Une autre Assemblée prend le nom de Sénat. Elle sera composée des éléments qui, dans tout pays, créent les influences légitimes : le nom illustre, la fortune, le talent et les services rendus ».

Le Sénat impérial se compose tout d'abord de membres de droit. Il s'agit des princes de la famille impériale, des cardinaux, des maréchaux et des amiraux. Le reste du corps est constitué de membres nommés à vie par l'Empereur. L'ensemble ne doit pas dépasser le nombre de 150 sénateurs (art.19 de la Constitution). Le titre de sénateur a donc un caractère honorifique très marqué, qui explique son attribution à des personnalités extrêmement variées, dont l'engagement politique est parfois ténu.

L'inviolabilité des sénateurs et l'inamovibilité de la charge ne suffisent pas à garantir l'indépendance des sénateurs, amoindrie par leur mode de recrutement et par des dotations annuelles accordées par l'Empereur. En effet, si la gratuité des fonctions est posée comme principe, elle est dès l'origine contredite par la possibilité pour Louis-Napoléon Bonaparte d'accorder ou non des dotations de 15 000 à 30 000 francs. Il est vite remédié à cette situation : un senatus-consulte, daté du 25 décembre 1852, établit qu'une dotation de 30 000 francs est automatiquement attachée à la fonction de sénateur, supprimant ainsi les faveurs arbitraires, contraires à la dignité de la charge sénatoriale. Néanmoins, les sénateurs, comme les membres du Corps législatif, sont tenus de prêter un serment de fidélité à l'Empereur.

Par ailleurs, aucune règle d'incompatibilité entre la fonction de sénateur et une autre charge n'est fixée, ce qui permettra à de nombreux magistrats, militaires ou préfets, tel Haussmann, de cumuler les fonctions. La possibilité pour les préfets d'entrer au Sénat fut vivement critiquée par les sénateurs eux-mêmes. Pour de multiples raisons, le Conseil d'Etat, corps administratif, leur paraissait plus adapté au couronnement d'une carrière préfectorale.

L'organisation du Sénat est soumise à l'Empereur. Celui-ci fixe la durée et les dates des sessions. Il choisit également le président et les vice-présidents, qui sont nommés pour un an. Initialement, les séances ne sont pas publiques. De 1852 à 1861, seul le procès-verbal rend compte de la séance et il n'est pas diffusé hors du Parlement. A partir de 1861, les débats sont publiés in extenso. Enfin, en 1869, les séances deviennent publiques.

Les Sénateurs

Dès la promulgation de la nouvelle constitution, le comte Horace de Viel-Castel note : "chacun se prépare à la curée des places et des pensions. Tout le monde voudrait être sénateur ou au moins conseiller d'Etat."

Louis Favre lui fait écho et rapporte cette anecdote du début de l'année 1852, lors de la visite de Louis-Napoléon au Palais du Luxembourg :

"Le prince parcourut ensuite l'hémicycle réservé aux membres de la Chambre et apercevant de petits papiers fixés sur le dos de quelques uns des fauteuils :
- Qu'est-ce que cela ? dit-il à l'architecte.
- Monseigneur, [répond le général Fleury qui l'accompagne] ce sont les noms des sénateurs que vous venez de nommer et qui ont déjà choisi leurs sièges....
Le prince éclate de rire...
- Comment ! Déjà ? dit-il ! Mais le décret qui institue le Sénat est à peine paru !"

Le changement de régime ne modifie en rien l'attrait pour l'institution sénatoriale : "tout au commencement de l'Empire, rien n'était recherché comme les places de sénateur. De tous les côtés les demandes affluaient" précise le Maréchal Canrobert dans ses Mémoires.

En 1852, l'armée fournit le quart des sénateurs, mais dans l'hémicycle siègent aussi une vingtaine d'anciens pairs de la Monarchie de Juillet (le duc de Breteuil, le comte d'Argout et le prince de Beauvau), d'anciens députés de l'Assemblée de 1848 (Lucien Murat et le duc de Padoue), des magistrats (Troplong), des industriels (Mimerel, Lebeuf). En 1856, on compte dix-sept membres de l'Institut parmi les sénateurs.

Sur les quelque 350 sénateurs nommés entre 1852 et 1870, trente sont ou ont été préfet. Cette forte représentation provoque en 1861 la protestation du baron de Ladoucette : "il serait vivement à désirer que si d'autres préfets, devant continuer leurs fonctions, méritaient une distinction au-dessus de leurs collègues, il leur en fut attribué une autre que l'entrée au Sénat".