Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mardi 22 janvier 2008


Table des matières

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Élargissement

Accord de stabilisation et d'association avec la Serbie
(Textes E 3717 et E 3718)

Communication de Mme Monique Papon

M. Hubert Haenel :

Le Sénat a été saisi, le 5 décembre dernier, d'une part, de deux propositions de décisions visant à la signature et à la conclusion de l'accord de stabilisation et d'association (ASA) avec la République de Serbie (document E 3717) et, d'autre part, d'une proposition de décision relative à la signature et à la conclusion de l'accord intérimaire qui, comme c'est l'usage pour ce type d'accord, permettra que les dispositions commerciales et les mesures d'accompagnement entrent en vigueur sans attendre la ratification de l'ASA (document E 3718).

Jusqu'à présent, il ne m'avait pas semblé utile d'inscrire ce sujet à l'ordre du jour de notre délégation. En effet, dans un contexte régional marqué par les élections présidentielles serbes et la perspective d'une proclamation d'indépendance du Kosovo, il me semblait peu opportun de donner un feu vert immédiat à la signature d'un accord de stabilisation et d'association avec la Serbie sans attendre au moins le dénouement des élections nationales serbes.

Cependant, la présidence slovène de l'Union européenne a récemment affirmé son intention d'inscrire à l'ordre du jour du Conseil affaires générales, dès le 28 janvier prochain, la signature de l'ASA avec la Serbie. Le gouvernement français nous a avertis de cette intention car, si la question devait être soulevée au prochain Conseil, il devrait nous saisir en urgence pour pouvoir lever la réserve parlementaire.

C'est la raison pour laquelle, alors que nous allons entendre aujourd'hui l'ambassadeur de Slovénie, j'ai souhaité que nous puissions évoquer brièvement cette question avant son audition. Notre débat permettra d'éclairer la réponse que je serais amené à faire au Gouvernement si celui-ci devait nous demander de nous prononcer sur cet accord dans les jours qui viennent. Notre collègue Monique Papon, spécialiste de la région, a bien voulu préparer une communication sur la Serbie afin d'éclairer nos débats. Je lui donne donc immédiatement la parole.

Mme Monique Papon :

Comme vous venez de l'indiquer, le Sénat a été saisi récemment de l'accord de stabilisation et d'association (ASA) entre les Communautés européennes et leurs États-membres, d'une part, et la République de Serbie, d'autre part.

Je rappelle que la négociation de l'ASA entre l'Union européenne et la Serbie a débuté en octobre 2005 avant d'être suspendue en mai 2006 quand la Commission européenne a estimé que la Serbie ne remplissait pas la condition de coopération avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY). Constatant certains progrès, la Commission européenne a ensuite décidé de reprendre les négociations en juin 2007. Celles-ci se sont achevées en septembre 2007 et l'accord a été paraphé en novembre 2007. C'est le texte de cet accord, que la Commission européenne transmet pour approbation et signature au Conseil, tout en soulignant que la signature de l'ASA doit encore être subordonnée à la coopération pleine et entière avec le TPIY. Après sa signature, l'ASA devra encore être conclu avec l'avis conforme du Parlement européen avant d'être ratifié par l'ensemble des États membres pour pouvoir entrer en vigueur. Pendant cette période, l'accord intérimaire s'appliquera.

En quoi consiste l'accord ?

L'ASA traite des questions suivantes : le dialogue politique avec la Serbie, le renforcement de la coopération régionale, l'établissement d'une zone de libre-échange dans les cinq ans suivant la date d'entrée en vigueur de l'accord, la libre circulation des travailleurs, la liberté d'établissement, et la prestation de services, l'engagement de la Serbie d'aligner sa législation sur celle de la Communauté européenne (notamment dans le domaine du marché intérieur), la coopération en matière de justice, liberté et sécurité, enfin la création d'un conseil de stabilisation et d'association chargé de superviser la mise en oeuvre de l'accord.

L'ASA n'est pas seulement un instrument technique, il est le premier élément de la politique de l'Union européenne à l'égard des Balkans occidentaux en vue de leur intégration européenne. Un accord de stabilisation et d'association constitue l'étape préalable à la reconnaissance du statut de candidat à l'adhésion.

Quelle appréciation porter sur la signature de l'ASA ?

Notre délégation s'est toujours attachée à suivre précisément le dossier des Balkans occidentaux. En novembre dernier, notre collègue Didier Boulaud présentait une communication sur ce thème, appelant l'Union européenne à s'impliquer davantage dans la région. Nous avons rappelé à plusieurs reprises « la perspective européenne des pays des Balkans », affirmée par le sommet de Zagreb en 2000. Il n'y a donc pas de doute que nous souhaitons que la Serbie rejoigne, dès lors que les conditions seront remplies, l'Union européenne.

Pourtant, faut-il signer immédiatement l'ASA avec la Serbie ? Je ne rentrerai pas dans les considérations techniques de l'accord, qui est dans la ligne de celles qui ont déjà été négociées avec les autres pays de la région, et qui n'appellent pas, à ce stade, d'observations particulières. Les deux questions fondamentales sont, d'une part, celle relative aux conditions qui étaient jusqu'à présent posées pour la signature de l'accord et, d'autre part, celle du moment qui serait choisi pour le signer.

Sur la première question, à savoir les conditions posées à la signature de l'accord, il faut rappeler les termes des conclusions du Conseil affaires générales du 3 octobre 2005, qui restent la référence : « Rappelant les résolutions 1503 et 1534 du Conseil de sécurité des Nations unies, le Conseil a souligné qu'il souhaitait que la Serbie-et-Monténégro agisse à présent avec détermination pour faire en sorte que tous les inculpés en fuite, et en particulier Ratko Mladic et Radovan Karadzic, soient enfin traduits en justice. Une coopération sans réserve avec le TPIY est indispensable pour parvenir à une réconciliation durable dans la région et lever un obstacle majeur à l'intégration européenne. ».

Après avoir, depuis des années, réclamé les arrestations de Mladic et Karadzic, l'Union européenne abandonnerait-elle ses principes en signant l'ASA avec la Serbie sans avoir obtenu ces arrestations ? On peut rappeler que les négociations d'adhésion avec la Croatie ont été ouvertes en octobre 2005 avant l'arrestation du général Ante Gotovina, qui a eu lieu seulement en décembre 2005. Il serait donc possible, pour la Serbie, de progresser dans le rapprochement avec l'Union européenne avant d'avoir atteint le résultat final, à savoir une arrestation de Mladic et Karadzic, d'autant que le pays n'en est pas au stade de l'ouverture de négociations, mais à un stade bien moins avancé. Pour autant, il faudrait au moins que l'intention de la Serbie de les arrêter soit claire pour que l'Union européenne ne donne pas l'impression de faire un pas en arrière. Pour cela, il faudrait par exemple que le nouveau procureur du TPIY, le belge Serge Brammertz, fasse publiquement état d'éléments permettant de conclure à la coopération « sans réserve » de la Serbie avec le TPIY, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Le sujet est extraordinairement sensible et au moins deux États, la Belgique et les Pays-Bas, en font un élément central, en refusant de signer un accord avec la Serbie en l'absence d'avancées substantielles. J'aurais aimé avoir vos éventuelles observations sur ce point.

La seconde question qui se pose à nous est le moment qui serait choisi pour la signature de l'ASA.

La Présidence slovène estime qu'en signant l'ASA le 28 janvier, soit entre les deux tours de l'élection présidentielle serbe, un message positif serait adressé à la Serbie qui la pousserait dans le camp « pro-européen », voire la lierait à l'Union européenne, de telle manière que ses réactions à une future indépendance du Kosovo seraient moins fortes que prévues.

Faut-il approuver l'idée d'une signature de l'ASA entre les deux tours d'une élection nationale ?

La question de l'intégration européenne est déjà un enjeu important dans la campagne présidentielle en Serbie, dont le premier tour a eu lieu le 20 janvier et le second tour aura lieu le 3 février prochain. Le président sortant Boris Tadic, pro-européen, est confronté au nationaliste Tomislav Nikolic. Il est certain qu'une signature de l'ASA aurait, du point de vue de l'Union européenne, l'intérêt de soutenir l'approche « pro-européenne » de M. Tadic en montrant que l'Union européenne est prête à faire des gestes en direction du pays.

Cependant, le risque est aussi grand que cette signature soit perçue comme une ingérence négative dans le débat national serbe. Dans ce cas, loin d'être un atout pour le président Tadic, la signature de l'ASA pourrait provoquer une réaction d'opinion nationaliste.

Par ailleurs, certains nationalistes expliquent que derrière l'accord avec l'Union européenne se cache l'abandon du Kosovo. Le porte-parole de la Commission a dû réaffirmer début janvier que « l'accord de stabilisation et d'association et son contenu ont été négociés entre l'Union européenne et la Serbie en tant que partenaires égaux, sans préjuger du statut futur du Kosovo ».

De fait, l'idée que la signature de l'ASA aurait comme conséquence d'arrimer durablement la Serbie à l'Union européenne en l'empêchant d'avoir des réactions trop brusques après la proclamation d'indépendance du Kosovo, me semble particulièrement illusoire. Il faut rappeler que le Parlement serbe a adopté le 26 décembre dernier, à une très large majorité, une résolution « sur la sauvegarde de la souveraineté et de l'intégrité territoriale du pays » qui précise que seront réexaminées les relations diplomatiques avec tous les pays qui reconnaîtraient une éventuelle indépendance du Kosovo.

J'aurais aussi aimé connaître vos éventuelles observations sur ce second point, à savoir le moment qui serait choisi pour la signature de l'accord.

En conclusion, tout en soulignant la nécessité de garder un dialogue approfondi avec la Serbie, alors même que se prépare une mission PESD de l'Union européenne au Kosovo qui n'est d'ailleurs pas encore inscrite à l'ordre du jour du Conseil, il me semble, à titre personnel, que la signature de l'ASA devrait pouvoir attendre le résultat des élections présidentielles serbes et ne pas être précipitée, au risque d'ajouter à la confusion. En revanche, dès lors que le nouveau Président sera en place, et à la condition de clarifier la volonté de coopération avec le TPIY, la signature de l'accord avec le gouvernement serbe pourra être accélérée afin de témoigner de l'attachement de l'Union européenne à l'intégration de la Serbie. Encore faudra-t-il évidemment que le pouvoir en place à Belgrade accepte cette démarche, mais cela relève évidemment de la seule décision des dirigeants serbes.

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Vous avez parfaitement posé les deux questions fondamentales : faut-il intervenir au milieu des élections, donc avant le 3 février, d'une part, et que doit-on exiger des Serbes concernant la capture des généraux, d'autre part. Il me semblerait logique qu'il revienne au nouveau procureur du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), M. Brammertz, de déterminer si la Serbie coopère ou non avec le tribunal.

M. Pierre Bernard-Reymond :

Oui, Monsieur le Président, nous sommes dans la plus brûlante actualité. Je partage tout à fait les conclusions de notre rapporteur. Je pense qu'il n'y a pas lieu de se précipiter sur une signature, car les conditions générales pour la signature de l'Accord de stabilisation et d'association (ASA) avec la Serbie ne sont pas encore totalement réunies. En outre, la conjoncture actuelle, avec les élections présidentielles en Serbie, n'est guère favorable. Le seul élément qui pourrait faire hésiter serait la possibilité de pouvoir influencer positivement le résultat des élections en faveur du candidat pro-européen, mais la Serbie pourrait s'indigner contre une tentative d'ingérence de la part de l'Union européenne. De plus, je doute que l'électeur serbe de base soit parfaitement informé et influencé par les décisions qui seraient prises. Il ne faut donc rien faire pour l'instant. D'autant qu'il nous faut également nous méfier d'un éventuel camouflet, si la décision de signer l'ASA entre les deux tours de l'élection ne menait pas au résultat escompté. La Serbie pourrait très bien nous dire que l'Europe ne l'intéresse plus.

M. Hubert Haenel :

Lors du débat préalable au Conseil européen, j'ai insisté sur les conséquences que pourrait avoir le redécoupage des Balkans. On n'a pas assez conscience des répercussions que pourrait avoir l'indépendance du Kosovo pour la stabilité de la région. Cela pourrait donner de mauvaises idées à d'autres. Notamment, qu'en serait-il de la Bosnie-Herzégovine ? La partie serbe ne demandera-t-elle pas aussi son indépendance ? Et ne fera-t-on pas ensuite une nouvelle Albanie ? Et la Macédoine ? On ne sait pas où cela pourrait s'arrêter. Je redoute les conséquences d'une éventuelle victoire du candidat ultranationaliste pour la région. Je crains qu'il ne fasse une partie de ce qu'il annonce, même si ses propos comportent une part de menaces.

M. Pierre Bernard-Reymond :

Il est également question de la construction d'un pipeline avec la Russie dans la région.

M. Hubert Haenel :

Il est indéniable que la Russie exploite la situation au mieux de ses intérêts.

M. Christian Cointat :

Je crois que l'affaire est loin d'être réglée. Ce n'est quand même pas un hasard si les personnes recherchées par le Tribunal pénal international de l'ex-Yougoslavie arrivent à échapper à toute investigation. En plus, le flirt que l'on vient d'évoquer avec la Russie montre bien qu'il y a d'autres enjeux derrière. Et je crois que l'Europe a tout intérêt à ne pas se précipiter et à faire attention à la définition des politiques qu'elle mène à l'égard des Balkans. Il faut aussi veiller à ce que la Russie ne nous mette pas dans une situation difficile pour l'avenir. Donc, prudence, mais aussi présence. J'espère que le résultat des élections ne mettra pas l'Europe derrière le mur. Il vaut mieux qu'elle soit au pied du mur que derrière le mur.

M. Hubert Haenel :

Je constate que les orientations dégagées par Mme Papon recueillent l'approbation générale de la délégation. En tout état de cause, il nous faudra suivre de près ces questions dans les mois qui viennent.

Institutions européennes

Priorités de la présidence slovène de l'Union
Audition de M. Janez Sumrada,
ambassadeur de Slovénie en France1(*)

M. Hubert Haenel :

Je vous remercie d'avoir accepté de venir au Palais du Luxembourg pour cette réunion commune à la commission des affaires étrangères, à la délégation pour l'Union européenne, ainsi qu'au groupe d'amitié France-Slovénie du Sénat.

C'est devenu maintenant une tradition à laquelle nous sommes tous attachés que d'entendre, au début de chaque présidence semestrielle de l'Union, l'ambassadeur du pays exerçant la présidence afin qu'il nous présente le panorama général des activités du semestre.

La Slovénie sera le premier des nouveaux États membres à présider l'Union européenne. Si le calendrier envisagé pour l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne est respecté, il sera d'ailleurs le seul des nouveaux États membres à exercer une présidence complète de l'Union incluant la présidence du Conseil européen ainsi que celle du Conseil « Affaires étrangères ».

Ceci n'est que la reconnaissance de la place que vous avez voulu prendre au sein de l'Union européenne dès que vous l'avez rejointe ; vous êtes en effet à présent tout à la fois membre de la Zone euro et membre de l'Espace Schengen, ce qui montre clairement votre volonté d'être un membre à part entière de l'ensemble des avancées européennes.

La Slovénie va terminer le cycle de la première troïka des présidences qui incluait l'Allemagne et le Portugal, et la France va commencer en juillet prochain le second cycle qu'elle partagera avec la République tchèque et la Suède.

Le semestre de présidence slovène sera marqué par une série de grands sujets internes à l'Union :

- d'abord, le processus de ratification du traité de Lisbonne et les premières réflexions sur sa mise en oeuvre pratique ;

- ensuite, la définition du nouveau cycle triennal de la stratégie de Lisbonne qui couvrira les années 2008-2010 ;

- enfin, les débats, qui seront difficiles, sur la répartition entre les Vingt-sept des efforts à accomplir en matière d'énergies renouvelables.

Mais ce semestre sera aussi marqué par la prise en compte particulièrement forte des Balkans. Nous venons, avant votre arrivée, de débattre de l'accord de stabilisation et d'association avec la Serbie que la présidence slovène souhaite inscrire à l'ordre du jour de l'Union dans les prochains jours.

Enfin, cette année 2008 est l'année du dialogue interculturel.

Autant dire que le menu est fort copieux. C'est pourquoi je vous laisse immédiatement la parole.

M. Janez Sumrada :

Les priorités de la présidence slovène s'inscrivent dans le nouveau climat d'optimisme qui résulte de la signature du traité de Lisbonne, le 13 décembre dernier. L'Union européenne est maintenant confrontée à deux défis : d'une part, celui de la ratification du traité et, d'autre part, celui de sa mise en application.

La ratification du traité est la priorité absolue de notre présidence. Une bonne vingtaine de pays membres ont d'ores et déjà choisi la voie parlementaire et auront ratifié le traité au cours du premier semestre 2008. On peut raisonnablement espérer que la plupart des ratifications auront eu lieu avant la fin de la présente année. Mais si certains pays n'achevaient pas leur processus de ratification avant les élections parlementaires de juin 2009, on pourrait craindre des complications dans le fonctionnement de l'Union européenne. Pour tenir compte de cette situation, la France et la Slovénie ont adopté une stratégie commune destinée à favoriser ces ratifications.

L'autre priorité porte sur la stratégie de Lisbonne à l'occasion du lancement du nouveau cycle portant sur la période 2008-2010. Pour la Slovénie, il convient d'accélérer les réformes déjà engagées autour des quatre piliers de cette stratégie que sont la recherche et l'innovation, la compétitivité de l'économie, l'évolution du marché du travail, enfin l'énergie et la préservation de l'environnement. Notre objectif est de faire adopter les lignes directrices intégrées en faveur de la croissance et de l'emploi lors du prochain Conseil européen de printemps.

Le 23 janvier, la Commission européenne présentera son paquet législatif relatif à l'énergie et au climat. Il porte plus spécialement sur la réduction des gaz à effet de serre, le marché des droits d'émission et les énergies renouvelables. La présidence slovène et la présidence française sont décidées à favoriser une adoption rapide de ces propositions, au plus tard sous présidence tchèque au premier semestre 2009, afin que l'Europe soit en position de peser dans les négociations post-Kyoto. Il s'agit ainsi d'arrêter les grandes lignes du marché intérieur de l'énergie et de jeter les bases communes d'une politique européenne de l'énergie.

La dernière de nos priorités porte sur l'européanisation des Balkans occidentaux. Il faut en effet offrir à nos voisins des Balkans - qui représentent actuellement une poche géographique, économique, voire mentale, au sein de l'Union - une perspective d'intégration européenne. Avec la signature des accords de stabilisation et d'association (ASA), la Slovénie souhaite confirmer les accords de Thessalonique conclus en 2003 sous présidence grecque. Elle souhaite également renforcer dans différents domaines la coopération balkanique, par exemple par une libéralisation du régime des visas en faveur des jeunes. Plus de 70 % des jeunes Serbes n'ont encore jamais quitté leur pays. Cela explique leur repli sur eux-mêmes et leur attirance pour les solutions ultra-nationalistes. D'un autre côté, la résolution du 16 janvier dernier de l'ONU relative au Kosovo ouvre la voie à l'indépendance de cette région. Pour la majorité des États membres, cette indépendance est maintenant envisagée comme inéluctable.

Notre présidence soutient par ailleurs fortement les initiatives en faveur du dialogue interculturel. A l'intérieur de l'Union, la Slovénie va organiser plusieurs événements européens, dont certains se dérouleront d'ailleurs à Paris sous présidence française. À l'extérieur, le dialogue sera surtout engagé avec les pays des Balkans occidentaux. Une première rencontre a eu lieu le 8 janvier dernier à Ljubljana. D'ici à quelques semaines aura lieu une autre conférence sur le dialogue interculturel religieux avec la participation du recteur de la grande mosquée de Lyon.

La présidence slovène travaille également à l'achèvement de l'espace Schengen avec, en mars prochain, l'ouverture des aéroports. En outre, au 1er janvier 2008, s'est déroulé le deuxième élargissement de la zone euro pour Malte et Chypre. Certains dossiers des candidatures turque et croate vont également être traités. Vers la fin de la présidence slovène sera engagé un débat sur la future politique d'adhésion. Un bilan de la politique agricole commune (PAC) va être également réalisé sous notre présidence qui servira de base aux négociations que compte engager la présidence française, vers le mois d'octobre prochain, en vue d'une réforme de la PAC.

Mme Monique Papon :

La question de l'intégration européenne est un enjeu important de l'élection présidentielle en Serbie. Elle oppose le président sortant Boris Tadic, pro-européen, au nationaliste Tomislav Nikolic. La présidence slovène semble favorable à la signature d'un accord de stabilisation et d'association avec la Serbie. Mais la signature d'un tel accord en pleine élection présidentielle ne risque-t-elle pas de passer pour une ingérence dans le débat national serbe ?

M. Janez Sumrada :

Les discussions en cours ne signifient pas que nous encourageons uniquement la signature de l'accord de stabilisation et d'association. La Slovénie souhaite simplement que l'Europe prenne des initiatives concrètes en faveur des forces démocratiques de Serbie. En effet, les résultats du premier tour de l'élection présidentielle ne sont pas encourageants. Le président du parti radical, M. Nikolic, a recueilli 39 % des voix avec un taux de participation de 61 %. Le président sortant, M. Boris Tadic, qui a la confiance de la communauté internationale, n'a recueilli que 35 % des voix. M. Nikolic est donc le favori formel du second tour. Toutefois, d'autres forces démocratiques peuvent apporter leur soutien à M. Tadic, comme ce fut déjà le cas lors des précédentes élections présidentielles, en 2004, en particulier celle du Premier Ministre M. Kostunica. Il est donc particulièrement important de faire parvenir maintenant des messages clairs et concrets aux forces démocratiques serbes, contrairement à ce qui s'est passé jusqu'à présent. À titre d'exemple, la Slovénie est toujours le principal investisseur en Serbie alors que d'autres grands pays européens auraient certainement pu être plus présents. La promesse d'une signature future de l'accord de stabilisation participe de ces messages concrets aux forces démocratiques serbes.

Mme Catherine Tasca :

La présidence slovène présente un double avantage : celle d'un pays récemment entré dans l'Union et porteur d'un regard neuf sur le fonctionnement communautaire et celle d'un pays situé géographiquement au coeur des Balkans occidentaux. En dehors de la question serbe, quelle est l'opinion de la Slovénie et des Slovènes sur la Turquie ? S'agissant des jeunes Serbes et du projet de les faire sortir de leur enfermement, quelles sont les suggestions concrètes que compte faire votre pays, notamment en accord avec la présidence française qui va vous suivre ?

M. Janez Sumrada :

La plupart de nos partenaires sont acquis à l'idée d'une libéralisation des visas en faveur des jeunes des pays des Balkans occidentaux. Elle est en cours d'adoption, et sera peut-être adoptée prochainement. Pour la Turquie, notre pays n'a pas de difficultés particulières au regard de son adhésion, mais il considère que la solidarité européenne doit primer dans tous les domaines, y compris sur la question des adhésions futures. La possibilité de poursuivre l'examen de certains chapitres avec la Turquie nous semble ainsi une bonne solution, pour l'instant. Notre crainte, largement partagée par tous nos partenaires, est que la remise en cause des perspectives d'adhésion de la Turquie ne produise des effets négatifs pour l'Europe. En témoignent, d'une part, le blocage de la construction du gazoduc Nabucco par la Turquie et, d'autre part, la récente signature par la Russie et un pays de l'Union européenne de l'accord portant sur la réalisation du gazoduc concurrent, Bluestream, qui aura comme effet d'augmenter la dépendance énergétique de l'Europe à l'égard d'une seule force politique.

Mme Colette Mélot :

La Slovénie a été le premier État du dernier élargissement à intégrer la zone euro le 1er janvier 2007. Un an après cette adhésion, les résultats économiques sont-ils au rendez-vous ? Comment les Slovènes perçoivent-ils l'euro ? Existe-t-il un risque d'inflation en Slovénie ?

M. Janez Sumrada :

La perception de l'euro reste majoritairement excellente en Slovénie, 8 % seulement de la population étant réticente. Néanmoins l'aspect négatif reste celui de l'inflation que le gouvernement cherche à maîtriser et qui reste de l'ordre de 5 % en base annuelle.

Mme Gisèle Gautier :

Le Premier Ministre slovène s'est déclaré réservé devant le Parlement européen vis-à-vis de l'Union de la Méditerranée. Quelles sont les véritables raisons politiques de cette opposition ?

M. Janez Sumrada :

La Slovénie ne souhaite pas la prolifération de structures traitant de l'Union méditerranéenne. Cette Union ne doit pas concurrencer Euromed, ni le processus de Barcelone. Elle souhaite en revanche que tous les pays qui le désireraient, et qui se sentent concernés par le développement des pays méditerranéens, puissent participer à ce processus qui doit rester unique pour toutes les politiques méditerranéennes.

M. Robert del Picchia :

Ami de longue date de la Slovénie, je ne pouvais pas penser, en accompagnant MM. Genscher et Mock à Ljubljana lors de l'accession de votre pays à l'indépendance, en 1991, que je rencontrerais un jour, ici, à Paris, son ambassadeur, dans le cadre d'une présidence de l'Union européenne par la Slovénie. Votre pays compte-t-il prendre des initiatives pour faire face à la crise financière mondiale actuelle ?

M. Janez Sumrada :

Les ministres des finances viennent de se réunir à Bruxelles. Une structure de crise va être mise en place. Des mesures sont en cours de préparation. Mais il faut prendre en compte le fait que les informations ont fortement évolué depuis le début de cette crise. Les pertes reconnues par les banques ont d'ailleurs été réévaluées à plusieurs reprises.

M. Philippe Nogrix :

Quelle est la position de la Slovénie sur le débat portant sur l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et sur la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) ?

M. Janez Sumrada :

La Slovénie est consciente de la nécessité de mettre en place une structure européenne de défense travaillant de manière étroite avec l'OTAN. Pour autant, l'OTAN, telle que nous la connaissons jusqu'à présent, ne répond pas pleinement aux besoins des Européens. C'est pourquoi la PESD doit exister en liaison avec l'OTAN.

M. André Ferrand :

Selon vous, quel serait le profil idéal du premier Président du Conseil européen, tel que l'institue le traité de Lisbonne ?

M. Janez Sumrada :

La Slovénie suit avec intérêt les débats qui ont lieu actuellement en France sur ce sujet. Un Président de l'Union européenne doit être partie prenante de toutes les grandes politiques européennes, en particulier des coopérations Schengen ou euro.

M. Josselin de Rohan :

Avec l'indépendance du Kosovo, l'Europe entre dans une zone à risques, particulièrement du fait de l'attitude de la Russie et de son implication traditionnelle en Serbie. Comment percevez-vous les relations entre la Russie et l'Union européenne, compte tenu du raidissement récent de la Fédération de Russie vis-à-vis de l'OTAN, des États-Unis et des États européens, et aussi compte tenu de l'utilisation très politique de ses ressources énergétiques ? Les Russes iront-ils au-delà de protestations formelles ? Peuvent-ils retarder ou compliquer le processus d'indépendance du Kosovo ?

M. Janez Sumrada :

Ceux qui disaient, il y a 25 ans, que la crise yougoslave commencée en 1981 par le Kosovo se terminerait par le règlement de la crise du Kosovo, avaient raison. Il faut se préparer, dans les prochains jours, à une proclamation unilatérale d'indépendance du parlement kosovar. Les Kosovars ont d'ailleurs accepté toutes les contraintes qui leur ont été imposées par les États membres. Les États membres pensent majoritairement que, après l'échec du plan Ahtisaari, cette déclaration doit maintenant se faire rapidement et qu'il conviendra que l'Union européenne réponde également très vite à cette déclaration par l'envoi d'une mission. Une grande majorité d'États membres va vraisemblablement reconnaître l'indépendance du Kosovo.

Le premier problème posé par cette déclaration d'indépendance du Kosovo tient d'abord à la Serbie où une majorité de la population est hostile à cette indépendance, ce dont ont tenu compte pratiquement tous les candidats à l'élection présidentielle. Même l'allié politique de M. Tadic, le Premier Ministre Kostunica, compte répliquer rapidement à cette déclaration d'indépendance, notamment par des rétorsions diplomatiques et économiques envers les pays qui reconnaîtraient cette indépendance. Le second problème relève de la Russie, qui a toujours été un des principaux soutiens et partenaires de la Serbie. Néanmoins, dans l'optique de la Russie, la question du Kosovo n'est ni primordiale, ni essentielle. Le raidissement récent de la Russie avec l'Union européenne a certes des conséquences, même pour la Slovénie, par exemple dans le secteur énergétique. Les États membres qui ont dépendu autrefois du bloc soviétique - notamment les pays baltes - sont aussi continuellement soumis à des pressions de types variés. Il faut ainsi s'attendre à des réactions politiques et diplomatiques de la part de la Russie. Mais il ne faut pas exclure néanmoins que M. Poutine veuille négocier la question du Kosovo en fonction d'autres préoccupations plus importantes pour la Fédération de la Russie.


* 1Cette audition est en commun avec la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et le groupe d'amitié France-Slovénie.