La dernière séance

Le 4 septembre 1870, les sénateurs du Second Empire se réunissent pour la dernière fois au Palais du Luxembourg. La séance est ouverte à midi et demi,, et présidée par Eugène Rouher : « ... la foule aurait envahi le Corps législatif pendant que celui-ci était désagrégé et dispersé dans ses bureaux...

Eugène ROUHER

A l'heure actuelle, il n'est pas possible de savoir où sont messieurs les députés, de telle sorte qu'il est impossible de savoir quand on pourra reprendre une délibération régulière.

Voilà la situation. Je l'expose, non pour influencer les décisions du Sénat. Tout ce qu'il fera pour sa dignité sera certainement à la hauteur des circonstances, mais afin que les éléments de cette situation lui soient parfaitement connus au moment où il sera appelé à prendre une détermination.

Après avoir délibéré du point de savoir s'il fallait ou non rester en permanence, et à quel moment il conviendrait de se réunir à nouveau, les sénateurs se séparent à trois heures et demi en adoptant la proposition du vice-président Boudet : « Je demande au Sénat de se réunir demain, à son heure ordinaire, à deux heures, sans tenir compte des événements extérieurs, pour recevoir, s'il y a lieu, les communications du Corps législatif, à moins que les circonstances exigent que M. le président nous convoque auparavant. »

Eugène Rouher, rentré au Petit-Luxembourg, donna l'ordre d'opérer son déménagement et il partit immédiatement pour son château de Cernay.

Vidé de ses occupants et privé de ses fonctions, le Luxembourg cesse d'être le Palais d'une des grandes institutions de l'Etat. Un décret du 10 octobre 1870 le fait dépendre du ministre de l'instruction publique et des cultes, et un autre, daté du 15 octobre 1871 du ministre des travaux publics, pour l'entretien et la conservation des bâtiments et jardins.

L'ambulance

Auparavant, les sénateurs avaient unanimement décidé qu'une ambulance de 275 lits serait aménagée au Palais du Luxembourg pour accueillir et soigner les militaires blessés.

Ambulance dans le Jardin du Luxembourg)

Annexe du Val-de-Grâce, cette ambulance, placée sous la direction du docteur Danet, est en mesure de fonctionner dès le 11 septembre 1870. Elle s'emplit rapidement et, bien vite, il faut ajouter des lits qui permettent d'accueillir 340, puis 520 blessés.

« Mais comme tout alors changea d'aspect ! » écrit Louis Favre dans son ouvrage Récits et confidences sur un vieux Palais. « Dans la grande cour, plus de carrosses de gala, plus de valets aux riches livrées, plus de messagers chamarrés d'or ; sous le porche passaient les civières portant les blessés, les fourgons chargés de pauvres mutilés, les ambulanciers, les médecins,  les soeurs gardes-malade. On avait mis des lits partout, dans les couloirs, dans les salles du rez-de-chaussée, dans les salons du premier étage. »

L'ambulance fut maintenue jusqu'aux derniers jours de la Commune. Elle fut, en partie installée dans le musée qui occupait alors la galerie Est du Palais (actuelle Annexe de la Bibliothèque). D'abord destinée aux combattants de la guerre de 70, elle accueillit aussi par la suite les gardes nationaux. Lorsque l'insurrection du 18 mars 1870 éclate, 400 gendarmes, gardes républicains et soldats de l'armée régulière sont hospitalisés dans l'ambulance du Luxembourg ; plus tard 97 Fédérés vinrent s'y ajouter.

Les bombardements

Début janvier 1871, les bombardements prussiens font rage sur Paris et n'épargnent pas le Palais du Luxembourg. Ils dureront pratiquement tout le mois.

Un subordonné anonyme de Constant Dufeux, architecte du Palais, a tenu un journal rendant compte très précisément des dommages subis par le Palais et le jardin (PDF - 9.71 Mo).

« Du 5 janvier 1871

1er jour du bombardement de Paris. Dans la matinée et la journée les forts du sud seuls ont été bombardés ; dans la soirée et dans la nuit les obus prussiens sont arrivés dans Paris jusqu'au Luxembourg... 

Dans la soirée des mesures de précaution ont été prises pour parer aux accidents qui pourraient arriver au Palais ou à ses dépendances ; 30 seaux en zinc pleins d'eau ayant chacun une grosse éponge et une couverture ont été placés dans la bibliothèque et dans les corridors qui l'avoisinent ... ».

Devis des travauxLes bombardements seront ininterrompus dans le quartier à partir de 10 heures du soir du 7 janvier jusqu'au matin du 10 janvier. Un autre témoignage est fourni par Hustin, dans Le Luxembourg, son histoire :

un devis s'élevant à 10 970 francs est remis à M. Constant Dufeux pour la réparation des dégâts occasionnés par les bombardements.

LE PALAIS DU LUXEMBOURG SOUS LA COMMUNE

Le 30 mars a lieu la première visite du délégué de la Commune au Palais, M. Tony-Moilin, maire provisoire du VIe arrondissement. Celui-ci revient le 8 avril et demande qu'un état du personnel et du logement lui soit remis « le plus promptement possible ».

Le 11 avril, vers 6 heures du soir, des gardes nationaux se présentent au Palais, au nom de la Commune, pour faire des perquisitions à l'effet de rechercher des armes de guerre et repartent après une recherche infructueuse. « Vers sept heures, nous dit le journal déjà cité, les mêmes gardes nationaux sont revenus et se sont fait ouvrir toutes les caves du côté ouest du Palais ; les portes dont les clés n'étaient pas immédiatement mises à leur disposition ont été défoncées ou forcées... Il va sans dire que toutes ces recherches n'ont eu aucun résultat puisque le Palais ne contient aucune arme de guerre autres que celles des habitants qui font partie de la Garde nationale. »

La bibliothèque

Le bibliothécaire, Etienne Gallois, avait écrit à Saint-René Taillandier, secrétaire-général du ministère de l'Instruction publique, qu'il était « obligé de céder à la force et de se soumettre aux injonctions des délégués de la Commune » et il s'était retiré à Vitry-le-François. Dès le 27 mai 1871, le ministre l'invite à prendre immédiatement possession de son poste.

La Commune lui avait trouvé provisoirement un remplaçant : Charles Quentin, né à Cambrai en 1826, avocat à Douai, brillant collaborateur de l'Avenir national de Peyrat et du Réveil de Delescluze.

« Dès sa première visite, écrit un témoin oculaire, il se présenta de la façon la plus courtoise, demanda quelques renseignements sur la bibliothèque, puis, ayant choisi quelques livres, il s'installa dans un des salons contigus à la galerie et passa ses heures à lire. Il vint ainsi, à peu près chaque jour, pendant une ou deux semaines, et abandonna ensuite ses fonctions qu'il n'avait occupées, m'a-t-on dit, que dans l'intention de sauver la bibliothèque si elle était menacée. »

Quentin, ami de Gambetta, ne fut pas inquiété pour sa participation discrète à la Commune. Il collabora à La Petite République, devint conseiller municipal de Paris pour le quartier du Père-Lachaise, fut directeur de l'Assistance publique de 1880 à 1885 et termina sa carrière comme receveur des finances du IIe arrondissement de Paris. Il mourut en 1905.

Le musée

Dès septembre 1870, des mesures sont prises pour mettre en sûreté les œuvres d'art et un règlement est édicté par le gouvernement de la défense nationale. Les grandes toiles  roulées, et les petites, sorties de leur cadre, sont descendues dans les salles voûtées du rez-de-chaussée du Palais et la galerie sert d'ambulance.

Le directeur du musée est alors Philippe de Chennevières dont le rêve est de faire du Luxembourg « le Palais de l'art contemporain comme le Louvre est celui de l'art ancien ». Le conservateur, M. de Tournemine, soucieux de la sauvegarde des objets d'art qui lui sont confiés, doit affronter à plusieurs reprises les délégués de la Commune. La nuit du 13 mai, il est arraché de son lit par des Fédérés qui, pistolet au poing, le conduisent devant le colonel Bernard qui, le considérant comme le chef principal de l'administration du Palais, lui intime l'ordre, sous peine d'être fusillé, d'ouvrir toutes les galeries et de l'accompagner dans ses perquisitions.

Une commission de 47 artistes (Corot, Daumier, Manet, Millet, Dalou...) émanant de la Fédération des artistes de Paris créée par Gustave Courbet. André Gill comme administrateur provisoire du musée du Luxembourg en avril 1871.

L'explosion de la poudrière

Les troupes de l'armée régulière gagnant du terrain, l'insurrection se replie et incendie les maisons particulières et les palais nationaux.

Dès le mardi 23 mai, le Palais doit faire face à une vive alarme. Des Fédérés en armes se présentent à la porte du Luxembourg et font pénétrer, en dépit des protestations des gardiens, un fourgon chargé de bonbonnes de pétrole dans la cour d'honneur. Par chance, les Fédérés reviendront prendre leur dangereuse cargaison le soir même sans que l'ordre ait été donné de mettre le feu au Palais.

Le 24 mai, des Fédérés se présentent à nouveau au Palais. Ils font évacuer l'ambulance et menacent de tout brûler. M. de Tournemine parlemente et cherche à gagner du temps. Le quartier est en feu. Le général de Cissey et le général Bruat affrontent les Fédérés. Ceux-ci allument les mèches de la poudrière établie dans les terrains vagues du Luxembourg et une explosion formidable ébranle tout le quartier.

Le Journal officiel du 28 mai 1871 rend compte d'un rapport adressé au ministre de l'instruction publique par le directeur des beaux-arts : « Le Luxembourg a été épargné par l'explosion de la poudrière. M. de Tournemine et les autres fonctionnaires du musée ont empêché par leur courage et leur dévouement que l'incendie préparé sous leurs yeux n'éclatât et réduisit en cendres le Palais et les collections confiées à leur garde ».

Dans le journal de l'adjoint de l'architecte, à la journée du 26 il est consigné : «Au Palais ... les vitres, une partie des glaces répétant les croisées, les menuiseries des fenêtres et des portes ont été en très grande partie brisées par la commotion qui s'est fait sentir également et avec les mêmes effets au Petit Luxembourg, aux communes et au pavillon des gardiens ».

L'explosion a également causé de grands dégâts à la toiture du Palais et de ses dépendances. Une lutte s'engage, après l'explosion, entre les troupes de Versailles qui occupaient le Palais, et les insurgés, qui défendaient le Panthéon et les barricades de la rue Soufflot, et de nombreux obus et boulets viennent ajouter aux dommages déjà causés par l'explosion.

Le général de Cissey s'étant installé au Petit Luxembourg, le Palais devient une place d'armes, une prison et le siège d'une cour martiale.

La préfecture de la Seine

La Commune vaincue, le Palais est affecté à la préfecture de la Seine, l'Hôtel-de-Ville de Paris ayant été incendié le 24 mai, comme tant d'autres monuments de la capitale.

Incendie de l'Hôtel-de-Ville

Dans le journal de l'adjoint de l'architecte on peut lire à la date du dimanche 28 mai : « MM Davioud et Proguet, architectes de la Ville, viennent aujourd'hui dimanche pour faire une visite à M. Constant Dufeux et lui apprendre qu'en vertu d'un arrêté du chef du pouvoir exécutif le Luxembourg est mis à la disposition de la Préfecture de la Seine. En l'absence de M. Constant Dufeux je reçois ces messieurs et je les préviens qu'en l'absence de mon chef je protesteras contre la prise de possession tant que je n'aurais pas un ordre régulier. »

C'est un arrêté du chef du pouvoir exécutif daté du 31 mai 1871 qui mit à la disposition de l'administration  municipale de la ville de Paris, pour l'installation de ses services, les parties disponibles du bâtiment. Le Préfet de la Seine s'installe au Petit-Luxembourg et dispose d'une partie des communs du 36 de la rue Vaugirard. Pour le Palais les épreuves ne sont pas terminées.  Les services municipaux s'installent tant bien que mal et n'hésitent pas à cloisonner les salons ; la galerie du Trône est sectionnée.

 Le décor du Palais en souffre beaucoup. Le Conseil municipal délibère dans la salle des conférences et l'hémicycle devient même une salle d'examens.

Favre raconte : « Ils (les architectes) bâtirent des baraques dans la cour ; ils établirent des cloisons, des séparations, des armoires, dans les salons, dans les couloirs, dans l'orangerie ; ils placèrent le conseil municipal dans la galerie des fêtes, les bureaux d'examen dans la salle des séances... Les registres, les imprimés, les cartons du Sénat de l'Empire, chassés de chambre en chambre, avaient été jetés pêle-mêle dans la salle des archives, située au deuxième étage. L'asile des documents parlementaires était devenu un couloir ouvert à tous vents, un débarras de papiers maculés, de meubles hors de service, de bureaux écornés, de chaises brisées, de canapés vomissant le crin... ».

Cette situation dure quelques années jusqu'à ce que la loi du 22 juillet 1879 organise le retour de Versailles à Paris du siège du pouvoir exécutif et des deux chambres. Le Sénat réintègre le Palais du Luxembourg et lui rend le faste et la dignité qui n'auraient jamais dû cesser d'être les siens