'un de ses traits dominants. De 1932 jusqu'à la fin de sa vie, Gaston Monnerville est membre du parti radical : « Le radicalisme m'est toujours apparu comme le civisme sur le plan national, le patriotisme sans chauvinisme obtus, la recherche de l'entente avec les autres peuples, dans une volonté permanente de compréhension mutuelle, au-dessus de tout nationalisme étroit ». A la Chambre des députés, en compagnie de Jean Zay, Pierre Cot, Pierre Mendès-France, il fait partie des « Jeunes Turcs » qui souhaitent une réforme de l'organisation et de la pratique politique du parti et se situent à l'aile gauche. Au Conseil de la République , il s'inscrit en 1946 au groupe du Rassemblement des gauches républicaines. En 1965, il est partisan convaincu de la Fédération de la gauche démocrate et socialiste et, lors de la scission de 1972, il adhère au Mouvement des radicaux de gauche.

Cette unité de vie se retrouve dans son amour pour la France et la République française. Il naît sur les bancs de l'école primaire : « Le fils d'outre-mer que je suis, doit tout à la République. C 'est elle qui, dans ma Guyane natale, est venue m'apporter la dignité et la culture. C'est elle qui m'a tout appris et qui a fait de moi ce que je suis ». Ce lien fort qui l'attache à la France , l'accompagne au cours de ses engagements d'adulte. En 1939, parlementaire, âgé de plus de quarante ans, il n'est plus mobilisable. Il obtient de Daladier un décret-loi autorisant ceux qui le souhaitent à s'engager. Il sert alors comme officier de justice sur le cuirassé « Provence » et se trouve à Mers-el-Kébir, le 3 juillet 1940, lors de la dramatique attaque de la flotte anglaise. Démobilisé, il s'engage dans la Résistance , fait partie du réseau Combat et rejoint le maquis d'Auvergne. Quelques années plus tard, il décrit cet attachement comme « un sentiment très pur, fondé sur beaucoup de gratitude, un amour qui rejoint mon culte pour l'égalité ».

De ce lien fort découle le respect des lois de la République et de la Constitution , source du conflit qui éclate en 1962 entre Gaston Monnerville et le général de Gaulle. Ce dernier, souhaitant une élection du Président de la République au suffrage universel, décide d'organiser un référendum. Le 29 septembre, Gaston Monnerville à la tribune du congrès du parti radical, annonce son opposition au projet et développe longuement les raisons de ce qu'il considère comme « un viol de la Constitution  » et une « forfaiture ». Le 9 octobre, il prononce à la tribune du Sénat un discours devenu célèbre : « Dans sa récente allocution télévisée, le Président de la République a dit : « J'ai le droit ! ». Avec la haute considération due à ses hautes fonctions, mais avec gravité, avec fermeté, je réponds : « Non, Monsieur le Président de la République , vous n'avez pas le droit. Vous le prenez ! ». Le général de Gaulle remporte le référendum et le Conseil constitutionnel, saisi par Gaston Monnerville, se déclare incompétent.

Emplacement hémicycle (JPG - 200 Ko)La personnalité de Gaston Monnerville est indissociable de sa lutte pour les droits de l'homme, contre le racisme et l'antisémitisme. En 1928, il milite, dès sa création, à la Ligue internationale contre l'antisémitisme, LICA. Il participe en 1933 au meeting du Trocadéro en faveur des juifs allemands et dénonce « les actes de l'obscurantisme hitlérien ». En 1940, il proteste auprès du gouvernement de Vichy contre les mesures discriminatoires prises à l'encontre « des juifs, des arabes et des hommes de couleur ». Il va jusqu'au bout de son engagement en défendant, en tant qu'avocat, des résistants ainsi que des juifs. Il combat le racisme jusqu'à la fin de sa carrière politique. En 1972, il dépose sur le bureau du Sénat, une proposition de loi tendant à la répression de toutes les formes de discriminations et de ségrégations raciales, ethniques ou religieuses, qui, reprise par le garde des sceaux, est adoptée et devient la « loi Pleven ».

On ne peut évoquer Gaston Monnerville sans mentionner son attachement à son pays natal, la Guyane , et à l'Outre-mer en général, ainsi que son culte pour Victor Schoelcher, dont il obtient le transfert des cendres au Panthéon avec celles de Félix Eboué. C'est le jour de la commémoration du 150ème anniversaire de l'abolition de l'esclavage, le 28 avril 1998, que le Sénat choisit d'honorer son ancien président, Gaston Monnerville, en apposant une médaille à son effigie dans l'hémicycle.

Signature de Gaston Monnerville

Gaston Monnerville sur le site du Sénat