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Politique étrangère et de défense

Suivi parlementaire de la politique de sécurité
et de défense commune

Audition de M. Pierre Lellouche,
secrétaire d'État chargé des affaires européennes (*)

M. Josselin de Rohan :

Je voudrais vous remercier d'avoir répondu si rapidement à notre invitation pour évoquer devant nos deux commissions les conséquences de la dénonciation du traité de l'Union de l'Europe occidentale sur le suivi parlementaire de la politique de sécurité et de défense commune. Le sujet qui nous préoccupe est la place et le rôle des parlements nationaux dans le suivi de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Après votre intervention, nous aurons un échange sur une proposition de résolution européenne présentée par le Président Jean Bizet.

M. Pierre Lellouche :

Aujourd'hui, 31 mars 2010, en fin d'après-midi, les dix États européens signataires du traité de l'Union de l'Europe occidentale (UEO) vont publier une déclaration conjointe pour mettre fin à l'existence de cette organisation.

Comme vous le savez, l'UEO est une organisation de défense collective qui lie dix États européens. Elle a été fondée en 1948 à l'initiative de la France et de la Grande-Bretagne pour répondre aux craintes que suscitait le réarmement de l'Allemagne devenu nécessaire en raison de la menace de l'Union soviétique. Pour avoir beaucoup travaillé sur ce sujet, je peux vous dire que j'ai toujours été émerveillé par la capacité de cette organisation à se survivre au fil du temps. Dès 1949, l'UEO était obsolète du fait de l'adoption de la Charte atlantique. Car le véritable objectif de la France et de l'Angleterre était alors de ramener les États-Unis en Europe.

Dès lors que ce réarmement se faisait dans le cadre de l'OTAN, l'UEO perdait sa vocation première. Je dirais que la survivance de l'UEO depuis cette époque s'est longtemps expliquée, d'une part, par l'intérêt politique de la clause de solidarité collective contenue à l'article V du traité de Bruxelles, d'autre part, par l'existence d'une assemblée parlementaire qui comprend aujourd'hui 400 membres, dont 36 parlementaires français. Cette assemblée a en outre été élargie au cours du temps, au-delà des dix pays signataires, aux autres membres de l'Union européenne et à des États tiers associés, dont la Russie et la Turquie.

Parmi les innovations du traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, on trouve pour la première fois une clause de défense mutuelle et une clause de solidarité, qui créent de véritables obligations en matière de défense, et qui rendent obsolète l'article V du traité de l'UEO, qui ne concernait en outre que dix États sur les vingt-sept membres de l'Union européenne. Ce traité n'a donc plus aujourd'hui ni signification, ni pertinence. Tout le monde est d'accord depuis un certain temps pour en finir avec ce vestige de la guerre froide. C'est dans ce contexte que l'Allemagne et le Royaume-Uni, avec l'accord de la France, ont fait récemment part aux États signataires de leur intention de se retirer de ce traité avant la fin de ce mois de mars 2010. Les dix États membres de l'UEO ont alors souhaité un retrait collectif et coordonné, plutôt que des dénonciations séparées, avec une déclaration à la date d'aujourd'hui. Il reviendra ensuite à chaque chef d'État et de gouvernement de dénoncer formellement le traité, et ce avant la fin du mois de juin de cette année. Cette décision prendra effet un an après son annonce, c'est-à-dire en juin 2011.

Cela nous laissera le temps nécessaire pour régler deux problèmes pratiques et un problème politique. Le premier problème pratique relève du plan social pour le personnel du secrétariat de l'UEO à Bruxelles, qui concerne 20 personnes dont 4 Français ; du greffe de l'assemblée parlementaire de l'UEO à Paris, qui concerne 38 personnes, dont 20 Français ; et des services administratifs, qui concernent 8 personnes dont 6 Français. Cela inclut aussi la problématique des pensions.

Le deuxième problème pratique est relatif à l'avenir du bâtiment de l'UEO à Paris, qui est une partie du Palais d'Iéna. La France est propriétaire du terrain loué à l'UEO. Celle-ci est propriétaire du bâtiment qu'elle a construit. L'État français est tenu de racheter ce bâtiment au prix du marché dans un délai de deux ans à l'issue de la dissolution de l'UEO. La première estimation de la valeur de ce bâtiment, qui reste à confirmer, est de l'ordre de 25 millions d'euros. J'ai suggéré que le produit de la vente du bâtiment soit utilisé, en accord avec nos partenaires, pour financer le plan social et les pensions des personnels de l'UEO. Au final, les comptes ayant été soldés, cette décision nous permettrait d'économiser 2,5 millions d'euros par an, ce que coûte l'UEO chaque année à la France, au titre de sa contribution aux organisations internationales. Une réunion interministérielle s'est tenue à Matignon jeudi 25 mars pour lancer les travaux afin de mettre au point les modalités pratiques de la mise en oeuvre de cette décision.

Enfin, le problème politique, au regard de l'équilibre des pouvoirs, comme de la légitimité démocratique, est que les parlements nationaux conservent le contrôle des activités de défense des États, et notamment de ce qui relève de la défense européenne. J'ai ainsi reçu mercredi dernier au Quai d'Orsay les députés membres de la délégation française à l'assemblée de l'UEO. J'ai également eu des contacts avec les Présidents du Sénat et de l'Assemblée nationale. Nous avons échangé des courriers très précis sur la suite des opérations.

Mais il m'apparaissait indispensable que les négociateurs français puissent siéger à Bruxelles, en pleine connaissance de la position des parlementaires. Cela a été possible et je m'en réjouis. Lors de la réunion de la semaine dernière, j'ai suggéré aux élus de poursuivre leur mission de contrôle politique de la PSDC dans le cadre de la COSAC, reconnue dans le traité de Lisbonne à l'article 10 du protocole n°1 sur le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne. La déclaration conjointe des dix États membres qui met fin au rôle de cette organisation mentionne explicitement ce protocole.

Suite à cette réunion, le Président du Sénat m'a adressé jeudi dernier une lettre présentant ses réflexions, qui vont dans le même sens, en insistant sur le suivi parlementaire et le rôle que pourrait jouer la COSAC. Je constate donc avec plaisir que les analyses juridiques et politiques du Gouvernement et des assemblées sont en tout point convergentes. Le Président du Sénat m'a aussi fait part de son regret que les sénateurs membres de l'assemblée n'aient pas pu participer à la réunion du 24 mars. Je vous renouvelle mes excuses. Je suis heureux de pouvoir aujourd'hui vous présenter la position de l'ensemble des gouvernements des dix États signataires du traité de l'UEO.

Compte-rendu sommaire du débat

M. Yves Pozzo di Borgo :

Monsieur le Ministre, j'apprécie votre action énergique au niveau de l'Union européenne, ainsi que la volonté de concertation dont vous avez fait preuve. Cependant, je voudrais vous exprimer mon agacement face au peu de temps que vous nous consacrez aujourd'hui, pour la deuxième fois. On ne peut régler un problème aussi important en une demi-heure. A cet égard, je regrette que la proposition de notre collègue député Jean-Claude Mignon n'ait pu être examinée plus en détail.

M. Pierre Lellouche :

Je vous remercie pour les compliments liminaires que vous m'avez adressés, et je voudrais vous dire que Jean-Claude Mignon a eu l'opportunité de me présenter sa position au cours de la réunion de la semaine dernière. Nous avons pu échanger à ce sujet. Au bout du compte, il a lui-même convenu que la meilleure solution était celle de la COSAC.

Mme Josette Durrieu :

Je voudrais exprimer ma surprise et ma désapprobation quant à la manière dont le gouvernement traite l'assemblée de l'UEO et les parlementaires. Il me semble qu'il y a un double déficit à déplorer dans cette affaire : un déficit d'Europe et un déficit de démocratie. J'estime que le seul argument financier et budgétaire, pour récupérer 2 millions d'euros, est insuffisant pour justifier la suppression d'une assemblée très importante, seule structure interparlementaire véritablement européenne. L'assemblée de l'OSCE et l'assemblée de l'OTAN ne sauraient s'y substituer. Avec la dissolution de l'UEO et la disparition de l'assemblée de l'UEO, il risque de ne plus y avoir de contrôle de la politique de défense par les parlements nationaux.

Je ne souhaite pas que la future structure soit une COSAC élargie. Il doit s'agir d'une structure autonome et juridiquement reconnue, qui s'inspirerait du modèle de la COSAC. En outre, cette structure devra être dotée de moyens appropriés. La disparition de l'assemblée de l'UEO doit s'accompagner simultanément de la mise en place immédiate de cette structure de substitution.

M. Pierre Lellouche :

Historiquement, la création de l'UEO correspond au tout début de la guerre froide. La raison d'être politique de l'UEO, au-delà de l'existence de l'assemblée de l'UEO, était l'article V du traité de Bruxelles modifié.

Nous sommes actuellement en plein débat avec le Parlement européen, dans le cadre de la création du Service européen d'action extérieure, pour éviter une communautarisation des questions de politique étrangère et des questions de défense. Le contrôle démocratique de la PSDC doit évidemment relever des parlements nationaux. C'est bien la vision française, qui est ancienne et ne date pas de ce gouvernement.

Dès lors que la question de l'article V est réglée, pourquoi maintenir l'existence de ce vestige de la guerre froide et les frais qu'il implique, avec des États qui n'en voulaient plus ? Nous risquions des dénonciations en désordre, qui auraient créé un ferment de discorde supplémentaire entre les États membres, alors que nous nous battons aujourd'hui pour créer une véritable PSDC au sein de l'Union européenne.

Reste, enfin, le sort des 36 membres de la délégation française auprès de l'assemblée de l'UEO. Pour avoir moi-même présidé l'assemblée de l'OTAN et bien connaître les assemblées interparlementaires, je pense que celles-ci sont déjà fort nombreuses. La question se pose ainsi : comment faire en sorte que ces 36 parlementaires qui contrôlaient la politique étrangère et de sécurité de l'Union européenne, dans le cadre de l'assemblée de l'UEO, puissent continuer à le faire, et peut-être mieux le faire, au regard du traité de Lisbonne, et notamment de l'article 10 du protocole n°1 ?

Rien n'interdit d'élargir le rôle de la COSAC et de lui donner un tropisme défense. Je pense que ce serait une bonne chose, mais cette décision vous appartient. Il vous reviendra, en tant que parlementaires souverains, de décider quelles seront les modalités de ce contrôle. Nous serons très attentifs aux propositions que vous ferez.

M. Jean Bizet :

J'ai regretté que, dans le rapport sur le service d'action extérieure qui a été approuvé par le Conseil européen d'octobre dernier, on mentionne à plusieurs reprises les contacts du service avec le Parlement européen, mais qu'il n'existe aucune mention de contacts avec les parlements nationaux. Ces négociations sur le service se poursuivent. Pourriez-vous agir pour que l'on mentionne les parlements nationaux dans ce texte ?

M. Pierre Lellouche :

Nous en sommes encore à la phase préliminaire. Le statut du service n'existe pas. Nous nous battons sur l'organigramme, sur le futur Secrétaire général. Beaucoup de ces idées sont françaises et loin d'être acceptées par l'ensemble de nos partenaires. Quant au Parlement européen, il ne cache pas son ambition de mettre la main sur le contrôle de la politique étrangère et de défense de l'Union. Non seulement nous résistons, mais nous avons manifesté notre totale désapprobation. Cette position est d'ailleurs aussi celle de nos collègues allemands, britanniques et d'autres. Tout cela est en négociation aujourd'hui. Le contrôle parlementaire du futur service est donc loin d'être acté. Le processus est loin d'être arrivé à son terme. Je sais que vous serez tous attentifs, et je vous assure que l'exécutif sera très vigilant sur ce sujet.

Proposition de résolution

M. Jean Bizet :

Nous sommes vraiment au coeur de l'actualité car c'est hier que le gouvernement britannique a fait connaître son intention de se retirer de l'UEO. Il l'a fait connaître à la Chambre des Communes par une réponse à une question écrite. L'argumentation est très simple. Le gouvernement britannique reconnaît le rôle que l'assemblée de l'UEO a joué pour permettre aux parlementaires nationaux d'exposer leurs vues sur l'Europe de la défense, mais il estime que cela ne justifie pas un coût supérieur aux deux millions d'euros par an pour le seul Royaume-Uni. Le gouvernement britannique ajoute que, étant donné le caractère intergouvernemental de la politique de sécurité et de défense commune, il estime que cette matière doit rester entre les mains des parlements nationaux et qu'il n'y a aucune raison de s'en remettre au Parlement européen. Il encouragera en conséquence ses partenaires européens à examiner la question du suivi parlementaire de la politique européenne de défense. Cette position se retrouve dans le projet de déclaration que le ministre vient de nous remettre. Gardons à l'esprit que la motivation du gouvernement est essentiellement budgétaire.

La question que nous devons aujourd'hui nous poser consiste à déterminer le meilleur moyen d'associer pleinement les parlements nationaux au suivi de la politique de défense européenne. En février dernier, le président du Sénat avait pris l'initiative de réunir auprès de lui les sénateurs membres de l'assemblée de l'UEO, le président de la commission des affaires européennes et le président de la commission des affaires étrangères et de la défense. C'est à la suite de ce déjeuner que le président Hubert Haenel et le président Josselin de Rohan ont élaboré en commun un texte qui est la base de la proposition de résolution que je vous présente aujourd'hui. Je pourrais dire que je ne suis en quelque sorte que leur porte-parole.

Le premier élément du raisonnement qui conduit à cette proposition repose sur l'idée que ce suivi de la politique de défense européenne ne peut être confié au seul Parlement européen. En effet, l'essentiel des actions et politiques menées en ce domaine demeure de la compétence des gouvernements des États membres. Au surplus, un grand nombre de ces actions ne concerne pas l'ensemble des États membres mais seulement certains d'entre eux. J'ajoute que les capacités militaires sont des capacités mises par les États à la disposition de l'Union et que le coût des opérations militaires reste essentiellement à la charge des seuls États participants.

Il en résulte que la responsabilisation et le contrôle démocratique de la politique européenne de sécurité et de défense doivent demeurer au premier chef la prérogative des parlements nationaux. Certes, il existe, depuis quelques années, des réunions des présidents des commissions de défense des parlements des Vingt-sept. Mais ces réunions sont dépourvues de statut, et sont soumises à la volonté discrétionnaire de la présidence du moment. C'est ainsi que l'Espagne n'a pas prévu de réunir les présidents des commissions de défense au cours de ce semestre.

La seule instance reconnue par les traités qui permette à ce jour un débat commun à des parlementaires nationaux des Vingt-sept et un dialogue de ceux-ci avec l'exécutif européen est la conférence des organes parlementaires spécialisés dans les affaires communautaires et européennes, que l'on appelle la COSAC. De plus, le protocole n°1 annexé au traité de Lisbonne consacre d'ailleurs le rôle de la COSAC et l'encourage à « organiser des conférences interparlementaires sur des thèmes particuliers, notamment pour débattre des questions de politique étrangère et de sécurité commune, y compris la politique de sécurité et de défense commune ».

Dans le texte de la proposition de résolution que je vous soumets nous proposons donc d'appeler à la mise en place d'une structure, souple et légère, qui pourrait être conçue sur le modèle de la COSAC. Cela signifie :

- au maximum six parlementaires par État membre,

- une réunion par semestre,

- la participation de six membres du Parlement européen,

- la possibilité de participation des pays candidats.

L'organisation et le secrétariat de cette structure relèverait des parlements nationaux et reviendrait, par rotation, au parlement exerçant la présidence semestrielle.

Il est toutefois un risque que nous ne pouvons pas négliger. C'est celui de ne pas obtenir de consensus des parlements des vingt-sept États membres en faveur d'une telle structure. Et cela pour la raison très simple qu'un certain nombre des États membres ne portent pas le même intérêt que la France à la politique européenne de défense. Il ne serait pas souhaitable que toute tentative d'instituer un tel suivi par les parlements nationaux soit bloquée par l'impossibilité de recueillir un consensus. C'est pourquoi notre texte précise que, s'il n'y avait pas l'unanimité des parlements des vingt-sept États membres en sa faveur, il devrait être possible de mener à bien l'opération dans le cadre d'une coopération rassemblant les parlements nationaux les plus motivés sur une base volontaire.

Ce que nous vous proposons est la formule la plus souple et la plus légère possible. Faute de la mettre en oeuvre, on peut légitimement penser que le Parlement européen serait heureux d'assurer seul le suivi parlementaire de la politique européenne de défense, et je pense que personne, ici, ne le souhaite véritablement.

Compte-rendu sommaire du débat

Mme Josette Durrieu :

Je tiens à remercier le président Larcher et les présidents Haenel et de Rohan pour leur initiative, qui est finalement la seule qui a abouti, dans une indifférence générale. La question du contrôle parlementaire de la PSDC est primordiale. Le secrétaire d'État faisait valoir tout à l'heure que l'assemblée de l'UEO faisait doublon avec d'autres structures interparlementaires. Il n'en est rien, car cette assemblée est sans équivalent.

J'approuve la philosophie générale du texte que vous nous proposez. Nous nous retrouvons sur les points essentiels. Il me semble cependant que les propositions devraient être plus exigeantes et ambitieuses. A cet égard, on pourrait supprimer le qualificatif « légère ». Ensuite, cette structure, que je voudrais qualifier de « permanente », doit nécessairement être mise en place « simultanément » avec la disparition de l'assemblée de l'UEO, afin qu'il n'y ait pas de vide juridique au détriment des parlements nationaux et au profit du Parlement européen. Enfin, la référence à la présence de six membres du Parlement européen au sein de la structure me gêne et je souhaiterais qu'on la supprime.

M. Simon Sutour :

Je suis très gêné par la référence à la COSAC. Il convient de ne pas mélanger les choses. La COSAC est une réunion au sein de laquelle l'ensemble des problèmes européens sont abordés. Les questions de défense n'en seraient qu'un aspect. Je rappelle que, à l'occasion des présidences semestrielles de l'Union européenne, des réunions thématiques sont organisées, qui pourraient traiter les questions de défense. Je souhaite que l'on retire la référence à la COSAC. D'ailleurs, cela permettrait une plus grande souplesse en ce qui concerne la composition de la future structure.

M. Yves Pozzo di Borgo :

Je suis membre de l'assemblée de l'UEO depuis 2004. Je peux témoigner qu'il s'agit de l'une des structures interparlementaires les plus efficaces, même si elle a perdu de l'influence. Ses travaux n'ont jamais été cités, repris ou discutés au sein du Sénat, ce que je regrette vivement. Certes, l'un des défauts de cette assemblée était que ses membres n'émanaient pas obligatoirement des commissions de la défense des parlements nationaux. Cela empêchait tout lien entre le travail de l'assemblée de l'UEO et le travail de la commission des affaires étrangères et de la défense.

J'estime que le texte qui nous est proposé ne répond pas à l'enjeu et qu'il ne va pas assez loin. Je m'abstiendrai donc. Contrairement à ce que disait le secrétaire d'État, l'UEO n'est pas un vestige de la guerre froide. Il nous faut une structure conservant les qualités de l'assemblée de l'UEO, sans ses défauts. Je ne pense pas que la COSAC permettra un bon contrôle et garantira des échanges suffisants. Nous ne devons pas nous arrêter à cette proposition insuffisante. Nous devons aller plus loin. J'ai déjeuné récemment avec notre compatriote Arnaud Danjean, président de la sous-commission de la sécurité et de la défense au Parlement européen. Il m'a expliqué que cette structure avait encore peu de responsabilité et j'ai ressenti chez lui une certaine frustration, face à l'absence d'une réelle structure d'échange et de débat sur les questions de défense. Notre réflexion doit être plus audacieuse, quitte à envisager l'élaboration de coopérations renforcées.

Je voudrais également revenir sur la proposition de Jean-Claude Mignon, le président de la délégation française auprès des assemblées parlementaires de l'UEO et du Conseil de l'Europe. Il avait suggéré d'intégrer la future structure au sein du Conseil de l'Europe, en tant qu'organisme autonome, sur le modèle du congrès des pouvoirs locaux et régionaux. Le Conseil de l'Europe regroupe quarante-sept pays. Le Parlement européen a peu à peu empiété sur certaines de ses compétences, notamment à travers la création de l'Agence des droits fondamentaux. Le Conseil de l'Europe représente un lieu d'échange extraordinaire, en permettant notamment un dialogue avec la Russie et la Turquie. Je regrette que ses travaux ne trouvent aucune résonance dans notre assemblée, alors que cette institution a son siège à Strasbourg.

M. Michel Billout :

Nous partageons tous l'objectif de garantir que les parlements nationaux conservent un important droit de regard sur la politique de sécurité et de défense commune. La dénonciation du traité de l'UEO pose deux questions. D'une part, celle de la structure de remplacement. Le qualificatif de « souple et légère » que vous employez dans votre proposition de résolution ainsi que la mention de six membres par État me semblent très insuffisants, surtout pour moi qui appartiens à un groupe minoritaire. De ce point de vue, les questions de représentation devraient être abordées de façon beaucoup plus sérieuse. Il serait peut-être également opportun de mener une réflexion approfondie sur l'existence concomitante de très nombreuses assemblées interparlementaires, qui sont parfois redondantes et dont on a parfois du mal à comprendre le rôle et la spécificité. Je partage l'esprit de la résolution, mais, pour les raisons que je vous ai présentées, je ne peux la soutenir totalement.

M. Josselin de Rohan :

Mes chers collègues, dans cette affaire, il nous faut avant tout considérer la fin. Rendons à l'assemblée de l'UEO l'hommage qui lui est dû. Nous sommes en faveur d'une politique de sécurité et de défense commune et de l'application du traité de Lisbonne. Je peux vous assurer que rares sont les pays soutenant une telle position. Je reviens en effet d'une réunion de l'assemblée parlementaire de l'OTAN, où j'ai pu à nouveau constater et déplorer à quel point l'idée d'une défense européenne est marginale. Mon collègue Jean-Michel Boucheron et moi-même avons d'ailleurs été les seuls à défendre le concept d'une réelle politique de sécurité et de défense commune dans cette assemblée. Pas un allemand, un hollandais, un italien ou un espagnol ne nous a soutenus.

C'est pourquoi il est indispensable de ne pas adopter une vision franco-française du problème. Il nous faut faire accepter le concept d'une structure de contrôle de la PSDC à des partenaires réticents. Notre texte s'efforce de mettre au point une structure commune de concertation et de discussion permanente des questions de défense. Pour qu'elle soit acceptée par nos partenaires réticents, il faut que la future structure soit la plus légère et la plus souple possible, et les termes sont pesés. Car il est indispensable de pouvoir se concerter entre parlements nationaux et militer auprès de nos gouvernements en faveur de la PSDC. Si nous avons les moyens de nous réunir de façon semestrielle, je suis convaincu que nous parviendrons à faire progresser cette politique de défense.

Au contraire, si nous effrayons d'emblée nos partenaires en présentant des propositions dispendieuses au moment où on parle d'économies, nous les rebuterons inévitablement et nous n'arriverons à rien. La référence à la COSAC me paraît utile car celle-ci est mentionnée par le traité de Lisbonne. Il s'agit de créer une structure sur le modèle de la COSAC. La question n'est pas d'adopter un texte qui nous fasse plaisir, mais d'adopter un texte consensuel, susceptible d'être accepté par nos partenaires. Quand je vois le mal que nous avons à essayer de vendre des vues européennes à nos partenaires qui ne croient qu'à l'OTAN, j'estime que la formule que nous proposons a peut-être une chance de réussir, mais que cela est loin d'être une certitude.

Mme Josette Durrieu :

Je vais adhérer à votre démarche, car c'est la seule initiative qui a été prise et vous avez parfaitement raison. Soit on ne fait rien et c'est terminé, soit on tente quelque chose en essayant d'obtenir un consensus. Pour cela, il faut éviter de faire peur à nos partenaires. Cependant, nous devons lever une ambigüité. Nous n'avions pas proposé, à l'issue du déjeuner avec le Président Larcher, d'élargir la COSAC aux questions de défense, contrairement à ce qu'a dit le secrétaire d'État. Nous proposons une structure autonome sur le modèle de la COSAC.

M. Joseph Kergueris :

J'ai tendance à penser que nous serons confrontés au cas évoqué dans le dernier paragraphe de la proposition de résolution, qui répond à une absence de consensus entre les parlements des Vingt-sept. De ce fait, je me demande s'il convient de conserver le paragraphe précédent qui correspond à un accord général.

M. Josselin de Rohan :

Certes, il y a des gens que nous ne convaincrons pas d'accepter ce dispositif. Mais nous devons rester optimistes. Cela dit, il est vraisemblable que nous ne rallierons pas l'ensemble des vingt-sept États membres, conformément à l'hypothèse évoquée dans le dernier paragraphe de la proposition de résolution.

M. Simon Sutour :

Je maintiens mon opposition à la référence à la COSAC, et je souhaiterais que l'on supprime la phrase qui la mentionne.

M. Didier Boulaud :

Votre démarche me paraît la bonne. Malgré nos espoirs de convaincre l'ensemble des États membres, je crains qu'il nous faille être réaliste. Pour ma part, en tant que membre de l'assemblée de l'OTAN, je peux vous garantir qu'il est de plus en plus difficile de parler de questions de défense. D'ailleurs, parler de questions de défense, au sein de cette assemblée, avec des pays qui ne consacrent pas un centime à leur défense nationale devient incongru et désagréable.

M. Jean Bizet :

Sur la forme, rien ne serait pire que de ne rien faire, car le Parlement européen s'emparerait de ces questions. Je pense que personne ne souhaite en arriver là. Je suis tout à fait d'accord pour amender le texte dans le sens préconisé par Josette Durrieu, et pour insister sur le lien entre la dissolution de l'UEO et la création d'une structure de remplacement. Pour cela, je propose d'introduire l'expression « doit être subordonnée à ». De plus, nous pouvons supprimer l'adjectif « légère ». Pour répondre aux préoccupations de Simon Sutour, nous pourrions simplement préciser que « cette structure souple pourrait s'inspirer de la COSAC ».

M. Simon Sutour :

Je maintiens ma réserve car il reste une ambigüité. Je ne veux pas associer la COSAC à une structure parlementaire de défense. Ce sont deux problèmes différents. Cela reviendrait à réduire le rôle de la COSAC.

M. Josselin de Rohan :

Nous devons faire expressément référence au traité de Lisbonne, dont la COSAC est l'un des éléments qui a vocation à s'occuper des questions de défense. Il ne s'agit pas de transformer la COSAC en un forum dédié aux questions de défense, mais de créer une structure inspirée de la COSAC, où siègeront des parlementaires issus des commissions de défense. Nous nous inspirons ici d'une structure mentionnée dans le traité de Lisbonne. Si on ne fait pas référence au traité de Lisbonne, dans lequel est cité la COSAC, il est évident qu'un certain nombre de pays récuseront notre proposition. Donc j'insiste fortement pour que nous gardions la rédaction actuelle.

M. Jacques Blanc :

J'ai l'impression qu'il y a un malentendu. Ce que l'on nous propose de voter, ce n'est pas que la COSAC soit chargée des questions de défense, mais la mise en place d'une structure sur le modèle de la COSAC. En mentionnant la COSAC, nous répondons à la réalité du traité de Lisbonne et nous réalisons une opération vis-à-vis des partenaires réticents que nous souhaitons convaincre. Il me semble donc qu'il s'agit d'un faux débat et qu'il faut en rester au texte initial.

M. Pierre Bernard-Reymond :

Nous avions un texte d'orientation et voilà que l'on entre un peu trop dans les détails. Il faut en rester aux principes. Est-ce qu'en supprimant les sept dernières lignes du deuxième paragraphe, mais en ajoutant, « ceux des vingt-sept États membres qui le souhaitent, en conformité avec le traité de Lisbonne », nous n'aurions pas l'orientation fondamentale suffisante ? Ce n'est que dans un deuxième temps, lorsque nous aurons des accords de principe de plusieurs États, que nous en viendrions aux modalités d'organisation. De même, le dernier paragraphe mentionnant le principe de rotation me semble relever des détails d'organisation. Notre texte ne serait-t-il pas plus puissant, plus fort et susceptible de faire l'unanimité, si nous en restions aux principes ?

M. Josselin de Rohan :

Notre texte ne doit pas exclure une dimension attractive pour nos partenaires. Si chaque parlement constate qu'il pourra un jour organiser cette réunion, nous obtiendrons beaucoup plus facilement son adhésion.

M. Jean Bizet :

Une architecture se dessine. Pour résumer les modifications proposées, nous précisons que la disparition de l'assemblée de l'UEO doit être « subordonnée » à la mise en place d'une nouvelle structure, et nous supprimons l'adjectif « légère ».

M. Yves Pozzo di Borgo :

Je tiens à préciser que mon abstention est motivée par le regret et l'émotion plutôt que par la critique.

*

La proposition de résolution est alors adoptée avec deux absentions par la commission des affaires européennes dans le texte suivant :


Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le rapport de la présidence concernant les lignes directrices relatives au Service européen pour l'action extérieure (doc. 14930/09) approuvé par le Conseil européen des 29 et 30 octobre 2009,

Vu les propositions de la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité sur l'organisation et le fonctionnement du service européen d'action extérieure en date du 25 mars 2010,

Considérant que la dénonciation du traité de l'UEO entraînerait la suppression de l'assemblée de l'UEO, c'est-à-dire de la seule instance institutionnalisée où des parlementaires nationaux des vingt-sept États membres de l'Union européenne se retrouvent de manière suivie et organisée pour débattre en commun des questions de défense européenne ;

- Estime que la disparition de l'assemblée de l'UEO doit être subordonnée à la mise en place d'une structure permettant de réunir des parlementaires spécialisés dans les questions de défense des vingt-sept États membres (c'est-à-dire émanant des commissions chargées des questions de défense), ou du moins de ceux des vingt-sept États membres qui le souhaitent. Cette structure, souple, pourrait être conçue sur le modèle organique de la COSAC (au maximum six parlementaires par État membre ; une réunion par semestre ; présence de six membres du Parlement européen). L'organisation et le secrétariat de cette structure devraient relever des parlements nationaux, par rotation, sur la base d'une réunion par semestre.

- Considère que, dans l'éventualité où cette initiative ne rencontrerait pas l'intérêt de tous les parlements des vingt-sept États membres, elle pourrait être menée dans le cadre d'une coopération rassemblant les parlements nationaux les plus motivés sur une base volontaire. La réunion semestrielle serait alors organisée, par rotation, dans l'un des parlements nationaux participant à cette coopération.

Institutions européennes

Rencontre avec les membres français du Parlement européen (*)

M. Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale :

Je suis heureux de vous accueillir, en présence du Président de l'Assemblée nationale et de Jean Bizet, que je félicite pour son élection, la semaine dernière, à la présidence de la commission des affaires européennes du Sénat. Je tiens aussi à rendre hommage à son prédécesseur, Hubert Haenel, avec qui nous avons fait un excellent travail. J'accueille avec joie nos amis du Parlement européen pour cette deuxième rencontre conjointe, qui sera suivie d'une troisième, le 26 mai. Sénateurs, députés et députés européens, nous avons en effet décidé de prendre les textes très en amont et sommes conscients de notre devoir de travailler ensemble.

M. Bernard Accoyer, Président de l'Assemblée nationale:

Je suis heureux d'ouvrir cette réunion et je tiens à redire ma reconnaissance et mes félicitations au Président Pierre Lequiller pour avoir pris cette initiative, qui correspond parfaitement à l'idée que je me fais de notre travail de parlementaire, afin d'aboutir à la plus grande efficience dans les relations entre notre Parlement national et le niveau européen. Je tiens également à féliciter Jean Bizet, qui a été élu la semaine dernière Président de la commission des affaires européennes du Sénat. Nous savons que cette présidence permet d'espérer un très bel avenir.

On appelle parfois le traité de Lisbonne le « traité des parlements ». Cette belle formule recouvre une réalité : le Parlement européen est désormais plein législateur, sur un pied d'égalité avec le Conseil. Ses récentes initiatives - je pense notamment à la qualité des auditions du nouveau collège des commissaires, à votre décision sur l'accord SWIFT ou aux débats sur le service européen d'action extérieure - manifestent clairement sa détermination à se saisir de tous ses pouvoirs.

Le traité fait aussi entrer les parlements nationaux, maillons séculiers de nos démocraties, dans le jeu institutionnel européen. Nous voici promus gardiens vigilants de la subsidiarité, mot barbare qui cache une mission très concrète : veiller à ce que l'Europe apporte réellement une valeur ajoutée à ses citoyens. Nous voici aussi, par le traité de Lisbonne, associés aux grands débats sur l'Europe, par exemple au sein des Conventions chargées de modifier les traités ou grâce à notre participation au contrôle de l'espace commun des libertés, de la sécurité et de la justice.

Mais faire du traité de Lisbonne le traité des parlements, c'est aussi un défi, que nous aurons à relever ensemble. Nous devons tous, parlementaires nationaux et parlementaires européens, nous investir dans le soutien au projet européen. Nous devons tous ensemble peser sur le contenu des décisions, prendre les initiatives nécessaires pour que l'Europe intègre concrètement les préoccupations et les espoirs de nos citoyens, dont nous sommes les interlocuteurs quotidiens.

L'Assemblée nationale a beaucoup fait pour mettre l'Europe au coeur de ses débats. Ici comme ailleurs, la chance de la réforme des institutions de 2008 a été saisie. Nous pouvons désormais nous exprimer sur tous les sujets européens. Des procédures simples et rapides permettent désormais à chaque député de déposer des résolutions, tant sur le fond des sujets que sur la subsidiarité. Elles garantissent un chaînage vertueux entre tous les organes de l'Assemblée en intégrant étroitement les commissions permanentes.

J'ai voulu aller plus loin encore. Ainsi l'Assemblée nationale consacre-t-elle désormais une séance de sa semaine mensuelle de contrôle aux débats européens. Par ailleurs, la commission des affaires européennes, que j'ai voulue composée de 48 membres - qui font chacun partie de l'une des huit commissions permanentes de l'Assemblée - peut offrir un éclairage européen sur les projets et propositions de lois nationales. Les rapports parlementaires comportent désormais une annexe décrivant la dimension européenne de ces projets. La nouvelle place de l'Union à l'Assemblée trouve même une manifestation « géographique », grâce au nouvel espace Euromédia dédié à l'actualité européenne, que j'ai voulu au plus près de l'hémicycle et où l'on trouve toutes les données disponibles sur l'Europe, comme c'est également le cas dans chacun des bureaux des 577 députés.

Mais travailler chacun dans son institution ne suffit pas. Pour peser à Bruxelles, il faut agir à plusieurs. Il nous faut confronter les points de vue et relayer les ambitions et les préoccupations de nos peuples. La qualité de notre dialogue parlementaire est donc gage du succès. J'y vois deux conditions : qu'il soit régulier, car rien ne se fait en politique sans la durée et la constance, et qu'il porte sur des textes concrets pour siffler la fin des interminables et vaines introspections institutionnelles.

Je retrouve avec plaisir ces deux qualités dans les réunions régulières que vous avez su initier, cher Président Pierre Lequiller. Les commissions des affaires européennes et les députés européens français peuvent désormais dialoguer régulièrement, lorsque la semaine de circonscription du Parlement européen permet à nos partenaires de Strasbourg de nous rejoindre à Paris. Ces rencontres portent sur les grands sujets inscrits à l'agenda de l'Europe, sur lesquels il est bon que parlementaires français et européens dégagent une approche commune. Vous avez choisi un sujet important et sensible pour votre réunion d'aujourd'hui : la régulation financière.

Ces rencontres sont complémentaires d'une autre initiative à laquelle j'accorde la plus grande importance : la tenue de réunions communes avec des commissions du Parlement européen sur les principaux textes débattus à Bruxelles, à l'image de votre réunion du 26 janvier dernier, en visioconférence, sur la directive relative à la protection des consommateurs, avec la commission du marché intérieur du Parlement européen.

Nous voici en effet engagés dans le grand chantier d'aujourd'hui : faire l'Europe des réalités concrètes. Nous disposons, grâce au nouveau traité, de tous les outils nécessaires pour agir. Les défis ne manquent pas, au moment où le monde teste brutalement, sur tous les fronts - économique, financier, climatique -, une Europe sommée d'agir pour ne pas disparaître. Je suis heureux de voir que nous prenons cette nouvelle tâche à bras-le-corps et je sais que vous saurez la réussir.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes du Sénat:

Ma condition a changé depuis notre dernière rencontre, où je suppléais le président Hubert Haenel, qui venait tout juste d'apprendre sa nomination au Conseil constitutionnel. Je vous remercie d'avoir salué son travail et son engagement au sein de la commission des affaires européennes du Sénat, à la tête de laquelle mes collègues m'ont fait l'honneur de me porter.

Je tiens à remercier le Président Pierre Lequiller d'avoir pris l'initiative de ces rencontres avec nos collègues du Parlement européen, qui correspondent pleinement au souhait des sénateurs d'entretenir avec eux des relations plus suivies. Je le remercie aussi de l'hospitalité qu'il nous offre pour la deuxième fois.

Nous souhaitons leur faire part de nos préoccupations et de nos réactions face aux propositions qui nous sont soumises par la Commission européenne, et les entendre pour connaître leurs positions. Ces échanges devraient enrichir aussi bien nos travaux que les leurs et nous permettre de mieux nous comprendre. Je me réjouis donc aussi qu'une prochaine rencontre soit prévue le 26 mai au Sénat.

Le sujet qui est aujourd'hui à l'ordre du jour est d'une grande importance. Jean-Paul Gauzès, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, qui a une expertise reconnue en la matière nous apprendra sans doute beaucoup de choses, comme François Marc, de la commission des affaires européennes du Sénat.

M. Jean-Paul Gauzès, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen:

La directive, relative aux gestionnaires de fonds alternatifs, ne concerne pas les seuls hedge funds. Du reste, ce terme ne possède pas de traduction définitive et se trouve parfois traduit par « fonds vautours » ou « fonds spéculatifs ». Stricto sensu, il s'agit de « fonds qui se couvrent », mais les documents de l'Autorité des marchés financiers eux-mêmes se contentent de décrire les caractéristiques de leur action, auxquelles précisément s'attache la directive.

J'évoquerai d'abord le champ d'action de cette dernière. Le commissaire européen McCreevy étant, avant la crise, allergique à toute régulation, la directive n'a été mise en chantier qu'après la faillite de Lehmann Brothers, de telle sorte que les fonctionnaires de la Commission n'ont eu qu'un temps limité pour y travailler. Ils sont les premiers à reconnaître qu'elle est perfectible - ce qui rend le débat plus facile que s'ils en défendaient chaque virgule.

Initialement limité aux gestionnaires des hedge funds, le champ d'application du texte a été élargi à tous les produits ne relevant pas des organismes de placement collectif de valeurs mobilières, ou OPCVM, destinés aux investisseurs particuliers. La directive concerne donc des investisseurs avisés, institutionnels, même s'il peut arriver que des investisseurs individuels entrent dans ce système par le biais des fonds de fonds.

La directive appliquait initialement le même régime juridique à tous les fonds, mais il est apparu nécessaire d'introduire dans ce champ d'application très large des allègements ou des différenciations suivant la nature des fonds. De fait, à côté des hedge funds, qui sont des fonds à risque, on trouve le capital-investissement, ou private equity, moins risqué.

Aujourd'hui, cependant, ce n'est plus la notion de risque systémique qui justifie la réglementation européenne, mais l'idée, lancée par Mme Merkel et reprise par Michel Barnier, que toute activité financière doit être régulée et supervisée, quels qu'en soient le niveau et l'objet. Au Parlement européen, le rapporteur et une majorité possible estiment que ce champ large doit être maintenu, bien qu'atténué par l'application de la règle de la proportionnalité : les obligations mises à la charge des personnes visées doivent être proportionnelles à la nature et à l'étendue des fonds. On a ainsi défini des obligations qui pourraient ne pas être obligatoires pour tous les fonds, notamment pour ceux dont la réglementation est nationale et qui ne sont commercialisés que dans le pays où ils sont constitués. Cette approche ne satisfait toutefois pas les pays qui, comme le Luxembourg, ont un marché national réduit et craignent une distorsion de concurrence de la part d'autres pays dans lesquels les fonds nationaux ne sont pas tenus aux mêmes obligations.

Se pose par ailleurs la question de la situation des acteurs situés dans des pays tiers. Pour tous les gestionnaires qui se trouvent en Europe et gèrent des fonds soumis à la réglementation européenne, un « passeport » leur permettra de commercialiser leurs fonds dans l'ensemble des États membres, comme c'est déjà le cas pour les banques, à qui l'agrément dans un État membre suffit pour ouvrir des succursales dans les autres moyennant une simple déclaration. Pour les acteurs extérieurs à l'Europe, les situations sont diverses : le gestionnaire peut être établi dans l'Union européenne et le fonds à l'extérieur, le gestionnaire et les fonds peuvent être l'un et l'autre hors de l'Union européenne, dans le même pays ou dans deux pays différents. Ces fonds et ces gestionnaires doivent-ils recevoir un passeport qui leur permettrait de commercialiser leurs produits au même titre que ceux qui sont établis dans l'Union européenne ?

La notion de passeport suppose bien évidemment une équivalence entre les réglementations et les obligations, sous peine de distorsion de concurrence au profit de ceux qui sont soumis aux réglementations les moins contraignantes. Il s'agit là d'un problème politique majeur. Tout d'abord, une telle équivalence est-elle une notion réaliste ? En deuxième lieu, que faire si l'équivalence n'est pas assurée ? Le Conseil est divisé sur ce point, avec vingt-cinq pays contre deux, dont l'un est résolument opposé au système proposé et l'autre - la République tchèque - hésite.

Le Conseil privilégie le compromis proposé par la présidence espagnole, consistant à conserver, pour les fonds extérieurs à l'Union européenne, le système de placement privé existant : les fonds sont commercialisables dans chacun des pays membres en vertu de la réglementation de chaque pays. La situation est toutefois compliquée par la distinction opposant marketing « actif » et marketing « passif ».

Dans le marketing actif, le représentant d'un fonds démarche un établissement bancaire et lui propose ses produits, puis prend la commande. Le marketing passif est plus vicieux : aucune réglementation n'interdit à un gestionnaire de fonds établi dans l'Union européenne d'investir dans un pays tiers, mais il est parfois interdit de recevoir le démarcheur, lequel se contente alors de fournir une information sur ses produits, sans prendre de commande proprement dite - ce qui n'interdit nullement au gestionnaire de passer lui-même commande peu après.

Le compromis proposé par la présidence espagnole consiste à conserver le placement privé, mais à lui adjoindre des obligations d'information et de transparence. Ce système convient à la quasi-totalité des pays, à l'exception de la Grande-Bretagne, qui voulait profiter de cette réglementation pour étendre la commercialisation des fonds qu'elle gère hors Union européenne, notamment aux Îles Caïman. De fait, dans le cadre de la fiscalité britannique, les fonds ne sont pas fiscalement transparents, mais sont taxés avant que les revenus des investisseurs le soient à leur tour. Aux Caïman, en revanche, les fonds sont fiscalement transparents et les taxes ne portent donc que sur les revenus. La Grande-Bretagne souhaite donc la mise en place du passeport, mais d'un passeport à vil prix. Or, selon moi, si l'Europe ne doit pas être une forteresse, elle ne doit pas être pour autant une passoire.

Ce débat est encore compliqué par la proximité des élections britanniques. Voici une dizaine de jours, M. Gordon Brown et M. Zapatero sont convenus au téléphone que ce sujet ne serait pas abordé durant la réunion du Conseil Ecofin du 16 mars. La question était si politique que le représentant permanent de l'Espagne à Bruxelles n'a appris que le matin même, à sept heures et demie, que le sujet était retiré de l'ordre du jour.

On ne peut donc dire, comme le fait la presse, que la situation serait bloquée. L'Ecofin se saisira à nouveau du sujet en mai ou juin, les discussions se poursuivent au Parlement - où nous voterons d'ailleurs le 27 avril - et les « trilogues », rencontres informelles entre la présidence, la Commission et le Parlement, continuent. En revanche, la date du vote en plénière, prévue pour juillet à Strasbourg, pourrait être différée si le Conseil se mettait d'accord tardivement, afin que nous disposions du temps nécessaire pour négocier et obtenir un accord en première lecture.

Je rappelle que deux doctrines s'opposent en la matière : pour certains, un vote en deuxième lecture permet de peaufiner les textes ; pour d'autres, dont je fais partie, la première lecture vaut mieux, car il ne s'agit plus aujourd'hui de légiférer pour cent ans - nous sommes ainsi revenus deux fois sur Bâle II au cours de la précédente mandature. Dans le cas qui nous intéresse, si l'adoption n'intervient pas en première lecture, la réglementation n'entrera pas en vigueur avant, au mieux, 2016 ou 2017. Est-ce là une réactivité à la mesure des problèmes que pose la finance internationale ? Quand on sait que, pour certaines opérations de trading par logiciel, le propriétaire des titres ne l'est que durant une seconde - pendant laquelle il gagne d'ailleurs encore beaucoup d'argent s'il met en oeuvre un effet de levier -, il faut nous efforcer d'aller le plus vite possible. Du reste, avec les quatre mois nécessaires pour le passage du texte chez les juristes linguistes et les délais de promulgation, la réglementation ne s'appliquerait pas avant la fin de 2011 ou le début de 2012. L'opinion publique ne comprendrait pas que, sur un sujet dont on a tant dit l'importance pour l'économie mondiale, on ne réagisse pas plus vite.

Pour ce qui est des pays tiers, la position du Parlement est un peu plus ouverte que celle des États membres et admet que le passeport puisse être accordé aux gestionnaires ou aux fonds qui se trouvent hors de l'Union européenne, sous réserve que les conditions soient clairement posées dans la directive et que s'exerce un véritable contrôle de la réalité de l'équivalence.

Il faut aussi, comme l'a judicieusement suggéré Pascal Canfin, que cette équivalence soit vérifiée périodiquement, afin de s'assurer que les États qui l'ont obtenue ne mettent pas en place une législation qui créerait des distorsions de concurrence avec l'Europe.

Le débat est donc important. La majorité des États membres, dont la France, ne sont pas très satisfaits de la position du Parlement européen et du compromis que je propose - mais c'est la grandeur et la servitude du député européen que de ne pas toujours faire plaisir à sa ministre. Il est toutefois logique d'admettre que, si la législation est véritablement équivalente, les personnes concernées puissent recevoir un traitement égal.

Quant aux chances de trouver d'ici au 27 avril un accord de compromis assez large au Parlement, chacun comprendra sans doute qu'il vaut mieux avoir une réglementation que de n'en pas avoir. Un compromis est une synthèse qui recueille le maximum de voix. Il ne serait pas convenable d'évoquer l'état des forces en présence alors que la négociation est en cours, mais je puis au moins vous assurer que ceux qui travaillent sur ce dossier le font avec beaucoup d'acharnement et dans un esprit de compréhension et, surtout, en recherchant un intérêt général européen. Cela n'est pas facile car, à la différence de ce qui se produit ordinairement, le lobbying est unilatéral, de telle sorte que le rapporteur demande parfois l'aide des autorités nationales de régulation pour y voir plus clair. Comme vous l'avez peut-être vu dans la presse, le sujet passionne : avec 1 670 amendements déposés, on a établi un record absolu, supérieur aux 1 500 amendements déposés pour la directive REACH.

Je précise enfin que j'ai reçu à ce jour, sur cette question, 142 visites de personnes que j'ai reçues au moins 40 minutes : qu'on ne vienne pas me dire que je n'ai pas écouté !

Je conclurai en me moquant un peu de moi-même : lorsque, durant une conférence de presse organisée la semaine dernière à Londres par les services du Parlement européen, j'ai annoncé que c'était la deuxième fois de ma vie que je venais dans cette ville - la première fois remontant à 1972 - et que je ne parlais pas anglais, le public s'est demandé quel était ce fou à qui étaient confiées des questions européennes aussi importantes. Il est certes préférable d'apprendre l'anglais, et je m'y emploie, mais, à mon âge, ce n'est pas facile.

M. Michel Diefenbacher, co-rapporteur pour la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale :

J'ai peu à ajouter à l'excellente présentation du projet de directive que vient de faire Jean-Paul Gauzès.

Notre commission, le 15 juillet dernier, avait jugé le texte inacceptable en l'état, et cela pour trois raisons. D'abord, il ne distingue pas assez clairement les fonds spéculatifs des autres fonds alternatifs. La deuxième raison tient au passeport européen. Enfin, le texte n'est pas assez précis sur les mesures d'exécution et il a semblé dangereux à notre commission de s'en remettre à la procédure complexe de la comitologie.

Sur le premier point, comme l'a souligné à juste titre Jean-Paul Gauzès, les fonds alternatifs recouvrent des réalités très différentes. Alors que les fonds de capital-investissement sont des fonds classiques, dont les opérateurs achètent et vendent des opérations financières, réalisant des bénéfices quand le marché est bon et faisant des pertes quand il est mauvais, les fonds spéculatifs sont d'une nature très différente, s'immisçant dans les interstices de la réglementation et prenant des risques afin de réaliser des bénéfices même quand le marché est mauvais. On ne saurait exiger pour autant que les réglementations s'appliquant à ces deux types de fonds soient de nature fondamentalement différente.

Ce qui est en cause, en effet, c'est le risque systémique, à l'existence et à l'importance duquel la réglementation doit être adaptée. Or, d'un point de vue systémique, les fonds spéculatifs ne sont pas plus risqués que les autres. Du reste, ils ne sont pas à l'origine de la crise financière que nous connaissons, même s'ils l'ont peut-être aggravée. Sur ce premier point, donc, notre commission pourrait être amenée à assouplir sa position.

Avant d'en venir au passeport européen, qui est le point le plus difficile, j'évoquerai la précision insuffisante de la réglementation. Les travaux de la commission des affaires économiques du Parlement européen permettront de préciser la directive - je sais d'ailleurs que Jean-Paul Gauzès a lui-même déposé des amendements précisant les conditions de la supervision. L'idée d'intégrer le dispositif des fonds alternatifs dans le dispositif de supervision européenne, relevant à la fois du Comité européen du risque systémique et des trois Autorités, me paraît aller dans le bon sens. Il me semble donc, sous réserve d'un examen plus détaillé, que la préoccupation que nous avons exprimée en juillet dernier est en train d'être prise en compte.

Il reste la question, essentielle, du passeport européen. A titre personnel, je partage l'opinion de Jean-Paul Gauzès : on ne peut émettre d'objection de principe au passeport européen, qui est dans la logique de l'Union, mais il convient de vérifier à quelles conditions il peut être délivré ; nous ne pouvons accepter un « passeport à vil prix ». Dès lors que la directive soumettrait l'accès à l'ensemble du marché européen à des conditions extrêmement précises, je ne vois pas comment nous pourrions nous opposer au passeport européen. Il nous faudra en discuter avec le ministère de l'économie et des finances.

La maîtrise des marchés financiers exige une politique européenne forte ; il est indispensable que l'on s'oriente vers un dispositif commun. Le compromis proposé par la présidence espagnole va dans le bon sens : il s'agit d'une base de travail tout à fait valable.

M. François Marc :

Quoi qu'on en dise, et mis à part quelques exceptions, c'est bien le problème de la spéculation que posent les fonds alternatifs.

Au plus profond de la crise, députés et sénateurs avaient constitué un groupe de travail sur la crise financière internationale ; nous avions eu la satisfaction de constater que le G20 avait plus ou moins suivi nos préconisations en la matière. Il convient de faire preuve d'une très grande fermeté à l'égard de toute forme de spéculation ; on ne saurait adopter une position d'attente ou laisser entendre que des assouplissements, voire des reculs pourraient être obtenus.

Hier, une dépêche de l'agence Reuters résumait l'intervention du directeur général du FMI devant le Parlement roumain en ces termes : « La volonté de réguler le système financier s'estompe, dit le FMI ». L'article indiquait que, comme les choses semblent s'arranger, la volonté régulatrice affirmée pendant un an et demi faiblit ; on estime que des assouplissements sont possibles et que l'industrie financière a aussi son rôle à jouer.

Dans ce contexte, il convient d'éviter tout laxisme. C'est dans cet esprit que la commission des affaires européennes du Sénat a examiné, il y a quelques jours, la présente proposition de directive. Elle a noté la volonté de la France, de l'Allemagne et de plusieurs autres pays de respecter les engagements du G20, contrairement au Royaume-Uni, qui cherche, au-delà des enjeux électoraux immédiats, à défendre son industrie financière : 80 % des fonds alternatifs sont gérés par des acteurs financiers de la sphère londonienne. Cette position de fermeté nous semble tout à fait satisfaisante, et nous avons de la peine à comprendre que l'on autorise des aménagements, en particulier en ce qui concerne l'équivalence ou la supervision. Il serait dangereux de faire trop de concessions par rapport aux engagements solennels pris dans le cadre du G20. Veillons à ce que le texte proposé soit conforme à nos exigences d'éthique et de préservation des équilibres.

Mme Sylvie Goulard, membre du Parlement européen :

Tout d'abord, je voudrais remercier Jean-Paul Gauzès pour le travail qu'il effectue au Parlement européen.

Nous sommes en première ligne dans une bataille extrêmement rude, avec des enjeux d'influence considérables. Je saisis cette occasion pour exprimer ma tristesse que la France ait été le seul grand pays à n'envoyer aucun participant à la réunion entre eurodéputés et parlementaires des Etats membres, organisée il y a dix jours à Bruxelles, et à laquelle étaient invités Mario Draghi, président du Financial Stability Board, et Dominique Strauss-Kahn, directeur général du FMI. J'avais pourtant pris la peine de saisir préalablement Jean Arthuis et Didier Migaud.

M. Pierre Lequiller :

Qui était invité ?

Mme Sylvie Goulard :

Les membres des commissions des affaires économiques et des commissions des finances. La présidente de la commission des affaires économiques et monétaires, qui est de nationalité britannique, n'a pas manqué de souligner l'absence des parlementaires français. Il faudrait que vous veniez plus souvent à Bruxelles, ce n'est qu'à une heure de train !

S'agissant du risque systémique, plus on étudie la question, plus on se rend compte que l'on ignore ce qui, à l'avenir, sera systémique. Une conjonction d'interventions d'acteurs relativement petits peut, en raison d'une concentration sur certains segments de marché, avoir des conséquences systémiques. Il convient de garder ce point à l'esprit.

M. Daniel Garrigue, député :

Élisabeth Guigou et moi-même avions traité ces questions dans le rapport que nous avions présenté devant la commission des affaires européennes. Nous partageons vos conclusions sur la nécessité de distinguer les fonds de capital-investissement (private equity) et les fonds spéculatifs proprement dits. En revanche, s'agissant des hedge funds, il convient de savoir quelle priorité on se donne. S'il s'agit de trouver un équilibre entre les places financières européennes, on peut effectivement s'orienter vers une solution de compromis entre Britanniques, Français et Allemands. Toutefois, nous avions montré dans notre rapport que les hedge funds ne sont pas seulement des instruments de placement financier en dehors des normes, mais aussi des outils de spéculation. Cela n'est pas apparu durant la crise financière car les hedge funds en ont été plutôt victimes ; en revanche, ils sont directement impliqués dans la crise grecque. Il importe d'éviter que ces fonds ne continuent à jouer un rôle spéculatif.

Peut-être est-on sur le point d'aboutir à un accord sur le contrôle des gestionnaires, mais il faudrait aussi contrôler les fonds, ce qui ne semble pas d'actualité. Or, que deviennent la notion d'équivalence et les possibilités de contrôle sachant qu'il existe quelque 18 000 fonds aux îles Caïman ?

Par ailleurs, il faudrait que les gestionnaires soient soumis à des règles extrêmement strictes, ce que les Britanniques ne sont manifestement pas prêts à accepter, car l'activité de la place financière londonienne est en cause.

Enfin, le règlement du problème passe aussi par la refonte de la directive sur les marchés d'instruments financiers (MIF), dans la mesure où les opérations sur les dérivés de crédits (CDS), qui s'effectuent de manière totalement occulte, représentent aujourd'hui presque la moitié des transactions. Il importe d'avancer très vite sur ce dossier, afin de prévoir des chambres de compensation et, éventuellement, la possibilité de suspendre les transactions sur ces dérivés.

M. Jean-Paul Gauzès, rapporteur :

Les dérivés de crédits, la refonte de la directive MIF et les problèmes de ventes à découvert sont actuellement étudiés par la Commission européenne. Ces travaux aboutiront dans quelques mois ; le commissaire Barnier s'en occupe activement.

M. Daniel Garrigue :

Il y a urgence !

M. Jean-Paul Gauzès, rapporteur :

Pour ce qui est de la vente à découvert, j'ai proposé d'adopter des règles strictes afin d'éviter la vente à découvert à nu (naked short selling).

Mme Fabienne Keller :

Quid de la Suisse ? La directive lui sera-t-elle appliquée au titre de l'acquis communautaire ou tirera-t-elle partie d'une exception ? D'après ce que nous avons pu observer lundi, dans le cadre d'une mission transfrontalière, le système financier suisse se porte particulièrement bien...

M. Pascal Canfin, membre du Parlement européen :

J'interviens en tant que shadow rapporteur des Verts sur cette directive.

Je précise tout d'abord à Daniel Garrigue que, parmi les propositions de compromis présentées par Jean-Paul Gauzès au Parlement européen, figure la nécessité que le rapport d'équivalence porte sur les fonds et sur les gestionnaires, donc éventuellement sur deux pays différents.

S'agissant du principe d'équivalence, un choix politique s'impose. Aujourd'hui, le passeport européen n'a pas d'existence institutionnelle ; pourtant, le marché européen des hedge funds existe de fait puisque, comme le soulignait François Marc, 80 % des gestionnaires de fonds exercent à la City - même s'ils collectent de l'argent dans l'ensemble de l'Europe.

Le marché européen se construit donc sur les normes anglaises. La question est de savoir si ce que l'on gagnera avec un marché européen davantage régulé que le marché anglais sera supérieur à ce que l'on perdra par rapport au niveau de protection et de régulation assuré par le droit français actuel. Il faut pour cela que le passeport européen soit suffisamment ambitieux dans son contenu.

Cette décision politique dépendra en grande partie de la position française, dans la mesure où il est plus ou moins acquis que l'Allemagne la suivra : la France a pris le commandement d'une forme d'alliance contre la position britannique. C'est donc en grande partie à Bercy et à la Représentation permanente française que le texte se jouera. Un compromis tend à se dégager au Parlement européen en faveur d'un passeport, non au rabais, mais exigeant quant aux conditions d'acquisition.

S'agissant des leveraged buy-out (LBO), vous connaissez sans doute, dans toutes vos circonscriptions, des exemples d'entreprises rachetées par des fonds d'investissement puis « dépecées » - bien que la totalité des fonds de private equity ne soient pas des adeptes de ces pratiques. L'un des enjeux de la directive est de plafonner le taux d'endettement des fonds d'investissement lorsqu'ils rachètent des PME, afin qu'ils apportent réellement du capital, et non de la dette.

Mme Elisabeth Guigou, députée :

A quel niveau ?

M. Pascal Canfin :

Là est précisément le débat. Je vous invite à y prendre part, car la décision européenne s'imposera à la France.

Mme Elisabeth Guigou :

Il faut impérativement aboutir à une réglementation unique en Europe sur ce point, car nous courons un risque existentiel.

La situation actuelle résulte déjà d'un compromis négocié avec les Britanniques. Il ne faudrait pas que, de compromis en compromis, on en vienne à renoncer à une réglementation digne de ce nom ! Admettons que certains fonds d'investissement continuent à faire de la spéculation, sans aucun lien avec l'économie réelle.

Il faut utiliser le débat sur cette proposition de directive pour évoquer la question fondamentale du niveau d'endettement : en retenant un taux de 50 %, on éliminera une grande partie des fonds qui dépècent les entreprises ; il serait bon d'en profiter pour imposer une réglementation sur les banques, visant à augmenter le ratio de fonds propres exigé.

Personnellement, je soutiens la position de Mme Lagarde. Si la France reste ferme, il n'y a aucune raison que nous échouions à agréger un plus grand nombre de pays autour de nous. Il ne faudrait pas se satisfaire de trop peu au prétexte que cela vaudrait mieux que rien du tout.

Parler de réciprocité lorsque 80 % des fonds spéculatifs sont domiciliés aux îles Caïman n'a aucun sens ; revenons aux « fondamentaux » et saisissons le Parlement européen des problèmes politiques majeurs, sous peine d'être débordé par l'hyperréalisme et par les intérêts de la City de Londres.

M. Jean-Paul Gauzès, rapporteur :

Madame Guigou, je vous confirme que je suis partisan de la régulation ; cela étant, l'Union européenne comprend 27 États membres, qui n'ont pas nécessairement la même position.

Vous avez raison, le débat sur cette proposition de directive est l'occasion de poser la question de l'économie réelle, voire celle de l'intérêt économique européen général. Comme je l'ai dit à Londres, si l'on perdait 1 000 ou 2 000 emplois de spéculateurs, je n'irais pas me confesser durant la semaine sainte !

Je suis d'accord avec vous : il faut plusieurs lieux pour contrôler l'effet de levier. Le principal, ce sont les banques. La question des fonds propres ne sera pas abordée dans cette directive, mais dans la nouvelle mouture de la directive « CRD » ; j'ai cependant introduit un considérant visant à rappeler que les prime brokers ou les banquiers qui apportaient des financements avaient, au regard des règles qui s'appliquent à eux, un contrôle à effectuer.

Il est compliqué de fixer un taux d'endettement maximal, et cela peut avoir pour conséquence d'obliger une entreprise à s'endetter, ce qui n'est pas souhaitable. Il est préférable de donner des bases juridiques au superviseur, afin que son intervention soit possible : d'abord, de manière à connaître la politique suivie ; ensuite, pour contrôler que ce qui est fait correspond bien à ce qui a été annoncé ; enfin, pour prendre des mesures ponctuelles s'il s'aperçoit que la méthode utilisée est dangereuse. Au vu des informations dont nous disposons sur les pratiques en matière d'effet de levier, il faudra que l'Autorité de supervision européenne puisse émettre des interdictions avant que les circonstances ne deviennent exceptionnelles, chaque fois que la stabilité financière sera menacée ; si l'on attend, ce sera trop tard. Voilà l'arsenal que je souhaite mettre en place.

Pour le reste, j'ai pris bonne note de vos remarques et de vos propositions, qui sont proches de celles qui ressortent des compromis. Il est bien entendu essentiel de bien maîtriser le passeport européen. L'Europe ne doit pas être une forteresse, car ce serait contraire à l'idée que nous nous faisons du commerce, mais elle ne doit pas être non plus une passoire. Il faut faire en sorte que les règles édictées ne puissent pas être contournées facilement. Or, étant juriste, je sais que les financiers sont très créatifs et que, si l'on met en place une réglementation tatillonne, elle sera à coup sûr contournée. La directive devra donc donner au superviseur, qu'il soit national ou européen, des bases juridiques solides afin qu'il puisse intervenir chaque fois qu'il pressentira un risque. De ce point de vue, le Comité européen du risque systémique pourra transmettre des informations utiles.

M. Pierre Lequiller :

Mesdames et messieurs, je vous remercie de votre participation à ce débat.

La prochaine réunion conjointe aura lieu le 26 mai au Sénat. L'ordre du jour comprendra, d'une part, le sujet paquet « Télécom » et agenda numérique, qui sera introduit par Mme Catherine Trautmann, et, d'autre part, le service européen d'action extérieure, projet sur lequel travaillent nos collègues Yves Bur et Elisabeth Guigou.

M. Pierre Bernard-Reymond :

Il serait dommage que, lors de nos réunions conjointes, nous ne fassions qu'examiner des projets de directives et que nous ne consacrions pas au moins un quart d'heure aux grands problèmes d'actualité et aux perspectives d'avenir. Il se trouve que le projet dont nous étions saisis aujourd'hui était particulièrement important, mais ce ne sera peut-être pas toujours le cas. Quoi qu'il en soit, il eût été utile d'avoir quelques échanges sur la Grèce et sur le dernier Conseil européen. Nos présidents peuvent-ils réfléchir à cette possibilité ?

M. Bruno Gollnisch, membre du Parlement européen :

Pourrait-on inscrire à l'ordre du jour de la prochaine réunion le maintien du siège du Parlement européen à Strasbourg ? Les menaces sont anciennes, puisque j'en ai entendu parler pour la première fois en 1986, à la commission des affaires étrangères, mais la situation semble s'être dégradée. Peut-être les mesures nécessaires n'ont-elles pas été prises ?

M. Pierre Lequiller :

Monsieur Pierre Bernard-Reymond, après concertation avec le président Bizet, nous sommes tout à fait prêts à vous donner satisfaction. Je rappelle que, lors de notre dernière réunion, nous avions organisé un débat général, et les participants m'avaient demandé d'entrer dans le concret à travers des projets législatifs. Néanmoins, ces deux aspects sont nécessaires. Les échanges généraux ne devront donc pas durer trop longtemps, si l'on veut avoir le temps d'examiner les deux thèmes inscrits à l'ordre du jour.

Quant au maintien du siège du Parlement à Strasbourg, nous l'évoquerons une autre fois, car l'ordre du jour de la réunion du 26 mai est déjà très chargé.

M. Jean Bizet :

S'agissant du texte examiné aujourd'hui, je me réjouis que les choses aient avancé autant - nous savons tous l'engagement de Jean-Paul Gauzès sur le sujet. J'ai noté avec intérêt que le vote en commission aura lieu le 27 avril et celui en première lecture au mois de juillet, de manière à ce que les décisions puissent être mises en oeuvre courant 2011.

Je voudrais rappeler, à la suite de notre collègue François Marc et dans la continuité du rapport qu'il avait rendu, la fermeté de la commission des affaires européennes du Sénat. L'équivalence et le passeport européen posent un problème particulier : l'Union européenne doit être ouverte, sans être pour autant une passoire. Cela étant, le travail de Mme Lagarde doit rester cohérent avec les engagements pris par le G8 et du G20. Il existe une forte attente sociétale, s'agissant de la maîtrise européenne du système financier. Je souhaite que nous démentions les propos du directeur du FMI, et que l'Europe se dote d'une législation ferme en ce domaine.

Nous nous opposerons sans doute sur ce point à nos amis anglo-saxons, mais la fermeté doit l'emporter. On ne se relèverait pas d'une nouvelle secousse financière.

Je vous remercie et vous donne rendez-vous au Sénat le 26 mai.


* Cette réunion est en commun avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

* Cette réunion est en commun avec la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale.