Réunion de la commission des Affaires européennes du mercredi 26 novembre 2008


Table des matières

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  • Énergie - Environnement

    Document d'information : Rapport de la Chambre des Lords britannique


    Énergie - Environnement

    Négociations du paquet « énergie-climat »
    et de l'émission de CO2 par les voitures particulières
    Préparation de la conférence de Poznañ

    Audition de M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État,
    ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable
    et de l'aménagement du territoire

    M. Hubert Haenel :

    Monsieur le Ministre d'État, je vous remercie vivement d'avoir accepté de venir aujourd'hui au Palais du Luxembourg, à la veille d'échéances importantes pour le paquet « énergie-climat ».

    On peut dire que ce paquet est l'un des dossiers les plus importants, et sans doute les plus délicats, de la Présidence française de l'Union européenne. Il soulève en effet de nombreux problèmes. D'abord, celui de la répartition des efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et l'on sait que nos amis des pays d'Europe centrale et orientale émettent de fortes revendications à ce sujet. Ce dossier soulève également le problème des secteurs industriels à haute intensité énergétique. C'est la difficulté bien connue des fuites de carbone. Enfin, le paquet « énergie-climat » pose toute la question de la solidarité en matière énergétique. Il y a quelques jours à Strasbourg, vous avez déjà évoqué ce dossier devant les représentants des parlements nationaux des vingt-sept États membres réunis avec les représentants du Parlement européen. Aujourd'hui, à quelques jours des échéances, nous serions désireux de connaître le dernier état du dossier.

    Par ailleurs, notre commission s'est intéressée il y a quelque temps au texte relatif à l'émission de CO2 par les voitures particulières. C'était avant la crise. Celle-ci n'a pas simplifié les choses. Là encore, nous souhaiterions que vous nous exposiez l'état des négociations.

    Et puis, enfin, nous serions heureux que vous nous fassiez part de l'état de préparation de la fameuse conférence de Poznañ dont on entend parler de plus en plus.

    M. Jean-Louis Borloo :

    Nous entrons résolument dans la dernière ligne droite, dernière ligne droite avant deux rendez-vous de la dernière chance, à Poznañ en décembre 2008 et à Copenhague en décembre 2009, à une période où le monde hésite encore entre l'aurore et le crépuscule, où beaucoup d'États se disent prêts à s'engager, mais pas tout seuls, se disent prêts à accélérer la mutation, mais à condition qu'on les accompagne, se disent prêts à revoir leurs modes de production ou de consommation, mais à condition que les autres États s'engagent à faire de même.

    Le monde a les yeux rivés sur l'Europe en cette fin de Présidence française de l'Union européenne, car ce qu'il va se passer dans les semaines qui viennent en Europe sera une sorte de répétition avant l'heure, une anticipation de ce qui se passera ensuite à Poznañ et à Copenhague. Car le Paquet « énergie-climat », c'est le « Paquet du comment faire », le « Paquet d'une transition énergétique, économique et technologique » à la fois massive et maîtrisée avec un mode opératoire, des mécanismes de solidarité et une méthode partagée. Le Paquet « énergie-climat », c'est la première économie du monde, 450 millions de consommateurs, près de 14 % des émissions de gaz à effet de serre, qui décide de démontrer que le développement durable est possible à l'échelle de vingt-sept États, en dépit d'histoires industrielles, géographiques, économiques différentes. Le Paquet « énergie-climat », c'est enfin la certitude en décembre 2009, pour l'Inde, pour la Chine ou pour les États-Unis, que l'un de leur principal partenaire économique est d'ores et déjà engagé. À Poznañ et plus encore à Copenhague, chacun doit savoir que l'autre est déjà engagé. C'est à la fois le principal obstacle et le principal moteur du changement.

    Le Paquet « énergie-climat », c'est au fond trois objectifs et cinq grands textes. Ces trois objectifs, vous les connaissez, ils ont été décidés lors du Conseil européen de mars 2007, c'est le « 3 x 20 » : 20 % de réduction des émissions par rapport à 1990, 20 % d'énergies renouvelables et 20 % de l'amélioration de l'efficacité énergétique en 2020. La Commission européenne a traduit ces objectifs en cinq grands projets de réglementation :

    1. La directive ETS ou système d'échanges de quotas de CO2 pour l'industrie et les fournisseurs d'énergie, qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre des industries de 21 % en 2020.

    2. La décision dite du « partage de l'effort » dont l'objectif est de réduire de 10 % en 2020 les émissions de gaz à effet de serre des secteurs non soumis au système ETS comme le bâtiment, les transports ou l'agriculture.

    3. La directive « Énergie renouvelable » dont le but est de porter la part des énergies renouvelables de 8,5 % en 2006 à 20 % et leur part dans les transports à 10 % à l'horizon 2020.

    4. La directive sur le captage et le stockage du carbone (CSC) qui vise à encadrer les conditions du stockage du carbone.

    5. Et enfin, la réglementation des émissions de CO2 des véhicules, dont l'objectif est de réduire les émissions de CO2 des véhicules particuliers neufs de 160 grammes CO2 par km à 120 grammes CO2 par km entre 2006 et 2012.

    Ces directives sont toutes interdépendantes pour atteindre l'objectif global de réduction des émissions de CO2 : 20 % d'énergie renouvelable, c'est 9,3 % d'émissions de gaz à effet de serre en moins par rapport à 1990. La réduction des émissions de CO2 des véhicules participe à la réalisation des objectifs nationaux dans le cadre de la décision « partage de l'effort ». Enfin, le CSC (captage et stockage du carbone) est une des technologies indispensables à la réduction des émissions de CO2 au-delà de 2020.

    La Présidence française de l'Union européenne s'est fixé comme objectif d'obtenir un accord en codécision sur l'ensemble du paquet en décembre 2008, afin qu'il soit adopté formellement avant les négociations « climat » internationales de Copenhague en décembre 2009. Si ce calendrier n'était pas respecté, les négociations internationales s'avéreraient compromises. La crise financière est à l'origine des réticences de certains États membres, dont les positions se sont radicalisées cet automne. Plusieurs États membres, parmi lesquels l'Italie et la Pologne, ont remis en cause l'architecture même du paquet, arguant de son coût excessif dans une période de crise, et des minorités de blocage étaient en voie de formation autour de la Pologne. Le Conseil européen d'octobre a permis de conserver l'objectif d'un accord en décembre grâce à la remontée au niveau du Conseil Européen de décembre 2008 de la décision finale. Le Parlement européen avait souhaité avancer son vote à la mini-plénière, prévue les 3 et 4 décembre 2008. Nous l'avons convaincu de reporter ce vote après le Conseil européen de décembre, de façon à maximiser les chances d'aboutir dans un calendrier compatible avec le calendrier des négociations internationales. Il votera le 17 décembre 2008.

    Quel est l'état d'avancement des négociations ? Les travaux ont bien progressé avec le Parlement européen et les textes sont largement avancés sur la grande majorité des points. Notamment, l'architecture d'ensemble et les objectifs nationaux assignés à chaque État sont désormais très largement acceptés. Plusieurs questions difficiles restent cependant encore en discussion au sein du Conseil et entre le Conseil et le Parlement européen.

    Pour le principal texte, qui vise à mettre en place en 2013 un nouveau système d'échanges de quotas d'émission de CO2 en Europe (directive ETS), il demeure quatre sujets de négociation :

    - D'abord le taux d'enchères dans le secteur de l'électricité. Le projet de directive prévoit que les producteurs d'électricité achètent 100 % de leurs droits d'émission de CO2 aux enchères. Plusieurs nouveaux États membres, derrière la Pologne, craignent les conséquences sociales et industrielles d'une augmentation significative des prix de l'électricité mais aussi que ces enchères fassent obstacle aux besoins de modernisation et d'extension de capacité dans ce secteur. En conséquence, ils demandent une mise en oeuvre progressive des enchères. La Présidence leur a proposé que les enchères débutent à 50 % des quotas dans ces pays. Cette demande doit trouver une solution sous la forme d'une dérogation limitée, dont les modalités sont encore en discussion. Un accord devrait être obtenu sur ce point lors de la rencontre entre le Président de la République et le « groupe de Viegrad » constitué autour de la Pologne à Gdansk, le 6 décembre 2008.

    - Ensuite, le risque de fuites de carbone dans l'industrie. Le secteur industriel devrait être soumis au principe des enchères de quotas de CO2 (20 % des droits à émettre en 2013 pour monter à 100 % en 2020). En l'absence d'accord international satisfaisant, les risques sont importants que la mise aux enchères des quotas dans l'industrie incite à la délocalisation d'entreprises (« fuites de carbone »). Pour supprimer ce risque, les secteurs exposés au risque de délocalisation doivent être identifiés dès 2009 à partir de critères simples et objectifs fixés dans la directive et ils doivent pouvoir bénéficier d'un régime spécifique qui consisterait à leur allouer des quotas de CO2 gratuits. Une autre solution serait d'imposer aux importateurs de produits similaires de payer les droits d'émission correspondants aux produits importés (« mécanisme d'inclusion carbone »). Il reste encore un travail à réaliser pour préciser les critères, notamment avec l'Allemagne et aussi avec l'Italie.

    - Enfin, le financement des démonstrateurs de captage et stockage du carbone. C'est un point de divergence entre le Parlement européen et le Conseil. Les États membres sont favorables au développement de cette technologie qui paraît être la seule solution pour concilier réduction des émissions de CO2 et multiplication des centrales à charbon. Mais ils refusent massivement d'utiliser une partie des revenus des enchères pour financer les projets de démonstrateurs, en dépit de la décision du Conseil européen de trouver le moyen de financer 12 projets (qui coûtent un peu plus d'un milliard pièce). Il me semble que le compromis peut être trouvé avec le Parlement européen autour d'un financement de l'ordre de 6 milliards d'euros, de façon à ce que les premiers projets soient effectivement lancés dès 2009. La France y a un intérêt industriel fort.

    Pour la directive relative au partage de l'effort entre États membres (dite « hors ETS »), qui impose aux États membres de réduire ou limiter la croissance de leurs émissions de CO2 dans les secteurs non-industriels (transport, bâtiment, agriculture), on a vu émerger un relatif consensus entre les États membres, mais les exigences de la rapporteure du Parlement paraissent aujourd'hui inacceptables (limitation des flexibilités pour atteindre les objectifs nationaux et sanctions financières aux États membres qui ne respecteraient pas leurs obligations). Il lui faudra accepter de laisser des souplesses aux États membres.

    Pour la directive relative au développement des énergies renouvelables, qui fixe pour l'Union un objectif de 20 % d'énergie finale d'origine renouvelable en 2020, avec des objectifs nationaux différenciés (23 % pour la France contre 10,3 % en 2005), il importe de maintenir un niveau d'ambition pour trouver un accord avec le Parlement, tout en mettant en place des flexibilités devant permettre aux États d'atteindre leurs cibles respectives.

    Pour le règlement relatif à la réduction des émissions de CO2 des véhicules, il s'agit notamment de s'accorder sur un objectif pour les véhicules mis en circulation de 130 grammes de CO2 en 2015 et de 95 grammes en 2020. Quelques points spécifiques, déterminants pour certains États membres, doivent encore être discutés, notamment la question du niveau des pénalités appliquées aux constructeurs de petits véhicules qui ne respecteraient pas leurs objectifs. Il s'agit là de répondre spécifiquement à une demande de l'Italie. Un compromis est en train de se dessiner entre le Conseil et le Parlement.

    La négociation en cours est très liée à l'engagement de discussions internationales cruciales. Au-delà de ces négociations sur les efforts à accomplir pour réduire les émissions de 20 % par rapport à 1990, le Conseil européen a aussi prévu qu'en cas d'accord international satisfaisant, le taux de réduction serait porté à 30 %. Il est important de souligner que le Conseil maintient son ambition sur ce point.Le Conseil Environnement d'octobre a adopté des conclusions qui présentent l'ambition de l'Europe pour la COP 14 (Convention sur le changement climatique) de Poznañ et au-delà :nous réaffirmons notre volonté de réduire nos émissions de 20 % d'ici 2020 de façon indépendante et notre volonté d'aller à 30 % s'il y avait un accord international avec effort comparable des autres pays développés (dont les États-Unis) et des actions adéquates de la part des pays émergents.

    Au niveau international,je me félicite des messages très clairs du Conseil européen et des ministres d'une trentaine de pays à Varsovie pour préparer la conférence de Poznañ : la crise financière ne justifie pas de ralentir ou de retarder la lutte contre le changement climatique.Nous sommes à mi-parcours des négociations lancées à Bali en décembre dernier.La conférence de Poznañ qui débutera début décembre jouera un rôle important. Il s'agit de faire le point sur les discussions depuis Bali, mettre de l'ordre dans les idées avancées par les différentes parties, et baliser le chemin jusqu'à Copenhague en décembre 2009. Avant tout, il s'agit du passage d'une phase de réflexion et d'échange à une phase de négociation qui se poursuivra tout au long de 2009.

    Mais nous allons surtout débattre à Poznañ de la « vision partagée » de la communauté internationale. Au-delà de la trajectoire, la question qui se pose consiste à trouver les moyens de transformer nos économies - des pays développés, des pays émergents, des autres pays en développement - pour assurer la transition vers une croissance sobre en carbone. Cela implique un débat sur les moyens permettant de réduire les émissions dues à la déforestation et à la dégradation forestière - et les négociations font des progrès importants sur ce point - mais aussi d'accélérer le développement et la diffusion de technologies sobres en carbone, et de mobiliser l'investissement et le financement. Et même si nous limitons le réchauffement à 2° C, nous aurons à faire face à des impacts humains et économiques très graves : la solidarité avec les plus vulnérables s'impose.

    Je rappelle quelques chiffres : l'Afrique émet moins de une tonne de CO2 par habitant et par an, l'Inde 1,8, la Chine 3, l'Europe 12 et les États-Unis 25 ! L'Europe assume un rôle de « leadership » dans la lutte contre le changement climatique depuis longtemps. En 2001, nous avons décidé de poursuivre la mise en oeuvre du protocole de Kyoto malgré la défection des États-Unis et nous avons élaboré un programme politique pour parvenir à nos objectifs, notamment le système européen d'échange de quotas qui constitue désormais l'ébauche d'un marché mondial de carbone. Ces dernières années, nos diplomates oeuvrent pour lancer des négociations sur l'après-2012 et nous avons réussi, à Montréal en 2005 et à Bali l'année dernière, malgré l'opposition des États-Unis et la réticence des pays en développement. Sans l'Europe, il est fort probable que la communauté internationale n'eût pas écouté le message d'alerte du GIEC. Désormais, le débat sur le paquet « énergie-climat » souligne notre volonté de poursuivre l'action et de jeter les bases du régime post 2012. Réussir les négociations communautaires est, dans ce cadre, essentiel.

    Un an après Bali, Poznañ sera une conférence d'étape, déterminante pour maintenir - voire pour faire émerger - l'élan politique nécessaire en vue de trouver, lors de la Conférence de Copenhague en décembre 2009, un accord ambitieux sur le changement climatique pour l'après 2012. Un constat d'échec à Poznañ aurait des conséquences néfastes sur la suite des négociations en 2009. Force est de constater que la conférence se tient à un moment de reconfiguration du paysage des négociations, suite notamment aux élections américaines ; la négociation parallèle du paquet « énergie-climat » au sein de l'Union européenne constitue un autre élément de contexte important.

    Poznañ est une conférence « difficile », non pas parce que le risque d'échec est élevé, mais parce que sa réussite nécessite un travail politique portant, non pas sur les textes ou les questions concrètes, mais sur les conditions implicites de réussite des négociations en 2009 (le renforcement de la confiance entre les parties et la direction politique pour 2009). Il convient néanmoins de souligner l'importance des aspects de mise en oeuvre (déforestation, adaptation, finance, mesure).

    M. Aymeri de Montesquiou :

    Tout d'abord, j'aimerais savoir quelle est l'évolution des esprits européens sur le nucléaire : y a-t-il une tendance à ce qu'il soit désormais perçu comme une énergie non polluante, y compris par ceux qui l'ont diabolisé, comme l'Autriche et l'Espagne ?

    Ensuite, j'ai une question sur les biocarburants, et en particulier sur l'importation de biocarburants du Brésil. Est-ce que, en échange de ces importations, on ne pourrait pas convaincre le Brésil d'ouvrir ses frontières aux produits industriels européens ? Il y a là un argument important. Les Brésiliens sont très désireux de vendre ce produit. Du reste, l'Angola va devenir pour eux une base à partir de laquelle ils comptent exporter ces biocarburants.

    Vous nous avez donné des chiffres extrêmement intéressants et un peu inquiétants sur les tonnes de carbone par individu. Au vu de ces chiffres, il me semble très difficile, voire inatteignable, de passer de 12 tonnes d'émissions de carbone par an et par habitant à 3 pour l'Union européenne. Tout cela va d'ailleurs à l'encontre d'un argument qui me semblait devoir être mis en première ligne. On pouvait imaginer que le constat que les pays émergents fabriquent en polluant beaucoup plus que nous puisse être mis à profit pour rééquilibrer le commerce extérieur. Mais, à partir du moment où, ramené à chaque individu, il y a un écart de 1 à 4, il me semble difficile de recourir aujourd'hui à cet argument, puisque, globalement, ces pays polluent beaucoup moins que nous par tête d'habitant, même si leur industrie pollue plus que la nôtre.

    M. Robert del Picchia :

    J'aimerais savoir comment se sont comportés la Slovaquie ou la Hongrie au cours des négociations. La Slovaquie est un pays qui développe son industrie à tour de bras, avec des taux d'imposition minimum qui attirent beaucoup les entreprises. Et la prise de conscience des obligations d'avenir dans le domaine écologique n'existe pratiquement pas en Slovaquie. Les Slovaques font abstraction totale de ce problème. J'habite Vienne depuis 40 ans, et je constate que, de l'autre côté de la frontière, c'est l'inverse qui se passe. La prise de conscience est ancienne et les industries y sont très pénalisées par rapport à celles qui s'implantent en Slovaquie.

    Il y a aussi le problème de la Hongrie, qui est en grande difficulté économique et qui fait aussi un peu abstraction des engagements internationaux dans le domaine environnemental.

    Enfin, j'aimerais savoir si les différends sur le nucléaire, entre l'Autriche et la République tchèque par exemple, gênent les réunions internationales sur l'environnement ?

    Mme Catherine Tasca :

    Monsieur le Ministre, comment avez-vous travaillé avec la prochaine présidence de l'Union européenne sur ce sujet ? Et puis, hors Union Européenne, sait-on comment réagit la Russie ?

    M. Jean-Claude Peyronnet :

    Pourriez-vous nous préciser la position de la France concernant les recettes des enchères sur les droits d'émission ?

    M. Jean-Louis Borloo :

    Pour répondre à la première question sur l'évolution de la perception du nucléaire, je soulignerais que, il y a deux ans encore, prononcer le mot « nucléaire » dans les réunions à caractère environnemental sonnait comme une provocation. Cela provoquait inévitablement des crispations. Or, ce n'est plus du tout le cas aujourd'hui. C'est une évolution considérable. Je ne veux pas dire pour autant que cela entraînera dans tous les pays des décisions gouvernementales concrètes. En Autriche, ce ne sera certainement pas le cas, ni en Espagne. Mais l'Italie et la Grande-Bretagne ont officiellement changé de position sur la question du nucléaire. Étant donné qu'on assiste à une évolution de fond, ce sujet n'a pas dérangé pendant les discussions, d'autant plus que la Présidence française a accepté une fois pour toutes que le nucléaire ne soit pas inclus dans les « énergies renouvelables ». Je pense que c'est un débat qui reviendra.

    Je sais que les objectifs imposés par le paquet paraissent difficilement atteignables dans les délais, mais, pour ne parler que de la France, je voudrais rappeler que notre pays est l'un des leaders des énergies renouvelables en Europe. Nous avons un taux de renouvelables très supérieur à la moyenne européenne. Et nous le devons à notre énergie hydraulique.

    La Hongrie s'est très bien comportée dans les négociations, parce qu'elle a réalisé que nous vivons une mutation indispensable de notre industrie. Les Hongrois n'ont bien sûr pas la philosophie autrichienne, ils n'ont pas le même rapport à la nature. Mais ils sont convaincus que la bataille de la compétitivité mondiale se joue sur ces questions. Les Hongrois, comme les Slovaques, ont donc été conciliants par pragmatisme, pour des raisons de stratégie industrielle et énergétique. Comme les Chinois d'ailleurs. À l'inverse, les Autrichiens et les Slovènes sont très environnementalistes.

    Je voudrais également dire qu'il n'y a eu aucun problème avec nos amis tchèques. Ils se sont montrés solidaires et ont poussé pour que le paquet « énergie-climat » soit adopté en première lecture, parce qu'ils n'ont aucune envie de poursuivre les négociations sous leur présidence, dans un contexte de tensions fortes entre le Président et le gouvernement.

    En ce qui concerne la Russie, je dois dire que c'est un cas très particulier. Les Russes ne sont pas concernés directement par le paquet « énergie-climat ». Ils le sont en revanche par la conférence de Poznañ et l'ensemble des grandes négociations internationales. Leurs résultats en la matière sont spectaculaires, parce qu'ils disposent encore d'une grande marge de manoeuvre, tant leur pays est vaste. Donc, pour le moment, ils ne se sentent pas encore totalement concernés. C'est pourquoi ils ont tendance à adopter une position de neutralité : ni détracteurs, ni partisans.

    M. Aymeri de Montesquiou :

    Monsieur le Ministre, excusez-moi de vous interrompre, mais je souhaiterais ajouter une précision. On considère que la Russie perd à peu près 30 % de son énergie dans son utilisation intérieure. Ceci impliquerait que, d'ici 15 à 20 ans, vu le développement de son industrie, elle ne serait plus du tout en mesure d'exporter. C'est donc un problème majeur pour les Russes, et la performance énergétique est vraiment l'une de leurs priorités.

    M. Jean-Louis Borloo :

    Vous avez raison. Ce que je voulais dire, c'est que, dans les négociations environnementales, les Russes ont des marges de négociation considérables. Ils se saisissent du problème de la performance énergétique au niveau interne. En même temps, il est vrai qu'ils sont un peu ambigus, car nous savons qu'un développement trop rapide des énergies renouvelables ne les avantage pas. Ce qui est sûr, c'est que l'on n'échouera pas à Poznañ par leur faute, tout comme on ne réussira pas la Conférence grâce à eux.

    Sur l'usage du revenu des enchères, la Commission a estimé que le produit des enchères représenterait environ 400 milliards d'euros pour toute la période. L'usage de ces nouvelles ressources budgétaires constitue un point fondamental pour le Parlement européen : il souhaite une pré-affectation totale des sommes au financement d'actions dans le domaine de la lutte contre le changement climatique, à parité dans l'Union et dans les pays tiers. Ce transfert financier en faveur des pays les moins avancés est perçu comme un argument essentiel pour notre crédibilité lors des négociations à Copenhague. Mais quasiment tous les États membres sont opposés à la pré-affectation.

    Pour essayer de trouver un compromis avec le Parlement, nous avons proposé la combinaison d'une affectation facultative de 50 % du revenu des enchères à la lutte contre le changement climatique et d'une déclaration volontaire des États membres qui les engageraient à faire plus.

    Mme Bernadette Bourzai :

    Monsieur le Ministre, j'aurais aimé savoir si, dans les discussions qui ont été menées sur le paquet « énergie-climat », a été évoquée à un moment ou à un autre la situation des centrales nucléaires en Europe de l'Est et leur remise en état, parce que les informations dont je disposais lorsque j'étais au Parlement européen étaient assez catastrophiques dans ce domaine. Je pense qu'il y a là quand même peut-être une nuance à apporter à l'enthousiasme que vous semblez décrire quant à l'évolution du nucléaire.

    M. Aymeri de Montesquiou :

    La sécurité énergétique va de pair avec la solidarité énergétique. Or, cette solidarité, elle ne peut s'exprimer que par une bonne interconnexion entre les pays, en tout cas au niveau électrique. Ça veut dire mettre en place des lignes à très haute tension qui vont à l'encontre de ce que souhaitent les écologistes. Alors comment pensez-vous trouver une solution à ce problème : simplement par la négociation ou bien à travers l'enterrement des lignes ?

    M. Yann Gaillard :

    Monsieur le Ministre, je voudrais savoir quelles améliorations on peut attendre de la Conférence de Poznañ en ce qui concerne l'expression d'une position européenne unie ? Qui représentera l'Union européenne à Poznañ ?

    M. Jean-Louis Borloo :

    Je n'ai pas le sentiment d'avoir décrit une ambiance d'enthousiasme au regard du nucléaire. On me demande si la perception du nucléaire évolue. Je le répète, devant la nécessité et l'urgence climatique, le nucléaire n'est plus considéré aujourd'hui avec la même méfiance. Désormais, même les plus antinucléaires reconnaissent que, face à deux dangers, il faut choisir le moindre. Tout le monde est bel et bien conscient du caractère irréversible du réchauffement climatique. Le nucléaire tend maintenant à être réintroduit dans les bouquets énergétiques. Mais il ne sera jamais la solution unique au problème du réchauffement climatique. En effet, la construction de 30 centrales nucléaires par an pendant 30 ans dans le monde ne représenterait jamais que 6 % de l'énergie mondiale ! Mais une centrale nucléaire vaudra toujours mieux qu'une centrale à charbon, nous sommes tous d'accord là-dessus.

    En ce qui concerne l'état des centrales en Europe de l'Est, il y a des programmes en cours, à l'exception de la Lituanie, dont la centrale doit être fermée dès 2009.

    J'en viens à la question sur les interconnexions. Il est évident que le problème de la sécurité énergétique ne se pose pas de la même façon selon les pays. Il faut se concerter entre partenaires. En Europe, nous avons un problème dans les Alpes-Maritimes. La mutation à laquelle nous sommes confrontés nous oblige à raisonner différemment. Nous ne sommes plus à l'âge du pétrole pas cher, qui nous permettait d'acheter ce qu'on voulait et de le transporter où on voulait, sans difficulté ; nous avions alors délocalisé nos industries de consommation. Je pense qu'il nous faut aujourd'hui relocaliser l'énergie. Cela prendra le temps qu'il faudra, mais il nous faudra sortir des dépendances territoriales. Je pense en particulier à l'Afrique, que nous devons aider à devenir autonome sur le plan énergétique. Nous ne sommes plus dans un monde de la rente, mais dans un monde de la performance.

    M. Robert del Picchia :

    J'ai envie de poser une question qui n'est peut-être pas politiquement correcte, mais qui peut cependant intéresser tout le monde. Faisons une parenthèse sur tout ce que vous venez de nous dire, Monsieur le Ministre. Moi, j'aimerais savoir si ces thèmes qu'on vient d'évoquer seraient susceptibles de faire bouger les choses aux élections européennes. Je ne parle pas de la France, mais de l'Europe dans son ensemble. Est-ce que ces thèmes peuvent avoir une influence politique importante, et servir justement à aller dans la bonne direction ?

    M. Jean-Louis Borloo :

    Je vous avoue que je n'en sais rien. Ce que je crois, c'est que tous ensemble, nous avons réussi à sortir ces sujets de la marginalité. Parce que ce sont des sujets transversaux, qui concernent tous les domaines économiques. En termes politiques, j'observe que l'attitude des écologistes a changé : ils ne sont plus dans la contestation. Ils apprécient les efforts que nous faisons et nous encouragent à aller encore plus loin. Du coup, la sensibilité du thème sera sans doute forte. Je rappelle que le prochain film de Nicolas Hulot sortira le 15 avril 2009, tandis que celui de Yann Arthus-Bertrand sortira la semaine des élections européennes. Cela pourrait avoir un impact dans la campagne, pour porter les thèmes environnementaux. Mais sincèrement, je ne peux pas vous répondre davantage.


    Document d'information :

    La Chambre des Lords britannique a publié, en octobre 2008, un rapport sur l'objectif de 20% d'énergies renouvelables dans l'Union européenne en 2020. Un résumé en français de ce rapport peut être consulté ainsi que le rapport complet en anglais à partir de cette page.