Table des matières

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Institutions européennes

Adhésion de l'Union européenne à la convention européenne
de sauvegarde des droits de l'Homme

Communication de M. Robert Badinter sur le mandat de négociation (E 5248)

Nous sommes saisis d'un projet de décision qui tend à permettre à la Commission européenne d'engager des négociations avec les instances du Conseil de l'Europe en vue de la conclusion d'un accord international qui permettra à l'Union européenne d'adhérer à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH).

Je rappelle que cette adhésion a été expressément prévue par le traité de Lisbonne. Il n'est donc plus temps de débattre de son utilité. Il reste à en définir les modalités. Ce n'est pas le plus simple et l'on peut d'ores et déjà anticiper que les futures négociations prendront du temps. Le processus de ratification sur lequel je reviendrai pourra être plus long encore.

Toujours est-il que l'Espagne a souhaité que ce mandat de négociation puisse être adopté avant la fin de sa présidence. Le Conseil sera donc appelé à se prononcer le 3 juin prochain. D'emblée, je veux souligner que cetteprécipitation sur un sujet aussi complexe me paraît mal venue.

1/ Quelles sont les principales caractéristiques du système de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) ?

Entrée en vigueur en 1953, la CEDH a consacré une série de droits et libertés civils et politiques (droit à la vie, à la liberté et à la sûreté, à un procès équitable, au respect de la vie privée et familiale, liberté de pensée, de conscience et de religion, d'expression, de réunion et d'association, droit à un recours effectif, interdiction de discrimination...). Elle a aussi instauré un dispositif visant à garantir le respect de leurs obligations par les États contractants. La France a ratifié la CEDH le 3 mai 1974. Elle a adhéré au droit de recours individuel des citoyens le 2 octobre 1981.

Initialement, la procédure de traitement des requêtes comportait un examen préliminairepar la commission européenne des droits de l'homme (mise en place en 1954) qui, en cas d'échec d'un règlement amiable, transmettait un rapport au comité des ministres. Avant 1994, les particuliers ne pouvaient pas saisir la Cour européenne des droits de l'homme (instituée en 1959). Le protocole n° 9 a permis de soumettre leur cause à un comité de filtrage composé de trois juges, chargé de décider si la Cour devait examiner la requête. Il a fallu attendre 1998 et le protocole n° 11 pour que la procédure devienne totalement judiciaire et que la compétence de la Cour soit obligatoire. Je précise que, depuis l'entrée en vigueur de la convention, 14 protocoles additionnels ont été adoptés.

Le système de la convention subit une pression croissante. Fin 2009, 119 300 requêtes étaient pendantes devant la Cour. Quatre États sont l'objet de plus de la moitié des requêtes : Russie (28,1 %), Turquie (11 %), Ukraine (8,4 %) et Roumanie (8,2 %). Avant l'entrée en vigueur du protocole n° 11, en 1998, l'ancienne Cour avait rendu moins de 1 000 arrêts. La nouvelle Cour en a prononcé plus de 12 000. Face aux délais excessifs de traitement des requêtes, les États contractants ont élaboré le protocole n° 14, en mai 2004. Il prévoit un filtrage des requêtes par un juge unique et des formations judiciaires plus réduites de manière à ce que les juges puissent se consacrer davantage aux affaires les plus importantes ou les plus urgentes. Ce protocole a été ratifié dans les deux ans par tous les États à l'exception de la Russie qui a attendu janvier 2010 pour ratifier.

A l'occasion d'une conférence organisée à Interlaken (Suisse) les 18 et 19 février 2010, les 47 États membres du Conseil de l'Europe ont par ailleurs adopté un plan d'action pour améliorer le fonctionnement de la Cour.

2/ Comment se présente le processus d'adhésion de l'Union européenne à la CEDH ?

Le traité de Lisbonne prévoit que « l'Union européenne adhère à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette adhésion ne modifie pas les compétences de l'Union telles qu'elles sont définies dans les traités. » (article  6 § 2).

Cette disposition est complétée par le protocole n° 8 qui encadre l'adhésion. Celle-ci devra préserver les caractéristiques spécifiques de l'Union et du droit de l'Union, notamment en ce qui concerne les modalités de sa participation aux instances de contrôle de la CEDH et les mécanismes nécessaires pour garantir que les recours soient dirigés correctement contre les États membres et/ou l'Union selon le cas. Selon le protocole n° 8, l'accord d'adhésion devra donner plusieurs garanties : non affectation de la répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres, préservation de la situation individuelle des États membres à l'égard de la CEDH, préservation du monopole de la Cour de justice sur l'interprétation des traités. En outre, une déclaration annexée au traité souligne la nécessité de préserver les spécificités de l'ordre juridique de l'Union et appelle au renforcement du dialogue régulier entre la Cour de justice et la Cour européenne des droits de l'homme.

Au niveau du Conseil de l'Europe, le protocole n° 14 (article 17) à la CEDH, qui entrera en vigueur le 1er juin, prévoit expressément la faculté pour l'Union européenne d'adhérer à la convention. Une fois signé, le traité d'adhésion devra être ratifié par les 47 États membres du Conseil de l'Europe. Le processus sera donc inévitablement très long et complexe. Sur la procédure à suivre au sein de l'Union, l'article 218 du TFUE prévoit expressément que le Conseil devra statuer à l'unanimité sur l'accord d'adhésion et que celui-ci devra être approuvé par le Parlement européen. En outre, la décision portant conclusion de l'accord devra être approuvée par les États membres « conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. »

3/ Quelles sont les enjeux en cause et quelle appréciation peut-on porter sur le mandat de négociation ?

Quelques remarques préliminaires tout d'abord. Il s'agit d'un mandat de négociation. Ses termes sont donc relativement généraux. On ne peut en attendre un degré de détail équivalent à celui d'un accord d'adhésion.

J'observe néanmoins que le mandat d'adhésion qui nous est soumis est particulièrement peu précis, voire évasif sur plusieurs sujets essentiels, alors même que les traités et le protocole n°8 précité encadrent rigoureusement les conditions d'une future adhésion à la CEDH. Les représentants du ministère de la justice que j'ai rencontrés m'ont toutefois informé que la version initiale du projet de mandat était l'objet de discussions quotidiennes et que les dernières versions avaient été sensiblement enrichies. Les références à la lettre du protocole n° 8 seraient plus complètes. En outre, il est probable que le Conseil adoptera simultanément une déclaration relative aux règles internes à l'Union nécessaires à la mise en oeuvre de l'accord d'adhésion.

Plusieurs questions sont envisagées dans le document qui nous a été transmis. Je me concentrerai sur cinq questions qui correspondent aux enjeux les plus importants.

a) Les compétences de l'Union

D'abord, les directives de négociation précisent que l'adhésion ne devra affecter ni les compétences de l'Union ni les attributions de ses institutions. C'est une exigence qui résulte tant de l'article 6 § 2 du traité que du protocole n° 8. Elle devra être scrupuleusement respectée au cours des négociations. Les dernières versions du projet de mandat sont plus explicites sur ce point. Elles préciseraient aussi que l'Union ne peut pas être condamnée par la Cour de Strasbourg pour ne pas avoir adopté un acte ne relevant pas de sa compétence.

b) La situation des États membres à l'égard de la convention et de ses protocoles

Comme le spécifie également le protocole n° 8, l'adhésion ne devrait pas avoir pour effet de modifier la situation des États membres à l'égard de la convention et de ses protocoles. Tous les États membres ont ratifié la convention, mais tous n'ont pas ratifié certains protocoles, tandis que plusieurs d'entre eux ont formulé des réserves sur la convention elle-même ou sur certains de ses protocoles.

Or, l'article 216 § 2 du TFUE précise que « les accords internationaux conclus par l'Union lient les institutions de l'Union et les États membres. » Les directives de négociation proposent de résoudre cette difficulté en prévoyant que l'accord d'adhésion ne créera des obligations qu'à l'égard des actes et des mesures adoptés par les institutions, les organes ou les organismes de l'Union.

Cette solution ne semble pas très satisfaisante, compte tenu de l'imbrication des législations nationales et des actes de l'Union.

Une autre solution offrant une meilleure sécurité juridique consisterait à prévoir que l'Union ne peut adhérer qu'aux protocoles ratifiés par tous les États membres. Pour les autres protocoles et les futurs, l'Union pourrait y adhérer à la condition que tous les États membres donnent leur accord.

c) La participation de l'Union européenne aux mécanismes du Conseil de l'Europe intervenant sur la CEDH

La participation de l'Union sur un pied d'égalité avec les États membres aux mécanismes du Conseil de l'Europe intervenant sur la CEDH constitue un autre enjeu. Les directives de négociation envisagent le droit pour l'Union de disposer d'un juge au sein de la Cour européenne des droits de l'homme. Il serait sélectionné parmi trois candidats proposés par l'Union. Cette demande paraît légitime dès lors que la convention prévoit expressément (article 20) que « la Cour se compose d'un nombre de juges égal à celui des Hautes Parties contractantes. »

Pour la Commission européenne, il devrait s'agir d'un juge permanent à temps plein (et non d'un juge « ad hoc ») qui siégerait dans les affaires dirigées contre l'Union ou concernant le droit de l'Union mais aussi dans les autres affaires, ce qui pourrait susciter des réserves ou des réactions d'États européens, telle la Russie, qui pourraient être condamnés par un juge représentant l'Union européenne à laquelle ils n'appartiennent pas.

Je rappelle que la convention (article 22) prévoit que « les juges sont élus par l'Assemblée parlementaire au titre de chaque Haute Partie contractante, à la majorité des voix exprimées, sur une liste de trois candidats présentés par la Haute Partie contractante. » Les directives de négociation envisagent donc qu'un nombre approprié de membres du Parlement européen soient autorisées à participer aux séances de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, lorsque celle-ci procédera à l'élection des juges.

En outre, l'Union devra être autorisée à participer, avec un droit de vote, aux réunions du comité des ministres du Conseil de l'Europe, lorsque le comité exercera des fonctions prévues par la convention.

d) La participation de l'Union européenne aux instances devant la Cour de Strasbourg

Les directives de négociation prévoient par ailleurs la mise en place d'un mécanisme de co-défendeur permettant à l'Union d'être codéfendeur à une instance devant la Cour européenne dès lors que le recours contre un État membre mettrait en cause le droit de l'Union.

Dans certains cas, en effet, la violation présumée de la CEDH par un État membre concernera un acte adopté conformément à une obligation résultant des traités ou du droit dérivé. En outre, l'Union devra pouvoir être liée par un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme dont l'exécution impliquera d'abroger ou de modifier la disposition litigieuse du droit de l'Union. La Commission européenne fait valoir que le mécanisme de la tierce intervention, prévue par la convention (article 36), qui permet à une Haute Partie contractante dont un ressortissant est requérant de présenter des observations écrites et de prendre part aux audiences,  ne permettrait pas d'atteindre ce résultat. En effet, dans ce cas, l'arrêt ne pourrait être prononcé qu'à l'encontre du seul État membre. Or celui-ci ne serait manifestement pas en position d'abroger ou de modifier l'acte litigieux de l'Union.

Mais je dois dire qu'après y avoir beaucoup réfléchi et à la lumière des auditions auxquelles j'ai procédé, je suis très réservé sur la mise en place d'un tel mécanisme du co-défendeur.

Voyons les choses concrètement. Compte tenu de la place du droit communautaire dans le droit des États membres, ce mécanisme conduira nécessairement à une intervention de plus en plus fréquente de l'Union dans les instances devant la Cour européenne des droits de l'homme. Mais, surtout, il aboutira à ce que l'Union européenne en tant que telle soit condamnée assez régulièrement par la Cour de Strasbourg. On voit bien la portée politique considérable qu'auraient de telles condamnations. Ce n'est pas la même chose de condamner un État pris individuellement et de condamner une union d'États qu'est l'Union européenne !

Pour écarter ce risque, le mécanisme de la tierce intervention me semble préférable. L'Union pourrait venir en soutien d'un État membre lorsqu'elle estime que le droit de l'Union est véritablement mis en cause. Libre à la Cour européenne des droits de l'homme ensuite de souscrire à ce point de vue ou de l'écarter.

Certes, un inconvénient de cette solution est que l'Union ne serait pas liée par l'arrêt de la Cour. Juridiquement, c'est incontestable. Mais politiquement, on voit mal l'Union ne pas tirer les conséquences d'un arrêt dont le dispositif affirmerait la non-conformité du droit de l'Union à la convention. L'effet utile sera identique.

e) Le monopole d'interprétation du droit de l'Union par la Cour de justice

Une question encore plus délicate concerne le monopole d'interprétation du droit de l'Union par la Cour de justice. Comme on l'a vu, le protocole n° 8 précise que l'accord d'adhésion devra préserver ce monopole d'interprétation.

A ce stade, les directives de négociation retiennent une formule assez générale pour que la question de l'intervention préalable de la Cour de justice soit traitée « de manière adéquate » lors des négociations, même si les dernières versions du projet de mandat semblent plus fermes.

Reste à traduire cette intervention préalable dans l'accord puis dans les procédures juridictionnelles. La Commission européenne fait valoir que, lorsque l'acte juridique en cause sera mis en oeuvre par une instance de l'Union, cette intervention préalable de la Cour de justice sera suffisamment garantie par la disposition de la convention selon laquelle un requérant ne peut saisir la Cour de Strasbourg qu'après épuisement des voies de recours internes.

Lorsque l'acte juridique en cause sera mis en oeuvre par un État membre, la Commission européenne souligne qu'une juridiction nationale statuant en dernière instance est tenue de saisir la Cour de justice à titre préjudiciel de toute question relative à l'interprétation du droit de l'Union. Dès lors, estime-t-elle, les cas dans lesquels un renvoi préjudiciel ne serait pas opéré devraient se présenter très rarement. M. Jean-Paul Costa, président de la Cour de Strasbourg, m'a d'ailleurs indiqué que seulement 6 à 7 % des affaires devant la Cour recoupaient des domaines relevant du droit de l'Union. Ces chiffres doivent néanmoins être pris avec précaution, car ils ne tiennent pas compte du fait que désormais la Charte européenne des droits fondamentaux a la même valeur que les traités.

En outre, le refus d'opérer un renvoi préjudiciel pourrait constituer une violation du droit à un procès équitable garanti par l'article 6 de la convention. La Commission européenne envisage également que la Cour de Strasbourg puisse elle-même interpréter l'obligation d'épuisement des voies de recours interne comme impliquant que la Cour de justice soit saisie d'une question préjudicielle.

Je crois pour ma part qu'il faut aller plus loin et préciser que la Cour de justice devrait être saisie d'une question préjudicielle par la Cour de Strasbourg, si elle ne l'a pas été auparavant.

J'ajouterai que la prise en compte du droit primaire (traités) de l'Union dans l'examen de conventionnalité ne sera pas sans poser des difficultés. Dans un arrêt Mathews du 18 février 1999, la Cour européenne a considéré qu'elle pouvait effectuer un tel examen. Le Gouvernement français aurait pour sa part souhaité que le droit primaire soit exclu. C'est également ma position.

*

En conclusion, je vous propose d'affirmer, sur les principales questions en cause, les principes qui devront guider les négociations qui vont s'ouvrir.

Le sujet est important. Il aurait mérité une proposition de résolution que la commission des lois aurait pu examiner. Malheureusement, compte tenu des délais très brefs avant la décision du Conseil, nous sommes obligés de faire part très vite de nos observations au Gouvernement par la voie de conclusions.

Dans ces conclusions nous devons d'abord regretter la précipitation qui entoure l'adoption du mandat de négociation. Rien ne la justifie. L'extrême complexité du sujet et l'absence d'urgence devraient au contraire inviter à prendre le temps de la réflexion.

Je crois aussi indispensable d'affirmer - cela pourrait peut-être figurer dans la déclaration du Conseil - que le projet d'accord d'adhésion devra être soumis pour avis à la Cour de justice de l'Union européenne, comme le permet l'article 218 du traité, afin qu'elle s'exprime sur la compatibilité de l'accord d'adhésion avec le droit primaire de l'Union.

Sur le fond, une priorité doit guider les négociations qui vont s'engager : écarter autant que possible tout risque de conflit entre les deux ordres juridiques. Rien ne serait pire que de voir les deux cours se déjuger. Au contraire, la complémentarité et la spécialisation doivent prévaloir.

A cette fin, il est impératif d'affirmer le monopole d'interprétation du droit de l'Union par la Cour de Luxembourg. Pour y parvenir, la proposition du juge Timmermans, prévoyant un mécanisme de recours préjudiciel automatique entre la Cour de Strasbourg et la Cour de Luxembourg dès lors que le litige appellerait l'interprétation du droit de l'Union, est une solution intéressante.

La Cour de justice interprèterait l'acte de l'Union et contrôlerait sa conformité au droit primaire. En revanche, pour éviter d'être déjugée par la Cour de Strasbourg, elle ne se prononcerait pas sur la conformité de l'acte à la convention européenne.

L'accord d'adhésion devrait en outre prévoir que la Cour de Strasbourg est liée par l'interprétation de l'acte par la Cour de Luxembourg. Parallèlement, il me paraît préférable d'exclure le droit primaire issu des traités de l'examen de conventionnalité opéré par la Cour de Strasbourg.

Toujours dans le même souci d'éviter les confrontations entre l'ordre juridique de l'Union et celui de la convention européenne, une certaine prudence s'impose avant de s'engager vers la création d'un co-défendeur. En effet, par ce mécanisme, l'Union risque de se trouver quasi systématiquement attrait devant la Cour chaque fois qu'un État membre est mis en cause. En conséquence, elle pourrait être régulièrement condamnée. Pour les raisons que j'ai indiquées, une telle situation serait à mon sens désastreuse. Je crois donc préférable de s'en tenir à la procédure de la tierce intervention.

J'ajouterai que tout le domaine de la politique extérieure de sécurité commune devrait être expressément exclu du champ d'application de l'accord d'adhésion. Comme on le sait, la Cour de justice n'est elle-même pas compétente dans ce domaine. Il serait paradoxal de reconnaître la compétence d'une juridiction extérieure à l'Union, tout aussi respectable soit-elle !

Compte rendu sommaire du débat

M. Jean Bizet :

Il paraît indispensable de préserver le monopole d'interprétation de la Cour de justice sur le droit de l'Union. Dans le cas contraire, on irait vers de très grandes difficultés et même vers une mise en cause du crédit moral de l'Union européenne.

M. Denis Badré :

Je remercie le Président Badinter pour sa présentation qui m'a paru lumineuse. J'ai précédemment travaillé sur ce sujet dans le cadre de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. C'est la première fois que j'entends une présentation aussi claire.

Je rappelle qu'au sein du Conseil de l'Europe, il n'a été possible de travailler réellement sur cette question qu'une fois le protocole n° 14 ratifié par la Russie. Cela laisse entrevoir la perspective d'une négociation très longue sur l'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. On peut même craindre que la Turquie n'utilise la ratification de l'accord d'adhésion comme monnaie d'échange dans le cadre des négociations en vue de son adhésion à l'Union européenne.

L'adhésion de l'Union européenne à la convention n'est pas une fin en soi, il faut trouver le bon équilibre.

Sur la question de la désignation d'un juge de l'Union européenne, je rappelle que les juges de la Cour européenne des droits de l'homme sont désignés par l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Cette procédure fait débat au sein de l'assemblée parlementaire, certains pays souhaitant la supprimer. Pour ma part, je souhaite que l'on en reste là et surtout que l'on n'aille pas vers la désignation des juges par les pays membres eux-mêmes. Je crois qu'il faut aussi éviter que le juge désigné par l'Union européenne n'intervienne systématiquement sur les affaires dans lesquelles l'Union est en cause. Ce serait un précédent fâcheux.

Je partage les réserves exprimées par le Président Badinter sur la procédure du co-défendeur. Le fait que l'Union européenne soit actuellement au milieu du gué explique les difficultés que nous rencontrons à faire siéger dans les mêmes instances l'Union européenne avec les États membres.

Le contexte financier difficile que connaît l'Europe doit conduire l'Union européenne et le Conseil de l'Europe à travailler davantage ensemble. C'est pourquoi j'estime que l'Union européenne a commis une erreur en créant une agence des droits fondamentaux. Le débat sur l'adhésion de l'Union à la convention européenne est une bonne occasion de clarifier les relations qu'elle entretient avec le Conseil de l'Europe.

Je souscris pleinement aux conclusions proposées par le Président Badinter qui permettent tout à la fois de définir des principes intangibles tout en ouvrant des perspectives.

Mme Fabienne Keller :

Je remercie le président Badinter pour sa présentation très claire. Comment pourra-t-on faire partager les préoccupations qu'il a exprimées par les autres États membres ?

La force obligatoire reconnue à la Charte des droits fondamentaux par le traité de Lisbonne posera aussi la question de la cohérence des jurisprudences respectives de la Cour de justice et de la Cour européenne des droits de l'homme. Ne faudrait-il pas envisager dans ce domaine un mécanisme de renvoi préjudiciel vers la Cour européenne des droits de l'Homme ?

Je considère également que l'accord d'adhésion donne une bonne occasion de clarifier les rôles respectifs de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe. Il faut aussi être attentif aux évolutions en cours au sein du Conseil de l'Europe où la Russie exerce une influence croissante.

M. Pierre Fauchon :

Je partage votre sentiment sur le co-défendeur ; ce serait une boîte à chagrin ingouvernable.

En réalité, nous avons deux procédures qui sont hétérogènes et qui n'ont ni la même source ni les mêmes objectifs. C'est pourquoi leur interférence conduit à des problèmes insolubles. Cependant, ces débats me paraissent un peu académiques alors que l'Union européenne se trouve au bord du gouffre.

Mme Alima Boumediene-Thiery :

L'affirmation de la primauté de la Cour de justice dans l'interprétation du droit de l'Union et la mise en place d'un mécanisme de renvoi préjudiciel entre les deux cours ne risquent-elles pas de mettre en cause la hiérarchie des règles de droit ?

M. Robert Badinter :

Sur ce point, je rappelle que le monopole d'interprétation de la Cour de justice résulte des traités et qu'il est clairement affirmé par le protocole n° 8 du traité de Lisbonne en ce qui concerne l'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Il est vrai qu'un problème de cohérence peut se poser avec la Charte européenne des droits fondamentaux qui ne poursuit pas toujours les mêmes buts que la convention. Lors des débats de la convention européenne constituée en vue de l'élaboration du traité constitutionnel, l'idée avait été de prévenir des interprétations différentes sur un même texte au sein de l'Europe. C'est pourquoi on avait considéré que, pour ce qui concerne les droits fondamentaux, c'est l'interprétation de la Cour européenne des droits de l'homme qui devait prévaloir. Mais il ne faut pas lui donner la faculté d'interpréter le droit de l'Union. Toute rupture du monopole d'interprétation de la Cour de justice serait fatale.

Je partage l'analyse selon laquelle l'accord d'adhésion doit permettre d'éclaircir et d'approfondir les relations entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe. Il est vrai que l'on ne s'intéresse pas assez à ce qui se passe au Conseil de l'Europe. C'est pourquoi la Russie a pu accroître son influence au sein de cette instance. Cela peut paraître paradoxal quand on sait que la Russie est le pays qui fait l'objet du plus grand nombre de plaintes devant la Cour européenne des droits de l'homme et qu'en outre, elle n'a toujours pas ratifié le protocole n° 6 sur l'abolition de la peine de mort.

Je ne partage pas le pessimisme excessif de notre collègue Pierre Fauchon sur la situation de l'Union européenne.

M. Jean Bizet :

Je propose que le Président Badinter assure le suivi de cette question pour le compte de notre commission. Je regrette que les délais très courts dans lesquels nous avons dû travailler ne permettent pas d'en saisir la commission des lois, mais je suis sûr qu'elle examinera de près les conclusions que nous allons adopter. Je déplore aussi que la présidence espagnole se soit engagée aussi vite sur un sujet aussi complexe, comme elle l'a fait également sur l'ouverture de négociations avec le Mercosur.

*

À l'issue de ce débat, la commission a adopté à l'unanimité les conclusions suivantes :


Conclusions

La Commission des affaires européennes,

Vu la recommandation de décision du Conseil autorisant la Commission à négocier l'accord d'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (SEC (2010) 305 final) ;

- compte tenu de l'absence d'urgence et de l'extrême complexité du sujet qui justifierait une réflexion très approfondie, regrette la précipitation qui entoure l'adoption de ce mandat de négociation ;

- juge indispensable que le projet d'accord d'adhésion soit soumis pour avis à la Cour de justice de l'Union européenne, comme le permet l'article 218 du traité, afin qu'elle s'exprime sur sa compatibilité avec le droit primaire de l'Union européenne ;

- considère qu'il est impératif d'affirmer le monopole d'interprétation du droit de l'Union par la Cour justice de l'Union européenne, conformément aux dispositions expresses du protocole n° 8 au traité de Lisbonne ;

- demande, à cette fin, que l'accord d'adhésion précise que, dans toutes les instances mettant en cause le droit de l'Union européenne, la Cour européenne des droits de l'homme sera tenue de respecter ce monopole d'interprétation, et qu'elle devra, par la voie d'un mécanisme de renvoi préjudiciel, saisir la Cour de justice de l'Union européenne dès lors que le litige appellerait l'interprétation du droit de l'Union ; que ce renvoi préjudiciel sera effectué de plein droit sur demande de l'Union européenne ;

- estime que l'accord d'adhésion devra indiquer que, dans le cadre de ce renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l'Union européenne sera appelée à interpréter l'acte de l'Union en cause dans l'instance pendante devant la Cour européenne des droits de l'homme et à contrôler sa conformité au droit primaire ; que la Cour européenne des droits de l'homme sera liée par l'interprétation donnée par la Cour de justice ;

- considère que l'accord d'adhésion devrait expressément exclure le droit primaire de l'Union européenne, tel qu'il résulte des traités, de l'examen de conventionnalité opéré par la Cour européenne des droits de l'homme ;

- émet des réserves sur le mécanisme du co-défendeur et juge préférable de prévoir, au bénéfice de l'Union européenne, la mise en oeuvre du mécanisme de la tierce intervention prévue par l'article 36 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- juge nécessaire d'exclure expressément le domaine de la politique extérieure et de sécurité commune du champ d'application de l'accord d'adhésion. 

Politique régionale

Avenir de la politique de cohésion

Communication de MM. Yann Gaillard et Simon Sutour

M. Yann Gaillard :

Simon Sutour et moi-même avions réalisé en 2004 un rapport d'information sur les perspectives d'évolution de la politique de cohésion après 2006 (Quels fonds structurels après 2006 ?). Nous sommes entrés dans la programmation financière 2007-2013 depuis trois ans et, déjà, s'amorcent les discussions sur les prochaines perspectives financières.

L'objectif premier de la politique de cohésion reste d'accroître la compétitivité et l'emploi dans toutes les régions d'Europe et d'accélérer en parallèle la convergence des régions qui accusent toujours un retard de développement.

A ce titre, cette politique de cohésion est fondamentale sous l'angle économique, social et territorial de l'Union européenne, et il nous a paru opportun de prendre position très en amont sur la future politique régionale, afin qu'elle ne constitue pas la variable d'ajustement des négociations à venir. Celles-ci s'annoncent en effet particulièrement difficiles en raison des situations budgétaires critiques dans tous les États membres.

Au cours des auditions que nous avons menées à Bruxelles au mois de février, nous avons pu constater que les problématiques principales n'ont pas tellement changé depuis 2004, même si le contexte a évolué plutôt dans le mauvais sens.

Plusieurs questions se posent : quelle sera la place accordée à la politique de cohésion dans les prochaines perspectives financières ? Doit-on conserver l'architecture en trois piliers de la programmation 2007-2013 ? Quelle valeur ajoutée peut apporter la cohésion territoriale, rajoutée dans le traité de Lisbonne, à la politique de cohésion ? Il est primordial de mener une réflexion globale, tant sur l'avenir de la politique de cohésion, que sur le budget de l'Union, puisque les deux éléments sont étroitement liés.

Le but de cette communication est de vous présenter les enjeux et les termes du débat ainsi que les positions en présence, et de marquer la volonté de notre commission de prendre position dès maintenant dans les discussions à venir.

Pour ma part, je vous présenterai un bilan de la politique de cohésion et le contexte politique et budgétaire des futures négociations, avant que Simon Sutour ne vous en expose les enjeux, ainsi que les positions en présence et les perspectives d'avenir.

Je voudrais tout d'abord effectuer quelques rappels préliminaires concernant les grandes masses de la politique régionale pour la période 2007-2013.

Pour la période 2007-2013, une enveloppe de près de 350 milliards d'euros (prix courants) a été prévue pour la politique de cohésion, représentant 36 % du budget communautaire, qui se répartissent à peu près en parties égales pour l'Europe des 15 et pour l'Europe des 12 nouveaux États membres entrés depuis 2004.

L'allocation des fonds est définie autour de trois objectifs qui sont répartis ainsi :

plus de 80 % pour la convergence, qui vise à soutenir le développement des régions les plus pauvres dont le PIB par habitant est inférieur à 75% de la moyenne communautaire. C'est ce qu'on appelle l'objectif 1 ;

- près de 16 % pour la compétitivité régionale et l'emploi, dont le but est de renforcer la compétitivité et l'attractivité des régions non couvertes par l'objectif « convergence ». Il s'agit de l'objectif 2 ;

- 2,5 % pour la coopération territoriale européenne, qui vise à poursuivre l'intégration du territoire de l'Union européenne en s'appuyant sur la coopération transfrontalière, transnationale et interrégionale.

En outre, la programmation 2007-2013 prévoit une affectation des crédits à des thèmes prioritaires s'inscrivant dans le cadre de la stratégie de Lisbonne pour la croissance et l'emploi, à hauteur de 60 % pour la convergence et 75 % pour la compétitivité régionale et l'emploi au sein de l'Union. Afin d'atteindre ces objectifs de dépenses, le règlement général des fonds structurels fixe des actions prioritaires fléchées « Lisbonne + ». Ces actions portent sur les thèmes de la recherche et de l'innovation, la société de l'information, les énergies renouvelables, la capacité d'adaptation des travailleurs, l'amélioration de l'accès à l'emploi et l'inclusion sociale.

Enfin, la période actuelle se caractérise par la simplification de certains aspects de la gestion, à travers la suppression du zonage et la réduction à trois instruments financiers, contre plus de cinq pour la programmation précédente : le fonds européen de développement régional (FEDER), le fonds social européen (FSE) et le fonds de cohésion.

La France bénéficie sur cette période d'une enveloppe globale s'élevant à 14,319 milliards d'euros (soit 4,1% du total) se répartissant en 52 programmes de la façon suivante :

3,19 milliards d'euros au titre de la convergence pour les quatre régions d'Outre-mer affectés à quatre programmes FEDER comprenant pour chacune des régions une allocation traditionnelle FEDER de 481,7 millions d'euros afin de compenser les surcoûts liés à la l'ultrapériphéricité et quatre programmes FSE ;

10,257 milliards d'euros pour la compétitivité régionale et l'emploi pour vingt-hui programmes pour les régions métropolitaines, répartis en vingt-deux programmes régionaux et quatre programmes plurirégionaux (Massif central, Alpes, Loire et Rhône) financés par le FEDER, un programme national FSE largement déconcentré à hauteur de 85% dans chacune des régions et un programme national d'assistance technique couvrant tous les objectifs de la politique de cohésion en France. La France est le principal bénéficiaire de l'enveloppe compétitivité (objectif 2), soit 18,66 % du montant de l'enveloppe pour cet objectif ;

872 millions d'euros pour la coopération territoriale financée par le FEDER permettant de financer huit programmes au titre du volet transfrontalier et sept programmes au titre du volet transnational. 10,833 millions d'euros sont affectés obligatoirement à l'instrument de voisinage et de partenariat (IEVP), en vue de l'ouverture aux pays voisins de la Méditerranée. Notre pays est également le premier bénéficiaire au titre de l'objectif de coopération territoriale, à hauteur de 10 % de l'enveloppe.

Quels sont les changements apportés par le traité de Lisbonne dans le domaine de la politique de cohésion ?

L'article 174 du traité introduit le concept de cohésion territoriale, en complément de la cohésion économique et sociale. De plus, il conforte la compétence partagée entre l'Union et les États membres dans un objectif de solidarité (article 2). Enfin, il étend la procédure législative ordinaire (codécision Parlement-Conseil) à tous les règlements traitant les fonds structurels. Le changement est de taille puisqu'il permet désormais au Parlement européen de peser de tout son poids dans la détermination des règles qui régiront l'utilisation des fonds structurels dans l'Union européenne.

Quel est le bilan de la politique de cohésion ?

Elle présente des acquis indéniables, économiques et démocratiques, qui justifient pleinement sa prorogation, dans ses trois dimensions, au-delà de 2013.

Quels sont ses acquis économiques ?

Sur la période 2007-2013, la politique régionale permettra de mobiliser plus de 85 milliards d'euros en faveur de la recherche et de l'innovation. Cela représente un triplement de ces investissements par rapport à la programmation précédente. La politique européenne de cohésion joue donc évidemment un rôle majeur en matière de modernisation du tissu économique et d'investissement.

De plus, les programmes communautaires apportent une valeur ajoutée considérable par rapport aux fonds nationaux. En fournissant à nos régions un financement stable sur une période de sept ans, ils financent des projets qu'il ne serait peut-être pas possible de développer sans un soutien européen. En effet, le caractère pluriannuel de la programmation offre un cadre solide à toutes les parties prenantes et permet de lancer des approches innovantes. Il garantit que la politique structurelle s'oriente bien vers des objectifs et priorités stratégiques et préserve du danger que représente une politique d'aide à court terme. A titre d'exemple, un rapport de synthèse sur la politique de cohésion, publié le 19 avril dernier par la Commission européenne, indique que les 123 milliards d'euros provenant du FEDER (qui intervient sur les trois objectifs), investis entre 2000 et 2006, ont permis la création de 1,4 million d'emplois, la construction de 2000 km d'autoroutes et l'approvisionnement de 14 millions de personnes en eau potable de meilleure qualité. Enfin, d'après le 4ème rapport sur la cohésion économique et sociale, entre 2000 et 2006, chaque euro investi par la politique de cohésion a mené, dans les régions de l'objectif 1 (convergence), à une dépense additionnelle moyenne de 0,9 euro. Dans les régions de l'objectif 2 (compétitivité régionale et emploi), la dépense peut représenter jusqu'à trois fois le montant investi, grâce aux règles du cofinancement et du partenariat. La politique régionale est donc un levier indispensable pour nos régions en termes d'aménagement du territoire. C'est pourquoi la France est particulièrement attachée à cet objectif 2.

Au-delà, la politique de cohésion revêt un enjeu démocratique. En effet, elle constitue un pilier du processus d'intégration européenne et veut permettre aux citoyens de s'identifier au projet européen, car elle est l'expression visible de la solidarité européenne. Elle contribue ainsi à créer un sentiment de citoyenneté européenne et favorise le développement régional dans un cadre économique et social commun. Il y a donc aussi ici un enjeu supérieur, que nous qualifierions « d'argument de coeur », pour reprendre l'expression de notre collègue Simon Sutour : la politique de cohésion permet d'améliorer la perception de l'Union européenne par nos concitoyens sur le terrain.

Quel est le contexte des futures négociations sur la politique de cohésion, dans le cadre de la prochaine révision des perspectives financières ?

Les réflexions et les travaux sur l'avenir de la politique de cohésion après 2013 ont commencé dès 2007, sous la présidence allemande de l'Union européenne. D'après nos interlocuteurs de la DG Budget, le rapport de force dans les négociations à venir serait un peu plus favorable qu'au cours de la période précédente.

La Commission a ainsi organisé un forum sur le sujet en septembre 2007. A cette occasion, elle a lancé une consultation auprès de tous les acteurs régionaux et les États membres, close le 31 janvier 2008, destinée à cerner les contours d'une future politique de cohésion répondant aux nouveaux défis et nourrir, parallèlement, la réflexion à venir dans le cadre de la clause de réexamen du budget communautaire. La Commission a confié une étude à un groupe d'experts indépendant conclue par la parution en avril 2009 de « L'agenda pour une politique de cohésion réformée », ou rapport Barca. Ce document propose un programme de réforme de la politique de cohésion. Il expose d'abord les fondements de cette politique avant de formuler des recommandations en vue d'une réforme globale pesant sur dix « piliers ». Il s'inscrit dans une démarche approfondie de réflexion sur l'avenir de la politique de cohésion après 2013.

Les présidences slovène, française, tchèque et suédoise ont poursuivi ce processus de réflexion à travers des forums et des conférences sur la cohésion territoriale et le futur de la politique de cohésion. La présidence espagnole entendait poursuivre l'approfondissement de la réflexion.

Qu'en est-il du contexte budgétaire ?

Le cadre des prochaines perspectives financières sera défini dans un contexte budgétaire particulier. Le plafond actuel est de 1,23 % du PIB. En 2005, l'objectif affiché était de tendre vers 1% du PIB, ce qui aurait été possible s'il n'y avait pas eu la crise. Mais, en raison de la crise, le PIB a cru plus faiblement que prévu et on atteindra les 1,13 % du PIB à la fin de la période. Cela pèsera forcément sur les négociations. Nous ne disposons pas de marges supplémentaires pour dépenser davantage au niveau européen. La PAC et la politique régionale représentent 75 % du budget de l'Union. En retenant l'hypothèse d'une absence de croissance de la masse globale du budget, la question est de savoir qui va payer l'augmentation des crédits en faveur de la recherche et de l'innovation ambitionnée pour la prochaine programmation ? Les dépenses dites de compétitivité (recherche, innovation...) seraient en effet appelées à doubler, mais en l'absence de financement supplémentaire, il conviendrait certainement de piocher dans les crédits dévolus à la PAC et à la politique régionale. Au total, le lourd contexte budgétaire et financier impliquera très certainement des pressions fortes sur la politique de cohésion, comme l'a prouvé le non-papier de la Commission du mois de novembre 2009.

En effet, ce document de travail officieux de la Commission européenne, divulgué par la presse préconisait, entre autres, une réorientation majeure des priorités de dépenses de l'Union européenne, avec davantage d'efforts sur la croissance et l'emploi, le climat, la recherche-développement, la sécurité énergétique et les programmes transnationaux. Pour cela, outre un démantèlement de la politique régionale européenne, renationalisée et réservée aux États les plus pauvres, le projet de communication proposait une réorganisation sectorielle des politiques européennes qui faisait fi de la dimension territoriale et du principe de cohésion territoriale. Selon un premier calcul, le résultat des orientations proposées dans ce projet serait que les deux tiers des régions européennes qui bénéficient actuellement de la politique de cohésion en seraient exclues, soit 200 régions sur 271 concernant 16 États membres sur 27 ! Cette position est totalement inacceptable par la France et par d'autres pays. En effet, sacrifier la dimension régionale de la politique de cohésion ne va pas seulement à l'encontre du développement, mais reviendrait aussi à abandonner le principe de cohésion territoriale, mis en exergue par le nouveau traité.

La France n'a guère apprécié les premières propositions informelles de la Commission ; c'est d'ailleurs ce qui a motivé en partie notre démarche. Cela dit, le directeur général de la DG budget nous a quelque peu rassurés en nous expliquant que ce document de travail, s'il avait abouti, aurait connu des modifications, notamment pour ce qui touchait à la politique agricole commune et à la politique régionale, car il reflétait la position d'un service à moment donné, sans arbitrage général. Néanmoins, cela nous prouve qu'il existe à Bruxelles des personnes résolument opposées à la politique de cohésion. Il importera donc d'être très vigilant.

Qu'en est-il du calendrier de négociation ?

Le commissaire chargé de la politique régionale, M. Johannes Hahn, a récemment précisé le calendrier des travaux au sein de la Commission : le réexamen budgétaire sera connu au troisième trimestre 2010, puis le cinquième rapport sur la cohésion comportera en novembre 2010 de premières orientations sur les intentions de la Commission pour l'avenir de la politique de cohésion. Les propositions législatives n'interviendront ensuite qu'au cours de la première moitié de 2011.

Quels sont les enjeux pour la France ?

La position française n'est pas encore établie et sera tributaire de notre situation de contributeur net au budget communautaire. D'où l'intérêt d'engager au plus tôt un dialogue avec les institutions européennes, au moment où celles-ci commencent à élaborer leurs futures propositions. La France est dans une position délicate. Elle est aujourd'hui un contributeur net, avec 19 milliards d'euros, pour un retour de 14 milliards d'euros dont 9 milliards au titre de la PAC. Donc, toute baisse du soutien à l'agriculture affecterait le bilan global de la France. Cet aspect sera sans doute l'un des pivots de la négociation à venir et guidera les arbitrages de notre pays.

M. Simon Sutour :

Je vais vous présenter les principaux enjeux des négociations à venir. La politique de cohésion, compte tenu du contexte budgétaire que vous a présenté Yann Gaillard, risque d'être amputée d'une partie de ces crédits. Quels sont alors les enjeux des prochaines perspectives financières pour la politique de cohésion, et comment se présentent les négociations ?

Nous avons identifié deux problématiques principales pour la politique de cohésion au-delà de 2013 : d'une part, le risque d'une suppression de l'objectif 2 et d'une renationalisation partielle de la politique régionale ; d'autre part, la question des régions en transition.

1) Le risque pesant sur l'objectif 2

Le risque principal des négociations à venir pèse clairement sur l'objectif 2, contrairement à l'objectif de coopération territoriale, qui n'est pas menacé et sera même probablement revalorisé. Pourquoi ? Comme la Commission l'a expliqué, il existe une masse critique nécessaire pour cette politique. Il est question d'augmenter la coopération territoriale. Du coup, l'objectif 2 risque d'être diminué, d'autant plus que certains pays s'opposent à la pérennisation de l'architecture actuelle en trois piliers et envisagent de supprimer le second pilier, estimant que la politique régionale ne devrait se focaliser que sur les régions les plus pauvres. Il s'agit donc de se mobiliser pour garantir la pérennité d'une aide sérieuse à des régions non éligibles à l'objectif 1.

Pourquoi maintenir l'objectif 2 ? Il convient à notre avis de perpétuer le large soutien accordé dans le cadre de la politique de cohésion aux régions relevant de l'objectif « compétitivité régionale et emploi », dans la mesure où celles-ci renferment d'importantes poches de pauvreté, et où les inégalités sociales et territoriales s'y sont creusées dans toute l'Europe. En outre, ces régions fournissent une contribution importante à la mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne. Enfin, il nous semble que la suppression de l'objectif 2 irait à l'encontre du principe de cohésion territoriale.

2) La question des régions en transition

L'important effet de seuil entre les actuels objectifs « convergence » et « Compétitivité régionale et emploi » amène à se poser la question des régions « intermédiaires ». Ce sujet important a été abordé au cours de la réunion des ministres chargés de la politique régionale, le 19 février dernier. La Présidence espagnole y a en effet présenté un document de travail qui envisage la mise en place d'un « mécanisme de transition plus juste, qui assure un traitement similaire pour les régions qui sont dans des situations similaires ». Le Commissaire a indiqué à cette occasion que des réflexions étaient en cours sur les régions en transition, notamment concernant les régions dont le PIB par habitant se situe entre 75 % et 90 % de la moyenne communautaire. Selon le commissaire Hahn, la prise en compte de ces régions intermédiaires par les Fonds structurels dépendra néanmoins des marges de manoeuvre budgétaires dont la politique de cohésion pourra disposer. D'où l'intérêt de se mobiliser suffisamment tôt.

Le Parlement européen et la Commission ont reconnu explicitement la situation particulière des régions qui ne seront plus éligibles à un soutien maximal au titre de l'objectif de convergence après 2013, à travers la notion de « région en transition », qui désigne à la fois les territoires relevant actuellement du soutien temporaire et du soutien transitoire, ainsi que les régions dont le soutien arrivera à terme à l'issue de la période de programmation 2007-2013. Ils approuvent ainsi l'élaboration de solutions ciblées sur ces zones.

En tout état de cause, l'aide aux régions qui abandonnent pour la première fois l'objectif de convergence doit être garantie, quelle que soit la future architecture de la politique régionale et ses objectifs respectifs. Il nous faudra donc militer auprès de la Commission et du Conseil pour qu'ils conçoivent un système plus global d'aide transitoire progressive aux régions qui dépasseront bientôt le seuil de 75 % du PIB, afin de leur conférer un statut plus clair et davantage de sécurité dans leur développement. Un tel mécanisme pourrait prendre la forme d'un objectif « intermédiaire » entre les actuels objectifs « convergence » et « compétitivité régionale et emploi », afin de couvrir l'ensemble des régions dont le PIB serait compris entre 75 et 100 % de la moyenne communautaire, et constituerait une piste intéressante pour améliorer l'éligibilité d'un grand nombre de régions aux fonds structurels. Comment financer un tel mécanisme ? Dans ce contexte budgétaire difficile, nos interlocuteurs de la Représentation permanente française à Bruxelles ont attiré notre attention sur un point très important, susceptible de donner quelques marges de manoeuvre budgétaires pour le financement d'un tel instrument. Ils estiment ainsi qu'au sein de la politique régionale, à architecture constante, à l'échéance 2013, la plupart des régions aujourd'hui éligibles à l'objectif 1 ne le seront plus, en raison de l'effet de seuil. Or, 80 % des fonds de la politique régionale vont aujourd'hui vers ces régions. 50 milliards d'euros d'économies pourraient être réalisables de ce fait sur 7 ans, soit 15 % du budget actuel de la politique de cohésion. Cela représente un montant très important qui pourrait précisément servir à financer le mécanisme de transition. Ces 50 milliards d'euros susciteront sans aucun doute des convoitises. Il faudra se battre pour garantir l'affectation de ces crédits ou d'une partie d'entre eux au financement de la politique régionale.

Quelles sont les positions en présence sur l'avenir de la politique de cohésion dans le cadre des prochaines perspectives financières ?

Globalement, le Parlement européen a pris parti pour une politique de cohésion couvrant toutes les régions au-delà de 2013. En outre, celui-ci jouera certainement un rôle crucial dans les négociations à venir, à travers les nouveaux pouvoirs budgétaires dont il dispose avec le traité de Lisbonne. Au sein même du Parlement, c'est la commission du développement régional, présidée par l'ancienne commissaire à la politique régionale, Mme Danuta Hübner, qui aura la plus grande influence. Celle-ci a d'ailleurs récemment indiqué que le Parlement européen souhaitait faire connaître rapidement son point de vue sur l'avenir de la politique de cohésion, sans attendre les propositions de la Commission prévues en 2011. Un groupe de travail spécifique a ainsi été créé au sein de la commission REGI, dont les conclusions seront débattues fin juin par celle-ci. Plus généralement, Mme Hübner a indiqué que le Parlement européen était très attaché à ses nouvelles prérogatives institutionnelles. Nous aurions par conséquent intérêt à développer la concertation avec lui sur ce sujet. En revanche, Mme Hübner s'est montrée plutôt réservée sur la question d'une meilleure prise en compte des régions « intermédiaires » par la future politique de cohésion. Il pourrait être intéressant de rencontrer Mme Hübner afin de dialoguer avec elle sur ce thème, car le soutien du Parlement européen représenterait un atout important.

Le Comité des régions a quant à lui adopté au cours de sa session plénière du mois d'avril un avis sur l'avenir de la politique de cohésion. Il s'agit de la première position officielle d'un organisme européen sur la question. Ce document soutient qu'il conviendra de continuer à allouer une partie substantielle du budget européen au financement d'actions à caractère structurelles dans les collectivités régionales et locales. A ce titre, l'objectif « compétitivité régionale et emploi » doit continuer d'aider toutes les régions de l'Union à renforcer en premier lieu l'innovation, la cohésion sociale et la compétitivité en leur sein. Le Comité des régions se prononce également en faveur du maintien des principes de la politique de cohésion que sont le système de gouvernance à multiniveaux, la programmation pluriannuelle, le partenariat, la concentration, la gestion des programmes fondée sur des indicateurs et l'évaluation. Enfin, il recommande de développer davantage le principe de subsidiarité, en renforçant le rôle des collectivités locales et régionales à tous les stades de la programmation, de la mise en oeuvre et de l'évaluation de la politique de cohésion.

La plupart des États membres n'ont pas encore arrêté de position officielle. Cependant, la réunion des ministres chargés de la politique régionale à Saragosse a permis de clarifier certaines positions. En effet, le document de travail de la présidence espagnole prend clairement parti pour une politique de cohésion continuant à s'adresser à l'ensemble des régions de l'Union européenne au-delà de 2013. De nombreuses délégations ont rappelé leur attachement à cette position. Le Danemark s'est distingué par une opinion contraire. Sur l'architecture, la plupart des États membres ont insisté pour que les fonds continuent à être en priorité concentrés sur les États et régions les plus pauvres, à travers l'actuel objectif de convergence. Plusieurs délégations ont repris à leur compte les suggestions de la présidence visant à améliorer les régimes transitoires pour les régions qui sortiront en 2013 de l'objectif « convergence », ou à envisager la création d'un nouvel objectif « intermédiaire ». En outre, certains ont estimé que de tels mécanismes transitoires ne devaient pas seulement concerner les régions, mais aussi les États qui vont sortir du fonds de cohésion.

Enfin, la Représentation permanente nous a précisé sa perplexité quant à la position des nouveaux États membres sur la politique de cohésion. En effet, ces derniers n'ont pas encore véritablement dévoilé leurs orientations. Pour le moment, ils se présentent comme favorables au maintien de l'objectif 2, en pensant que s'ils ne défendent que l'objectif 1, beaucoup d'États membres préféreront supprimer la politique régionale, qui ne leur apportera plus rien. Mais s'ils doivent faire un choix, ils favoriseront probablement l'objectif 1. Il faudra donc être particulièrement attentifs à ces États et dialoguer avec eux.

Qu'en est-il de la Commission ? Lors de son audition devant le Parlement européen en janvier 2010, Johannes Hahn a tenu des propos rassurants sur sa conception de la politique de cohésion. En effet, il a souligné son opposition à toute tentative de renationalisation, et s'est clairement prononcé en faveur d'une politique de cohésion couvrant toutes les régions européennes. En outre, il s'est montré ouvert à l'idée d'une meilleure prise en compte des régions en transition. Pour rassurants qu'ils soient, ces propos devront être suivis de décisions concrètes, et l'on ne peut les prendre pour argent comptant, tant on sait que le résultat des négociations reflètera de nombreux arbitrages et compromis entre les intérêts divergents des États membres. D'où, l'importance d'exprimer notre soutien aux propos du commissaire et de rester vigilant. A cet égard, peut-être serait-il pertinent d'inviter M. Hahn à venir s'exprimer devant notre commission, afin qu'il nous précise ses intentions.

Je voudrais maintenant adopter une démarche plus prospective, en soulignant les faiblesses de la politique de cohésion actuelle pour tenter de réfléchir aux moyens de l'améliorer. En effet, renforcer son efficacité contribuera aussi à asseoir sa crédibilité, et partant, à garantir sa pérennité au-delà de 2013. Nous avons identifié six faiblesses principales.

En premier lieu, se posela question de l'articulation entre le second pilier de la PAC et la politique de cohésion.Une meilleure articulation devrait être recherchée entre les différents fonds communautaires (FEDER, FSE et FEADER), tout en veillant à conserver l'approche intégrée qui caractérise jusqu'ici la politique de cohésion. Comment améliorer l'articulation des deux instruments ? Danuta Hübner, lorsqu'elle était commissaire à la politique régionale, avait tenté de réintégrer le second pilier de la PAC dans le giron de la politique régionale, mais sans succès, du fait des résistances de la DG agriculture. Pourtant, comme nous l'a expliqué un représentant de la DG REGIO, le découplage des deux instruments peut apparaître incohérent car les axes 3 et 4 du FEADER interviennent souvent sur des projets de la politique régionale. Il convient donc de rationaliser le processus. L'une des options envisageables serait de transférer ces deux axes du FEADER vers la politique régionale, en donnant des garanties pour les territoires ruraux. Quelle que soit la solution choisie, l'essentiel est que les territoires ruraux aient accès à ses financements. Un accord aurait été récemment trouvé avec le commissaire Ciolos pour améliorer l'articulation entre le FEDER et le FEADER sur le développement rural, mais nous n'en connaissons pas encore la teneur.

Le deuxième point faible de la politique régionale tient à l'existence de paiements irréguliers encore trop nombreux. En effet, La Cour des Comptes européenne pointe régulièrement l'existence de « paiements irréguliers encore trop élevés dans certains domaines, notamment la cohésion ». Ainsi, les crédits d'engagement pour la politique de cohésion représentaient, en 2008, 48,2 milliards d'euros, soit plus d'un tiers du budget. Or, environ 4 milliards d'euros n'auraient pas dû être remboursés par l'Union européenne aux États membres qui avaient anticipé les dépenses, les projets n'étant pas éligibles ou les règles en matière de passation des marchés n'ayant pas été respectées. Certes, la Commission européenne a renforcé les contrôles, suspend des financements et récupère de plus en plus les sommes indûment versées. Mais il est évident que la méfiance et les réticences à maintenir le financement communautaire subsisteront aussi longtemps que la Cour des Comptes dénoncera l'existence de milliards d'euros de paiements irréguliers. La Commission européenne a souligné que les fraudes véritables ne dépassaient pas les 0,2 % des paiements effectués. Il s'agit donc d'une lacune à combler d'urgence.

Troisièmement, nous pensons qu'il faut améliorer la flexibilité et l'efficacité des aides en les concentrant sur un petit nombre de priorités, comme l'a récemment recommandé le commissaire Hahn devant la commission du développement régional du Parlement européen. En outre, il conviendrait selon lui d'accroître la flexibilité dans la mise en oeuvre des programmes de la cohésion et de créer un guichet unique, afin d'identifier plus facilement les forces et les faiblesses de chaque région, en cohérence avec la stratégie Europe 2020. Ce sont des propositions pertinentes. Cependant, il ne faudrait pas que la politique de cohésion soit subordonnée à la stratégie Europe 2020. En effet, les objectifs de la cohésion vont bien au-delà de ceux de la stratégie. C'est pourquoi, il faudra prendre garde à ne pas mettre en danger les financements de la politique de cohésion en concentrant tous nos efforts sur la croissance et l'emploi, ce qui aboutirait à négliger la dimension territoriale nécessaire au développement de l'Union européenne.

En quatrième lieu, il nous semble que la cohésion territoriale, en ce qui concerne la politique de cohésion, est avant tout une question de diversification des échelons d'intervention. Autrement dit, il faut trouver d'autres échelles d'intervention que le sacro-saint niveau régional. C'est la problématique des macro-régions. Il conviendra donc aussi d'inciter les États membres à diversifier leurs interventions à l'échelle d'un fleuve, d'un massif, d'une macrorégion, dans un cadre transfrontalier par exemple. En outre, la cohésion territoriale appelle une meilleure coopération entre la politique de cohésion et les autres politiques sectorielles communautaires comme la RETD, le transport, l'énergie, l'environnement.

Cinquièmement, il nous paraît important d'insister sur le souci constant de réduire la charge bureaucratique et, partant, de simplifier les procédures administratives. Il conviendrait que cette préoccupation entre en ligne de compte dans les objectifs des futures programmations. En effet, des procédures allégées et transparentes sont des conditions essentielles d'une utilisation efficace des ressources.

Enfin, la politique de cohésion devra remédier à la sous-consommation des crédits, ce qui pose aussi la question des capacités d'absorption. Nos interlocuteurs de la DG Budget ont en effet souligné le caractère problématique de la consommation des crédits et de la capacité d'absorption des fonds communautaires par les États membres, notamment les PECO. Il apparaît ainsi que certaines sommes ne seront jamais utilisées, faute de capacités d'absorption. Dès lors, on peut s'interroger : est-il politiquement souhaitable et économiquement raisonnable d'atteindre des taux de transfert pouvant représenter jusqu'à 5 % du PIB d'un État ? C'est le cas en Lituanie. Nous pensons que la sous-consommation des crédits, au-delà du problème des capacités d'absorption, s'explique aussi par un manque de pédagogie et de communication, et par la complexité des règles d'éligibilité, qui tend à décourager certains acteurs. Cela engendre également un problème de visibilité, puisque l'action bénéfique de l'Union européenne ne peut apparaître aux yeux du citoyen. Nous avons donc aussi un important travail de pédagogie à réaliser auprès de nos citoyens. Cela dit, la sous-consommation des crédits ne saurait constituer un argument recevable contre le maintien des fonds structurels.

En conclusion, nous estimons qu'il faudra être très présents dans le débat sur l'avenir de la politique de cohésion et la négociation des prochaines perspectives financières, et faire preuve de vigilance. Il nous faudra défendre le maintien d'une politique régionale destinée à toutes les régions, donc la pérennisation de l'objectif 2, ainsi que la création d'un objectif intermédiaire, susceptible d'assister les régions en phase de transition, les deux n'étant pas antagonistes mais complémentaires.

Pour cela, nous devrons surveiller dans les mois à venir les positions des différents acteurs, qui vont se préciser, et leur exprimer notre point de vue. A cet égard, il nous faudra vérifier que le gouvernement français est suffisamment sensibilisé et actif. Il apparaît nécessaire de clarifier dès maintenant les orientations nationales françaises à poursuivre, en lien avec les réflexions sur les futures perspectives financières. L'objectif est de définir rapidement une position française sur l'avenir de la politique de cohésion, tant dans ses aspects budgétaires qu'en termes de contenu, afin de pouvoir peser dans les travaux en cours dans les diverses institutions.

Nous poursuivrons donc notre travail au cours du second semestre, afin de vous présenter en fin d'année un rapport d'information qui rendra compte des consultations effectuées et formulera des propositions opérationnelles dans la perspective des propositions législatives qui interviendront au premier semestre 2011.

Compte rendu sommaire du débat

M. Jean Bizet :

Ce dossier revêt une importance particulière. Premièrement, la cohésion territoriale a été intégrée dans le traité de Lisbonne, ce qui justifie l'attention portée à la dimension territoriale de la politique de cohésion. Deuxièmement, dans le difficile contexte budgétaire actuel, cette politique représente l'une des rares opportunités de financement pour les projets des collectivités locales, en particulier dans les zones rurales. Troisièmement, nous devrons être particulièrement vigilants car la pérennité de cette politique est loin d'être assurée, comme l'ont montré nos rapporteurs. Je reconnais que notre pays n'est pas exempt de critiques. Simon Sutour l'a d'ailleurs souligné en ce qui concerne notre manque de réactivité et notre maladresse pour obtenir des subventions. Ce qui est vrai dans le Gard l'est également dans mon département, en Basse-Normandie.

Mme Bernadette Bourzai :

En tant que députée européenne, j'ai vécu la période de négociations des précédentes perspectives financières, entre 2004 et 2007. Il est vrai que la politique régionale était particulièrement menacée. Je voudrais rappeler que, dans le cadre de la programmation financière en cours, l'objectif de compétitivité régionale et emploi est assorti d'une condition qui consiste à flécher 75 % de ces crédits sur les domaines mis en valeur par la stratégie de Lisbonne, c'est-à-dire l'innovation, la recherche et le développement durable.

Il me semble que, alors que nous sommes à mi-parcours de la programmation 2007-2013, il nous faudrait disposer d'indications relatives à la consommation des crédits, notamment ceux du FEDER, par rapport aux objectifs de la stratégie de Lisbonne. Finalement, les crédits de la politique de cohésion profitent à ceux qui sont les mieux armés pour répondre à ces objectifs. Je pense aux pôles de compétitivité, aux universités, tandis que les zones rurales ont du mal à respecter ce fléchage.

Dès lors, je suis convaincue, comme Simon Sutour, qu'une nouvelle réflexion est indispensable sur l'utilisation du FEDER et du FEADER. Pour cela, je pense que nous devrions demander au gouvernement français des informations relatives à la consommation des crédits de ces deux fonds.

En ce qui concerne les perspectives financières, je suis plutôt pessimiste. Au regard de la conjoncture, il sera difficile d'obtenir un budget supérieur à celui de la programmation actuelle. J'ai été rapporteur sur le budget du développement rural au moment de la négociation des dernières perspectives financières. Celles-ci avaient abouti à une réduction de ce budget de 35 % par rapport à la période 2000-2006. Ce sont ces crédits qui ont été sacrifiés, dans la mesure où ceux de la politique agricole commune avaient été sanctuarisés. Il me semble par conséquent qu'il nous faudra être vigilants et astucieux sur la répartition possible des futurs crédits.

Je pense que la Commission accordera sans doute davantage d'importance à l'interrégionalité, en particulier à la coopération transfrontalière, parce qu'elles permettent des actions innovantes. En tant que députée européenne, j'avais participé à la mise en place d'un document de programme à l'échelle du Massif central. Celui-ci concernait 6 régions et 22 départements et visait à développer des équipements structurants, tel que le haut débit. Il pourrait être intéressant de recueillir des données sur l'état des lieux de ce programme plurirégional, qui a déjà trois ans et demi d'existence. Les trois autres programmes plurirégionaux, centrés autour du massif alpin, de la Loire et du Rhône, seraient également intéressants à étudier. Ce sont des pistes pertinentes.

Enfin, je pense que la France ne pourra pas faire l'économie d'une réflexion consistant à déterminer si elle a intérêt à revenir à une politique de développement régional franco-française. Je n'ai guère apprécié certains propos dépréciateurs qui ont été tenus devant notre commission sur l'utilisation que feraient nos régions des fonds structurels. Il est indéniable qu'il existe des différences régionales très fortes et que l'espace français reste inégalitaire. Dès lors, doit-on doter toutes les régions de fonds structurels ou bien ne vaudrait-il pas mieux adopter des politiques prioritaires sur certaines zones, notamment rurales ? Je constate, tout en le déplorant, que l'on parle beaucoup de la nécessité de développer les communautés d'agglomération, mais que l'on s'intéresse bien peu aux zones rurales. Il nous faudra du courage pour admettre qu'il existe des zones prioritaires, tout comme il existe des pays prioritaires au niveau de l'Union européenne. Je rappelle que, lorsque les pays d'Europe de l'Est sont entrés dans l'Union européenne, 90 % de leurs régions étaient plus pauvres que la plus pauvre des régions de l'Europe des 15, à savoir la Guyane. Il ne faut pas oublier cela, et nous devrons effectuer des choix politiques en conséquence.

M. Simon Sutour :

Je partage les analyses de Bernadette Bourzai.

En ce qui concerne le fléchage, je peux témoigner que nous nous en servons au quotidien. Ainsi, lorsqu'une commune demande une subvention pour la construction d'une station d'épuration, elle n'a guère de chance d'obtenir des fonds européen. En revanche, si elle ajoute une dimension de haute qualité environnementale à ce projet, elle peut plus facilement obtenir des subventions, car cela entre dans les critères de Lisbonne. De même, un projet de groupe scolaire, s'il est ciblé sur le développement durable, sera plus aisément éligible aux fonds structurels. J'ai eu l'occasion de le vérifier plusieurs fois dans mon département, en conseillant les élus dans ce sens.

Il me semble que nous devons essayer de maintenir les deux dimensions : d'un côté, garantir les aides aux collectivités locales, qui sont de plus en plus exsangues ; de l'autre inscrire nos projets dans des stratégies à vocation européenne, par exemple à travers des stratégies de massif ou de coopération transfrontalière. Ce qui compte, c'est le résultat apporté à nos communes.

Enfin, je voudrais encore insister sur la nécessité de rendre visibles les bénéfices de l'Europe aux yeux de nos concitoyens. En effet, tant que ceux-ci ne verront dans l'Union européenne qu'une bureaucratie source de contrainte, notamment au regard de la législation sur la chasse, ils seront enclins à voter non à tout référendum portant sur l'Europe. Il faut donc valoriser et préserver les acquis de la politique de cohésion. Mais ce sera une bataille difficile. Si le contexte semble plus favorable qu'au cours de la période précédente, dans la mesure où les dépenses de la politique agricole commune ne seront plus sanctuarisées, il existe un risque de diminution des crédits, à travers l'attention supérieure accordé à la stratégie Europe 2020 et à ses actions novatrices.

Nous avons essayé de démontrer, avec Yann Gaillard, qu'il existe une fenêtre d'opportunité provenant des marges budgétaires qui résulteront de l'effet de seuil, à travers la sortie de nombreuses régions de l'objectif de convergence. Bien sûr, la politique régionale ne récupèrera jamais la totalité des 50 milliards d'euros ainsi économisés. Mais si elle en acquiert ne serait-ce qu'une partie, ce sera déjà une satisfaction.

M. Jean Bizet :

Je partage tout à fait les analyses des rapporteurs et de Bernadette Bourzai. Il me semble en effet que toutes les régions, du fait de leurs inégalités, ne peuvent pas être traitées de façon similaire. Il est évident que l'Alsace ou l'île de France ont moins besoin des fonds structurels que le Limousin ou le Languedoc-Roussillon.

Politique de coopération

Examen de la proposition de résolution européenne (n° 452)
sur l'accord modifiant l'accord de partenariat avec les États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (E 5295)

Rapport de M. Jean Bizet

M. Jean Bizet :

Le 17 mai dernier, Mme Alima Boumediene-Thiery et ses collègues ont déposé une proposition de résolution européenne tendant à insérer une clause de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre dans l'accord de partenariat entre les États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique et la Communauté européenne.

Le texte visé par cette proposition de résolution est une proposition de décision qui devrait être soumise au Conseil de l'Union le 14 juin prochain. C'est pourquoi il nous fallait sans tarder inscrire cette proposition de résolution à notre ordre du jour.

Avant de présenter mon rapport, je vais donner la parole à Mme Alima Boumediene-Thiery pour qu'elle nous présente sa proposition de résolution.

Mme Alima Boumediene-Thiery :

La question de la dépénalisation universelle de l'homosexualité est un enjeu majeur dans le champ de la protection des droits humains. Elle a pris un relief particulier lorsque 66 États membres de l'ONU ont signé, à l'initiative de la France, un appel historique le 18 décembre 2008, réaffirmant « le principe de non-discrimination qui exige que les droits de l'Homme s'appliquent de la même manière à chaque être humain, indépendamment de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre ».

L'appel se fonde sur le principe d'universalité des droits de l'Homme, consacré dans la Déclaration universelle de ces droits, et qui prévoit en son article premier que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ». Les 66 pays « condamnent les violations des droits de l'Homme fondées sur l'orientation sexuelle ou l'identité de genre, où qu'elles soient commises ». Ils dénoncent en particulier « le recours à la peine de mort sur ce fondement, les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, la pratique de la torture et autres traitements ou peines cruels, inhumains et dégradants, l'arrestation ou la détention arbitraire et la privation des droits économiques, sociaux et culturels, notamment le droit à la santé ».

En effet, ce n'est pas moins de 77 pays qui criminalisent aujourd'hui l'homosexualité. Dans sept de ces pays, la peine capitale est prévue pour l'homosexualité, comme par exemple en Arabie Saoudite, aux Émirats Arabes Unis, en Iran, en Mauritanie, au Nigeria, au Soudan et au Yémen.

C'est également le principe d'universalité des droits de l'Homme qui a motivé le dépôt de la présente proposition de résolution européenne. Sur le continent africain, l'homosexualité n'est légale que dans treize pays. Dans 38 pays africains, elle est considérée comme un délit. En Mauritanie, au Nigeria et au Soudan, elle est passible de la peine capitale. Cette situation est, selon nous, intolérable.

Les personnes homosexuelles et transgenres y sont victimes de persécutions en raison de leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. Elles subissent, au quotidien, des violences insupportables se traduisant par des discriminations, des mauvais traitements et des humiliations intolérables, amplifiées par un discours de haine et de rejet de la part des responsables politiques africains, qui voient dans l'homosexualité et la trans-identité une abomination qu'il convient d'éradiquer.

Cette stigmatisation des relations sexuelles entre personnes de même sexe doit être condamnée avec la plus grande vigueur, tant elle entre en totale contradiction avec les valeurs universellement partagées de respect du principe d'égalité et d'interdiction de toute discrimination fondée notamment sur l'orientation sexuelle ou l'identité de genre.

Ce principe exige que les droits de l'Homme s'appliquent de la même manière à chaque être humain, indépendamment de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre. Il est un principe fondamental indissociable du respect des droits de l'Homme, dont il est une des composantes. Son application est inconditionnelle et universelle. Dès lors, aucune religion, culture ou idéologie ne saurait faire échec à son application. C'est d'ailleurs ce même principe qui a guidé la France, à l'initiative de son Garde des Sceaux de l'époque, Robert Badinter, vers le chemin de la dépénalisation de l'homosexualité le 27 juillet 1982. C'était il y a plus de 30 ans. Cette dépénalisation, que l'on doit au courage politique plus qu'au contexte juridique international, doit être aujourd'hui considérée comme une nécessité absolue.

D'ailleurs, l'Union européenne s'est largement investie dans la lutte contre la discrimination en fonction de l'orientation sexuelle et a rappelé, à de nombreuses reprises depuis 2006, son attachement à la lutte contre l'homophobie, la lesbophobie et la transphobie. Récemment, par une résolution en date du 17 décembre 2009, le Parlement européen a pris une position ferme contre le projet de législation « anti-homosexualité » en Ouganda, rappelant son caractère profondément discriminatoire et contraire aux principes de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle, tel que protégé par les instruments internationaux et européens garantissant les droits humains et les libertés fondamentales, ainsi que l'interdiction de toute discrimination. Cette résolution, aussi précieuse soit-elle, n'a pas constitué un outil suffisamment fort pour mettre un terme au processus législatif.

Dès lors, il convenait de convoquer des outils juridiques, internationaux ou européens, permettant de mieux répondre à l'urgence de la situation des personnes homosexuelles et transgenre en Afrique. Seule une action concertée des pays membres de l'Union européenne permettrait d'amener les États africains à respecter ce principe, et mettre un terme, dans leurs législations internes, aux discriminations et persécutions intolérables subies par les personnes homosexuelles et transgenres.

L'Union européenne dispose de cet outil : il s'agit de l'Accord de Cotonou, signé entre l'Union européenne et les États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. L'article 9 de cet accord permet à l'Union européenne de suspendre l'Accord en cas de non-respect des droits de l'Homme par l'une des parties. Cette disposition de l'Accord de Cotonou constitue un levier puissant pour mettre un terme aux persécutions et discriminations subies par les personnes homosexuelles ou transgenres en Afrique : il permet en effet à l'Union européenne de suspendre ses relations commerciales avec les États africains qui ne respecteraient pas le principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle, justifiant ainsi par la même occasion la suspension de toute aide financière à tout État qui ne respecterait pas ce principe.

La révision en cours de l'Accord de Cotonou constitue une opportunité pour rappeler aux parties signataires leur obligation de respecter les droits de l'Homme, et notamment le principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou l'identité de genre. Une telle révision devrait nécessairement conduire à rappeler aux États africains leurs obligations internationales au regard du respect des droits des personnes homosexuelles et transgenres, ainsi qu'à l'insertion, dans l'accord révisé, d'une clause de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre, afin de rappeler les États parties à leurs obligations.

Notre proposition de résolution entend se saisir de cette opportunité. Elle rappelle la nécessité du respect du principe universel de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle et invite la Commission européenne, dans le cadre de la négociation en cours, à défendre une position ferme à l'égard des États signataires de l'Accord de Cotonou, en leur rappelant l'exigence du respect du principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre.

Elle invite, par ailleurs, la France et la Commission européenne a défendre l'insertion, dans l'Accord de Cotonou révisé, d'une clause mentionnant de manière explicite le principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre.

Elle invite, enfin, les États signataires de l'Accord de Cotonou au respect effectif du principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre, devant se traduire notamment par une dépénalisation de l'homosexualité et la pleine jouissance des droits de l'homme des personnes homosexuelles ou transgenres.

M. Jean Bizet :

La proposition de résolution porte sur l'accord modifiant pour la deuxième fois l'Accord de Cotonou. Je vous rappelle que l'Accord de Cotonou a été signé le 23 juin 2000 entre l'Union et européenne et les États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP). Cet accord a été conclu pour vingt ans, mais il a été prévu qu'il serait révisé tous les cinq ans. Il a fait l'objet d'une première révision en 2005 et le texte qui nous occupe aujourd'hui concerne la deuxième révision de cet accord. L'Accord de Cotonou vise essentiellement à faciliter l'intégration des pays ACP dans l'économie mondiale.

La proposition de résolution porte plus précisément sur le dialogue politique inclus dans l'Accord de Cotonou et sur la question du respect des droits de l'Homme. Il n'est pas étonnant que notre collègue Alima Boumediene-Thiery ait voulu porter cette question devant nous. Je me rappelle en effet que, en juillet 2008, lorsque nous avions évoqué la politique européenne de voisinage, elle était intervenue à ce sujet pour regretter que l'on néglige trop souvent les dispositions relatives au respect des droits de l'Homme qui figurent systématiquement dans les accords d'association ou de partenariat conclus par l'Union européenne.

La proposition de résolution « regrette l'absence de mention explicite du principe de non- discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre dans le projet de révision de l'Accord de Cotonou ».

Je crois qu'il est nécessaire de donner quelques explications sur la chronologie et le déroulement des négociations entre l'Union européenne et les pays ACP. Le mandat de négociation, qui constitue la feuille de route pour la Commission européenne, a été adopté par le Conseil en février 2009. Les négociations ont été ouvertes officiellement en mai 2009 et elles ont duré jusqu'à mars 2010. Elles ont été conclues le 19 mars 2010.

La question de la non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle, qui figure à l'article 8-4 de l'accord, a été un des points difficiles dans la négociation. Il a d'ailleurs fait l'objet de débats entre l'Union et les pays ACP jusqu'aux dernières séances qui ont précédé la conclusion de l'accord.

La Commission européenne a proposé de reprendre dans l'accord les dispositions qui figurent dans la charte des droits fondamentaux et qui mentionnent explicitement « l'orientation sexuelle ». Mais elle s'est heurtée à une opposition résolue des pays ACP qui ont considéré que la mention de « l'orientation sexuelle » était inacceptable pour eux.

À la suite de longues négociations, un compromis a été trouvé qui consistait à introduire le concept de « discrimination pour quelque raison que ce soit » et d'énumérer ces raisons parmi lesquelles la discrimination en raison du sexe. Il s'agit en fait d'une reprise de l'article 2 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme.

La Commission a alors envisagé que l'Union européenne fasse une déclaration unilatérale pour interpréter les termes de ce compromis. Cette déclaration aurait précisé que le texte retenu couvrait toutes les formes de discrimination, y compris les discriminations en raison de l'orientation sexuelle. Tous les États membres de l'Union ont appuyé cette proposition de la Commission.

Toutefois, il est rapidement apparu que si l'Union européenne faisait cette déclaration, la partie ACP ferait une contre déclaration donnant sa propre interprétation. Fallait-il s'engager dans cette voie ? Je n'en suis par certain pour ma part car s'il y avait deux déclarations contraires pour expliciter le sens d'une disposition, cela aboutissait en réalité à neutraliser complètement la disposition elle-même. De plus, on risquait ainsi d'encourager les États ACP à formuler des déclarations unilatérales sur d'autres points de l'Accord.

On peut regretter l'issue des négociations et le texte final de l'Accord. On ne peut en tout cas pas reprocher à la Commission ni aux États membres de ne pas avoir tenté d'inclure le principe de la non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle dans le projet de révision.

Je crois que nous sommes tous d'accord ici pour regretter qu'il n'ait pas été possible d'aller plus loin. En revanche, je m'interroge quelque peu sur l'opportunité de certaines dispositions de la proposition de résolution qui a été déposée.

Cette proposition de résolution « invite la Commission à parvenir à un compromis tendant à l'insertion d'une mention explicite du principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre dans le projet d'Accord de Cotonou révisé ». Il est trop tard pour cela. C'est au moment où a été déposé le mandat de négociation qu'il aurait fallu émettre une telle invitation.

De même, la proposition de résolution « demande au Gouvernement français de défendre une telle position en vue de la signature prochaine de cet accord ». Là encore, il est désormais trop tard. J'ajouterai que le Gouvernement français a répondu par avance à l'attente des auteurs de la proposition. Comme l'ensemble des États membres et comme la Commission européenne, il a défendu cette position tout au long des négociations.

Je vous ai exposé l'ensemble de la situation. Je remercie Mme Boumediene-Thiery d'avoir soulevé ce problème devant nous. Je crois qu'il y a un sentiment unanime pour aller dans le sens de ses préoccupations.

C'est pourquoi je vous proposerai de supprimer les deux derniers alinéas de la proposition de résolution et de les remplacer par un nouvel alinéa invitant la Commission européenne et le Gouvernement à déployer tous leurs efforts pour obtenir, lors de la prochaine révision de l'Accord de Cotonou, qui devrait intervenir en 2015, l'insertion d'une mention explicite du principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre dans le projet de l'Accord de Cotonou.

*

La commission a accepté cette suggestion du rapporteur et a adopté la proposition de résolution dans le texte suivant :


Proposition de résolution européenne

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la Convention européenne des droits de l'Homme,

Vu la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne,

Vu les articles 6 et 7 du traité sur l'Union européenne (TUE) et l'article 19 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE),

Vu l'Accord de partenariat entre les membres du groupes des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, d'une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d'autre part, signé à Cotonou le 3 juin 2000 (l'Accord de Cotonou) et les dispositions de cet accord relatives aux droits de l'homme, notamment l'article 9 ;

Vu la Proposition de décision du Conseil relative à la signature, au nom de l'Union européenne, de l'accord modifiant pour la deuxième fois l'accord de partenariat entre les États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, d'une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d'autre part, signé à Cotonou le 23 juin 2000 et révisé une première fois à Luxembourg le 25 juin 2005 (E 5295) ;

Considérant la déclaration commune faite le 18 décembre 2008 par 66 États, à l'Assemblée générale des Nations Unies, qui condamne les violations des droits de l'homme fondées sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre, telles que les assassinats, les actes de torture, les arrestations arbitraires et la privation des droits économiques, sociaux et culturels, dont le droit à la santé ;

Considérant que les instruments internationaux et européens de protection des droits de l'Homme garantissent à toute personne la jouissance des droits et libertés reconnus, sans aucune distinction fondée notamment sur l'orientation sexuelle, le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ;

Considérant que le principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre constitue un principe fondamental indissociable du respect des droits de l'Homme, dont il est une des composantes ;

Considérant que les États membres de l'Union européenne ainsi que les États signataires de l'Accord de Cotonou ont entendu, à travers l'article 9 de l'accord susvisé, conditionner le maintien de la coopération entre l'Union européenne et les États ACP au respect des droits de l'Homme, des principes démocratiques et de l'État de droit ;


Considérant que les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres sont sujettes, dans une majorité d'États africains parties à l'Accord de Cotonou, à l'homophobie, à la transphobie et à d'autres formes de violence physique et verbale, et de discriminations ayant pour conséquence leur criminalisation ainsi que leur exclusion sociale en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre ;

Considérant qu'un tel traitement constitue une violation des principes directeurs énoncés dans l'article 9 de l'Accord de Cotonou ;

Considérant qu'aucune valeur culturelle, traditionnelle ou religieuse ne saurait être opposée par les États au respect du principe universel de l'interdiction de toute discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre ;

Considérant que la révision de l'Accord de Cotonou constitue une opportunité pour rappeler aux parties signataires leur obligation de respecter les droits de l'Homme, et notamment le principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou l'identité de genre ;

Considérant que la révision de l'Accord de Cotonou devrait conduire également à l'insertion, dans l'accord révisé, d'une clause de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre, afin de rappeler les États parties à leurs obligations ;

Considérant qu'à défaut d'une mention explicite du principe de l'interdiction de toute discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre ou d'un non respect effectif de ce principe, la violation des principes directeurs de l'accord serait engagée, justifiant ainsi une procédure de suspension de l'accord ;

1. Rappelle le principe selon lequel tout partenariat avec l'Union européenne doit être lié au respect des libertés et droits fondamentaux tels que définis par la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

2. Regrette l'absence de mention explicite du principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre dans le projet de révision de l'Accord de Cotonou ;

3. Estime qu'une telle mention est rendue nécessaire par la criminalisation croissante de l'homosexualité dans de nombreux États africains signataires dudit accord ;

4. Juge indispensable de rappeler les États parties à leur obligation de respect des droits de l'Homme tels que découlant de l'article 9 de l'accord ;

5. Estime que le principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle réelle ou supposée ou de l'identité de genre découle des principes visés à l'article 9 de l'Accord de Cotonou et qu'en conséquence, il est nécessaire que les États parties à cet accord soient tenus de mettre un terme aux discriminations subies par les personnes homosexuelles et transgenres ;


6. Invite les États parties à l'Accord de Cotonou à respecter le principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre, en dépénalisant l'homosexualité et en garantissant la pleine jouissance des droits de l'Homme des personnes homosexuelles ou transgenres ;

7. Invite la Commission européenne et le Gouvernement, lors de la prochaine révision de l'Accord de Cotonou qui interviendra en 2015, à obtenir l'insertion d'une mention explicite du principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre dans le projet d'Accord de Cotonou révisé.