Mérimée a trente-huit ans en 1841 et il rêve de siéger à l'Institut. Il éprouve quelque difficulté à choisir entre l'Académie des inscriptions et belles-lettres et l'Académie française auxquelles sa carrière lui permet de prétendre. S'il est plus tenté par la seconde, la première lui paraît plus accessible. Il résoudra ce dilemme en se faisant élire à ces deux prestigieuses institutions.

Il commence son approche par l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Tenté depuis longtemps d'écrire une vie de César, c'est à l'intention de ses futurs électeurs qu'il publie en 1841 son Essai sur la guerre sociale. « On m'a dit que pour leur plaire il fallait être ennuyeux » prétend-il à Mme de Boigne en 1842. Mais les académiciens sont jeunes, seulement trois dépassent la soixantaine. « Le premier qui mourra sera cause que je ferai trente-neuf visites » écrit-il à Jenny Dacquin, et à Mme de Montijo en 1843 : « Il ne meurt pas le moindre académicien. Malgré l'étrangeté de la saison tous se tiennent en bonne santé. » La chance, si l'on peut dire, lui sourit sous la forme du décès de M. Fortia d'Urban «qui s'est enfin rendu aux sollicitations de Pluton » comme il l'écrit à Saulcy, inspecteur divisionnaire de la Société d'archéologie. Mérimée prend conseil auprès de ses amis : il souhaite faire acte de candidature sans que cela lui nuise pour l'Académie française. Il se lance dans de savants calculs auprès de Thiers : « « Il meurt un académicien et quart par an ; d'ici quatre ans, cinq vacances. Si je suis nommé aux inscriptions d'ici un an, je ne pourrai montrer le bout de mon nez, mais dans deux ans, lorsque deux de vos collègues seront partis pour le temps de Mémoire, pourrai-je timidement hasarder une première démarche ? On me dit qu'on ne réussit qu'à la troisième ». Une fois prise sa décision, Mérimée est inquiet. « L'élection se fera le deuxième vendredi de novembre, écrit Saulcy à La Saussaye, le pauvre Prosper a un grand serrement de derrière rien qu'à penser à ce jour d'épouvante ». Le 17 novembre 1843, Mérimée est élu au premier tour membre libre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres par vingt-cinq voix contre onze à son principal adversaire, Ternaux-Compans, maître des requêtes et député des Ardennes. « Vingt-sept déclarent avoir voté pour moi, écrit-il à la comtesse de Montijo. Notre-Seigneur trouva un traître parmi les douze apôtres. Je suis mieux partagé, n'en comptant que deux sur vingt-sept ».

A peine remis de ses émotions, l'infatigable Mérimée reprend son bâton de pèlerin et entame sa quête de l'immortalité. Quatre mois après son élection, il porte son choix sur l'un des trois fauteuils vacants à l'Académie française, celui de Charles Nodier. Le ballet des visites reprend sur un rythme plus soutenu. « Le plus drôle, écrit-il à Jenny Dacquin, c'est quand on rencontre des rivaux. Plusieurs vous font des yeux à vous manger tout cru. Je suis excédé de toutes ces visites ».  Mérimée fait d'abord cautionner sa lettre de candidature par Pierre Lebrun et Victor Cousin. Il peut aussi compter sur les voix de Thiers, de Molé, du chancelier Pasquier, de Mignet, de Chateaubriand, de Barante, de Tocqueville, de Villemain et de Guizot. Il est élu le 14 mars 1844 au septième tour au fauteuil de Nodier avec dix-neuf voix contre treize à Bonjour et quatre à Vigny. Mais le plus dur reste à faire : le discours de réception. Mérimée n'avait jamais vu Nodier et le personnage lui était profondément antipathique. « Il me faut d'abord lire ses ouvrages, ce qui n'est pas toujours facile ni trop amusant, puis les louer, ce qui coûtera à ma franchise », écrit-il à Mme de Montijo. Il avoue à Albert Stapfer : « Il m'a fallu lire les oeuvres complètes de Nodier... C'était un gaillard très taré qui faisait le bonhomme et avait toujours la larme à l'oeil. Je suis obligé de dire dès mon exorde que c'était un infâme menteur. Cela m'a fort coûté à dire en style académique. Enfin, vous entendrez ce morceau si je ne crève pas de peur en lisant ». Le grand jour est fixé au 6 février 1845. Etienne étant gravement malade, Mérimée fut reçu par Viennet, chancelier.  « Mon visage était de la même couleur que les broderies vertes de mon habit » écrit-il à Mme de Montijo. Mais tout se passe bien : « Je me suis trouvé un aplomb rare. Je ne sais si le public a été content de moi, je le suis de lui.... » écrit-il à Jenny Dacquin. L'accueil de la presse fut plus mitigé. La Quotidienne trouve le discours monotone, Les Débats ne sont guère plus chaleureux : « La mesure et la sobriété sont les seuls mérites que nous ayons remarqués dans le discours que nous avons entendu. »

Discours prononcé par Mérimée à l'Académie française