Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mercredi 24 janvier 2007


Table des matières

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Justice et Affaires intérieures

Projet de décision du Conseil portant création
de l'Office européen de Police (EUROPOL)
(Texte E 3383)

Communication de M. Robert Del Picchia

Nous sommes saisis, au titre de l'article 88-4 de la Constitution, d'une proposition de la Commission européenne qui vise à transformer sensiblement la nature, le rôle et le fonctionnement de l'Office européen de police EUROPOL.

I - LE CONTENU DE LA PROPOSITION

Les principales modifications proposées par la Commission seraient les suivantes :

1) La transformation du cadre juridique d'Europol.

a) La Convention institutive d'Europol serait remplacée par une décision du Conseil.

À l'origine, l'Office européen de police a été créé par une convention conclue en 1995 entre les États membres et soumise à une procédure de ratification parlementaire. Toute modification apportée à cette convention nécessite donc actuellement une procédure de ratification ou d'approbation parlementaire dans tous les États membres. Or, cette procédure est très longue puisque les trois protocoles modifiant la convention Europol, qui ont été adoptés en 2000, 2002 et 2003, viennent seulement d'être ratifiés et devraient entrer en vigueur au début de cette année. La Commission européenne propose donc de remplacer la Convention institutive d'Europol par une simple décision du Conseil, qui ne serait plus soumise à une procédure de ratification.

L'idée de transformer la base juridique d'Europol n'est pas nouvelle. En effet, Europol a été créé à l'époque où l'Union européenne était régie par le traité de Maastricht. Or, depuis l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, il existe de nouveaux instruments juridiques propres au « troisième pilier », tels que les décisions et les décisions-cadres, qui ne nécessitent pas de procédure de ratification. C'est notamment sur la base d'une décision qu'a été institué Eurojust.

Toutefois, jusqu'à une date récente, cette idée se heurtait à une difficulté. Le service juridique du Conseil avait estimé, dans un avis du 13 novembre 2001, que le remplacement de la Convention Europol par une décision du Conseil ne pourrait intervenir qu'après l'entrée en vigueur d'un protocole abrogeant la convention Europol. En effet, il considérait que le remplacement de la convention Europol par une décision du Conseil nécessitait au préalable une procédure d'approbation ou de ratification parlementaire, c'est-à-dire l'accord des Parlements nationaux des États membres.

Cependant, le droit européen est un droit souple et adaptable, puisque le service juridique du Conseil a été amené récemment à changer d'avis. Il estime aujourd'hui, à l'image du service juridique de la Commission, qu'il n'est pas nécessaire d'abroger la Convention institutive d'Europol et de procéder à une ratification parlementaire. Dans des conclusions adoptées en décembre dernier, le Conseil Justice et Affaires intérieures a d'ailleurs validé cette approche. Je rappelle que le traité constitutionnel prévoyait de remplacer la Convention Europol par une loi européenne.

b) Le financement d'Europol serait assuré par le budget communautaire et ses agents relèveraient du statut général des fonctionnaires de la Communauté.

Alors que Europol est actuellement financé par des contributions des États membres, la Commission européenne propose que son financement soit assuré à l'avenir par le budget communautaire. Je rappelle que la France contribue aujourd'hui à hauteur de 16 % au budget de l'Office, ce qui représente plus de 8 millions d'euros par an (sur un budget de 60 millions d'euros en 2006). Toutefois, il est peu probable que cela se traduise par une économie pour les États membres. En effet, la suppression des contributions nationales au budget d'Europol se traduira par une augmentation comparable du budget communautaire. En réalité, une telle mesure aura surtout pour effet de renforcer le rôle du Parlement européen, en sa qualité d'autorité budgétaire, dans le contrôle du fonctionnement d'Europol.

La Commission prévoit aussi d'appliquer aux agents de l'Office (au nombre de 400) le statut des fonctionnaires de la Communauté. Cette modification pourrait notamment avoir des conséquences sur le plan budgétaire (avec une possible hausse des traitements du personnel d'Europol) et sur les privilèges et immunités dont jouissent les agents d'Europol. Elle pourrait également avoir pour effet d'entraîner une moindre mobilité du personnel d'Europol et de limiter le détachement de fonctionnaires des États membres au sein de l'Office.

c) Le rôle de la Commission européenne, du Parlement européen et celui de la Cour de justice seraient renforcés

Europol est dirigé par un directeur et un conseil d'administration, qui est composé de représentants des États membres et au sein duquel la Commission européenne ne dispose, actuellement, que d'un statut d'observateur. La proposition qui nous est soumise aurait pour effet de renforcer sensiblement le poids de la Commission au sein du Conseil d'administration d'Europol. En effet, la Commission européenne disposerait dorénavant d'une représentation au sein du conseil d'administration au même titre que les États membres. Elle aurait même un poids plus important puisqu'elle disposerait de trois voix, contre une pour chaque État. Pour l'adoption du budget et du programme de travail, elle aurait même six voix.

Le Parlement européen verrait également son rôle renforcé. Non seulement il pourra exercer à l'avenir un droit de regard sur Europol en sa qualité d'autorité budgétaire, mais il pourra également entendre le directeur et le président du conseil d'administration de l'Office. Il serait, en outre, consulté sur l'élaboration des priorités opérationnelles d'Europol.

Enfin, la transformation du cadre juridique d'Europol pourrait avoir pour effet de renforcer les pouvoirs de la Cour de justice des Communautés européennes à l'égard de l'Office.

2) L'extension du mandat d'Europol et le renforcement de ses prérogatives

Alors que le mandat actuel d'Europol est limité à certaines formes graves de criminalité organisée transnationale, comme le terrorisme, le trafic de drogue ou la traite des êtres humains, la Commission européenne propose d'étendre son mandat à d'autres formes de criminalité. Ainsi, le mandat d'Europol ne serait plus limité à la seule criminalité organisée, mais il pourrait couvrir d'autres formes graves de criminalité touchant plusieurs États membres.

Les prérogatives d'Europol seraient aussi renforcées. Ainsi, le texte prévoit que Europol pourra assurer la coordination, l'organisation et la réalisation d'enquêtes et d'actions opérationnelles, soit dans le cadre des équipes communes d'enquête, soit en commun avec les autorités compétentes des États membres. Les États membres pourront également faire appel à Europol lors d'une grande manifestation internationale requérant des mesures de maintien de l'ordre, comme par exemple des matches de football de la Coupe d'Europe.

3) La modification des règles de traitement et de protection des données

La principale mission d'Europol consiste à gérer une base de données (le « système d'information générale ») ainsi que des « fichiers d'analyse » portant sur la criminalité organisée transnationale et pouvant contenir des données à caractère personnel, comme les noms des personnes suspectées d'avoir commis des infractions.

La Convention Europol prévoit actuellement des garanties en matière de protection des données à caractère personnel, avec notamment une autorité de contrôle commune, qui est un organisme indépendant chargé de s'assurer que le stockage, le traitement et l'utilisation de ces données ne portent pas atteinte aux droits et libertés des individus.

Sans vouloir remettre en cause ce système, la Commission européenne considère néanmoins que les règles actuelles qui régissent le traitement des données sont trop rigides et qu'elles nuisent à l'efficacité de l'Office. Elle propose donc de les assouplir sur plusieurs points. Ainsi, Europol pourra recourir à l'avenir à de nouveaux outils de traitement de l'information, par exemple sur les groupes terroristes ou la pédopornographie. De plus, le système d'information Europol pourra dorénavant être directement consulté par les autorités des États membres, sans qu'il soit nécessaire de démontrer un besoin dans le cadre d'une enquête déterminée et sans qu'il soit nécessaire de passer par l'intermédiaire des officiers de liaison auprès d'Europol. Enfin, alors que actuellement la nécessité de stocker des données dans les fichiers doit être réexaminée tous les ans par Europol, ce délai serait porté de un à trois ans.

En contrepartie à cet assouplissement, la Commission européenne propose notamment la désignation au sein d'Europol d'un délégué à la protection des données. On peut toutefois s'interroger sur la portée de cette mesure. Comment ce délégué pourrait-il en effet exercer son activité en toute indépendance, alors qu'il serait nommé et rémunéré par l'Office ?

II - LES DIFFICULTÉS SOULEVÉES PAR CE TEXTE

Avant toute chose, je voudrais préciser que ce texte ne me paraît pas soulever de difficultés au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Étant donné que Europol est un organe de l'Union européenne, ses règles de fonctionnement doivent nécessairement être définies au niveau européen.

Sur le fond, il me paraît également difficile de s'opposer à l'idée de remplacer la convention institutive d'Europol par une décision du Conseil. En effet, comme le souligne la Commission européenne, il a fallu entre trois et cinq années aux États membres pour ratifier les trois protocoles modifiant la Convention Europol, adoptées en 2000, 2002 et 2003. Je précise d'ailleurs que la France est loin de donner l'exemple dans ce domaine, puisque notre pays a été l'un des derniers, avec l'Irlande et le Portugal, à ratifier le protocole de 2003. Le Président de la délégation était d'ailleurs intervenu, lors de l'examen en séance publique au Sénat du projet de loi autorisant l'approbation de ce protocole l'année dernière, pour s'étonner de ce retard.

Les représentants du ministère de l'Intérieur que j'ai auditionné se sont cependant interrogés sur certaines modifications envisagées par la Commission européenne. Ainsi, ils se sont montrés sceptiques sur l'extension du mandat d'Europol. Est-il réellement utile que la compétence de l'Office soit élargie à des infractions telles que le viol, l'incendie volontaire ou encore les homicides et coups et blessures graves n'ayant pas été commis en bande organisée ? Ne serait-il pas plus efficace que Europol se concentre sur certaines formes graves de criminalité organisée transnationale, comme le terrorisme international, le trafic de drogue ou la traite des êtres humains où il pourrait apporter une réelle valeur ajoutée ?

Mais surtout, ce texte soulève à mes yeux une difficulté majeure, car il se traduirait par un amoindrissement du rôle des parlements nationaux à l'égard d'Europol. En effet, les parlements nationaux se verraient privés du droit d'autoriser ou non toute modification apportée à la Convention Europol, sans pour autant se voir reconnaître le moindre rôle dans le contrôle de l'activité de l'Office. Ainsi, les gouvernements pourront désormais, d'un commun accord, modifier le mandat ou renforcer les pouvoirs d'Europol, sans qu'il leur soit nécessaire de recueillir l'accord des parlements nationaux ni du Parlement européen. Et, cela alors que Europol jouera à l'avenir un rôle de plus en plus opérationnel, puisque ces agents pourront, par exemple, participer à des équipes communes d'enquête sur le territoire des États membres.

Certes, tout le monde s'accorde à constater que le fonctionnement actuel d'Europol n'est pas satisfaisant et qu'il est indispensable d'aller vers plus d'opérationnel. Mais le renforcement des prérogatives d'Europol ne peut qu'aller de pair avec un renforcement du contrôle démocratique sur cet organisme. En outre, tant que Europol restera un organisme relevant du « troisième pilier », le Parlement européen ne pourra qu'exercer un droit de regard réduit.

C'est la raison pour laquelle on évoque depuis longtemps l'idée de créer une commission spécifique composée de parlementaires européens et nationaux qui serait chargée du contrôle d'Europol.

Cette idée avait été lancée lors de la première conférence interparlementaire sur Europol organisée à La Haye en 2001 à l'initiative du Parlement néerlandais. Un nom avait même été trouvé pour cet organisme : « Parlopol ». Elle avait été ensuite reprise lors de la conférence sur l'accompagnement parlementaire des services de police, qui s'est tenue en Belgique à l'automne 2001. Au départ, la Commission européenne avait soutenu ce projet. Elle avait même adopté, en février 2002, une communication sur le contrôle démocratique d'Europol, dans laquelle elle préconisait la création d'un tel comité.

Le Sénat avait adopté une résolution en 2003 demandant la création d'une telle commission. Le Parlement européen et de nombreux parlements nationaux, comme les deux chambres du Parlement britannique, le Parlement néerlandais, le Folketing danois ou encore l'Assemblée nationale française, ont également appuyé cette idée. Elle a d'ailleurs été reprise dans le traité constitutionnel, qui prévoyait l'association du Parlement européen et des parlements nationaux au contrôle d'Europol et à l'évaluation des activités d'Eurojust.

Or, on ne trouve à aucun moment, dans le texte de la Commission, une référence quelconque à cette commission ni au contrôle démocratique d'Europol par les parlements nationaux.

L'association des parlements nationaux n'est pas une question accessoire. À mes yeux, c'est une condition de la légitimité d'Europol. Les questions relatives à la coopération policière sont des sujets sensibles qui touchent directement les droits des individus. Est-il normal et acceptable, dans une démocratie, qu'un service de police ne fasse l'objet d'aucun véritable contrôle parlementaire ni au niveau national ni au niveau européen ?

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Nous touchons ici un débat fondamental. Si cette proposition de décision était adoptée en l'état, les parlements nationaux seraient tenus à l'écart d'un domaine qui est pourtant au coeur de la souveraineté. Certes, je conçois volontiers que l'obligation d'une ratification parlementaire par les 27 États membres pour toute modification de la convention constitutive d'Europol soit très contraignante et je comprends que l'on veuille modifier le cadre juridique d'Europol. En revanche, on ne peut accepter l'absence de tout contrôle parlementaire. On peut d'autant moins l'accepter qu'un tel contrôle parlementaire avait été souhaité de longue date - et était d'ailleurs retenu dans le projet de Constitution européenne -, qu'il serait naturellement exercé avec pragmatisme et qu'Europol n'est soumis par ailleurs à aucun contrôle judiciaire.

J'ajoute que, lorsque nous l'avons entendu lors d'une réunion commune aux parlements nationaux et au Parlement européen, le directeur général d'Europol s'est déclaré favorable à l'association des parlements nationaux à cette mission de contrôle.

M. Robert Bret :

C'est en effet une question de principe qui porte a fortiori sur un sujet essentiel car il a trait aux libertés publiques.

Le projet de décision est d'autant plus inacceptable en l'état qu'il était possible de simplifier - ce qui est l'objectif recherché -, sans écarter totalement les parlements nationaux du contrôle d'Europol.

Je m'associe donc pleinement au rapport présenté par Robert Del Picchia et voterai naturellement la proposition de résolution.

M. Hubert Haenel :

Je vous propose de modifier à la marge la rédaction proposée pour la proposition de résolution, afin d'insister sur la solennité de la démarche et d'indiquer de manière très claire que le principe d'une association des parlements constitue un impératif, déjà affirmé avec force.

À l'issue de ce débat, la délégation a conclu, à l'unanimité, au dépôt de la proposition de résolution qui suit :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le projet de décision du Conseil portant création de l'Office européen de police EUROPOL (texte E 3383),

Rappelle que les parlements nationaux doivent être associés au contrôle des activités d'Europol, comme le prévoyait le traité constitutionnel ;

Demande au Gouvernement d'oeuvrer au sein du Conseil afin que le texte prévoie la création d'une commission, composée de parlementaires européens et nationaux, chargée du suivi des activités d'Europol.

Questions sociales et santé

L'Union européenne et les services de santé

Communication de M. Roland Ries

Le 26 septembre dernier, la Commission européenne a lancé une consultation publique concernant une possible action communautaire dans le domaine des services de santé.

Cette consultation a un triple objet.

Il s'agit d'abord d'examiner les conséquences de l'évolution de la jurisprudence de la Cour de justice, qui s'attache à concilier la compétence des États membres à organiser librement leur système de santé et le respect des libertés de circulation fixées par les traités, mais qui tend progressivement à faire prévaloir la mobilité des patients.

La consultation s'inscrit également dans le prolongement du débat sur la directive « services ». Les services de santé, qui étaient visés par la version initiale de la directive, ont été exclus de son champ d'application définitif. Cela pose alors la question du cadre juridique qui leur est applicable.

La consultation concerne enfin les voies et moyens pour améliorer la coopération entre les systèmes de santé.

Ce triple objet souligne toute l'importance de cette consultation publique puisqu'elle pourrait en définitive conduire à une refondation de la politique européenne de santé.

De fait, les enjeux sous-jacents à la démarche engagée par la Commission sont à la fois multiples et importants :

enjeu institutionnel : conformément aux traités et au principe de subsidiarité, l'organisation et le financement des systèmes de santé est un domaine de compétence des États, l'action de l'Union européenne n'étant que résiduelle. Cet équilibre est-il durable et compatible avec les différentes formes de nomadisme médical qui se développent en Europe ?

enjeu social : l'existence d'un système de santé de qualité dont l'accès pour tous est garanti par un financement socialisé est au coeur du modèle social européen. Comment le conforter ?

enjeu économique : le secteur de la santé est un secteur en forte croissance, créateur d'emplois et dont le développement devrait se poursuivre à un rythme soutenu dans les années à venir ;

enjeu financier : les pays européens connaissent tous des difficultés de financement de leurs systèmes de santé ;

enjeu politique : le précédent de la directive « services » invite en effet à la plus grande vigilance sur une nouvelle initiative concernant le marché intérieur pour un secteur aussi sensible que celui de la santé ;

enjeu sanitaire : les disparités en matière de santé restent fortes dans l'Union européenne (l'espérance de vie des hommes varie de 64 ans en Lettonie à 77 ans en Suède, l'incidence du cancer du poumon varie d'un facteur de 1 à 5 entre la Suède et la Hongrie, celle de la tuberculose de 1 à 17 entre l'Italie et la Lituanie...) et constituent légitimement une des premières préoccupations de nos concitoyens.

À ce stade, la Commission se montre très ouverte et ne préjuge en rien ni des formes d'une initiative à venir (1(*)) (directive, appui à la coopération entre États, méthode ouverte de coordination, communication interprétative de la jurisprudence de la CJCE), ni des orientations à prendre sur le fond.

Dans ce contexte très ouvert, compte tenu de l'importance du sujet et comme nous sommes très en amont d'un éventuel processus législatif, il apparaît utile que notre délégation puisse d'ores et déjà prendre date et fixer de premières orientations, que nous pourrions transmettre à la Commission sous forme de réponse à sa consultation publique.

Je vous propose d'abord d'examiner l'état des lieux, tant juridique que quantitatif, avant d'en analyser les perspectives d'évolution et de vous présenter ce que pourraient être selon moi les contours d'une action communautaire à venir.

1. État des lieux

 Une intervention limitée de l'Union européenne dans le domaine de la santé

Les traités originels n'évoquaient pas la santé. Face à la diversité des systèmes nationaux de santé et de sécurité sociale, les pères fondateurs choisirent de faire de ces questions de strictes compétences nationales.

Toutefois, à partir des années 1980, l'apparition de nouvelles maladies et de nouveaux risques sanitaires (dioxine, SIDA, vache folle, SRAS, grippe aviaire...), ainsi que la volonté de donner un plus grand contenu social à la construction européenne, ont conduit à une introduction progressive des questions de santé dans les traités. C'est avec l'Acte unique de 1986, puis avec les traités de Maastricht et d'Amsterdam qu'ont été posées les bases juridiques d'une intervention communautaire. L'Union européenne doit ainsi assurer un niveau élevé de protection de la santé. C'est dans ce cadre qu'ont été élaborés les programmes de santé publique et notamment le programme 2003-2008 doté de 354 millions d'euros.

Il n'en reste pas moins que l'action de l'Union demeure limitée et qu'elle n'a vocation à intervenir, en vertu du principe de subsidiarité, que si ses actions sont plus efficaces que celles menées au niveau national. De fait, l'intervention de l'Union se borne pour l'essentiel à encourager et faciliter la coopération des États membres en matière de santé publique.

 Une mobilité encore relativement marginale

Pour autant, si l'Union européenne n'intervient qu'à la marge en matière de santé, elle n'en reste pas moins un espace intégré au sein duquel, sous certaines conditions, le principe de libre circulation des patients, des professionnels de santé et des services de santé doit pouvoir trouver à s'appliquer.

C'est ainsi que, pour les personnes, ont été mis en oeuvre des règlements de coordination des régimes de sécurité sociale (1(*)). Ces règlements permettent à une personne séjournant sur le territoire d'un autre État membre et nécessitant un traitement médical de se voir rembourser, sur présentation de la carte européenne d'assurance maladie (qui remplace notamment depuis 2004 l'ancien formulaire E 111), les soins engagés sur la base du régime de l'État où sont réalisés ceux-ci, sous réserve d'une autorisation préalable pour les soins programmés.

De même, pour les professionnels, la libre circulation a été assurée par la mise en place - au travers d'une douzaine de directives sectorielles désormais refondues dans la directive 2005/36/CE - d'un régime de reconnaissance des qualifications professionnelles facilitant l'implantation et la prestation de services pour les professionnels de santé.

Mais, quand bien même un cadre juridique visant à permettre la libre circulation a été mis en place, la mobilité des patients et des professionnels en Europe demeure encore relativement marginale.

Ainsi, pour les patients, la Commission européenne estime que les soins délivrés hors de leur pays d'assurance correspondent à seulement environ 1 % de l'ensemble des dépenses publiques de santé. Ces estimations restent naturellement à appréhender avec précaution compte tenu de la faiblesse de l'appareil statistique. Ce taux semble ainsi sensiblement plus élevé dans de petits pays comme le Luxembourg par exemple.

J'ai cherché à mieux évaluer la mobilité des patients dans le cas français, en me fondant sur les données transmises par le ministère de la santé, la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM) et le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS).

En 2005, dans le cadre du règlement 1408/71, les remboursements de soins ont représenté de l'ordre de 450 millions d'euros pour les ressortissants d'autres États membres soignés en France et de l'ordre de 250 millions d'euros pour les ressortissants affiliés aux régimes français de sécurité sociale qui ont été soignés dans d'autres États membres. La France est donc à ce stade largement « excédentaire », puisqu'elle « importe » plus de patients étrangers qu'elle « n'exporte » de patients français. Ce sont ainsi 518 000 personnes relevant de caisses de sécurité sociale d'autres États membres qui ont été soignées en France en 2005.

Une analyse plus fine de ces flux financiers permet de mettre en évidence trois caractéristiques :

- ils sont en croissance régulière et ont quasiment doublé en 15 ans,

- ils restent géographiquement concentrés puisqu'ils concernent à environ 50 % les zones frontalières,

- ils recouvrent tous les types de soins, même si les dépenses hospitalières représentent environ 50 % du total.

Mais, même si elle progresse, la mobilité des patients reste encore marginale, notamment pour les soins programmés : les malades préfèrent en effet largement se faire soigner près de chez eux. Ainsi, une étude de l'IGAS sur les courts séjours hospitaliers en 2004 montre que les patients originaires d'autres États membres ayant reçu des soins en France n'étaient que 27 000, soit 0,12 % du total des hospitalisations.

De même, la mobilité des professionnels reste à ce jour relativement faible. Elle se concrétise principalement au travers de la liberté d'établissement désormais largement garantie. En France, on compte ainsi 7 700 médecins étrangers (dont 4 000 européens) pour une population médicale totale de 210 000 professionnels. Elle peut être néanmoins beaucoup plus importante selon les politiques menées par les différents États. En Grande-Bretagne, pour un total de 240 000 médecins, il y aurait 100 000 médecins étrangers.

 Une situation désormais insatisfaisante compte tenu de lourdes incertitudes juridiques

La situation actuelle apparaît pourtant insatisfaisante du fait de l'apparition progressive de nombreuses incertitudes juridiques sur le droit applicable.

1/ La première incertitude tient à la portée de la jurisprudence de la Cour de justice sur le remboursement des soins pour les patients.

En effet, en se fondant sur les principes de libre circulation reconnus par les traités, la Cour de justice a construit à partir de 1998, au travers d'une série d'arrêts importants (1(*)), une nouvelle jurisprudence susceptible de télescoper directement le cadre juridique antérieur d'une double manière.

D'une part, en reconnaissant les services de santé comme des services au sens du traité, la jurisprudence les soumet à la libre circulation et n'autorise alors d'entrave à celle-ci que si elle est justifiée par d'impérieuses raisons d'intérêt général.

D'autre part, elle reconnaît la possibilité du remboursement des soins de santé réalisés à l'étranger suivant les modalités applicables dans le pays d'assurance du patient. Elle propose de la sorte une solution inverse à celle dégagée par les règlements de coordination des régimes de sécurité sociale. Elle limite par ailleurs la possibilité d'exiger une autorisation préalable aux seuls soins hospitaliers, cette autorisation devant être obligatoirement accordée si des soins appropriés ne peuvent être délivrés dans le pays d'origine dans un délai raisonnable.

Cette jurisprudence est de portée considérable car elle ouvre une autre voie de remboursement, distincte de celle prévue par les règlements européens.

Elle offre de nouvelles possibilités pour les patients (on estime ainsi que la dépense au titre de cette jurisprudence serait de l'ordre de 15 millions d'euros pour la France, dépense modeste mais en croissance de 10 à 15 % chaque année depuis 2003), mais elle est aussi lourde de conséquences qui sont souvent autant d'incertitudes juridiques.

Elle est d'abord source de complexité pour le patient. Deux voies de remboursement s'offrent à lui. Mais elles ne sont pas exclusives l'une de l'autre. L'usager peut ainsi se faire rembourser sur la base des règlements communautaires par le régime de base et, pour les régimes complémentaires, demander un remboursement sur facture à concurrence du montant remboursé dans le cadre national.

Elle est ensuite appliquée de manière très hétérogène par les États membres. La Commission européenne considère en effet que les États membres n'ont pas une interprétation uniforme de cette jurisprudence et n'en tirent pas les mêmes conséquences, notamment en matière de remboursement de dépenses hospitalières. Les services de la Commission que j'ai rencontrés m'ont indiqué que, selon eux, seuls cinq États respecteraient pleinement la jurisprudence de la Cour.

Cette application hétérogène de la jurisprudence s'explique d'ailleurs pour partie par des incertitudes juridiques sur le droit applicable. Ainsi, la distinction entre soins hospitaliers et soins non hospitaliers se révèle ambiguë et, en pratique, peu opératoire. De même, la notion de délai raisonnable prête à interprétation.

Et cette jurisprudence est susceptible de poser des difficultés certaines à quelques États dans lesquels le délai d'accès aux soins hospitaliers est long, comme le Royaume-Uni, l'Espagne ou certains pays nordiques.

2/ La seconde incertitude juridique concerne cette fois moins la mobilité des patients que la libre circulation des services.

En l'état actuel du droit, en l'absence de directive spécifique, ce sont les traités qui s'appliquent. Et la Commission s'en tient en la matière à une interprétation stricte de ceux-ci. A cette aune, un grand nombre de règlementations nationales pourraient être considérées comme constitutives d'entraves.

Ainsi, pour s'en tenir au cas français, plusieurs procédures d'infraction engagées par la Commission concernent d'ores et déjà directement notre pays. L'une concerne le régime d'autorisation applicable aux laboratoires d'analyses médicales réalisant une part de leurs prestations à l'étranger. Deux autres ont trait au régime de propriété des laboratoires d'analyse et des pharmacies.

Plus fondamentalement, des procédures précontentieuses peuvent également viser le coeur même des règles nationales d'organisation de l'offre sanitaire. Ainsi, des procédures ont été lancées par la Commission contre certains États membres qui ont mis en place un régime d'autorisation pour l'implantation des pharmacies. On pourrait imaginer que d'autres régimes de planification sanitaire puissent également être contestés.

Or, ces régimes d'autorisation visent tout à la fois, au travers de la carte sanitaire, à garantir un maillage territorial assurant un égal accès aux soins et à encadrer la charge budgétaire des systèmes de santé. Si leur compatibilité avec le principe de libre circulation des services venait à être remise en cause, c'est l'équilibre même de l'organisation des systèmes de santé qui serait ébranlé.

2. Perspectives d'évolution et contours envisageables pour une action communautaire

 Des risques à évaluer

À l'heure actuelle, la mobilité des patients et des services de santé reste, nous l'avons vu, modérée.

Elle pourrait pourtant s'accentuer dans les années à venir. On assiste actuellement à un double mouvement opposé : « les professionnels de santé vont vers l'ouest, les patients vers l'est ».

Les patients marquent certes une préférence pour les soins de proximité, notamment pour des raisons familiales ou linguistiques. Cette préférence se confirme quand bien même les pouvoirs publics peuvent inciter à une mobilité organisée. Un exemple est à cet égard très significatif. En Slovénie, 200 patients attendaient une intervention de chirurgie cardiaque avec un délai prévisible d'intervention de 1 à 2 ans. Il leur a été proposé d'être soignés en Autriche dans le cadre d'une prise en charge renforcée et individualisée. Seuls 4 patients ont accepté.

Pour autant, la Commission européenne table sur un doublement des flux de patients dans les années à venir. La mobilité sera ainsi forte dans trois cas principaux :

- dans les zones frontalières : la Caisse primaire d'assurance maladie de Strasbourg observe ainsi que le nombre de demandes d'autorisation préalable de soins à l'étranger dépasse pour les dix premiers mois de 2006 le nombre total atteint en 2005 ;

- dans les pays et les spécialités où l'attente est très longue ;

- dans les pays où le coût des soins est élevé pour un remboursement faible : cette situation incite par exemple aujourd'hui des patients autrichiens ou allemands, souvent mal remboursés pour les soins dentaires par leurs assurances sociales, à aller chez des dentistes hongrois dont le coût est nettement moins élevé.

Au regard de ces critères, la situation « excédentaire » de la France devrait probablement perdurer dans la mesure où il existe des capacités d'accueil pour certaines spécialités dans un grand nombre de régions.

Cette tendance pourrait alors engendrer trois risques :

- celui de la constitution de filières de soins - il en existe déjà dans certains pays du sud - constitutive d'un nouveau « tourisme médical » ;

- celui d'une mise en concurrence par les coûts des systèmes de santé pouvant alors conduire à un nivellement par le bas et porter préjudice à la qualité des soins ;

- celui d'une remise en cause de l'organisation sanitaire qui pourrait être considérée, en droit, comme une entrave à la libre circulation des services et être victime, en pratique, de détournements des flux de malades.

Ce sont de tels risques qui justifient l'existence du régime d'autorisation préalable des soins à l'étranger et de la planification sanitaire.

De la même manière, la mobilité des professionnels s'est d'ores et déjà accentuée. On assiste même à une véritable « fuite » des professionnels des pays de l'est vers l'ouest (médecins, personnels paramédicaux). Ce sont ainsi 5 000 médecins polonais qui se sont installés au Royaume-Uni ces dernières années. Cela ne va naturellement pas sans poser de redoutables difficultés en matière de santé publique pour ces pays qui voient fuir vers d'autres cieux les personnels médicaux et paramédicaux dont ils ont financé la formation et qui sont alors confrontés à une pénurie de professionnels.

 La nécessité de concilier deux objectifs

Face à ces mutations, porteuses de progrès mais aussi de risques, il me semble que nous devons nous fixer un double objectif.

Il importe d'abord de garantir l'organisation et le financement des systèmes de santé dans le respect du principe de subsidiarité. En la matière, une libéralisation totale, issue d'une application non régulée des principes de libre circulation, pourrait avoir un effet déstabilisateur sur les systèmes de santé et mettre en péril leur qualité. Ce premier impératif exige alors le maintien d'une planification sanitaire et d'une autorisation préalable, au moins pour certains soins hospitaliers.

Mais il est aussi fondamental de favoriser un accès aux soins à l'étranger qui soit à la fois sûr et transparent. Il paraît donc hors de propos de revenir sur la jurisprudence de la Cour qui marque un progrès notable. Dans ces conditions, de meilleures possibilités de mobilité peuvent constituer un atout, tant pour le patient (s'il accède plus vite à des soins de meilleure qualité) que pour les services de santé eux-mêmes. Et c'est le cas pour le système français qui, compte tenu de sa qualité, devrait s'en trouver conforté.

Dès lors, deux voies sont envisageables pour la conciliation de ces deux objectifs :

- soit on laisse au juge le soin de poursuivre le processus engagé en 1998 et d'affiner progressivement sa jurisprudence ;

- soit on envisage un nouvel instrument communautaire.

Compte tenu des incertitudes entourant la jurisprudence et son application, la seconde voie semble seule praticable. Cela passe alors par la préparation d'une nouvelle directive. Aucun autre instrument communautaire ne semble en effet adapté : une communication interprétative de la Commission serait de portée trop incertaine et constituerait une base juridique trop fragile pour garantir une mise en oeuvre non problématique de la jurisprudence ; une modification des règlements de coordination des régimes de sécurité sociale se heurterait de la même manière à une base juridique trop étroite.

 Les contours d'une intervention communautaire

Au regard de ces objectifs, une action communautaire devrait prendre une double dimension.

La première est celle de la directive qui aurait quatre objets :

- premièrement, assurer l'articulation, tant pour les patients que pour les organismes de protection sociale, entre les deux voies possibles de remboursement : celle issue du règlement et celle prévue par la jurisprudence. S'il est à ce stade prématuré de définir les modalités pratiques, elles devront s'attacher à simplifier les procédures de remboursement plutôt qu'à faire prévaloir l'une ou l'autre ;

- deuxièmement, apporter les clarifications rendues nécessaires par l'évolution de la jurisprudence. Cela exigera notamment de définir au plus près le champ exact des « services de santé », de préciser ce qu'il convient d'entendre par « délai raisonnable », de circonscrire clairement le type de soins justifiant une autorisation préalable, en révisant le cas échéant la distinction actuelle entre soins ambulatoires et soins hospitaliers qui n'est pas toujours très opératoire ;

- troisièmement, sécuriser la planification sanitaire en la fondant sur une base juridique claire ;

- enfin, poser un nouveau cadre pour l'information des patients et des professionnels. La mobilité des patients et des professionnels exige au préalable l'information pleine et entière des uns et des autres au risque de se révéler contre-productive. Tel n'est pas le cas actuellement. L'information doit bien sûr porter sur la mobilité et sur les systèmes de santé des autres États membres. Mais elle doit également viser l'information personnelle du patient et du professionnel. C'est toute la question du dossier médical. Il me semble que, dans un espace unifié de santé européen, il faudrait veiller aux conditions d'alimentation et de transfert des informations, mais aussi à leurs conditions d'accès. On imagine mal que, dans un pays, le patient ne puisse accéder à son dossier alors qu'il le pourrait ailleurs. En la matière, seule une harmonisation communautaire semble en mesure de garantir l'effectivité de cette information par l'intermédiaire par exemple d'une carte de santé européenne. Certes, on ne peut mésestimer la difficulté d'une telle harmonisation. Certes, il s'agirait aussi d'une innovation en matière de santé, domaine jusqu'à présent resté hors du champ de l'harmonisation. Mais cela semble pourtant la seule voie permettant de progresser utilement en la matière.

En tout état de cause, compte tenu de ces impératifs, la directive ne pourrait se borner à reprendre l'article 23 de la version initiale de la directive dite « Bolkenstein » qui se limitait à codifier la jurisprudence de la Cour sans pour autant ni la clarifier, ni lui apporter les compléments nécessaires.

Une telle directive pourrait s'inscrire, pour son volet concernant les services stricto sensu, dans une logique sectorielle dans la perspective d'une éventuelle directive-cadre, par nature plus large, sur les services sociaux d'intérêt général. Cela permettrait notamment de prendre en considération la spécificité du secteur médico-social français.

Au-delà de la directive, la seconde dimension de l'action communautaire a trait bien entendu au renforcement de la coopération entre États membres. Ce renforcement pourrait se développer prioritairement dans trois directions.

D'abord, faciliter les coopérations transfrontalières dans la mesure où la mobilité dans les zones frontalières est la première cause de mobilité. Des conventions bilatérales ou multilatérales existent déjà. Elles pourraient être approfondies, qu'il s'agisse des modalités de remboursement de soins ou de planification de l'offre sanitaire. Il conviendrait à cet égard de vérifier qu'un tel renforcement ne nécessite pas de nouvelles bases juridiques qui pourraient alors être prévues par la directive.

Ensuite, constituer des centres de référence communs pour les maladies rares ou pour certaines pathologies spécifiques pour lesquelles une mutualisation de l'offre de services pourrait à la fois améliorer la qualité des soins et diminuer leur coût. Ces centres pourraient le cas échéant bénéficier du budget communautaire par l'intermédiaire du programme d'action communautaire 2007-2013 pour la santé publique ou du programme-cadre pour la recherche et le développement.

Enfin, et comme l'a déjà suggéré le gouvernement français, organiser, à certains moments et pour certaines spécialités, une mise en commun des moyens pour répondre à d'éventuels déficits de l'offre dans certains pays et pour compenser une demande le cas échéant insuffisante dans d'autres États.

*

En tout état de cause, face à l'enjeu que représente une plus grande mobilité des patients et des services de santé, l'approfondissement des coopérations entre les systèmes nationaux de santé ne pourra produire tous ses effets qu'à la condition que soit réalisée préalablement une clarification du cadre juridique et une harmonisation des conditions d'information.

Je vous propose donc d'adopter les conclusions suivantes que nous pourrions transmettre à la Commission européenne en réponse à sa consultation publique qui s'achève au 31 janvier.

Compte rendu sommaire du débat

M. Jean Bizet :

C'est un sujet important et sensible. Je considère qu'il est de bonne politique que nous ayons pu nous en saisir très en amont. Ce thème doit naturellement être remis en perspective avec les débats sur la directive « Services ». Dès lors que les services de santé sont exclus du champ de cette directive, il devient logique de préparer une directive sectorielle. En la matière, c'est bien au pouvoir politique qu'il appartient de définir les modes de régulation souhaitables.

M. Hubert Haenel :

Je crois important que nous répondions directement à la Commission dans le cadre de cette consultation publique. Nous avons tout intérêt à faire connaître, au plus tôt dans la procédure décisionnelle, notre position ou tout au moins nos orientations sur un sujet susceptible de donner lieu à une initiative législative.

Sur le fond, la communication de Roland Ries nous permet de prendre date en rappelant quelques fondamentaux et en insistant sur des points d'équilibre.

M. Christian Cointat :

Je considère pour ma part que la disparité dans la prise en charge des soins de santé et la complexité à laquelle sont confrontés les patients souhaitant se faire soigner à l'étranger constituent l'une des principales entraves à la liberté de circulation en Europe. On ne peut tout à la fois se prétendre Européen et ne pas vouloir lever les entraves pratiques qui font que l'Europe du quotidien n'est pas encore une réalité. En matière de santé, la Cour de justice ne fait qu'appliquer le traité. La jurisprudence constante va dans le bon sens. Ce sont les États membres qui, trop souvent, cherchent à bloquer toute évolution.

Si je rejoins le rapporteur dans bon nombre de ses analyses, il me semble que nous devrions modifier les conclusions sur deux points. D'abord, il ne me semble pas pertinent d'insister sur les conditions et limites pouvant encadrer la mobilité des patients. Cela n'ajoute rien et les États ont depuis trop longtemps tendance à les mettre en avant. Ensuite, je suggère de supprimer le dernier paragraphe qui, en insistant sur la nécessité de renforcer les coopérations entre États membres, s'inscrit dans une logique intergouvernementale qui ne peut constituer une solution crédible pour favoriser la mobilité des patients. Je prends l'exemple de la convention entre la France et la Belgique ; il existe bien une convention, mais elle ne vise que les personnes vivant dans une bande d'une longueur de 15 à 20 kilomètres de part et d'autre de la frontière.

Mme Monique Papon :

Vous avez évoqué la mobilité des professionnels de santé, en citant le cas des médecins polonais s'installant au Royaume-Uni. Cette mobilité, fondée sur la reconnaissance des qualifications professionnelles, vaut-elle pour tout le territoire de l'Union ?

M. Roland Ries :

Oui, et c'est bien parce que la liberté de circulation et l'installation des professionnels est une réalité qu'elle peut engendrer des flux importants susceptibles de déséquilibrer tant les pays d'accueil que les pays de départ.

M. Robert Bret :

Le sujet est d'importance. Et je me félicite que notre délégation puisse l'aborder très en amont. Nous ne devons pas nous tromper de débat. L'enjeu, en matière de santé, ce n'est pas seulement d'organiser les libertés de circulation. L'enjeu, c'est avant tout de voir comment garantir un système de soins accessibles à tous et de qualité, c'est de prévenir la « marchandisation » de la santé qui se dessine, c'est de renforcer la dimension sociale de l'Europe.

Je m'interroge sur une éventuelle directive sur les services de santé. Elle ne serait souhaitable que si elle contient tous les garde-fous pouvant prévenir une libéralisation des systèmes de santé.

J'ajoute que la question de la mobilité des patients dépasse le cadre européen. Dans mon département, on évoque ainsi de nombreux cas de personnes allant en Tunisie pour obtenir des prothèses dentaires.

M. Serge Lagauche :

Ces sujets sont extrêmement complexes. Je crois qu'il nous faut clarifier les choses. Doit-on se préoccuper de l'organisation des soins ou du remboursement des soins ?

Le système de santé, et principalement l'hôpital, doit prendre en charge non seulement les soins, mais aussi la recherche et l'enseignement. Partout, en Europe, les systèmes de santé rencontrent des difficultés pour se financer. Et parallèlement, tous les citoyens ne peuvent accéder aux soins, y compris dans leur pays d'origine.

Dans ce contexte, je ne pense pas que l'on puisse demander à l'Europe de résoudre des difficultés que les États membres n'ont pas réussi à régler à leur échelle. Je crois préférable de privilégier la voie des accords intergouvernementaux sur la prise en charge des services.

M. Roland Ries :

La perspective d'une organisation européenne des systèmes de santé n'est pas crédible à ce stade. Le souci immédiat est de clarifier les choses alors que les patients sont largement dans l'ignorance. Mais nous devons aussi apporter une réponse à la situation de malades, confrontés à l'insuffisance de leur système national de santé, qui souhaitent se faire soigner à l'étranger. Comment le faire sans déséquilibrer les systèmes en place ? Et l'on observe déjà la mise en place d'officines spécialisées dans le « tourisme médical ». Je crois que cela ne peut être résolu qu'au niveau européen.

Voilà pourquoi je crois nécessaire une directive pour clarifier et encadrer ce qui est possible et ce qui ne l'est pas. Voilà aussi pourquoi je considère que les coopérations renforcées, notamment en zone frontalière, peuvent apporter des réponses adaptées et immédiates dans l'intérêt de tous.

M. Hubert Haenel :

Il est normal que la régulation des services de santé repose avant tout sur une logique intergouvernementale. Il n'existe aucune base juridique dans les traités pour permettre à l'Union européenne d'aller au-delà de ce qu'évoque Roland Ries.

Pour ma part, j'estime que nos débats soulignent tout l'intérêt qu'il y a à se saisir très en amont des sujets sensibles. La communication de ce jour, et les conclusions qui nous sont proposées, permettent de remettre ce débat en perspective.

Aussi je vous propose que nous les adoptions sans modification, mais aussi que nous prolongions nos analyses au travers d'une question orale européenne avec débat que pourrait déposer Roland Ries au nom de la délégation.

M. Roland Ries :

Je vous rappelle que nous n'en sommes en effet encore qu'au stade préliminaire. Sur ces sujets, les positions des parties prenantes sont souvent très tranchées. Il est plus que probable que la Commission recueille, en réponse à sa consultation, des avis très nombreux, mais aussi largement contradictoires. La synthèse ne sera pas évidente. Il faudra faire des choix. C'est là la responsabilité des politiques.

M. Christian Cointat :

Je suis prêt à m'associer aux propositions du Président. J'observe simplement que les difficultés rencontrées en matière de santé se retrouvent dans beaucoup d'autres domaines. Nous sommes pourtant ici dans un cas d'école : veut-on vraiment offrir un meilleur service aux citoyens européens ? Je crains que tous les Etats membres n'y soient pas prêts.

Mme Alima Boumediene-Thiery :

Pour ma part, je crois en effet important de lever les entraves à la mobilité des citoyens européens. Mais, sur un sujet aussi sensible que celui de la santé, il nous faut être particulièrement vigilants et veiller à ce que les initiatives qui pourraient être prises n'en viennent à remettre en cause l'accès de tous aux soins.

*

À l'issue de ce débat, la délégation a adopté les conclusions suivantes et autorisé la publication de la communication sous la forme d'un rapport d'information.

Conclusions

La délégation pour l'Union européenne,

Vu la communication de la Commission européenne du 26 septembre 2006 « Consultation concernant une action communautaire dans le domaine des services de santé »,

Rappelle que, conformément aux traités et au principe de subsidiarité, l'organisation et le financement des systèmes de santé et des régimes de protection sociale relèvent pour l'essentiel de la compétence des États membres ;

Considère qu'il appartient au droit européen de garantir, dans les conditions et limites fixées par le législateur, la mobilité des patients et la libre circulation des professionnels et des services de santé ;

Observe toutefois que la mobilité des patients se heurte encore à certaines difficultés pratiques et à une insécurité juridique ;

Estime en conséquence que le cadre juridique communautaire doit être adapté et clarifié pour garantir la mobilité des patients dans le respect des compétences des États membres en matière d'organisation et de financement de leurs systèmes de santé ;

Considère qu'une telle évolution ne peut passer par une simple révision des règlements de coordination des régimes de sécurité sociale et ne peut relever de la seule régulation jurisprudentielle de la Cour de justice ; elle nécessite en conséquence l'adoption d'une directive spécifique ;

Constate que la pleine effectivité d'une telle mobilité exige également une amélioration significative de l'information des patients et considère alors que ladite directive doit poser les premiers jalons d'une harmonisation des droits nationaux en la matière ;

Souhaite par ailleurs que le principe de libre circulation des services de santé se concilie avec la nécessaire maîtrise par les États membres de l'offre de soins et de la planification sanitaire ; estime en conséquence que la directive sur la santé devrait être l'occasion d'en préciser les modalités ;

Considère enfin que l'amélioration des systèmes européens de santé exige également le renforcement de la coopération entre États, en priorité par conventions bilatérales ou multilatérales, essentiellement dans des domaines comme la coopération transfrontalière ou la constitution de centres de référence.


* (1) Même si le programme de travail 2007 de la Commission évoque d'ores et déjà une proposition législative pour établir un cadre communautaire de services de santé sûrs et efficaces.

* (2) Ce sont les règlements n° 1408/71 et 574/72.

* (3) Arrêts Kohll et Decker (avril 1998), Vanbraekel (juillet 2001), Smits et Peerbooms (juillet 2001), Müller-Fauré et Van Riet (mai 2003), Watts (mai 2006).