Réunion du mercredi 28 février 2007


Table des matières

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Politique commerciale

Les instruments de défense commerciale de l'Europe
(Livre vert E 3362)

Communication de M. Jean Bizet

Le 6 décembre dernier, la Commission européenne a présenté un livre vert sur les instruments de défense commerciale de l'Europe et ouvert une consultation publique sur l'opportunité, les voies et les moyens de leur éventuelle réforme.

Il est utile, au moins à deux égards, que notre délégation se saisisse de ce dossier et puisse apporter sa contribution à la consultation en cours.

D'abord, nous sommes ici très en amont d'un éventuel processus législatif. La Commission a en effet annoncé que, sur la base des réponses à sa consultation, elle allait préparer une communication et probablement des propositions législatives d'ici la fin de l'année. Même si ce calendrier n'est pas nécessairement tenu, il est important que la délégation puisse d'ores et déjà prendre date et arrêter de premières orientations.

Ensuite, avec la défense commerciale, nous touchons à un domaine d'une importance et d'une sensibilité extrêmes dans le cadre des débats actuels sur la mondialisation. Au moment où l'impact de la mondialisation se fait plus pressant sur nos capacités de production, au moment où nous nous interrogeons sur de nouveaux modes de régulation, au moment où s'engage une négociation sur les règles dans le cycle de Doha, il est nécessaire de se pencher sur la place des instruments de défense commerciale. Les récentes affaires du textile chinois en 2005 ou des chaussures chinoises et vietnamiennes en 2006 ont souligné avec force de sérieuses divergences sur leur rôle, mais aussi sur leur adaptation au nouveau contexte commercial international, dès lors que leur dernière réforme importante remonte à maintenant plus de 12 ans.

Il était donc important que la délégation se penche sur le dossier. Pour cela, un petit groupe de travail a été mis en place. Il était composé de Robert Bret, Hubert Haenel, Roland Ries et moi-même. C'était en quelque sorte la « réactivation » du groupe mis en place fin 2005 sur un sujet connexe : celui de la préférence communautaire.

Je remercie à ce propos mes collègues pour leur investissement, mais aussi pour leur compréhension face à un calendrier très serré qui nous a contraint à ne pas pouvoir toujours être présents tous ensemble tant lors de notre déplacement à Bruxelles que pour nos auditions parisiennes. Mais je crois pouvoir dire que nous sommes parvenus à une certaine convergence de vue, tant sur le constat que sur les grandes lignes de propositions.

Très classiquement, je vous présenterai d'abord un bilan de l'existant avant de vous proposer quelques pistes d'évolution.

I - Quels éléments de bilan ?

a) Un arsenal diversifié, dans lequel prédomine l'antidumping

A défaut d'un corpus de règles de concurrence au niveau international, l'OMC a reconnu aux États la possibilité de mettre en oeuvre des instruments de défense commerciale dans deux circonstances : soit en cas de pratiques déloyales, soit en cas d'augmentation massive d'importations susceptibles de déstabiliser durablement une branche de production nationale.

L'Union européenne a mis en place un arsenal qui est conforme aux règles de l'OMC. Il repose sur trois instruments principaux :

Il y a d'abord les mesures antidumping. On considère qu'il y a dumping quand le prix d'un produit à l'exportation est inférieur au prix du même produit sur son marché intérieur. En cas de dumping, les entreprises communautaires victimes d'un préjudice peuvent déposer une plainte auprès de la Commission. Les entreprises exportatrices peuvent se voir alors imposer des droits additionnels.

Il y a ensuite les mesures antisubvention. Elles sont similaires aux mesures antidumping à la différence que l'origine des distorsions de commerce tient cette fois à une subvention accordée à l'exportation.

Il y a enfin les mesures de sauvegarde à l'importation. Elles supposent un accroissement des importations d'une ampleur et d'une rapidité telles qu'il menace la survie même d'un secteur. Il est alors possible de restreindre temporairement les importations pour laisser au secteur en question le temps de s'adapter.

Ces mesures reposent sur une répartition des rôles entre trois acteurs : les entreprises, la Commission, le Conseil. Les plaintes sont engagées à l'initiative des entreprises lésées pour l'antidumping et l'antisubvention et à l'initiative des États pour les sauvegardes. C'est la Commission européenne qui mène les enquêtes, institue des mesures provisoires et propose les mesures définitives. Il appartient au Conseil de statuer sur les mesures définitives (à la majorité simple pour l'antidumping et l'antisubvention, à la majorité qualifiée par la sauvegarde). En pratique, ce sont les mesures antidumping qui sont les plus fréquemment utilisées : 85 % des cas, contre 14 % pour l'antisubvention et seulement 1 % pour la sauvegarde.

b) Une utilisation mesurée par l'Union européenne

L'utilisation des instruments de défense commerciale a profondément évolué depuis 20 ans.

Le nombre de mesures prises par l'ensemble des États au niveau mondial a fortement augmenté jusqu'en 2000, avant de se replier légèrement. Ce sont actuellement 1.142 mesures antidumping qui sont en vigueur à travers le monde. Chaque année ce sont quelque 130 nouvelles mesures qui sont instituées. Cette hausse tendancielle s'explique surtout par une appropriation croissante de ces outils par des pays en développement. La Chine, l'Inde, le Brésil, l'Afrique du Sud, l'Argentine figurent aujourd'hui parmi les principaux utilisateurs de ces instruments. Les pays en développement sont également les premiers visés par les mesures : de 1995 à 2005, la Chine a ainsi été visée dans 20 % des cas. En réalité, c'est bien la « géopolitique » de l'antidumping qui s'est transformée : d'une arme du Nord contre le Sud, c'est devenu un instrument Sud contre Sud.

Dans ce contexte, l'Union européenne se caractérise par un usage somme toute mesuré des instruments de défense commerciale. Elle reste certes le troisième utilisateur de l'antidumping derrière l'Inde et les États-Unis sur la période 1995-2005, mais le nombre de mesures en vigueur a sensiblement diminué : il est passé de 193 en 2002 à 146 en 2006. Ces mesures sont très ciblées tant en terme de secteurs (acier, chimie, électronique, textile) que de pays (Chine, Inde, Taïwan). Cela se vérifie également pour les autres instruments. Fin 2006, seules 12 mesures antisubventions et l mesure de sauvegarde étaient en vigueur. La pratique actuelle de l'Union conduit donc à un usage finalement marginal des instruments au regard du volume global des importations : les mesures antidumping et antisubventions représentent moins de 0,45 % de la valeur totale des importations.

c) Un bilan satisfaisant, malgré certaines insuffisances

Au-delà de ce bilan statistique, l'important est de savoir si l'arsenal de défense commerciale a pu effectivement jouer son rôle de dissuasion à l'égard des pratiques commerciales déloyales.

Une évaluation indépendante, commandée par la Commission européenne, a conclu en décembre 2005 que les instruments fonctionnaient globalement correctement. Il n'en reste pas moins que ces outils souffrent de quelques faiblesses. À cet égard, la comparaison avec l'arsenal et la pratique des États-Unis est éclairante. Là où les États-Unis ouvrent plus d'enquêtes et imposent rapidement des droits provisoires plus élevés, l'Union européenne apparaît victime d'un triple handicap :

une procédure lente : les droits provisoires sont rarement imposés avant 6 mois, alors qu'ils peuvent l'être au bout d'un mois seulement aux États-Unis ;

une faible pénalisation : en Europe, le taux moyen des droits antidumping était de 35 % contre 132 % aux États-Unis ;

une procédure complexe et coûteuse, qui tend bien souvent à décourager les PME d'engager ou de mener à terme une action.

Ces handicaps apparaissent aujourd'hui parfois accentués par la pratique de la Commission. Je prendrai un exemple à mes yeux significatif de cette marge de manoeuvre acquise par la Commission. C'est le test dit « de l'intérêt de la Communauté » introduit dans le règlement de 1995 à l'initiative de Sir Leon Brittan. Il consiste à faire un « bilan coûts avantages » d'une éventuelle mesure de défense au niveau de l'ensemble des agents économiques de l'Union et non à celui des seuls producteurs ayant porté la plainte. En application de ce test, la Commission peut, de sa propre initiative, choisir de clore une procédure quand bien même le dumping est avéré et le préjudice réel pour les plaignants. La tendance actuelle - et l'affaire en cours des « fraises congelées chinoises » le confirme - semble bien être à une conception extensive de ce test et donc à son utilisation croissante pour clore des procédures, alors même que l'Union européenne est la seule à avoir mis en place cette faculté d'autolimitation de sa politique de défense commerciale.

Ces faiblesses sont préoccupantes car la raison d'être des instruments de défense commerciale est avant tout dissuasive pour prévenir les pratiques déloyales. Dès lors, ils doivent constituer une réponse rapide et massive pour éviter une déstabilisation irrémédiable des productions communautaires. Il existe donc certaines marges d'amélioration. Toute la question est alors de savoir s'il est possible ou même souhaitable d'essayer d'apporter de nouvelles réponses au risque de déstabiliser l'équilibre atteint.

II - Quelles pistes d'évolution ?

Tout système de défense commerciale se fonde sur un équilibre entre les intérêts des différents opérateurs économiques. Historiquement, l'équilibre penchait plutôt en faveur de la défense des intérêts des producteurs communautaires, qui subissent directement le préjudice, et non en faveur de ceux des importateurs, des distributeurs et des consommateurs qui pourraient bénéficier de prix plus bas.

C'est bien la recherche d'un nouvel équilibre qui sous tend l'initiative de la Commission dans son livre vert.

a) Une initiative de la Commission qui suscite des réactions diverses

Certains prêtent au commissaire Mandelson, au travers de cette initiative, l'intention d'aller au-delà d'une simple adaptation de l'arsenal de défense commerciale aux dernières évolutions dues à la mondialisation. Son intention serait d'engager une réforme plus profonde destinée à modifier l'équilibre trouvé entre les intérêts respectifs des producteurs d'une part et des importateurs et distributeurs d'autre part, au profit de ces derniers et sous couvert d'une défense des consommateurs, voire à assouplir significativement les instruments actuels au risque de les démanteler.

Le cabinet du commissaire, que nous avons rencontré, nous a assuré que l'exercice était abordé avec le plus grand esprit d'ouverture et sans idée préconçue. Il reste que le Livre vert évoque d'ores et déjà - certes sous forme de questions - certains assouplissements très significatifs. On peut penser par exemple à la réduction de la durée d'application des mesures définitives (qui est de cinq ans actuellement), à une mise en oeuvre graduée des mesures ou - vieux serpent de mer - à un transfert de la compétence antidumping du Conseil vers la Commission, sur le modèle de ce qui se fait dans le domaine de la concurrence.

Ces hypothèses sont évidemment loin d'être neutres et inquiètent fortement les représentants de l'industrie que nous avons également rencontrés tant au niveau européen qu'au niveau national et qui s'opposent vigoureusement à toute modification de l'équilibre actuel. On observera par ailleurs que le règlement sur l'antidumping a déjà été modifié, parfois de manière conséquente, à six reprises depuis 1995 pour assurer son actualisation. À ce stade, l'initiative de la Commission n'a fait l'objet que d'un échange de vue informel au sein d'un groupe technique du Conseil. Il est somme toute probable que soient réaffirmées les positions désormais traditionnelles entre États membres.

La crise des chaussures chinoises et vietnamiennes, l'été passé, au cours de laquelle l'Union européenne a mis plusieurs semaines à décider de mesures antidumping a en effet révélé un clivage profond.

D'un côté, un groupe d'États membres de tradition libérale, mené par le Royaume-Uni et les Pays nordiques, appuyé par les entreprises importatrices, critique les instruments de défense commerciale. Selon ceux-ci, l'économie mondialisée a changé les conditions du commerce international en généralisant la délocalisation de la production. Dans ce nouveau contexte, des mesures antidumping risqueraient de frapper les entreprises qui ne produisent plus sur le sol européen. En outre, de telles mesures ne prennent pas en compte l'intérêt du consommateur, mais uniquement celui de certains producteurs européens, incapables de relever le défi de la concurrence mondiale.

De l'autre, un groupe d'États membres méditerranéens ayant l'appui de la France et, désormais, de l'Allemagne, refuse de baisser la garde, face à la concurrence à bas coût en provenance d'Asie, et prône au contraire un arsenal de défense commerciale robuste. Celui-ci se justifie d'autant plus que les entreprises de l'Union sont elles-mêmes de plus en plus victimes de mesures similaires décidées par les nouvelles grandes puissances économiques.

Ce clivage semble devoir se confirmer face à l'initiative du commissaire Mandelson. La présidence allemande fait à ce stade preuve de prudence et ne devrait proposer qu'un point d'étape informel en mai.

b) Les propositions du groupe de travail : maintien des équilibres, renforcement de l'efficacité

Pour notre part, nous avons considéré au sein du groupe de travail que l'arsenal européen devait plus être conforté dans son équilibre qu'assoupli. Il n'est pas acceptable de revoir à la baisse, ou a fortiori de remettre en cause la légitimité même de cet arsenal.

Cela n'est pas acceptable pour une raison de principe parce que les instruments de défense commerciale constituent la seule réponse à l'absence de règles internationales en matière de concurrence et parce que leur vocation est bien de compenser un préjudice pour les producteurs victimes de pratiques déloyales.

Cela n'est pas acceptable pour une raison de calendrier : au moment où le cycle de Doha pourrait redémarrer et où pourrait s'engager effectivement une négociation sur les règles, un assouplissement unilatéral de nos moyens de défense ne pourrait en aucun cas constituer une bonne entrée dans la négociation, alors même que notre dispositif est souvent moins contraignant que celui de nos partenaires.

Cela n'est pas acceptable enfin pour une raison pratique. L'équilibre actuel entre les intérêts des différents agents économiques est satisfaisant. À cet égard, il me paraît important de souligner que la mise en oeuvre de nos instruments ne lèse pas le consommateur final. En effet, les produits visés par les procédures antidumping sont à 80 % des produits intermédiaires qui ne sont pas destinés directement au consommateur final.

Entre un protectionnisme frileux et un libre échangisme débridé, il y a un espace pour une utilisation raisonnable de l'arsenal de défense commerciale. C'est cette utilisation qui vise à rétablir une loyauté dans les échanges que nous devons promouvoir.

La délégation a déjà eu l'occasion d'examiner d'un oeil critique le fonctionnement actuel du système commercial international et de militer en faveur de nouveaux équilibres. Les échanges ne devraient pas être simplement conçus en terme commercial. Il conviendrait en particulier de rapprocher, au travers de nouvelles passerelles, les logiques commerciales des exigences sociales et environnementales pour garantir un commerce mondial juste et équitable. L'OMC peine certes actuellement à trouver des compromis globaux. Son échec laisserait la place à des accords bilatéraux dominés par les rapports de force. Nous devons à l'inverse trouver de nouveaux équilibres qui permettent à tous les États de tirer également bénéfice du commerce international pour favoriser la croissance et le plein emploi, conformément aux objectifs du Millénaire.

Mais l'attente de cette réforme globale ne nous oblige pas pour autant au statu quo en matière de défense commerciale. Le groupe de travail considère en effet qu'il est possible d'apporter quelques améliorations à l'arsenal actuel pour en renforcer l'efficacité sans en modifier la nature.

Ces propositions s'inscrivent dans le cadre actuellement autorisé par l'OMC et ne préjugent donc en rien de la négociation en cours sur les règles dans le cycle de Doha.

Elles sont au nombre de huit, les trois premières me semblant les plus importantes.

1. INSTITUER UNE AGENCE INDÉPENDANTE CHARGÉE DE L'INSTRUCTION DES ENQUÊTES ET DES PROPOSITIONS DE MESURES

Actuellement, la procédure est critiquée pour son manque de transparence et pour l'insuffisance de son indépendance.

Nous proposons donc la mise en place d'une agence indépendante en charge de la gestion des dossiers, la décision définitive continuant naturellement de relever du Conseil en application des traités. Il ne s'agit pas de la sorte d'introduire une quelconque irresponsabilité politique puisque les compétences actuelles des États membres seront confirmées, mais bien de garantir une plus grande transparence et indépendance dans la gestion des procédures. J'indique d'ailleurs qu'une telle proposition avait déjà été avancée par la France en 1998, sans qu'il lui ait été alors donné suite.

2. MIEUX ACCOMPAGNER LES PME DANS LEURS DÉMARCHES

Actuellement, les PME sont très réticentes à engager des procédures, quand bien même le préjudice serait réel et important, compte tenu de leur coût et de leur complexité. La Commission a certes déjà mis en place un « bureau d'aide » spécialement destiné aux PME. Mais cela reste insuffisant.

Nous proposons de faciliter l'accès effectif des PME aux instruments de défense commerciale d'une double manière. Au niveau de la Commission, outre un renforcement du bureau d'aide, il serait souhaitable, comme l'évoque d'ailleurs la Commission dans son Livre vert, d'instituer un « conseiller auditeur » qui serait chargé d'entendre à leur demande les parties. Il aurait naturellement vocation à accorder une attention particulière aux PME et à les orienter dans leurs démarches. Au niveau national, il pourrait ensuite être envisagé de mobiliser les Chambres de commerce et les fédérations professionnelles pour qu'elles mettent en place une fonction d'appui aux PME dans leurs démarches.

3. RACCOURCIR LES DÉLAIS DE MISE EN OEUVRE DE LA PROCÉDURE

Actuellement, la procédure d'enquête est longue et les mesures provisoires sont rarement décidées avant 6 mois. Aux États-Unis en revanche, les droits sont imposés souvent après un délai d'un mois environ, quitte à être revus au moment de la décision définitive. La solution américaine est largement préférable car l'efficacité d'un instrument de défense commerciale dépend de sa rapidité et car les cycles commerciaux tendent à se raccourcir et dépassent désormais rarement les six mois.

Il serait alors envisageable d'accélérer la procédure européenne, en permettant par exemple d'imposer des droits provisoires dès réception des réponses aux questionnaires, c'est-à-dire avant la fin de l'enquête préliminaire.

4. AUGMENTER, DANS CERTAINS CAS, LE MONTANT DES DROITS

Actuellement, le montant des droits ne peut excéder soit la marge de dumping, soit la marge de préjudice, ce montant étant plafonné au niveau de la marge la plus faible. Les droits ont donc simplement une vocation correctrice. Il reste que le montant moyen des droits est bien plus faible en Europe (35 %) qu'aux États-Unis (132 %).

Si l'on voulait que ces droits ne jouent pas un rôle purement correcteur, mais qu'ils soient véritablement dissuasifs, il conviendrait de les majorer, ce qui est impossible en vertu des règles de l'OMC. Sans aller jusque là, il serait au moins possible de revenir sur la règle du « moindre droit », notamment pour les cas de dumping les plus agressifs, afin de permettre d'appliquer les droits maximaux dans le respect des règles de l'OMC.

5. RENDRE LE SEUIL DE DÉCLENCHEMENT DES PROCÉDURES PLUS FLEXIBLE

Actuellement, pour engager une procédure antidumping, les entreprises plaignantes doivent être expressément soutenues par des entreprises représentant 25 % de la production communautaire. Ce seuil, fixé dans l'accord de l'OMC, désavantage les PME qui peuvent avoir des difficultés à le justifier, et donc à engager la procédure.

S'il n'est pas possible de l'abaisser sans négociation au sein de l'OMC, il est à tout le moins surprenant que l'on puisse songer à le remonter comme le suggère la Commission dans le Livre vert. Il semble par ailleurs envisageable de préciser les modalités d'appréciation des 25 % qui sont à la fois complexes à déterminer et sources d'incertitude, comme l'ont montré les récentes affaires des producteurs de pommes et de sacs plastiques. Ainsi, si l'on voulait faciliter l'ouverture des procédures pour les PME, il serait envisageable d'accorder un rôle plus important aux fédérations professionnelles. Même si la plainte doit toujours être déposée par une ou plusieurs entreprises, on pourrait considérer que le soutien de la plainte par la fédération vaut soutien express par l'industrie communautaire.

6. PRÉCISER ET ENCADRER LA NOTION D'INTÉRÊT COMMUNAUTAIRE

Actuellement, la Commission recourt de plus en plus fréquemment à la notion d'intérêt communautaire pour clore les procédures. Les producteurs communautaires sont alors pénalisés sans compensation possible. Ce fut le cas par exemple des producteurs de DVD et CD enregistrables. La nouvelle affaire des « fraises congelées chinoises » semble devoir confirmer cette tendance.

Or, par sa logique même, le test de l'intérêt communautaire ne peut se limiter à la simple somme arithmétique des intérêts des différents agents économiques, l'intérêt de la communauté dépassant la somme des intérêts particuliers. Il ne doit conduire à l'abandon d'une mesure que dans des cas exceptionnels. Il paraît donc indispensable de préciser cette notion d'intérêt communautaire afin qu'elle ne soit pas appliquée de manière abusive, tant pour son champ que pour sa date d'application. L'une des solutions serait alors de définir en commun des « lignes directrices » visant à clarifier les conditions de mise en oeuvre de ce test.

7. FACILITER L'ACCÈS AU JUGE

Actuellement, les plaignants, en cas de clôture des procédures, ne saisissent que très peu la Cour de justice car la procédure est coûteuse et lente.

Il pourrait être envisagé de créer une chambre spécialisée au sein du tribunal de première instance avec une procédure accélérée, sur le modèle de ce qui existe en matière de contrôle de la concurrence.

8. DIVERSIFIER LE RECOURS AUX INSTRUMENTS DE DÉFENSE COMMERCIALE

Actuellement, la mise en oeuvre de l'arsenal de défense commerciale se limite principalement à l'antidumping. Le recours aux mesures de sauvegarde doit rester exceptionnel. Il devrait être en revanche possible et nécessaire de faciliter le recours à l'antisubvention.

L'instrument antisubvention est encore peu utilisé par les entreprises européennes par crainte de représailles, mais surtout pour des raisons techniques. Il est en effet difficile, pour les entreprises, en particulier les plus petites d'entre elles, de parvenir à prouver l'existence d'une subvention. Or, alors que l'Union européenne s'est dotée d'un encadrement strict des aides d'État, les distorsions de concurrence liées à l'existence de subventions chez un grand nombre de nos partenaires commerciaux sont un sujet de préoccupation et constituent un obstacle au développement de nos entreprises sur les marchés tiers.

Il serait donc souhaitable que la Commission européenne soit habilitée à engager, à son initiative, des procédures anti-subvention, dès lors qu'elle a connaissance de l'existence d'une subvention créant un préjudice à l'industrie communautaire.

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Telles sont les propositions que le groupe de travail vous propose de transmettre directement à la Commission à titre de contribution à sa consultation publique.

M. Hubert Haenel :

Notre groupe de travail a voulu intervenir très en amont sur cette initiative de la Commission, dont chacun mesure l'importance dans le cadre des débats actuels sur l'impact de la mondialisation. Nous sommes ainsi en mesure de répondre à la consultation publique dans les délais et, de la sorte, de faire part à la Commission de nos orientations avant toute initiative législative.

Le Gouvernement n'a pas encore répondu, pour sa part, à cette consultation. Mais Mme Lagarde, que nous avons auditionnée, nous a indiqué que son objectif principal était de prévenir tout affaiblissement unilatéral des instruments communautaires de défense commerciale, alors que les négociations de l'OMC sur ce sujet sont bloquées. Nos propositions sont donc en phase avec la position du Gouvernement.

M. Robert Bret :

Il était incontestablement utile qu'un groupe de travail se penche sur la question de la défense commerciale. Les auditions que nous avons menées soulignent tout à la fois l'importance du sujet, mais aussi les difficultés à formuler des propositions concrètes et précises. Je pense en particulier aux difficultés rencontrées par les associations de consommateurs à se positionner sur le sujet. La communication de notre collègue Bizet présente non seulement un bilan approfondi, qui cerne bien les enjeux, mais aussi des propositions élaborées après un travail conséquent dont je partage les grandes lignes.

Cela étant, nos travaux ont montré la nécessité d'engager une réflexion plus globale. Nous ne pouvons pas faire comme si l'OMC ne connaissait pas de difficultés : le cycle de Doha est bloqué. Or, nous avons un besoin urgent d'établir des passerelles entre la réglementation commerciale, élaborée à l'OMC, et les normes sociales et environnementales et pas seulement pour les pays en développement.

Le statu quo actuel au sein de l'OMC ne peut en aucun cas nous satisfaire. Les huit propositions présentées par Jean Bizet - de nature plutôt technique - doivent être appréciées à leur juste place face à ces enjeux plus globaux. Mais je m'associe à ce rapport car il me paraît apporter une contribution utile au débat qui doit se poursuivre ; et je suis heureux que l'on ait insisté sur la nécessaire attention à apporter aux PME.

M. Yann Gaillard :

Ce travail s'inscrit au coeur même des défis politiques et économiques qui se posent à notre pays et, par là même, des préoccupations de nos concitoyens en cette période préélectorale.

Le groupe de travail est allé, par des propositions bien articulées, aussi loin qu'il est possible de le faire dans le cadre actuel. Mais cela souligne aussi, en creux, la nécessité qu'il y a désormais à réexaminer nos cadres de pensée, tant au sein de l'Union européenne que de l'OMC, bien trop imprégnés de libéralisme.

M. Jacques Blanc :

Cette communication est utile et constitue pour moi un exemple de la méthode que nous devons suivre dans les débats européens. Plutôt que de nous autoflageller, nous devons faire des analyses et des propositions. C'était d'ailleurs la méthode que nous avions suivie sur la directive services. Il ne s'agit cependant que d'une étape.

Je crois que nous aurions tout intérêt à saisir nos collègues des autres parlements nationaux de nos positions, pour voir quel écho elles rencontrent et s'il est possible d'avancer des propositions conjointes à la Commission.

M. Paul Girod :

J'ai noté avec intérêt que, sur le sujet de la défense commerciale, l'Allemagne venait de changer de position. Je crois qu'il serait intéressant que, sur des débats de cette importance, nous puissions porter une plus grande attention à la position des différents États membres, et surtout à celle de l'Allemagne.

La proposition sur l'accès au juge est intéressante. Elle mériterait probablement d'être creusée plus avant, au regard notamment de l'action collective telle qu'elle est pratiquée aux États-Unis. Serait-il possible qu'une entreprise s'estimant lésée puisse porter seule le litige devant le TPI, d'autres entreprises pouvant se joindre alors à la procédure ?

M. Christian Cointat :

Je comprends et partage l'orientation du rapport : il s'agit de voir comment utiliser au mieux les instruments de défense commerciale dans la limite de ce qu'autorise l'OMC.

Je souhaiterais que le rapporteur puisse nous apporter des précisions sur trois points. Comment imagine-t-il la structure et le fonctionnement de l'agence indépendante ? Comment se fait-il que le montant des droits soit sensiblement supérieur aux États-Unis alors que les règles de l'OMC sont contraignantes et plafonnent ces droits ? Comment est mis en oeuvre le test de l'intérêt communautaire ?

La proposition sur l'accès au juge me paraît particulièrement importante. Si elle est mise en oeuvre, il est plus que probable que s'affirme une jurisprudence fondée sur l'équité qui redonnera une plus grande efficience au système.

M. Robert del Picchia :

Le débat est d'importance, les propositions sont concrètes et intéressantes. Il me semble important que notre délégation puisse donner le plus large écho à ces travaux qui montrent bien notre souci d'apporter des réponses pratiques à des sujets qui concernent directement nos concitoyens et nos entreprises.

M. Jean Bizet :

Je tiens à souligner à nouveau que nos propositions ne préjugent en rien des évolutions à apporter au cadre actuel des échanges commerciaux internationaux. L'OMC est en panne et plusieurs de nos partenaires, surtout les États-Unis, s'en accommodent fort bien. Nous devons prendre en compte les préoccupations sociales et environnementales, qui ne peuvent faire les frais de la concurrence internationale. Pour cela, je ne crois pas qu'il faille changer l'architecture de l'OMC : c'est une organisation internationale qui doit s'en tenir à sa fonction de régulation des échanges commerciaux internationaux. En revanche, il importe d'instituer de nouvelles passerelles avec les exigences sociales et environnementales. Le récent rapport commun de l'OMC et de l'OIT et les travaux de la conférence de Paris sur une future ONU environnementale en constituent de premiers exemples.

Le récent rapport de notre délégation sur les agences européennes a montré qu'il existait en fait autant de types d'organisation interne que d'agences, mais qu'elles avaient toute vocation à assurer une expertise indépendante visant à rendre plus transparente et plus crédible l'action publique. Dans notre cas, l'agence serait chargée d'instruire des procédures, de mener les enquêtes et de faire les propositions. Il semble donc logique que la plus grande partie du personnel travaillant sur la défense commerciale à la DG Commerce lui soit affectée. En tout état de cause, la décision définitive doit rester au Conseil.

Le montant moyen des droits antidumping est en effet bien plus élevé aux États-Unis qu'en Europe. Je rappelle que les États-Unis font prévaloir bien souvent une logique de rétorsion sur une logique de compensation. C'était l'esprit de la section 301 du Trade Act de 1974 qui permettait d'imposer des droits allant jusqu'à 60 %. Il est vrai que leur pratique n'a pas toujours été conforme aux règles de l'OMC. Mais l'un des facteurs expliquant qu'ils imposent des droits plus élevés que l'Europe tient au fait qu'ils n'appliquent pas la règle du moindre droit et qu'ils n'appliquent pas nécessairement la même méthodologie pour le calcul de la marge de dumping pour les pays qui n'ont pas le statut d'économie de marché.

Un exemple me semble significatif des difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre de la notion de l'intérêt communautaire : c'est celui des chaussures de cuir. Cette affaire a suscité de profondes divisions parmi les opérateurs économiques européens et parmi les États membres. La Commission a cherché à proposer des solutions de compromis en se fondant sur cette notion d'intérêt communautaire, c'est-à-dire en prenant en considération non seulement l'intérêt des fabricants de chaussures européens lésés par le dumping, mais aussi celui des importateurs et des vendeurs de chaussures qui peuvent, eux, trouver intérêt à ce dumping. Mais ses propositions - d'abord, ne pas prendre en compte les chaussures pour enfants ; ensuite fixer en deçà de cinq ans la durée d'imposition des droits - sont finalement apparues comme de simples réponses en opportunité, bien éloignées de toute analyse sérieuse de ce que doit être l'intérêt de la Communauté. C'est cela que nous devons clarifier.

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À l'issue de ce débat, la délégation a décidé, sur la proposition d'Hubert Haenel, de publier cette communication, au nom du groupe de travail, sous la forme d'un rapport d'information. Elle a de plus retenu l'idée d'organiser, le moment venu, un débat en séance plénière sur ce sujet à partir d'une question orale européenne.