Salle des séances de l'Assemblée Nationale (1871 à 1875), construite dans le château de Versailles (aile Sud)

L’objectif est d’organiser la République sans dépasser le seuil de tolérance admissible par les monarchistes.

Ainsi, pour la première fois, la Constitution est l’œuvre de partis opposés, contraints d’éviter toutes les questions de principe susceptibles de les engager dans une logique de conflit. D’où l’originalité formelle du texte, construit sans méthode ni plan d’ensemble, au moyen d’amendements de compromis. Les textes adoptés sont courts laissant une large place à la coutume. En fait, on n’innove pas réellement sur le fond car on reprend la tradition parlementaire des régimes précédents.

Mais ce qui est intéressant, c’est qu’on associe pour la première fois la République à des mécanismes qui étaient caractéristiques de la monarchie constitutionnelle. Ce mouvement s’inscrit également dans une continuité intellectuelle qui puise ses sources dans les écrits de l’école libérale du Second Empire, notamment dans ceux de Victor de Broglie et de Prévost-Paradol, " pères spirituels " des lois constitutionnelles de 1875.

Dans les faits, le projet sur lequel s’engage la discussion le 21 janvier 1875 est celui de la Commission des Trente (commission de l’Assemblée nationale chargée de faire des propositions constitutionnelles), un texte pour le moins prudent. Son rapporteur, Ventavon, s’exprime ainsi : " Ce n’est pas à vrai dire une Constitution que j’ai l’honneur de vous rapporter ; ce nom ne convient qu’aux institutions fondées pour un avenir indéfini. Il s’agit simplement aujourd’hui d’organiser des pouvoirs temporaires, les pouvoirs d’un homme. ". L’article premier du projet est donc particulièrement neutre : " Le pouvoir législatif s’exerce par deux assemblées, la Chambre des députés et le Sénat. ". Le terme de République est soigneusement éludé. C’est sur ce terrain que s’engage la lutte. Le 28 janvier, Laboulaye propose un amendement ainsi conçu : " Le gouvernement de la République se compose de deux Chambres et d’un Président ". La proposition est rejetée mais à une faible majorité, par 359 voix contre 336.

C’est alors qu’intervient Henri Wallon, historien, professeur à la Sorbonne. Son texte a pour objet, comme d’autres qui ont déjà été rejetés, de fonder la République mais il est rédigé de façon particulièrement habile. Il énonce : " Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans. Il est rééligible. ".

Wallon explique ainsi son amendement : " Je ne vous demande pas de déclarer définitif le gouvernement républicain. Ne le déclarez pas non plus provisoire. Faites un gouvernement qui ait en lui les moyens de se transformer, non pas à une date fixe, mais lorsque les besoins du peuple le demanderont. " Wallon évite de faire de la nature du régime une question de principe. Il prend ce qui existe, c’est à dire le Président de la République. Il crée néanmoins la perpétuité de la fonction présidentielle et celle du régime. Pour la première fois, la Présidence de la République est organisée indépendamment de la personne de son titulaire.

Cette innovation paraît d’autant plus acceptable que le texte mentionne explicitement le Sénat, élément de la négociation considéré comme essentiel par les monarchistes. L’amendement est adopté à une voix de majorité, par 353 voix contre 352. Après ce vote " fondateur ", une majorité plus large se dessine, unissant, au-delà de la conjonction des centres, l’ensemble des gauches au centre droit orléaniste. Dès lors, les trois lois constitutionnelles sont votées avec des majorités significatives :

  • la loi du 24 février 1875 relative au Sénat est adoptée par 435 voix contre 234,
  • la loi du 25 février 1875 sur l’organisation des pouvoirs publics est adoptée par 425 voix contre 254,
  • la loi du 16 juillet 1875 régissant les rapports des pouvoirs publics est adoptée par 520 voix contre 84.