Réunion de la commission des affaires européennes du mercredi 21 octobre 2009


Table des matières

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Justice et affaires intérieures

Les négociations relatives aux données de messagerie financière dans le cadre de la lutte contre le terrorisme

Audition de M. Alex Türk, Président de la CNIL,
Président du « Groupe des CNIL européennes »

M. Hubert Haenel :

Le 22 juillet dernier, j'ai reçu une lettre du secrétaire d'État chargé des affaires européennes m'informant que le texte visant à autoriser l'ouverture de négociations avec les États-Unis en vue d'un accord international sur la lutte contre le financement du terrorisme pourrait être inscrit pour adoption par le Conseil le 27 juillet, et me demandant de bien vouloir examiner ce texte selon la procédure d'urgence.

Or, ces négociations posent des questions extrêmement sensibles de protection des données, et plus généralement de libertés publiques. J'ai donc écrit le 23 juillet au secrétaire d'État qu'il me paraissait préférable que la France demande le report de l'adoption de ce texte au mois de septembre, afin de laisser la possibilité aux parlementaires nationaux de l'examiner, d'en débattre et de faire connaître leur sentiment aux gouvernements. Le 24 juillet, le secrétaire d'État m'a répondu qu'il ne lui semblait pas possible d'obtenir de la présidence du Conseil qu'elle reporte l'adoption de ce mandat ni que la France s'y oppose. Ce même 24 juillet, j'ai à nouveau écrit au secrétaire d'État en faisant valoir que ce dossier montrait la nécessité de revoir nos méthodes de travail afin de parvenir à une meilleure collaboration entre le Gouvernement et le Sénat (1(*)).

En juillet dernier, c'est le mandat de négociation qui nous était soumis. Au terme de la négociation, l'accord définitif nous sera également soumis. Je constate que le Gouvernement a tenu compte de notre souci de suivre de près l'évolution des négociations puisqu'il nous transmet à présent un projet d'accord qui relate le dernier état de la négociation, alors même que les délégations de l'Union européenne et des États-Unis ne sont pas encore parvenues à un consensus définitif. Les négociations sont donc encore ouvertes et notre intervention peut prendre tout son sens. Nous examinerons ce projet d'accord lors de notre réunion de la semaine prochaine.

Aujourd'hui, nous entendons Alex Türk, président de la Commission nationale de l'informatique et des libertés et du Groupe des CNIL européennes. Il va nous exposer l'appréciation que peuvent porter la CNIL et le Groupe des CNIL européennes sur les négociations en cours. Il va nous dire également si le Groupe des CNIL européennes a pu finalement avoir communication du rapport du juge Bruguière. Car c'est là également un des aspects étranges de ce dossier. L'Union européenne avait désigné le juge Bruguière en tant que personnalité éminente chargée d'expertiser le fonctionnement du programme de surveillance mis en oeuvre sur le territoire américain. Le juge Bruguière a rendu un rapport qui, si j'ai bien compris, concluait que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Or, ce rapport a été classifié par les autorités américaines et le Groupe des CNIL européennes n'avait pu en obtenir communication. Je ne sais pas si cette situation étrange perdure encore aujourd'hui.

M. Alex Türk :

Je rappelle que les activités de la société SWIFT concernent des milliers de banques et plusieurs milliards d'euros de transactions. Son système de traitement des informations est composé d'un centre situé aux Pays-Bas, qui devait à l'origine être unique, et d'un deuxième centre qui a été créé aux États-Unis (Virginie), pour des raisons de sécurité liées notamment aux risques d'attentats. Après les attentats du 11 septembre, les autorités américaines ont souhaité pouvoir intervenir sur les données passant par ce centre localisé aux États-Unis afin de s'assurer que les transferts financiers n'aient pas de liens avec des activités terroristes.

En 2006, la presse s'est fait l'écho de craintes que l'utilisation de ces données ait une finalité plus large que la lutte contre le terrorisme et qu'elle porte en particulier sur des aspects commerciaux. Une telle utilisation poserait non seulement un problème de confidentialité, mais aussi le risque d'un espionnage économique. Face à cette situation, la CNIL et ses homologues européens ont réagi et ont demandé que des garanties soient mises en place.

Suite à ces demandes, trois avancées importantes ont été réalisées. D'une part, il a été obtenu que l'accès aux données ne soit possible que sous réserve d'être justifié par une vraie nécessité. D'autre part, il a été prévu qu'une personnalité éminente européenne serait désignée pour vérifier que les données étaient utilisées conformément aux engagements pris par les autorités américaines. Enfin, nous avons obtenu que SWIFT accepte de créer un troisième centre chargé de toutes les transactions intra-européennes, ce qui fut fait en Suisse.

Désigné par l'Union européenne comme personnalité « éminente », le juge Jean-Louis Bruguière a effectué différentes missions aux États-Unis. Auditionné par le groupe des 27 « CNIL européennes », il nous a indiqué que le système fonctionnait de manière satisfaisante et qu'il produisait des effets très positifs dans la lutte contre le terrorisme. Malheureusement, il est demeuré tout à fait elliptique sur le dispositif mis en place pour assurer la protection des données. Je souligne qu'il n'a pas été possible de consulter son rapport en raison de la décision des autorités américaines de le classifier. C'est la première fois, à ma connaissance, que l'autorité contrôlée décide de son propre chef de classifier le rapport de contrôle. Cependant, répondant à ma demandée réitérée, le juge Bruguière nous a transmis une synthèse de son rapport, qui peut désormais être consulté par les personnes habilitées.

La nouvelle architecture décidée par SWIFT, en octobre 2007, avec la création d'un troisième centre en Suisse nous était apparue satisfaisante pour assurer la protection des données intra-européennes. Cependant, les autorités américaines ont exprimé le souhait de pouvoir accéder également aux données figurant dans ce nouveau centre, bien qu'elles ne soient plus hébergées dans un centre localisé aux États-Unis. D'où l'ouverture de nouvelles négociations entre l'Union européenne et les États-Unis. Lors de l'audition récente de la présidence suédoise et de la Commission européenne par le groupe des « CNIL européennes », nous n'avons pas eu de réponse sur le point de savoir si le projet d'accord prévoirait ou non un filtrage des demandes américaines par les autorités européennes. Or, la mise en place d'un système « PUSH » qui, à la différence du système « PULL », exclut une intervention directe des autorités américaines dans la base de données, nous paraît essentielle pour la protection des données personnelles.

En conclusion, il me semble important de formuler deux exigences : d'une part, le prochain rapport d'évaluation devra être accessible ; d'autre part, le nouvel accord entre l'Union européenne et les États-Unis devra prévoir un mécanisme de contrôle par filtrage efficace.

M. Hubert Haenel :

Dans la communication que je présenterai la semaine prochaine sur ce sujet, je soumettrai à la commission des affaires européennes une proposition de résolution afin de marquer les principes qui nous paraissent devoir être retenus dans la négociation de ce nouvel accord.

Il ne me paraît pas normal qu'un accès plus large n'ait pas été prévu au rapport de la personnalité éminente européenne.

M. Simon Sutour :

Je suis très préoccupé par les informations qui viennent de nous être données. Je suis moi-même très sensibilisé à l'enjeu de la protection des données personnelles. J'ai récemment présenté, au nom de la commission des affaires européennes, une proposition de résolution sur le projet de PNR européen sur lequel notre collègue Alex Türk nous avait alertés. Sur cette question, notre commission a joué son rôle d'aiguillon avant que la commission des lois n'adopte la proposition de résolution en renforçant encore les garanties que nous demandions pour la protection des données.

Mme Alima Boumediene-Thiery :

Je m'interroge sur l'indépendance effective de la personnalité « éminente » européenne qui a été désignée. Le Parlement européen a-t-il exprimé une position sur ce dossier ?

M. Alex Türk :

Je rappelle que cette personnalité a été désignée par l'Union européenne et qu'elle ne dépend en aucun cas du gouvernement français. Par contre, il est vrai que le choix de cette personnalité devait recevoir l'accord des autorités américaines.

M. Hubert Haenel :

Le Parlement européen a adopté une résolution sur le dossier SWIFT au mois de septembre. La personnalité « éminente » a été désignée par l'Union européenne. Il n'a donc aucun mandat du gouvernement français. Pour ce qui est de l'indépendance vis-à-vis des autorités américaines, je rappelle que le Sénat avait, en février dernier, contesté la composition d'un groupe d'experts en matière de protection des données personnelles, que la Commission européenne envisageait de mettre en place. Ce groupe d'experts devait être composé de cinq personnes qui, pour quatre d'entre elles, auraient été issues soit de sociétés américaines, soit de cabinets d'avocats dont les principaux établissements sont situés aux États-Unis. Il aurait eu l'anglais pour langue de travail. La Commission européenne a, en définitive, renoncé à ce projet.

M. Alex Türk :

Nous avons eu un débat du même ordre au sein de la conférence « fermée » du groupe des « CNIL européennes » sur la participation de la Federal Trade Commission (FTC) à nos travaux. J'avais également marqué ma surprise de voir que les organisateurs de nos récentes réunions avaient convié un représentant du ministère de l'Intérieur américain.

M. Yann Gaillard :

Il me semble que les autorités américaines continuent à avoir des positions identiques à celles qu'elles manifestaient il y a vingt ans. Or le monde a changé. Elles devraient donc elles-mêmes évoluer.

Agriculture et pêche

Remboursement d'aides nationales
dans le secteur des fruits et légumes

Communication de M. Jean Bizet

Le monde agricole semble aller de crise en crise. Après la crise du secteur laitier, déjà analysée par notre commission, la France a dû répondre à une décision de la Commission européenne demandant à l'État qu'il se fasse rembourser certaines aides publiques versées aux producteurs de fruits et légumes entre 1992 et 2002. Cette affaire a eu un grand retentissement médiatique, animant une période en général plus calme. Cette communication vise à préciser cette curieuse affaire et tenter d'en tirer quelques leçons.

La priorité est de dissiper quelques malentendus. Le mot de « remboursement » des aides a été souvent compris comme s'il s'agissait du remboursement d'aides communautaires perçues par la France de façon irrégulière. Il ne faut blâmer personne car cela aurait pu être le cas. Cette procédure est même relativement fréquente. Le remboursement des aides communautaires clôt ce qu'on appelle l'apurement des comptes agricoles, c'est-à-dire la vérification des dépenses. Le remboursement a lieu soit lorsqu'il y a des irrégularités avérées, soit lorsque la Commission considère que les procédures nationales de contrôle ne sont pas assez efficaces. Le refus d'apurement se traduit alors par des corrections financières qui sont en effet des remboursements de l'État au budget communautaire. De l'ordre de 100 millions d'euros en moyenne sur la période 1996-2007, soit 1 % des dépenses agricoles communautaires dans notre pays, selon un chiffrage de la commission des Finances.

Le cas d'espèce est radicalement différent. Nous ne sommes pas dans le cadre de la politique agricole commune (PAC), mais dans celui de la politique de concurrence. Il ne s'agit pas d'un remboursement de l'État au budget communautaire mais d'une demande de remboursement des producteurs de fruits à l'État.

Quelle est l'origine de cette affaire ?

L'affaire débute à la fin des années 80, peu après l'adhésion du Portugal et de l'Espagne, un élargissement très appréhendé par les producteurs de fruits et légumes français. Après une période transitoire, la concurrence redoutée arrive. Bien que l'Italie reste le plus gros producteur européen de fruits et légumes, l'Espagne devient le plus gros exportateur sur le marché communautaire, en particulier sur le marché français.

Pour faire face, la France adopte ce qu'elle appelle alors pudiquement des « plans de campagne » ou des « plans stratégiques », qui, en réalité, l'étaient fort peu, puisqu'il s'agissait plutôt d'aides à l'écoulement des productions nationales. Comment ? Très simplement en lançant des campagnes de promotion, ou bien en accordant une aide de quelques dizaines de centimes par kilo de fruits livré aux transformateurs ou exporté en Allemagne, par exemple. Ce soutien était versé par l'État aux organisations de producteurs - les « OP » - qui regroupent 60 % de producteurs. Les OP cofinançaient les aides et menait les opérations. Cette pratique a duré jusqu'en 2002, jusqu'au dépôt d'une plainte devant la Commission européenne. La phase d'instruction a duré entre 2002 et 2008. Elle s'est conclue par l'adoption, par la Commission, de la décision du 28 janvier 2009 parue au Journal officiel le 26 mai. La Commission déclare ces aides incompatibles avec le marché commun et demande à l'État de récupérer ces aides dans les conditions suivantes : l'État a deux mois pour établir la liste des bénéficiaires et a quatre mois pour s'assurer du remboursement.

Inutile de le feindre, le caractère illicite de ces aides ne peut être sérieusement contesté. Deux séries de dispositions doivent être rappelées. Il y a d'abord le cadre général fixé par l'article 87 du Traité, pivot de la politique de concurrence. : « toutes pratiques susceptibles de fausser la concurrence à l'intérieur du marché commun et d'affecter le commerce entre États membres sont interdites ». Or, c'est clairement le cas des aides aux exportations françaises, destinées à rattraper le désavantage des productions nationales par rapport aux productions espagnoles. Ce principe est assorti d'exceptions qui autorisent certaines aides nationales. Il y a deux types d'exceptions :

- bien que les aides au fonctionnement soient normalement interdites, il y a une exception, connue sous le nom de règle de minimis, pour les aides mineures, inférieures à 7 500 € par entreprise sur trois ans. Ces aides nationales n'ont pas à être notifiées à la Commission ;

- le second type d'exception concerne les aides agricoles, notifiées cette fois, appliquées aux activités de production, de transformation et de commercialisation, et à certains investissements. Le régime est fixé par des « lignes directrices agricoles ». Pour donner un exemple, les aides à la promotion sont autorisées, à condition qu'elles portent sur des produits génériques et non des produits nationaux ; des campagnes de promotion peuvent être menées sur : « mangez des pêches » mais pas sur les pêches françaises ;

En l'espèce, les aides nationales étaient pour la plupart clairement illicites puisqu'elles n'étaient pas notifiées, qu'il s'agissait d'aides aux producteurs français pour soutenir des livraisons intracommunautaires et constituaient autant de distorsions de concurrence.

Quelles sont les perspectives ?

Si la décision de janvier 2009 est l'aboutissement de huit ans de procédures, ce n'est pas la fin de l'affaire, car de nombreuses questions vont se poser.

La première question porte sur le montant de l'irrégularité. Trois chiffres ont été évoqués : 330 millions d'euros est le montant des aides de l'État sur la période 1992-2002. Pourquoi pas avant ? Parce qu'il y a prescription de dix ans. La plainte a été enregistrée en 2002 et la période couverte va donc de 1992 à 2002. Pourquoi pas après ? Parce que l'État a, en fait, cessé ses aides dès le dépôt de la plainte. 330 millions correspondent à 500 millions avec les intérêts courus depuis dix-sept ans et à 700 millions d'aides totales, si l'on inclut, comme le fait la Commission, le montant des aides versées par les OP. La principale riposte de la France porte précisément sur ce point. Elle admet l'irrégularité et le principe d'un remboursement des aides de l'État, mais considère que les aides versées par les OP sur leurs propres cotisations de membres, ne sont pas concernées et doivent être exclues du remboursement.

La deuxième question porte sur les possibilités de recouvrement. Le principe est que le remboursement doit venir du bénéficiaire final. Or, qui est le bénéficiaire final ? Le producteur ou l'organisation de producteurs qui finançait les opérations ? Dans les deux cas, il y aura de grandes difficultés pour retrouver les bénéficiaires d'il y a dix ou quinze ans ? Certains ont disparu, la forme juridique des organisations a changé, il y a eu des fusions entre organisations... Cela sera très difficile. La Commission accepte de renoncer au remboursement dès lors que l'État apporte la preuve qu'il lui est impossible d'identifier le bénéficiaire de l'époque. Ce sera donc à l'État de faire la preuve de cette impasse.

Troisième question : sur le plan des procédures, deux actions sont en cours.

Il y a d'abord une expertise interne. La France procède au recensement des aides et des bénéficiaires. Ce travail est très long, ce qui explique que les échéances fixées par la décision sont périodiquement repoussées.

Il y a également une procédure en cours à l'échelon communautaire. Trois recours sont d'ores et déjà ouverts devant la Cour de justice européenne. Un recours de l'État et deux recours professionnels, l'un de FEDECOM, groupement régional des comités de bassin des organisations de producteurs, l'autre de la fédération des légumes de France. Les deux organisations avaient envisagé un recours commun avant de renoncer. Le recours de la fédération se fonde sur une erreur de calcul et surtout sur « la confiance légitime ». La fédération considère que, dès lors que l'aide a duré plus de dix ans, elle pouvait légitimement penser que le régime était fondé, et que la Commission était parfaitement informée.

Ces trois recours sont la réponse juridique française à la décision de la Commission. En revanche, il faut souligner que cette dernière n'a pas déposé de recours en manquement contre la France, qui pourrait être accusée de ne pas faire tous les efforts pour appliquer la décision de la Commission.

Une telle hypothèse serait embarrassante car ces recours ne sont pas suspensifs, mais le temps judiciaire de chacun est différent. Ainsi, il est d'usage que les recours en manquement soient jugés assez rapidement, tandis que les contentieux au fond sont assez longs. Ce qui pourrait conduire à une situation paradoxale où la France serait condamnée à exécuter la décision de la Commission avant même que le fond ne soit jugé...

Ce ne serait qu'une péripétie supplémentaire à une situation déjà passablement rocambolesque.

Quelles leçons tirer de cette affaire ?

Il nous faut d'abord accepter avec lucidité nos propres travers. L'illégalité paraît avérée, mais il faut admettre que l'affaire n'aurait sans doute pas éclaté si les aides avaient été ponctuelles, temporaires. Quand une aide s'installe pendant quinze ans, elle change de nature et devient une vraie distorsion de concurrence. Beaucoup de crises actuelles viennent de cette inertie, de cette absence de décision quand il était temps de les prendre.

Sommes-nous les seuls à avoir agi ainsi ? Il est impossible de savoir si d'autres États ont procédé de la même manière. Ce qui est certain c'est que si d'autres l'ont fait, ils l'ont fait moins longtemps. On observera aussi que l'affaire a éclaté sur dénonciation d'un producteur français et non d'un opérateur d'un autre État membre.

L'attitude de la Commission est assez ambigüe. La Commission était-elle au courant ? C'est l'un des arguments des plaideurs français, et il faut reconnaître que cet argument est systématiquement évoqué par ceux qui ont été proches du dossier. Il paraît peu probable que la Commission n'ait rien su pendant 10, 12 ans. On ne peut exclure qu'elle ait fermé les yeux. Tout a pris un tour différent avec la plainte anonyme.

Mais la Commission n'a pas voulu trop gêner la France sur un sujet embarrassant. On pourra relever par exemple que sa décision date du 28 janvier 2009, après la présidence française. Le ministre français, de son côté, ne pouvait pas faire autrement que de dire qu'il allait faire procéder au remboursement, après réexamen du montant des aides concernées. Personne ne s'est engagé sur un chiffre mais on peut raisonnablement penser que, compte tenu des difficultés évoquées, le montant final retenu sera très sérieusement revu à la baisse. On peut espérer moins de 200 millions d'euros. La tempête médiatique a été excessive. Seules les OP sont concernées, qui ne recouvrent que 60 % des producteurs. Tous les producteurs ne sont donc pas concernés par cette affaire.

Affecte-t-elle nos relations avec les autres États membres ? On aurait pu le craindre. Ce n'est pas le cas. Seule la presse britannique, toujours très vigilante sur les questions agricoles comme on le sait, a rendu compte de cette affaire. Au niveau européen, il ne s'agit apparemment que d'une péripétie secondaire. Certes, cette évocation de concurrence déloyale n'est guère opportune dans le contexte de la préparation du grand débat sur la PAC de l'après-2013, mais le ministre a pris soin de désamorcer l'affaire.

Le nouveau ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche a gardé certains réflexes de l'ancien secrétaire d'État aux affaires européennes. En l'espèce, il a su anticiper les négociations à venir, tant sur le lait que sur la PAC en général, en affichant son souci de légitimité et de respect des institutions.

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

C'est très important. Pour négocier, il faut être crédible.

M. Jean Bizet :

La négociation de la PAC de l'après 2013 et du budget agricole dans le prochain cadre financier pluriannuel 2013-2020 sera très difficile. Le ministre que j'ai rencontré ce matin avec une dizaine de parlementaires appelés à suivre la loi de modernisation agricole n'a pas fait mystère que cette négociation s'inscrit dans un contexte particulièrement tendu puisque toutes les filières sont en crise. Le débat sur le modèle agricole entre l'agriculture traditionnelle et l'agriculture productiviste est presque derrière nous. Seule l'agriculture qui produira et vendra restera présente sur le marché. Une autre difficulté vient de la division profonde du monde agricole. La recherche d'un consensus entre familles syndicales est pratiquement impossible. Cela constitue un handicap pour la contractualisation. Elle peut, cependant, être atténuée par la régionalisation car, si l'on raisonne localement, les solidarités apparaissent. Les zones de montagnes paraissent plutôt à l'abri par leur spécialisation sur des produits à haute valeur ajoutée. Mais il faut reconnaître que certaines régions paraissent très fragiles et seront victimes des restructurations inéluctables. Ces restructurations se feront aussi bien au niveau des producteurs que des transformateurs.

Il ne faut pas oublier que beaucoup de produits laitiers sont encore protégés par des droits de douane, jusqu'à 230 % ! Quand cette barrière sautera, sous la pression de l'Organisation mondiale du commerce, beaucoup seront alors dans une extrême vulnérabilité.

Les restructurations sont inévitables. Les choix humains sont douloureux, mais s'ils ne sont pas faits, le marché les fera pour eux. Comme on l'a vu dans cet exemple des fruits et légumes, la France recule tant qu'elle peut, jusqu'à ce que la réforme s'impose. La France ne pourra pas repousser les échéances. Les crises actuelles et les enjeux annoncés donnent le signal.

Mme Alima Boumediene-Thiery :

La question agricole est aujourd'hui très liée à l'équilibre des territoires, à l'environnement. Ces deux aspects ne doivent pas être occultés des réflexions sur la PAC de l'après 2013.

M. Jean Bizet :

Après des dérives incontestables, le monde agricole est de plus en plus sensible aux conséquences environnementales des productions agricoles. Les corrections sont en place.

M. Hubert Haenel :

Pour revenir à l'affaire des fruits et légumes, je relève qu'il y a eu à la fois beaucoup de confusion et de dérive médiatique. La critique jaillit à la moindre péripétie, témoignant du fait que la sensibilité de l'opinion sur les questions européennes est à fleur de peau. Ce décalage entre le réel et le ressenti nous impose plus que jamais cet effort de pédagogie européenne.


* (1) Cet échange de lettres a été publié dans les Actualités de la commission des affaires européennes, n° 13, pages 67 à 72.