1891 - 2001 : 110ème anniversaire du Groupe de la Gauche démocratique du Sénat

Le mot "radical" apparaît pour la première fois en France en octobre 1819 dans le journal " Le Conservateur" qui associe dans un commun mépris " les songe-creux, les idéologues, les réformateurs, les radicaux, les illusionnistes". Sous la Monarchie de Juillet, ce terme devient d'un emploi plus courant dans le vocabulaire politique. Puis au fil des années, il évolue passant de l'extrémisme au juste milieu.

La création, il y a 100 ans, du parti radical, le plus vieux parti de France, est l’aboutissement d’un processus de structuration de ce courant politique. Elle est également étroitement liée à la vie des groupes parlementaires "radicaux" au sein de la Chambre des députés et du Sénat, groupes qui avaient été créés quelques années plus tôt.

Les débuts du radicalisme (1830 – 1870)

Émergence d'un courant radical

Garnier-PagèsSous la Restauration, le courant radical se confond avec le parti républicain, mais à partir de 1830, il se précise et s'affirme : sa principale revendication porte sur le suffrage universel. Garnier-Pagès, élu député de l'Isère en 1831 est considéré comme le premier parlementaire radical français. Battu en 1834, il est réélu dans la Sarthe en 1835. A la Chambre, il regroupe autour de lui de jeunes députés : parmi eux, François Arago qui prononce en mai 1840 un discours demandant l'établissement du suffrage universel et proclamant la nécessité "d'organiser le travail". L'association de ces deux thèmes constitue une nouveauté et une évolution de la pensée radicale.

A la mort de Garnier-Pagès le 26 juin 1841, un jeune avocat, Ledru-Rollin, lui succède. Sa profession de foi publiée dans "Le Courrier de la Sarthe" lui vaut des poursuites judiciaires et de ce fait, lui assure une large publicité. La Révolution de 1848 offre aux radicaux leur première expérience gouvernementale : Ledru-Rollin est nommé ministre de l'intérieur, Hippolyte Carnot, ministre de l'instruction publique et Victor Schoelcher, secrétaire d'Etat à la marine.

Gambetta

GambettaLe coup d'État du 2 décembre 1851 réduit au silence les radicaux. Mais, à partir de 1860, émerge une nouvelle génération sous le patronage moral de Jules Simon. Peu après, un nouveau chef de file s'impose: Gambetta. En 1869, il publie son programme électoral, inspiré des cahiers de doléances de 1789, sous le titre "Le cahier de mes électeurs" plus connu sous le nom de "Programme de Belleville". Les points essentiels traitent de la défense du suffrage universel, du développement des libertés dans tous les domaines - presse, réunion, association, religion - et de l'obligation d'une instruction primaire, publique, laïque et gratuite. En 1870, avec Jules Favre, Gambetta proclame la République. Nommé ministre de l'intérieur dans le gouvernement de Défense nationale, il incarne aux yeux des Français l'esprit de résistance.

En 1871, 70 députés radicaux sont élus, dont Gambetta, qui prononce le 26 septembre 1872 à Grenoble un discours annonçant l'apparition dans la vie politique française "d'une couche sociale nouvelle". Pour les conservateurs, ces propos sont scandaleux, ils y voient un appel à l'agitation et à la subversion. Ils demandent au Gouvernement "de combattre l'audace croissante du radicalisme".

A la même époque, une élection partielle à Paris voit la victoire du candidat radical, Barodet, sur le ministre des affaires étrangères, Charles de Rémusat. En conséquence de ces deux événements : Thiers, taxé de faiblesse par la majorité monarchiste, doit quitter le pouvoir.

Le radicalisme et la IIIe République

Le temps des divisions

ThiersLes républicains remportent les premières élections de 1876 avec 295 sièges dont 80 pour les radicaux. L'attitude modérée de Gambetta suscite des critiques dans son propre groupe et certains cherchent à s'en démarquer. Deux tendances se font jour : les "radicaux", intransigeants, avec Louis Blanc et Clemenceau et les "opportunistes" avec Gambetta, prêts à accepter des responsabilités gouvernementales et qui, peu après, forment l'Union républicaine. Un terme temporaire va être mis à cet éparpillement des forces par la crise du 16 mai 1877. Républicains et radicaux, soucieux de défendre les droits du Parlement, vont signer ensemble le manifeste des 363 contre le cabinet de Broglie.

Mais l'opposition entre opportunistes et radicaux resurgit et s'accentue : Clemenceau exige des réformes immédiates et accuse les opportunistes d'immobilisme.

Le 21 octobre 1880, reprenant le "Programme de Belleville", il prononce un discours important à Marseille : il réclame la séparation de l'Église et de l'État, la confiscation des biens des congrégations, la suppression du Sénat, l'élection des magistrats, l'autonomie municipale, l'impôt sur le revenu, la limitation de la durée légale de la journée de travail, la retraite des vieux travailleurs, la responsabilité des patrons en cas d'accident, le rétablissement du divorce et la reconnaissance du droit syndical.

Aux élections de 1881, l'Union républicaine de Gambetta triomphe, tandis que les députés radicaux se scindent en deux groupes : "l'Extrême gauche radicale socialiste" avec Louis Blanc, Barodet, Tony Révillon et Clemenceau et la "Gauche radicale" rassemblant ceux qui n'admettent pas la rupture et qui adhèrent également à l'Union républicaine de Gambetta, avec Charles Floquet, Allain-Targé, Henri Brisson.

Durant cette période, les radicaux votent avec la majorité républicaine les lois scolaires, la loi municipale, la loi sur le divorce et la loi reconnaissant l'existence des syndicats. En revanche, ils s'opposent violemment à la politique coloniale de Jules Ferry et contribuent à sa chute le 30 mars 1885. Ce dernier est remplacé par Brisson : c'est le premier gouvernement dirigé par un radical. Sa modération exaspère les intransigeants.

"Du jour au lendemain, le radicalisme de Brisson fondit comme du beurre dans la poêle" (Rochefort).

Le temps des crises

Le Général BoulangerPendant deux années, en 1886 et 1887, le général Boulanger, nouveau ministre de la guerre du cabinet Freycinet, a le soutien des radicaux. Mais dès 1888, les aspects plébiscitaires de la campagne qui s'organise autour de lui et l'appui des royalistes et des bonapartistes conduisent les radicaux à la rupture. Malgré cela et malgré le rôle de Clemenceau, à la Société des Droits de l'Homme et du Citoyen, très antiboulangiste, Challemel-Lacour accuse, le 19 décembre 1888 au Sénat, le radicalisme d'avoir provoqué la crise boulangiste.

A la mort du général Boulanger, quelques personnalités radicales, discréditées ou abusées, disparaissent de la vie politique ; l'électorat radical connaît un net recul.

En 1891, Combes crée au Sénat le groupe de la "Gauche démocratique" réunissant radicaux et radicalisants. A la Chambre, Pelletan tente de former le groupe "Républicain radical-socialiste".

Le scandale de Panama pèse lourdement sur les élections de 1893. Brisson député radical, préside la commission d'enquête avec beaucoup d'impartialité. Un autre radical, Floquet, est obligé de quitter la vie politique et Clemenceau qui a suscité beaucoup de rancoeur est battu dans le Var.

En 1895, le Président de la République appelle au pouvoir le radical Léon Bourgeois qui forme, le 1er novembre, un gouvernement à prédominance radicale. Son programme, limité en ce qui concerne les réformes sociales, ne suscite pas de réelle opposition ; il n'en est pas de même pour l'impôt sur le revenu et le cabinet Bourgeois tombe le 29 avril 1896.

Le redressement

Ministère Waldeck-Rousseau Ministère Combes

Aux élections de 1898, les radicaux ont accru leur audience. Clemenceau qui fait sa rentrée politique est parmi les premiers à soutenir le capitaine Dreyfus. Devant les menaces nationalistes et l'antidreyfusisme violent de la presse catholique, les différentes tendances radicales s'unissent pour défendre la république et s'opposer au cléricalisme.

Un gouvernement de "défense et d'action républicaines" est formé en 1899 par Waldeck Rousseau ; il comprend parmi ses membres deux radicaux (les ministres des travaux publics et de la marine). Les réformes sociales de ce nouveau gouvernement s'inscrivent dans le droit fil du programme radical.

Le Congrès et la naissance du parti Républicain, radical et radical-socialiste (1900-1902)

L'organisation

La perspective des élections législatives de 1902 conduisent les radicaux à essayer de renforcer leur union. Le "Comité d'action pour les réformes républicaines" créé en 1895 et qui avait lors des élections de 1898 soutenu et organisé la campagne des radicaux, fusionne avec la "Ligue d'action républicaine" créée en 1900 pour réagir contre le succès électoraux des nationalistes à Paris.

Extrait de journal annonçant le congrèsLes animateurs du nouveau comité décident d'envoyer une circulaire à toutes les organisations proches du radicalisme, comités et loges maçonniques et aux journaux républicains. Pour combattre "le cléricalisme et défendre la république", ils proposent la réunion d'un congrès à Paris et précisent que "les délibérations ne porteront pas sur l'établissement d'un programme nouveau. Notre programme est connu. Il a été fixé par nos pères". Les réponses sont si nombreuses que le congrès fixé primitivement au mois de mai, est reporté au 21 juin.

Le déroulement et les travaux

A l'ouverture, dans la grande salle des sociétés savantes, se pressent

  • 78 sénateurs
  • 201 députés
  • 476 comités
  • 155 loges maçonniques
  • 849 délégués des conseils généraux, municipaux et d'associations diverses
  • 215 journalistes

Un grand absent : Clemenceau qui refuse d'y participer.

Dessin paru dans La République - 26 juin 1901Trois présidents désignés par acclamation se succèdent pendant les trois jours de ce congrès : Goblet préconise l'alliance avec "toute la gauche" ; Brisson insiste sur la lutte contre les congrégations ; Bourgeois se prononce en faveur de l'impôt sur le revenu et exprime son attachement à la propriété individuelle.

Gustave Mesureur, député de Paris et auteur de la circulaire, propose la nomination d'une grande commission, chargée des questions relatives au programme et à la constitution du nouveau parti. Parmi les membres de cette commission figurent quatre sénateurs : Delpech (Ariège), Rousse (Charente inférieure), Pédebidou (Hautes Pyrénées) et le docteur Béraud (Vaucluse).

Un bureau permanent est également nommé, comprenant Brisson, président, Bourgeois et Pelletan, vice-présidents, Renou et Maurice Sarraut, secrétaires.

Plusieurs sous-commissions sont constituées : l'une d'entre elles est chargée de l'organisation du parti ; elle prévoit dans son rapport la tenue d'un autre congrès dès l'année suivante à Lyon afin de poursuivre la rédaction des statuts. Une autre sous-commission, chargée de l'examen des voeux divers, accepte nombre de suggestions mais en refuse une : l'égalité des droits des hommes et des femmes.

La déclaration finale lue par Pelletan reprend les grands thèmes du radicalisme : suppression de l'enseignement congréganiste, séparation de l'église et de l'État, réduction du service militaire, abolition des conseils de guerre, impôt progressif sur le revenu et retraites ouvrières. Il insiste sur " un attachement passionné au régime de la propriété individuelle ".

Le nouveau parti

Extrait du CharivariIl s'inspire du modèle anglais. De structure pyramidale, il va des comités communaux au comité exécutif siégeant à Paris. Sa vocation est de rassembler les formations éparses. Il est constitué à la base de petites associations et non pas d'individus adhérant isolément.

Mais est-ce bien le mot parti qui convient ? "La Dépêche de Toulouse" le qualifie de "groupement d'un certain nombre de personnes unies par une libre communauté de vues sur un certain nombre de points" ou "d'ensemble d’électeurs qui se groupent autour d'un programme".

Quelle que soit la dénomination adoptée, les élus radicaux viennent essentiellement de régions qui ont en commun une certaine indifférence religieuse : le Bassin Parisien au sens large du terme, le Bas-Languedoc, la région alpine, le Centre, le Massif Central, le Centre-Est, le Vaucluse et la Drôme, la Charente-Inférieure, le Lot, le Gers, les Hautes-Pyrénées, l'Ariège et la région de Toulouse.

Les critiques sur ce congrès sont nombreuses : "On a bien parlé, on a bien écrit au congrès radical, il ne reste plus qu'a bien faire" écrit Clemenceau et "Le Temps" de renchérir "Des discours ! Ce furent tous les travaux de cette assemblée à grandes prétentions".

Mais aux élections de 1902, les radicaux triomphent.