Réunion de la commission des affaires européennes du mercredi 28 janvier 2009


Table des matières

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Politique étrangère et de défense

Relations extérieures de l'Union européenne

Audition de M. Eneko Landaburu,
directeur général de la Commission européenne (DG Relex)1(*)

M. Hubert Haenel :

Je suis particulièrement heureux d'accueillir parmi nous Monsieur Eneko Landaburu, directeur général chargé des relations extérieures à la Commission européenne, qui est de nationalité espagnole, mais qui, comme beaucoup d'entre nous le savent déjà, s'exprime parfaitement en français. Nous sommes plusieurs à avoir eu l'occasion de le rencontrer lors de déplacements à Bruxelles.

En effet, vous avez été de 1986 à 2000 directeur général responsable de la politique de cohésion à la Commission européenne, puis de 2000 à 2003, directeur général chargé de l'élargissement, et, depuis cette date, vous êtes directeur général pour les relations extérieures. On pourrait dire, d'une certaine manière, que vous n'avez cessé d'élargir votre champ d'activité ! Prochainement, vous assumerez d'ailleurs d'autres responsabilités, puisque vous prendrez à l'été le poste de chef de la délégation de l'Union européenne au Maroc. Nous sommes donc particulièrement heureux de vous recevoir aujourd'hui afin que vous puissiez nous exposer les derniers développements dans le domaine des relations extérieures de l'Union européenne et nous faire part de votre expérience.

Je pense que vous évoquerez, dans votre propos liminaire, la politique de voisinage de l'Union européenne, qui est une de vos principales responsabilités, ainsi que les développements concernant, d'une part, l'Union pour la Méditerranée, et, d'autre part, le partenariat oriental cher à la présidence tchèque. Sur ce dernier sujet, j'ai pris connaissance de votre récente audition au Parlement européen, le 21 janvier dernier, où certains parlementaires européens ont critiqué le « manque d'ambition » de ce partenariat. Peut-être pourrez-vous nous donner quelques éléments d'appréciation sur la manière dont ce projet a été conçu et sur la façon dont il est accueilli, notamment par les principaux partenaires concernés ?

Enfin, compte tenu de votre grande expérience, peut-être pourrez-vous nous donner quelques éléments sur l'avenir des relations extérieures de l'Union européenne ? Si le traité de Lisbonne n'est pas encore ratifié, il contient des dispositions importantes sur la manière de conduire la politique étrangère de l'Union ; ces réflexions institutionnelles sont importantes.

Les sujets ne manquent pas, en dehors du voisinage proche, avec aussi les relations Union européenne/Russie, Union européenne/États-Unis, les développements au Moyen-Orient, mais je pense que, plutôt que d'alourdir vos propos liminaires par un tour d'horizon complet de nos relations extérieures - ce qui serait sans doute un défi dans le temps qui vous est imparti -, certains aspects pourront être traités sous forme de questions/réponses avec nos collègues.

M. Eneko Landaburu :

C'est toujours un plaisir pour le technocrate que je suis de me rendre auprès des élus du peuple. J'ai commencé ma carrière comme élu du Parlement basque en Espagne : je reste fidèle à mes origines et je n'oublie pas l'importance du contrôle démocratique de l'action des exécutifs.

Je voudrais, dans mes propos liminaires, vous apporter quelques éléments de réflexion et de commentaires par rapport à une réalité européenne qui est aujourd'hui très riche dans le domaine extérieur. Mais il me faut peut-être, avant, faire un point sur la présence de l'Union européenne aujourd'hui dans le monde.

En cinquante ans d'intégration européenne, à travers la consolidation des politiques internes, notamment le marché intérieur, l'euro, les politiques communes, nous avons été capables d'avoir une présence dans le monde. Et, aujourd'hui, il est incontestable que l'Union européenne est un acteur global. Pourquoi ? Parce que nous sommes le premier partenaire commercial, dans un monde où le commerce est déterminant dans les relations internationales. De plus, nous assurons le leadership dans le domaine de l'aide au développement, et l'Europe en tant que telle, à côté des États membres, est reconnue comme étant un donateur de premier ordre dans la coopération au développement. En soixante ans, nous avons développé plus de 700 accords (accords d'association, accords sectoriels ou globaux) avec des partenaires publics extérieurs dans le monde. Nous assurons avec l'euro le rôle de deuxième monnaie de réserve du monde. Enfin, nous avons un leadership dans un certain nombre de domaines, comme la lutte contre le changement climatique et la réduction des gaz à effet de serre. Nous avons aussi un réseau de 130 délégations de la Commission européenne, qui réunissent plus de 5 000 collaborateurs dans le monde : de Buenos Aires à Moscou en passant par Pékin, Washington, Ottawa, les capitales africaines et bien d'autres encore. La Commission y travaille pour améliorer la coopération de l'Union avec l'ensemble de ces pays et des organisations internationales concernées. Cependant, si nous sommes un acteur mondial, nous ne sommes pas encore un acteur politique global. Pourquoi ? Parce que nous avons développé à l'extérieur ce qui relève des politiques communautaires, celles qui, d'après le traité, font l'objet d'un partage de compétences entre les États membres et les institutions européennes. Or, la plupart de ces politiques concernent le domaine économique. C'est pourquoi on parle souvent du « soft power » de l'Union européenne.

Laissez-moi vous raconter une anecdote à ce sujet. J'ai accompagné le Président Barroso à Pékin pour un sommet UE/Chine il y a un peu plus d'un an, et le Président de la République de Chine nous a dit que, parmi les événements qui ont eu lieu au cours du XXe siècle, l'un des plus importants a été la capacité de l'Europe à se réconcilier, et sa capacité à se poser en référence dans un monde qui doit devenir de plus en plus multipolaire. Nous y sommes parvenus sans véritable politique extérieure commune ni politique de défense européenne. Comment expliquer l'absence de celles-ci ? Parce que les États membres, à tort ou à raison, n'ont pas voulu partager leur souveraineté dans ce domaine régalien. Autrement dit, la politique extérieure et la politique de défense de l'Union européenne n'existent que dans un cadre et des mécanismes de coopération intergouvernementaux. La présence européenne dans le monde repose donc concrètement sur deux piliers. Un pilier communautaire, concernant les relations économiques extérieures, et un pilier intergouvernemental. Au total, la politique extérieure de l'Union n'a pas atteint un degré de maturité à mon avis suffisant à ce stade pour que l'Europe puisse jouer le rôle qu'elle devrait assumer, celui d'un groupe politique de 500 millions de citoyens de 27 États membres. L'Union européenne a encore des mécanismes de décisions et de fonctionnement trop intergouvernementaux pour atteindre une véritable capacité d'influence.

Je voudrais maintenant vous présenter les actions que nous nous sommes efforcés de réaliser durant le mandat de la Commission Barroso depuis quatre ans, et les domaines dans lesquels nous avons eu le plus de réussite.

Nous avons d'abord voulu adapter la politique d'élargissement. Elle était l'élément le plus important de la politique extérieure de l'Union européenne, puisqu'elle visait à accueillir dans la famille européenne un certain nombre de pays voisins qui avaient la volonté et le désir de rejoindre l'Union, ses principes, ses valeurs et ses obligations. Nous avons eu de grandes difficultés pour « digérer » cet élargissement à l'est, vous le savez bien en France. J'étais moi-même négociateur en chef à l'époque avec tous ces pays, et il est vrai qu'on ne passe pas sans conséquences de 15 à 27, notamment en termes d'organisation et de prise de décision. Cela dit, je suis convaincu que cet élargissement était nécessaire. Comme le disait Jacques Delors : « L'histoire n'attend pas », et il faut répondre à celle-ci quand elle se présente. Il s'agissait bien de réconcilier la géographie et l'histoire. Les résultats ne sont pas négatifs, puisque l'entrée de ces pays dans l'Union européenne n'a pas fondamentalement perturbé son fonctionnement, même s'il l'a compliqué. Cela explique pourquoi nous avons actuellement une politique d'élargissement plus réduite, plus réaliste et moins ambitieuse, avec le cas de la Turquie. Ce qui est dangereux, dans le cas de ce pays, c'est que nous avançons dans la négociation sans en connaître le résultat final, sans avoir dit clairement à nos interlocuteurs quelle en sera l'issue. Nous risquons de créer une tension politique majeure avec ce pays qui négocie de bonne foi, qui s'adapte à nos exigences et qui pourrait être déçu. Aujourd'hui, comme vous le savez, l'élargissement est limité à certains pays des Balkans, et personne ne souhaite accélérer le processus en cours.

Parallèlement à l'élargissement, l'une des priorités de l'action extérieure de l'Union a été le développement de la politique européenne de voisinage au sud et à l'est. Je crois qu'il est un peu tôt pour tirer des conclusions définitives. Mais le travail que nous effectuons depuis quatre ans et demi consiste à permettre à ces pays de se rapprocher le plus possible de l'Union, sans partager ses institutions. C'est ce que Romano Prodi, l'ancien Président de la Commission européenne, appelait « l'intégration sans les institutions ». C'est un peu plus compliqué que cela, mais il est vrai que nous avons une grande ambition pour nous rapprocher de ces pays voisins et pour créer avec eux un espace de sécurité, un espace de démocratie partagée, et un espace de prospérité. Voilà l'enjeu final de la politique de voisinage. Pour ce faire, nous invitions tous les pays concernés à se rapprocher de la norme européenne. Le bilan est plus ou moins mitigé selon les pays. Avec certains d'entre eux, nous sommes allés très loin. Par exemple, nous sommes actuellement en train de finaliser un important accord d'association avec l'Ukraine. En quatre ans, depuis la Révolution orange, nous avons beaucoup approfondi nos relations et notre coopération avec ce pays dans de nombreux domaines, qui vont du commerce aux accords douaniers, en passant par l'environnement. Il reste des difficultés sur le transport de l'énergie et les capacités de transit, mais c'est un autre problème.

De même, avec le Maroc, nous avons effectué des progrès considérables à travers le « statut avancé » que nous lui avons octroyé très récemment. Il en va de même avec Israël. Au contraire, nous n'avons pas beaucoup avancé avec l'Égypte. Au total, la politique de voisinage est un dispositif de coopération très ambitieux, qui ne va pas jusqu'à l'adhésion mais qui permet un rapprochement sans précédent de l'Union européenne avec ses voisins méditerranéens et orientaux.

Je voudrais également insister sur l'Union pour la Méditerranée (UPM). Nous avons rencontré indéniablement certaines difficultés avec le gouvernement français au lancement du projet. Mais, maintenant, nous sommes dans une situation apaisée. L'initiative du Président de la République française s'est avérée bénéfique, car elle a apporté une valeur ajoutée au Processus de Barcelone, sans pour autant casser ce qui existait avant. Nous avons oeuvré pour que l'UPM concerne tous les pays de l'Union et pas seulement les pays riverains de la Méditerranée, car il fallait absolument maintenir l'unité politique de l'Europe vis-à-vis de ces pays.

A côté de la politique d'élargissement et de la politique de voisinage, nous avons consolidé nos relations avec les partenaires stratégiques que sont entre autres les États-Unis, la Russie, le Japon et la Chine. Avec tous ces pays, et notamment avec la Chine, il nous a été possible d'approfondir depuis 2004 nos relations. Je ne vous cache pas que cela ne s'est pas toujours fait sans difficultés. Je pense en particulier à la Russie, notamment dans le cadre de l'élaboration du nouvel accord de partenariat stratégique, dont je suis le négociateur en chef. L'important est que l'Union européenne existe aujourd'hui aux yeux de tous ces pays, qui, pour la plupart, sont favorables à l'émergence de l'Europe comme acteur international dans un monde multipolaire. C'est surtout le cas de la Chine et des États-Unis depuis le second mandat du Président Bush. En effet, au cours de son premier mandat, le président américain avait eu tendance à diviser l'Europe pour atteindre ses objectifs, en l'occurrence en Irak. Mais, au cours de son second mandat, il s'est rendu compte que si les États-Unis peuvent faire la guerre seuls, ils ont besoin d'alliés pour créer les conditions de la paix en Irak et en Afghanistan. Le Président Bush a donc adopté une approche beaucoup plus ouverte vis-à-vis de l'Europe. Nous verrons ce qu'il en sera avec le Président Obama.

De plus, l'Union européenne a développé depuis 2004 des coopérations stratégiques avec les grands pays émergents comme le Brésil ou l'Inde. Ainsi, nous avons instauré des sommets annuels au plus haut niveau, avec notamment le Brésil. Cela nous permet de faire le point de nos relations au niveau des chefs d'État et de gouvernement, de lancer des initiatives politiques et d'échanger sur les questions internationales.

Je tiens à souligner que, sous le mandat de la Commission Barroso, il y a eu un développement spectaculaire des aspects externes de certaines politiques communautaires. C'est vrai pour les transports, avec Galileo. Ce projet européen prévoit des accords incluant dans son développement des pays comme l'Inde, la Chine et le Brésil. De même, dans le domaine de la recherche, nous avons atteint des résultats exemplaires. J'étais à Rio de Janeiro le 22 décembre dernier, dans le cadre du sommet UE/Brésil qui a permis de concrétiser une collaboration dans la recherche. Dans le domaine de l'environnement, je l'ai déjà dit, nous avons pris le leadership grâce à une proposition de stratégie de la Commission pour lutter contre le réchauffement climatique. Les États membres l'ont acceptée et, grâce à l'impulsion de la présidence française de l'Union européenne, on s'est mis d'accord sur des objectifs européens en la matière. Aujourd'hui, il n'y a plus de réunion internationale entre l'Union européenne et ses partenaires qui n'aborde pas ce sujet.

Avant de laisser la place au débat, je voudrais insister sur les valeurs de l'Union européenne. Depuis quatre ans et demi, nous n'avons cessé, dans les enceintes internationales et dans notre dialogue avec les autres pays, de mettre en avant le concept de multilatéralisme comme élément essentiel du règlement des conflits et des crises internationales. C'est quelque chose qui fait l'identité de l'Europe à l'extérieur. Il en va de même pour la défense des droits de l'Homme et la promotion de la démocratie. Nous sommes le premier ensemble de pays qui conditionne la conclusion d'accords économiques et commerciaux à un dialogue sur le respect des droits de l'Homme. Certes, cela ne donne pas toujours les résultats escomptés, notamment avec la Chine, mais il y a bien la volonté affirmée de promouvoir les principes et les valeurs qui nous réunissent. Par exemple, tous les pays savent qu'on ne peut pas être membre de l'Union européenne si l'on n'a pas aboli la peine de mort. Qu'on soit en Asie du Sud-est, en Amérique du Sud ou à l'est de la Russie, c'est comme ça que l'on nous perçoit. Cela ne veut pas dire que nous sommes toujours exemplaires, mais cela fait partie de notre identité.

La Commission européenne a également beaucoup oeuvré depuis 2004 pour soutenir les initiatives qui ont été prises dans les domaines de la politique de défense et de la PESC. Nous sommes notamment pleinement associés aux travaux de Javier Solana. Nous avons contribué à la définition d'une stratégie de sécurité, mais surtout au financement de la PESC et de certaines opérations, par exemple à Aceh en Indonésie, en Afrique et dans les Balkans. Dans le domaine de la politique extérieure régalienne, le Président Barroso a accompagné le Président Sarkozy à Tbilissi et à Moscou, pour participer au règlement du conflit entre la Géorgie et la Russie. Il était également présent au sommet de Camp David sur la crise économique.

Je voudrais terminer mon exposé par quelques réflexions plus institutionnelles. Il n'y aura pas d'amélioration notable de la politique extérieure de l'Union européenne tant que le traité de Lisbonne ne sera pas ratifié et mis en oeuvre. Certes, il ne règlera pas tous les problèmes, mais permettra à l'Europe, par certaines dispositions institutionnelles, d'être plus visible, d'être plus cohérente dans son action extérieure et d'avoir plus d'influence. Comment ? Parce que nous aurons un président du Conseil européen qui assurera la représentation de l'Union à l'extérieur. Aujourd'hui, vous savez que l'on change de présidence tous les six mois, et le passage de la présidence française à la présidence tchèque a révélé les difficultés que nous rencontrons pour assurer une continuité, une visibilité et une permanence dans la présence extérieure. Si l'on ajoute que le traité de Lisbonne instaure un vice-président de la Commission, qui sera à la fois le Haut représentant pour les questions extérieures, nous aurons évidemment plus de capacités d'action. Ces améliorations ne signifient pas que, s'il y avait une nouvelle guerre en Irak, l'Union ne serait pas divisée. Mais elles nous mettent sur le chemin du consensus et d'une capacité d'expression commune qui n'existent pas aujourd'hui. De ce point de vue, je crois que le service d'action extérieure commun prévu par le traité de Lisbonne sera un instrument de poids. J'assiste tous les mois au Conseil des ministres des affaires étrangères. Ceux-ci n'ont pas le temps de s'arrêter pour réfléchir à des stratégies à moyen terme vis-à-vis de la Russie ou du monde musulman. C'est pour cela qu'il nous faut créer une boîte à outils pour la politique extérieure, qui soit aussi efficace que celle qui a fonctionné pour le marché intérieur, et qui se rapproche de la méthode communautaire. Cependant, il faut être réaliste : les États membres n'accepteront pas du jour au lendemain que les décisions dans les domaines régaliens de la défense ou de la politique extérieure se prennent à la majorité qualifiée.

Voilà quelques réflexions générales et non exhaustives pour ouvrir le débat.

M. Robert del Picchia :

Merci Monsieur le directeur général. Je souhaiterais vous interroger sur trois sujets. Tout d'abord, l'Union européenne et le Proche-Orient. Après le cessez-le-feu intervenu dans la bande de Gaza, l'Union européenne est-elle prête à s'impliquer plus fortement, et pas seulement en matière d'aide humanitaire, pour favoriser un plan de paix durable dans la région ? Qu'en est-il, par exemple, de la proposition européenne de contribuer à la protection des frontières entre l'Égypte et Gaza ? Et quelle est la position de la Commission et des différents États membres concernant les relations avec le Hamas ? Ce n'est pas très clair. L'Union européenne est-elle prête à entamer un dialogue avec les membres de cette organisation, dans la perspective d'un gouvernement palestinien d'union nationale ?

Où en sommes-nous réellement de l'état d'avancement du rehaussement de la relation Union européenne-Israël ?

Enfin, l'accord d'association Union européenne-Syrie a été paraphé récemment. Quelles sont les conditions à réunir maintenant en vue de sa signature et quelle est la position de la Commission ?

Le deuxième sujet sur lequel je voudrais vous interroger porte sur les relations transatlantiques. L'investiture du nouveau Président américain Barack Obama a suscité beaucoup d'espoirs pour le dialogue transatlantique. Il semble qu'il y ait des deux côtés de l'Atlantique une même volonté de renforcer ce partenariat. Toutefois, à la lecture du compte-rendu de l'audition de Mme Hillary Clinton devant le Sénat américain, j'ai été frappé par le fait que l'Union européenne n'avait pratiquement pas été mentionnée en tant que telle par la nouvelle Secrétaire d'État. Et, lorsque l'on aborde le fond des dossiers, des questions subsistent. Qu'en est-il, par exemple, de l'accueil des détenus de Guantanamo ? Où en est-on dans la position européenne ? L'Union européenne est-elle disposée à s'investir davantage en Afghanistan, comme le souhaite la nouvelle administration américaine ? En outre, peut-on espérer une amélioration des relations avec la Russie ?

Enfin, ma dernière question porte sur l'Union pour la Méditerranée (UPM) et la politique de voisinage. Après le lancement réussi de l'UPM sous présidence française, comment faire pour que le soufflé ne retombe pas ? Que faudrait-il faire pour relancer l'Union pour la Méditerranée après les événements de Gaza ?

M. Simon Sutour :

Je souhaiterais que vous puissiez nous donner plus d'informations sur le développement des relations transatlantiques. On attend beaucoup des États-Unis, sur l'énergie, sur le climat, sur le conflit du Proche-Orient, ou encore sur la crise financière. Mais l'enjeu n'est-il pas avant tout du côté de l'Europe, qui doit montrer au nouveau Président américain qu'elle peut être un partenaire efficace ? Quelle attitude l'Europe peut-elle adopter face à ce nouvel interlocuteur ?

M. Eneko Landaburu :

Sur le Proche-Orient, il est évident que la situation devient de plus en plus difficile et compliquée. Quand j'ai pris ce poste il y a un peu plus de cinq ans, la situation était moins grave et permettait d'être plus optimiste. On est allé de drame en drame et, aujourd'hui, après ce qui s'est passé à Gaza, la situation est tellement terrible que je vois mal comment nous allons en sortir. Pourquoi la politique antérieure, celle du Quartet, n'a-t-elle pas fonctionné ? Je rappelle que le Quartet rassemble depuis 2002 les États-Unis, la Russie, l'Union européenne et les Nations-Unies. Il me semble qu'on peut l'expliquer parce que, derrière cette politique, nous étions persuadés que les États-Unis pouvaient influencer Israël pour l'obliger à faire des concessions dans le sens de la paix sur un certain nombre de questions : la coexistence de deux États sur les frontières de 1967, le statut de Jérusalem, le retour des réfugiés. Or, les États-Unis n'ont pas pu ou n'ont pas voulu influer sur Israël, et, par là-même, n'ont fait que renforcer des aspects inacceptables pour les Palestiniens et le monde arabe : l'installation des colons en Cisjordanie, le mur dont la construction a été décidée en 2002, la fermeture de Gaza.

En outre, le Quartet présupposait aussi que l'Europe pouvait influencer le monde arabe afin que celui-ci limite les capacités de terrorisme des extrémistes. Mais l'Europe n'a pas su le faire et le terrorisme a prospéré.

Aujourd'hui, l'Union européenne se trouve dans une position de faiblesse sur cette question, car elle est relativement divisée. En effet, certains États membres soutiennent la politique israélienne actuelle. Il s'agit de la République tchèque, de la Hollande et de la Grande-Bretagne, avec un peu plus de distance cependant pour ce dernier pays. À l'inverse, il y a ceux qui sont plus proches de la défense des positions du monde arabe, comme l'Espagne et la France. Et puis il y a l'Allemagne, qui sur ce sujet est toujours culpabilisée. Il n'y a pas d'unité européenne, donc il ne peut y avoir de capacité d'entraînement ou d'influence de la part de l'Union européenne sur cette question.

Pour ma part, je suis convaincu que le règlement de la question passerait par le développement d'une politique américaine plus conciliante à l'égard de l'Iran. Car c'est la question essentielle : comment doit-on traiter l'Iran, et ce pays peut-il être sensible à un discours plus conciliant et rassurant, qui l'obligerait, en contrepartie, à adopter une attitude responsable dans la région ? Qui peut arrêter le Hamas et le Hezbollah ? À mon avis, seul l'Iran aujourd'hui pourrait avoir une telle influence. L'Europe n'a aucune influence sur l'Iran, qui poursuit ses recherches nucléaires malgré les contrôles répétés de la Communauté internationale. Il faut créer une rupture par rapport à la situation actuelle, et cette rupture ne peut venir, à mon avis, que d'un dialogue avec les États-Unis. En outre, on peut espérer que les prochaines élections en Israël ne verront pas les faucons prendre le pouvoir, mais qu'elles déboucheront au contraire sur une politique d'ouverture.

À titre personnel, je pense que nous sommes dans une très grande impasse, et je ne vois pas comment l'Union européenne peut renforcer son poids dans le règlement du conflit. Nous faisons déjà beaucoup. L'Europe a apporté plus de 700 millions d'euros d'aide à Gaza. Nous apportons donc plus une action financière que politique dans la région.

Je le reconnais, ma vision du Proche-Orient est pessimiste, mais je garde espoir. Je voudrais évoquer à ce sujet le projet d'Union pour la Méditerranée. Le Sommet de Paris était grandiose et a permis de réunir des dirigeants qui ne se côtoient jamais : le Président syrien, le leader du Qatar par exemple, et les Israéliens ! C'est fondamental. Je voudrais vous expliquer pourquoi la Commission a initialement critiqué l'initiative du Président de la République française. Elle nous semblait tout à fait utopique et susceptible par là-même de conduire à des effets négatifs, en créant de la déception et de la désillusion. Ainsi, le discours de Marseille proposait aux pays de la rive Sud de la Méditerranée une Union semblable à l'Union européenne. Nous savons à quel point cela peut être difficile et complexe entre nos États membres. Alors, comment imaginer une telle union entre des pays dont les frontières sont fermées et qui ne se parlent pas ? Hubert Védrine a parlé de chimère, et il me semble que c'est le terme adéquat. Néanmoins, l'idée était bonne, et ce que le Président Sarkozy a proposé, à savoir de mettre en oeuvre un certain nombre de grands projets structurants et visibles pour améliorer la coopération entre les deux rives de la Méditerranée, est une très bonne chose. La Commission financera presque la moitié des coûts du futur Secrétariat de Barcelone. De même, le budget communautaire financera en partie de grands projets dans le domaine de l'énergie, du transport et de l'environnement. Car ces projets sont la valeur ajoutée de l'UPM par rapport au Processus de Barcelone. En outre, l'Union pour la Méditerranée instaure une réunion tous les deux ans au niveau des chefs d'État et de gouvernement. Cette mesure donne aussi une visibilité et une impulsion politique qui n'existaient pas avec le Processus de Barcelone. Malheureusement, à la suite des événements de Gaza, les pays arabes ont décidé de cesser toutes les discussions en cours, dont le but était de mettre en oeuvre les conclusions du Sommet de Paris. Finalement, on constate que l'Union pour la Méditerranée ne peut pas du jour au lendemain régler les contradictions du Processus de Barcelone, dont l'échec s'explique en partie par notre incapacité à régler le conflit israélo-palestinien.

Le grand mérite de l'approche française est de replacer la Méditerranée au coeur de l'agenda politique de l'Europe dans son ensemble, puisque nous avons obtenu que l'ensemble des États membres soient concernés, même s'ils ne sont pas riverains de la Méditerranée. C'était pour la Commission une condition nécessaire. Que dirait-on si l'Allemagne voulait développer de son côté une politique avec l'Ukraine, la Biélorussie, la Moldavie ? Il était primordial de maintenir l'unité de la politique européenne, comme l'a bien dit la Chancelière Angela Merkel. Malgré tout, il ne faut pas attendre de résultats spectaculaires à court terme, du fait de cette difficulté politique majeure qu'est le conflit israélo-palestinien. Le Président Barroso et moi-même sommes persuadés que la Méditerranée est probablement, avec les Balkans, la priorité de la politique extérieure de l'Union européenne. Il y a là une population qui croît avec une forte intensité démographique alors que nous sommes sur le déclin. Il y a aussi un écart de développement économique qui ne cesse de s'élargir, tandis que l'intégrisme musulman religieux se développe de façon préoccupante. Je le constate de déplacement en déplacement. Nous devons donc accorder encore plus d'importance à la Méditerranée.

En ce qui concerne les relations transatlantiques, le maître mot est « espoir », car seuls les États-Unis peuvent changer la donne en Palestine, en Afghanistan, en Irak. Le retrait annoncé d'Irak est une très bonne chose. De même, Barack Obama a adopté une attitude volontariste pour lutter contre le réchauffement climatique. On verra comment ces paroles se concrétisent, mais ce sont déjà des portes qui s'ouvrent, alors qu'elles étaient complètement fermées sous le mandat de G.W Bush. Je me souviens d'une rencontre à Washington entre le Président Barroso et le Président américain, au cours de laquelle M. Bush s'était fâché lorsque nous avions abordé les questions environnementales.

Bien sûr, il est très difficile aujourd'hui de dire précisément ce qui va changer et comment. En effet, tous les responsables n'ont pas encore été nommés dans l'administration d'Obama, et le nouveau Président ne s'est pas encore prononcé clairement sur un certain nombre de sujets importants. Ce qui est sûr, c'est que l'Europe, si elle veut être prise au sérieux par Obama, qui ne nous connaît pas, devra exprimer sur les grands sujets une position commune. Sur le climat, c'est déjà le cas, avec l'adoption du paquet « énergie-climat » sous présidence française. De même, sur la crise financière, nous avons défini une position commune. On ne peut pas en dire autant des zones de crise telles que l'Afghanistan, l'Iran, le Moyen-Orient. Donc, l'urgence, pour nous, d'ici le sommet Union européenne-États-Unis qui aura lieu en juin à Washington, est de consolider une position européenne commune sur tous les grands sujets de politique internationale. Tel est l'enjeu : ou bien nous parlons d'une seule voix et nous serons pris en considération, ce qui nous donnera une réelle capacité d'influence, ou bien nous restons divisés et nous n'obtiendrons rien.

Mme Alima Boumediene-Thiery :

J'aimerais savoir si le partenariat oriental est inclus dans la politique européenne de voisinage, et quelle protection supplémentaire il apporte en termes de sécurité par rapport au voisinage. Je pense par exemple à la crise gazière.

Ma deuxième question porte sur la politique de voisinage elle-même. Elle a renforcé jusqu'à aujourd'hui la zone de libre-échange comme l'a fait le Processus de Barcelone, et pour le reste, c'est un échec, puisque je ne constate aucune avancée sur la libre circulation des personnes, sur la paix pour les peuples, et encore moins sur l'aspect démocratique et les droits de l'Homme.

L'article 2 des accords d'association est consacré aux droits de l'Homme et aux exigences requises en la matière. Que fait-on lorsque ces droits de l'Homme sont violés comme cela s'est passé à Gaza ? Je viens de passer une semaine à Gaza. Je peux vous dire que c'est un désastre humain. C'est pire qu'un tremblement de terre, car il y a une volonté délibérée de tout éradiquer. Alors y a-t-il en Europe, oui ou non, la possibilité d'adopter des sanctions pour faire respecter les droits humains qui sont mentionnés dans l'article 2 des accords d'association ? Le mois de mai verra le renouvellement des accords d'association, tandis que le mois de juin verra celui des accords de partenariat et de coopération techniques et scientifiques. Est-ce que oui ou non, l'Europe a la volonté de dire au gouvernement israélien qu'il a été trop loin ? Je vous rappelle que le principe du gel des relations a été voté en 2002, mais la Commission européenne n'a rien fait et le Conseil européen, qui a tous pouvoirs, s'y est refusé. Le premier des conflits, c'est le conflit israélo-palestinien. On ne pourra jamais parler de l'Euromed, ni même d'un partenariat régional, tant qu'on n'aura pas réglé cette question. Pour moi, le maître mot, ce n'est pas l'espoir, c'est la justice, c'est le respect du droit international. Le peuple palestinien ne fait pas la différence entre Hamas ou pas Hamas. Ce sont tous des Palestiniens qui sont aujourd'hui victimes d'une injustice et qui résistent. Donc, que fait concrètement l'Europe pour faire respecter ce droit ?

M. Jacques Blanc :

Je voudrais revenir sur trois points. Premièrement, l'Union pour la Méditerranée (UPM). Vous nous avez donné votre analyse avec beaucoup de franchise. Pour l'avoir vécu au sein du Comité des régions, où j'avais lancé la constitution d'un intergroupe méditerranéen, j'ai bien perçu les réactions de rejet au départ, lorsque les pays du Nord ont eu peur que l'Union pour la Méditerranée ne se circonscrive aux pays riverains de la Méditerranée. J'ai constaté aussi le dégel et l'expression de la volonté de réussite lorsque nous avons surmonté nos divergences. Ce n'est pas l'Union pour la Méditerranée qui fera la paix entre la Palestine et Israël. Mais elle peut favoriser des échanges au plus haut niveau, vous l'avez dit. Il est essentiel que l'UPM réussisse. Elle a donné le coup de fouet dont Barcelone avait besoin. Maintenant, il faut aller plus loin malgré le drame de Gaza.

Deuxième point, le partenariat oriental. Je voudrais connaître votre analyse. Le partenariat oriental ne couvre pas toute la mer Noire, puisqu'il n'inclut ni la Russie, ni la Turquie. Je rappelle qu'il réunit les trois pays du Sud Caucase (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan), l'Ukraine, la Moldavie et la Biélorussie. Alors, quelle sera l'articulation entre la synergie de la mer Noire et le partenariat oriental ?

Enfin, troisième point sur la politique de voisinage. Elle était bilatérale, entre l'Union européenne et chacun des pays concernés suivant des programmes spécifiques et individualisés. Ne pensez-vous pas qu'il y aura une nouvelle orientation en fonction de ces politiques régionalisées (UPM, partenariat oriental, synergie de la mer Noire) ? N'y-a-t-il pas là une grande évolution de cette politique de voisinage ? En tout cas, je suis convaincu que la politique de voisinage sera un élément majeur du rayonnement de l'Europe.

Mme Catherine Tasca :

Je voudrais m'exprimer sur la relation entre l'Union européenne et Israël, dans le prolongement des réflexions de Mme Boumediene-Thiery. Je voudrais comprendre pourquoi et comment l'Union européenne, cet été, a donné une réponse de principe favorable au rehaussement de sa relation avec Israël, tout en évoquant systématiquement dans ses prises de position la nécessité pour Israël de cesser la colonisation, d'interrompre le blocus et de changer radicalement de politique. Il y a là quelque chose qui relève presque de la schizophrénie. Je voudrais comprendre comment l'Europe a pu donner ce signal très positif à Israël, forcément ressenti par les Palestiniens comme une préférence, puisque non seulement Israël n'a rien changé, mais que, depuis quelques semaines, la situation a empiré par sa faute dans des proportions intolérables. Je ne vois pas quelles sont les motivations de l'Union européenne dans cette affaire. Cela me conduit à réfléchir plus globalement à ce que vous avez appelé l'influence de l'Europe. Certes, l'Europe n'est pas à elle seule la clé de ce conflit. Mais ne pensez-vous pas que la schizophrénie de la position de l'Union la prive, justement, de toute capacité d'influence sur cette situation ? Car l'Union européenne, vous l'avez dit, est divisée, mais elle a cependant énoncé des exigences auprès d'Israël, à savoir l'arrêt de la colonisation, la levée du blocus et la facilitation de la vie économique notamment. Or, Israël n'a rien cédé, bien au contraire. Donc, comment, à partir de cette position de principe, en est-on arrivé à accepter l'idée du rehaussement des relations, et pourquoi ne fait-on pas preuve de fermeté pour qu'Israël comprenne qu'on ne progressera pas dans le rapprochement et l'association tant qu'il n'aura pas fait de concessions ? Il y a là deux signaux totalement contradictoires, dont le seul qui est retenu par Israël est que l'Union européenne est prête à approfondir ses relations.

Mme Annie David :

Je prolongerai les propos de mes deux collègues concernant le rehaussement des relations entre l'Union européenne et Israël. J'irai peut-être même plus loin en vous demandant s'il n'est pas aujourd'hui envisagé de suspendre justement cette procédure de rehaussement des relations avec Israël, au vu des événements dramatiques que vient de subir le peuple palestinien ?

M. Michel Billout :

Je voudrais savoir comment l'Union européenne considère le vote de certains peuples. Je pense ici aux relations entre l'Union européenne et le Hamas. Il me semble que, de ce point de vue, il y a une extrême ambiguïté dès lors que, d'une part, les observateurs de l'Union européenne sur place constatent le bon déroulement d'un scrutin, et que, d'autre part, ils en condamnent le résultat.

De même, je trouve un peu regrettable la position de l'Union vis-à-vis de l'Organisation des Moudjahidines du Peuple iranien, où, là aussi, en classant cette organisation dans la liste noire des organisations terroristes, on adopte une position qui n'en est pas une, si ce n'est celle d'un alignement sur la position des Américains. Et c'est aussi, sans doute, une forme d'ingérence quant au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

M. Richard Yung :

Je voudrais tourner le regard vers l'Est. Vous nous avez indiqué que vous meniez actuellement des négociations difficiles avec la Russie. On sait que l'Union européenne et la Russie entretiennent des relations ambigües et délicates. Il y a un double discours à Moscou vis-à-vis de l'Europe, à la fois d'amitié et de reproche. Pourriez-vous nous faire le point sur ce dossier ?

M. Robert del Picchia :

Deux de nos collègues sont actuellement au Proche-Orient. Ils ont rencontré un dirigeant du Hamas à Damas. Je voudrais vous demander si l'on ne va pas finir par reconnaître le Hamas, dans quelques semaines, voire quelques mois, comme on l'a fait pour les Moudjahidines du Peuple, en retardant jusqu'à la dernière limite ? Dans ce cas-là, pourquoi ne pas le faire plus tôt ? N'y-a-t-il pas là une position un peu ambiguë ?

M. Eneko Landaburu :

Sur la situation avec Israël, notre faiblesse tient à notre division, comme je vous l'ai expliqué tout à l'heure. Je soulignerai cependant que Louis Michel a été le seul représentant politique, avec le Président du gouvernement espagnol, à qualifier de « crimes contre l'humanité » les actions d'Israël dans la bande de Gaza. Le conflit israélo-palestinien pose un problème humanitaire et politique. L'Union européenne répond au problème humanitaire, à travers son agence ECHO. Sur le plan politique, je reconnais bien volontiers que nous sommes dans une situation de schizophrénie : l'Europe veut ménager la chèvre et le chou pour pouvoir éventuellement jouer un rôle de médiation dans ce conflit. Je pense que nous sommes dans l'erreur.

En ce qui concerne le rehaussement des relations avec Israël, il y a bien eu une décision du Conseil prévoyant d'envisager le renforcement du statut de coopération d'Israël avec l'Union. Cependant, aucune décision formelle n'a été adoptée sur le rehaussement proprement dit. Cette décision sera prise au printemps, sur la base de discussions techniques que la Commission européenne mène actuellement avec le gouvernement israélien (accords de science et technologie, participation à des programmes communautaires). C'est sur cette base là que le Conseil des ministres va décider. Or, les événements de Gaza changent la donne. Compte tenu des circonstances, je pense que les ministres reporteront ce rehaussement à des temps plus pacifiés, car le consensus sera difficilement atteint.

En ce qui concerne la politique de voisinage, j'estime que l'on ne peut pas parler d'échec. La politique de voisinage a apporté en trois ans des avancées très positives que l'on ne peut pas occulter. L'un des principes fondamentaux de cette politique est celui de la différenciation, ce qui veut dire que nous adaptons le niveau d'ambition de la relation à la volonté de chacun de nos partenaires. Barcelone a en partie échoué parce que l'on voulait faire exactement la même chose avec chaque pays, en dépit de leurs différences. La politique de voisinage tient compte de cet échec et s'adapte aux spécificités de chaque partenaire. Par exemple, il est évident qu'on ne peut pas aller encore très loin avec la Libye, avec qui les négociations viennent tout juste de commencer. Au contraire, avec le Maroc et la Jordanie, nous sommes allés très loin dans la coopération. Dans ce cadre-là, quel que soit le niveau d'ambition réalisable, il y a un dialogue sur les droits de l'Homme avec tous les partenaires. Au cours de ces réunions, nous présentons des exigences. Nous avons ainsi connu des moments de tension avec la Tunisie. Nous finançons la Ligue des droits de l'Homme tunisienne et nous avons rencontré à Bruxelles les leaders de l'opposition. On ne peut pas prétendre imposer la démocratie dans tous ces pays de par notre seule action et notre seule volonté, mais nous obtenons peu à peu des résultats tangibles. Ainsi, nous avons contribué à la libération d'un certain nombre de prisonniers homosexuels en Égypte.

Je rappelle qu'en la matière, ce sont les États membres qui décident. La Commission propose, en coopération avec le Parlement européen, et met en oeuvre. Je veux bien que les États membres condamnent Israël, mais, dans ce cas, il faudrait être cohérent et faire de même avec la Chine et certains pays africains. C'est toute la difficulté d'une politique des droits de l'Homme au niveau international, qui oscille entre le réalisme et l'influence. Donc, je ne pense pas que l'Union européenne va remettre en question les accords d'association dans les pays voisins à cause du manque de mise en oeuvre effective de la politique des droits de l'Homme dans ces pays. Vous êtes des parlementaires, vous avez une influence auprès de votre gouvernement. Que chacun exerce une influence sur son pays.

J'étais en Espagne pendant la dictature franquiste. Il y avait un accord d'association, signé en 1973 avec la Communauté européenne, et je peux vous garantir que cela nous a aidés à prendre le chemin de la démocratie.

En ce qui concerne le Hamas, ce n'est pas parce que nous avons financé et aidé à ce que des élections se tiennent dans les meilleures conditions - et cela a été le cas - que l'on doit forcément accepter le résultat de ces élections. Nous soutenons bien évidemment le processus démocratique, mais si l'élection aboutit, de façon certes légitime, à mettre au pouvoir des gens qui renient nos principes et nos valeurs et qui prônent la destruction d'Israël, vous comprendrez qu'on ne les félicite pas !

Ceci étant dit, je crois qu'il est impératif qu'on trouve les voies et les moyens pour discuter avec le Hamas. La semaine dernière, lorsque les ministres des Affaires étrangères ont rencontré leur homologue israélienne, Mme Livni, ils ont critiqué les conséquences humanitaires de l'invasion israélienne et ont exhorté Israël à ne rien faire pour empêcher une réconciliation interpalestinienne. De même, certains ministres, dont M. Kouchner, se sont déclarés favorables à une association du Hamas aux discussions avec le Fatah. Pour le moment, il ne s'agit pas de demander au Hamas de renoncer à ses principes et de reconnaître Israël, mais de s'engager dans un processus de paix. Mais cette position n'est pas encore soutenue par la majorité des pays européens, et c'est là-dessus que nous allons travailler. La Commission européenne travaille actuellement sur deux priorités : comment peut-on remettre le Hamas dans le processus pour qu'il devienne un interlocuteur dans les négociations de paix ? Ceci est indispensable. Et comment peut-on faire en sorte d'obliger Israël à ouvrir les points de passage entre Gaza et Israël ? Cette deuxième question est examinée conjointement avec les États-Unis.

En ce qui concerne le partenariat oriental, celui-ci a été lancé sous l'impulsion de nos pays de l'Est pour faire contrepoids à l'Union pour la Méditerranée. Le partenariat oriental n'offre ni la sécurité militaire, ni l'adhésion aux six pays concernés. Il ne fait qu'améliorer la politique de voisinage en termes financiers, parce qu'il prévoit davantage de fonds pour aider au développement. Il apporte aussi un élément de dialogue entre les pays concernés, sur un certain nombre de sujets, notamment la démocratie et la gouvernance ainsi que la question énergétique. La valeur ajoutée du partenariat oriental par rapport à la politique de voisinage strictement bilatérale est qu'il instaure une dimension multilatérale. C'est un dialogue de l'ensemble de l'Union européenne avec ces six pays, qui doivent eux-mêmes discuter et coopérer entre eux. C'est donc un partenariat régional.

La synergie de la mer Noire n'est pas destinée aux mêmes interlocuteurs, mais l'idée est la même : il s'agit d'assurer un espace de sécurité, de prospérité et d'avancées démocratiques. Il est bien évident qu'on ne pourra pas pacifier le Sud Caucase, surtout après la guerre de Géorgie, sans une intervention de la Turquie, qui est un acteur incontournable de la région. De même, il n'y aura pas de règlement du conflit du Nagorno-Karabakh en Azerbaïdjan sans une intervention de la Turquie. On a mis en place une stratégie vis-à-vis de la mer Noire en tant que politique européenne. Je vous renvoie sur ce point à la communication de la Commission européenne d'avril 2008.

Enfin, je terminerai sur les relations entre la Russie et l'Union européenne. Depuis une dizaine d'années, la Russie faire preuve d'agressivité et n'a pas progressé sur la voie de la démocratie et du respect des droits de l'Homme. Le problème est de savoir si nous devons continuer à entretenir des rapports privilégiés avec ce grand pays si complexe ou pas. Fallait-il, après la guerre en Géorgie et la violation de son intégrité territoriale par la Russie, suspendre nos relations avec cette dernière ? Pour répondre à cette question, la Commission a été chargée par les États membres de réaliser une analyse des rapports de l'Union européenne et des États membres avec la Russie. Notre conclusion a été reprise par le Conseil européen du mois d'octobre : nos interdépendances et nos intérêts mutuels sont si importants que nous devons trouver une forme de coopération, quels que soient les sentiments que nous inspire ce pays. À ceux qui prônaient un retour à la guerre froide et l'absence de relations avec la Russie, nous proposons maintenant plus que jamais de dialoguer. La dépendance énergétique de l'Europe vis-à-vis de la Russie est incontestable, et nous avons tout intérêt à favoriser, par un bon rapprochement, l'éclosion dans ce pays d'une démocratie moderne. Le retour à la guerre froide serait une catastrophe. Je suis persuadé que les Russes voient leur avenir dans le monde occidental, mais ils veulent avoir leur place, ce qui est légitime. Ils ne comprennent pas pourquoi nous prétendons entretenir de bonnes relations avec eux, tout en laissant installer un bouclier antimissile en Pologne et en République tchèque. Le Président français a raison : il faut organiser une grande conférence sur la sécurité de Vladivostok à Vancouver ! Les Russes ne peuvent pas dépendre de ce qui est décidé à l'OTAN pour leur sécurité, puisqu'ils n'en sont pas membres. Et quand l'Ukraine et la Géorgie demandent l'adhésion à l'OTAN, ils sont inquiets et c'est normal. Pour les Russes, l'OTAN est une menace. Je ne dis pas qu'ils ont raison, mais j'explique comment ils raisonnent. Ils se sentent agressés. Selon eux, l'Europe est partiale (deux poids, deux mesures) : elle ne condamne pas les horreurs commises en Palestine, mais elle dénonce les atrocités perpétrées en Tchétchénie.

Au total, soit on reste dans un climat de tension avec la Russie, soit on la considère comme telle et on lui ouvre des espaces de dialogue stratégiques. Comme sur le conflit israélo-palestinien, l'Europe est divisée sur la question. Il y a les pays pragmatiques qui soutiennent le dialogue et la discussion par nécessité. À l'inverse, les pays de l'Est, tellement affectés par l'oppression soviétique passée, ne veulent faire aucune concession à la Russie. Je comprends le ressentiment des Polonais et des Pays baltes, mais ce n'est pas parce qu'ils ont beaucoup souffert qu'ils détiennent la vérité sur la réponse adéquate à apporter à la situation politique d'aujourd'hui.

M. Hubert Haenel :

Merci Monsieur le directeur général. Vous êtes un homme à la fois passionnant, doué d'un talent de pédagogue, et passionné, parce que vous avez des convictions fortes sur ces sujets que vous connaissez particulièrement bien.


* Cette audition est en commun avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.