Réunion de la commission des affaires européennes du mardi 14 octobre 2008


Table des matières

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Institutions européennes

Débat préalable au Conseil européen des 15 et 16 octobre 2008

M. Hubert Haenel :

Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la conférence des présidents a décidé - c'est la quatrième fois - que l'échange que nous allons avoir avec M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État chargé des affaires européennes, aurait lieu sous la forme d'une réunion de la commission des affaires européennes ouverte à tous les sénateurs, au public et à la presse.

Cette formule, certains d'entre vous l'ont souligné, est plus interactive que les débats que nous avions dans l'hémicycle et au cours desquels chacun d'entre vous ne pouvait prendre la parole que dans le cadre du temps qui était octroyé à son groupe. Comme pour les séances publiques dans l'hémicycle, ce débat fera l'objet d'un compte rendu intégral qui sera publié au Journal officiel et d'une retransmission en direct sur la chaîne Public Sénat.

M. le secrétaire d'État, qui nous accorde environ deux heures, va tout d'abord faire une déclaration, puis il répondra aux questions qui lui seront posées. S'il reste du temps, vous pourrez, mes chers collègues, si vous l'estimez nécessaire, relancer le débat sur votre première question ou en poser une autre. C'est l'avantage de la formule d'aujourd'hui ! Cela n'est pas possible lorsque nous nous réunissons dans l'hémicycle, le règlement ne le permettant pas.

Monsieur le secrétaire d'État, nous sommes, comme toujours, très heureux de vous retrouver, après un été qui a été riche en événements. Après le référendum irlandais sur le traité de Lisbonne et à peine sortis de la crise en Géorgie, nous voilà en pleine crise financière. D'une certaine manière, on peut dire que nous vivons une leçon d'Europe. On pensait que la présidence française allait s'écouler tranquillement, traitant des questions programmées telles que l'immigration. Certes, elles ne sont pas « gommées » pour autant, car il faudra bien les régler un jour, mais nous devons aujourd'hui faire face à la crise financière. Ces derniers jours, nous avons assisté à la mise en place « à chaud » d'une gouvernance européenne. Monsieur le secrétaire d'État, vous me direz si vous partagez ce sentiment.

La Banque centrale européenne ne s'est pas laissé enfermer dans une conception dogmatique de sa mission. Elle a assuré le refinancement des systèmes bancaires ; elle s'est associée à la concertation organisée par la présidence française, puis elle a participé à une baisse coordonnée des taux d'intérêt.

La coordination entre les États membres a pour le moins été difficile à mettre en oeuvre. Les positions changeaient tous les jours, mais l'on progressait chaque fois. Le rapprochement des positions a pris du temps. Il est vrai que les États membres ne sont pas tous dans la même situation. Il en est ainsi pour le prix de l'immobilier, par exemple. De même, le fonctionnement des systèmes bancaires est sensiblement différent d'un pays à l'autre. Par exemple, les banques britanniques et les banques italiennes sont des mondes très différents. Il ne peut donc y avoir de solution parfaitement standard pour tirer les pays membres de l'ornière. Les difficultés de la coordination ont eu un avantage : la réponse européenne était plus « mûrie », en quelque sorte, que le plan Paulson et bon nombre d'économistes la jugent d'ailleurs mieux ciblée, mieux conçue que la réponse américaine. Vous nous direz, Monsieur le secrétaire d'État, si vous partagez ce point de vue.

Les résultats de la nouvelle gouvernance européenne sont d'ores et déjà positifs ; mais nous ne sommes pas pour autant tirés d'affaire puisque ce sont maintenant les conséquences économiques de la crise financière qui se font sentir et qu'il va falloir gérer au mieux. Une autre leçon à tirer, me semble-t-il, est que nous devons poursuivre l'approfondissement politique de la construction européenne. Nous avons besoin d'une Europe plus solidaire et au sein de laquelle, en cas de crise, le réflexe soit l'action commune. Cela signifie que l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne doit rester notre objectif à atteindre dès que possible. Ce traité aurait été bien nécessaire pendant cette crise ! Peut-être pourrions nous dire à nos amis irlandais de faire un effort de leur côté pour aller un peu plus vite, afin que ce traité soit enfin ratifié par les vingt-sept pays de l'Union !

Cette crise ne durera pas éternellement. C'est la responsabilité des dirigeants européens de faire en sorte que l'Europe en ressorte un jour plus soudée. J'espère que le Conseil européen, dont l'ordre du jour prévu au mois de juillet a été totalement bouleversé, marquera une volonté commune d'aller dans ce sens, car d'autres problèmes demeurent !

M. Jean-Pierre Jouyet :

En premier lieu, je souhaite féliciter à nouveau mon ami Hubert Haenel pour son élection triomphale à la tête de cette nouvelle commission des affaires européennes du Sénat. Je suis heureux que la délégation du Sénat pour l'Union européenne ait été transformée en commission des affaires européennes.

M. Hubert Haenel :

Monsieur le secrétaire d'État, c'est vous-même qui, au départ, avez lancé l'idée d'abandonner le jargon de « délégation » pour le vocable « commission ». Sur ce point, nous vous devons beaucoup !

M. Jean-Pierre Jouyet :

Je considère que c'est un progrès et je m'en réjouis !

Je suis aussi heureux de poursuivre le travail, toujours de très bonne qualité, avec tous les membres de la commission et je tiens à saluer ici les sénateurs qui ont choisi d'en devenir membre ; j'apprécie leur choix.

Comme vous l'avez dit, la présidence française ne se déroulera pas conformément à ce qui était prévu, puisqu'elle est devenue une présidence de gestion de crise. Elle maintient toutefois ses priorités d'actions, lesquelles permettent, dans certains cas, de répondre aux éléments de crise que nous connaissons et que vous avez rappelés, Monsieur le président.

Il s'agit d'abord d'une crise internationale avec la guerre entre la Russie et la Géorgie, ensuite d'une crise institutionnelle avec le « non » au référendum irlandais, d'une crise économique et financière aussi et, enfin, il ne faut pas l'oublier, d'une crise des matières premières alimentaires et énergétiques ; on aurait tort de passer cette dernière crise au second plan.

Le Conseil européen, qui se réunira les 15 et 16 octobre, abordera ces différents éléments de crise sous des angles divers et traitera de ce qu'étaient les priorités de la présidence française. Je vais m'employer à vous les décrire aussi brièvement que possible.

La première priorité du Conseil européen est la situation économique et financière. La semaine dernière, la crise de confiance s'est aggravée sur les marchés et dans le secteur financier. Sous l'impulsion du Président de la République, ce week-end a de nouveau été l'occasion d'une très forte mobilisation des Européens. Les différents chefs d'État et de Gouvernement de l'Eurogroupe se sont réunis dimanche, à la suite d'une première réunion des membres européens du G7 le 4 octobre et d'une réunion multilatérale du G7 à Washington avec les ministres de l'économie et des finances en marge des assemblées du Fonds monétaire international, le FMI. Il est important de souligner l'accord unanime entre les quinze États membres de l'Eurogroupe sur la nécessité d'une concertation étroite dans la gestion, par chaque État membre, des retombées de la crise sur son propre système financier. Vous le savez maintenant, parce que ces mesures ont été largement décrites ; je vous les rappelle néanmoins.

La première mesure est la garantie publique des nouveaux prêts interbancaires à moyen terme, afin d'assurer la liquidité du secteur financier, en complément de l'action de la Banque centrale européenne, la BCE, laquelle ne pouvant plus faire face, seule, à la demande de liquidité des banques devait trouver un partage de responsabilités financières avec les États membres. La crise des liquidités, au jour le jour, voire pour certains établissements heure par heure, était le principal noeud du problème. Les établissements ne se prêtaient plus entre eux. Voilà pourquoi cette méthode a été choisie

La deuxième mesure est la recapitalisation, si nécessaire, des établissements financiers par l'État. Cela a déjà été fait en France et également dans d'autres États membres hier, notamment en Allemagne et au Royaume-Uni.

La troisième mesure est la nécessité d'un assouplissement des normes comptables, afin que celles-ci correspondent mieux aux exigences de stabilité financière. Il y a eu un phénomène aggravant à la crise : les normes dites de marché. Selon ces normes, vous devez chaque trimestre comptabiliser vos actifs à la valeur des marchés, donc en fonction des variations de bourse, et cela quelle que soit la valorisation exacte du patrimoine de l'institution financière ou des créances que vous pouvez posséder. Il y a là, à mon avis, une réflexion urgente à mener.

La quatrième mesure est la création d'un comité de crise européen pour une coordination en temps réel plus étroite entre les Européens. Cela est important compte tenu de ce qui s'est passé ces dernières semaines et des critiques émises à l'encontre de certains États. Je pense notamment à l'Irlande, qui, après avoir accordé dès le départ des garanties illimitées sur les dépôts dans les banques, a pensé qu'elle avait peut-être fait une erreur dans ce domaine en allant trop loin, mais elle ne savait pas à qui s'adresser. Il est donc important qu'il y ait un comité de crise. Il appartiendra demain au Conseil européen d'apporter des précisions à cet égard. Ce comité de crise doit comporter un échelon technique et un échelon politique. D'un point de vue technique, ce comité reposera, premièrement, sur le président du Comité économique et financier, qui est à l'heure actuelle le directeur du Trésor français ; deuxièmement, sur le président de l'Eurogroupe ou son représentant ; troisièmement, sur le président de la Banque centrale européenne ou son représentant ; quatrièmement, sur le représentant de la présidence de l'Union européenne. Ce comité aura pour mission d'assurer une veille du système financier, afin de pouvoir apprécier le caractère systémique des difficultés des établissements financiers des États membres. Soit les membres du comité parviendront à se mettre d'accord sur les règles techniques qui leur permettront d'avancer, soit ils seront face à un problème politique et une rencontre sera organisée entre le président du Conseil de l'Union européenne, le président de l'Eurogroupe, le président de la Banque centrale européenne, le président du Comité économique et financier et le président de la Commission européenne. Un tel système de gestion de crise faisait défaut jusqu'à présent.

Il s'agit donc d'un engagement très fort de l'ensemble des États membres, qui auront engagé près de 1 900 milliards d'euros au total afin de consolider le système financier européen, de restaurer les conditions normales de financement de l'économie, des ménages et des entreprises et d'éviter une crise plus grave encore. L'ensemble des conditions de financement de l'économie étaient en jeu, ce qui explique l'importance de la réponse qui a été apportée. Ce plan peut être qualifié de généreux. En contrepartie, il doit impliquer des contrôles stricts en termes de régulation du système financier. Il faut revoir les ratios de capitaux propres par rapport aux crédits pouvant être engagés par les établissements financiers. Il faut prévoir des mécanismes de régulation visant à accroître la transparence des crédits et de l'action des établissements financiers et à assurer une plus grande séparation entre leurs activités de crédit traditionnelles, leurs activités de banque d'affaires et les activités à court terme ou les activités spéculatives. Enfin, il faut bien évidemment repenser l'encadrement des rémunérations des dirigeants tant les systèmes de bonus, de stock-options et de parachutes dorés se sont révélés inadaptés dans les circonstances que nous venons de connaître. Le Conseil européen ne résoudra pas tous ces problèmes. Il lui appartiendra tout d'abord de récapituler les mesures d'urgence qui ont été prises par les Vingt-sept dans la zone euro.

Par ailleurs, nous attendons de la Commission européenne qu'elle engage des travaux approfondis sur la révision des normes comptables, sujet difficile, mais important, et qu'elle fasse des propositions concrètes. Les normes de garantie doivent être définies à vingt-sept. Ayant assisté au conseil des ministres des affaires étrangères hier et à la préparation du Conseil européen, j'ai été frappé de constater que les mesures qui avaient été décidées dimanche soir à quinze, en liaison étroite avec le Royaume-Uni, n'ont pas soulevé, à une exception près, de difficultés de la part des autres États membres, conscients du caractère systémique de la crise. Ce n'est pas le moindre des progrès que d'avoir vu la zone euro travailler étroitement avec le Royaume-Uni.

En ces circonstances exceptionnelles, le Conseil européen doit également confirmer la nécessité de faire preuve de souplesse dans l'application des règles communautaires relatives aux aides d'État et aux dispositions du Pacte de stabilité et de croissance. Bien évidemment, les différents plans vont peser sur la dette publique en France, mais aussi dans les autres pays. Les effets de ces plans sur le déficit peuvent être considérés comme à peu près neutres à moyen terme.

D'un point de vue politique, la crise aura montré que la concertation européenne est devenue une réalité concrète. Ceux qui souhaitaient une coordination économique ou un gouvernement économique dans la zone euro ont vu s'instaurer un dialogue direct entre la Banque centrale européenne et les principaux États membres, ainsi qu'une coordination très forte entre États membres. Dans une situation institutionnelle différente de celle des États-Unis - l'Europe n'est pas un État fédéral -, nous sommes parvenus à un plan concerté qui, à la suite des mesures décidées à l'échelon international, a redonné jusqu'à présent aux marchés une confiance plus grande que celle que le plan américain avait inspirée il y a une dizaine de jours, si l'on en juge d'après les résultats de l'ensemble des places financières hier, y compris en Asie cette nuit et en Europe ce matin. L'essentiel est que les Européens aient montré qu'ils étaient capables d'agir ensemble, de prendre leurs responsabilités, et ce aux côtés de la Banque centrale européenne. Il s'agit là d'une manifestation forte des Européens de la zone euro, en concertation étroite avec le Royaume-Uni. Le Conseil européen devra faire en sorte de soutenir ces mesures.

Nous devons aller plus loin, mais dans un contexte politique difficile. Il faut attendre les élections américaines avant d'engager les travaux nécessaires sur le renforcement de la régulation, notamment à l'échelon international, et de réunir le G8, élargi à plusieurs grands pays émergents, qui ont également été victimes de la crise financière. On oublie que cette crise touche aussi la Chine, l'Australie et même les États du Golfe, ainsi que la Russie, c'est-à-dire tous les États qui ont des fonds souverains. Certes, ayant des fonds souverains, ces États sont plus que nous habitués à intervenir, mais avouez que voir les États du Golfe eux aussi nationaliser un certain nombre d'établissements bancaires et financiers est un retournement de l'histoire récente ! Une concertation internationale aura donc lieu dans le courant du mois de novembre, après les élections américaines.

Le Conseil européen doit également veiller aux conséquences de la crise sur l'économie réelle. Il devra confirmer l'engagement de la Banque européenne d'investissement, à hauteur de 30 milliards d'euros, visant à accroître sensiblement les financements en direction des PME, qui ont été les premières victimes de la contraction et du renchérissement du coût du crédit. Cette réponse européenne montre que, conformément aux thèses françaises qu'ont exprimées les différents gouvernements, quelle que soit leur sensibilité, une zone euro était nécessaire et qu'elle fonctionne lorsque les États font preuve d'une véritable coordination économique et financière. Elle montre une nouvelle fois que l'instabilité financière se traduit toujours par une intervention massive des États comme garants, en dernier ressort, du retour de la confiance. Ce n'est pas, là non plus, une nouveauté historique. En France, depuis Philippe le Bel - et même avant ! -, le crédit public reste l'un des premiers attributs de la souveraineté de l'État. Le rôle crucial des États rend légitime une intervention forte des pouvoirs publics pour surveiller, réglementer le secteur financier, encadrer les rémunérations et prévenir les risques. C'est pour l'avoir trop oublié que nous devons aujourd'hui intervenir massivement et dans l'urgence. Nous souhaitons donc que le Conseil européen adresse un message fort sur l'action à moyen terme visant à prévenir de nouvelles crises. Cela passera par une meilleure réglementation, une plus grande surveillance et des limites plus fortes à la prise de risques. Pour ceux qui, comme moi, sont favorables à une régulation financière, cette crise permettra d'assainir une situation qui, compte tenu du poids de l'endettement public et privé, n'était plus soutenable, comme cela a été beaucoup dit, notamment par le président de la Banque centrale européenne.

La deuxième priorité du Conseil est le paquet énergie-climat. Le Conseil européen, sous l'impulsion déterminante de la présidence allemande, avait pris en mars 2007 des engagements ambitieux en faveur de l'environnement. La Commission européenne a présenté ses quatre propositions législatives en janvier dernier : leur examen, par le Conseil et le Parlement européen, est entré dans une phase décisive - des accords sont intervenus au Parlement européen, notamment sur les énergies renouvelables - afin de parvenir à un accord d'ici à la fin de l'année. Cet objectif est une priorité forte de la présidence française.

La crise rend encore plus urgente la nécessité de nous interroger sur notre mode de développement, qui repose trop sur une dominante financière par rapport à l'économie réelle, ne prend pas assez en compte la rareté des ressources et doit donc être révisé. Pour ces raisons, les travaux de l'Union européenne doivent s'inscrire assez rapidement dans la perspective de la négociation internationale du régime post-Kyoto. Nous devons être prêts et en position de force pour les deux rendez-vous de Poznañ en décembre 2008 et de Copenhague à la fin de l'année 2009.

Nous devons également tenir compte du ralentissement économique. Les derniers chiffres, selon la Banque de France, montrent que nous sommes entrés en récession au troisième trimestre, après avoir enregistré un taux de croissance négatif au deuxième trimestre. Le contexte actuel de ralentissement économique tend à exacerber les préoccupations de certains de nos partenaires comme de nos industries. Nous devons ensemble répondre à ces inquiétudes.

D'une part, il nous faut donc trouver des flexibilités pour les secteurs à haute intensité énergétique, ceux qui consomment le plus d'énergie et qui, quels que soient leurs efforts pour réduire leurs émissions de CO2, continueront à en consommer, sauf s'ils se délocalisaient, ce qui serait une conséquence dramatique pour l'activité et pour l'environnement. D'autre part, il nous faut trouver des flexibilités pour les pays dont les économies sont les plus carbonées. Je pense en particulier à la Pologne, dont l'économie est très axée sur le charbon. Nous devons également apporter une réponse à la situation des pays d'Europe centrale et orientale totalement dépendants de la Russie. Ces pays devront choisir entre supporter un coût très élevé pour s'adapter aux nouvelles normes environnementales ou rester dépendants de la Russie.

J'en viens au troisième aspect du paquet climat-énergie, qui doit être conforté par des mesures importantes en termes de sécurité énergétique. C'est la raison pour laquelle le Conseil européen examinera la question de la sécurité de l'approvisionnement en énergie pour en faire une priorité de l'Union européenne. L'Europe de l'énergie n'existe pas - c'est d'ailleurs l'un des grands manques de l'Union européenne - et il faut aujourd'hui, dans ce domaine également, bâtir dans l'urgence l'Europe de l'énergie, compte tenu de nos relations avec la Russie et du contexte économique.

Un accord sur le paquet relatif au marché intérieur de l'électricité et du gaz est récemment intervenu au sein du Conseil européen. Il nous faut désormais accélérer la mise en oeuvre d'un plan d'action européen sur l'efficacité énergétique. Il faut poursuivre avec détermination la diversification des sources d'énergie, promouvoir un meilleur fonctionnement des marchés permettant une plus grande transparence des stocks et l'échange d'informations sur les besoins et les ressources à long terme, établir un mécanisme de crise pour faire face aux ruptures temporaires d'approvisionnement dans les différents pays, mettre en place une plus grande solidarité énergétique entre les États membres, enfin, renforcer les réseaux transeuropéens de transport de l'électricité et du gaz, c'est-à-dire les interconnexions entre l'est et l'ouest et le nord et le sud, et trouver des routes de transport, notamment en matière gazière, qui nous rendent moins dépendants non seulement de la Russie, mais aussi d'autres pays, notamment l'Iran.

La troisième priorité du Conseil européen sera le traité de Lisbonne. Lors de son entretien avec le Président de la République à Paris le 1er octobre dernier, le Premier ministre irlandais, Brian Cowen, a confirmé qu'il présenterait au Conseil européen du 15 octobre l'étude commandée par le gouvernement irlandais sur l'analyse des motivations ayant conduit au référendum du 12 juin dernier et les conclusions qu'il en tire. Il a également annoncé la constitution d'une commission parlementaire ad hoc dont les travaux devront nourrir, d'ici au 25 novembre prochain, les réflexions du gouvernement irlandais.

Le ministre des affaires étrangères, Micheal Martin, a annoncé publiquement que l'Irlande soumettrait au Conseil européen qui se tiendra en décembre prochain les propositions parlementaires et les réflexions du gouvernement irlandais, c'est-à-dire des propositions de dérogation aux règles du traité de Lisbonne. Nous espérons que ces réflexions transpartisanes permettront de trouver un cadre d'accord politique avec l'Irlande, une feuille de route et un agenda visant à mettre en oeuvre le traité de Lisbonne.

D'ici à cette date, vingt-cinq au moins des vingt-sept pays de l'Union européenne auront ratifié le traité de Lisbonne. Le vingt-sixième État, la République tchèque, devrait le faire après le congrès de son parti majoritaire qui devrait avoir lieu les 6 et 7 décembre. Comme vous pouvez le constater, nous suivons de près les politiques intérieures des différents États membres. Selon les autorités tchèques, la ratification interviendrait avant la fin de l'année 2008 ou au tout début de l'année 2009.

J'attire votre attention sur le fait que les Tchèques devront assumer la prochaine présidence de l'Union européenne. S'ils n'avaient pas ratifié le traité de Lisbonne à cette date, cela aurait bien sûr un certain nombre de conséquences sur le déroulement de leur présidence. Comme l'a souligné Hubert Haenel, les crises que nous avons vécues ont montré la nécessité d'avoir, quelles que soient les imperfections de ce traité, un cadre de concertation et de décision plus efficace, et, surtout, des règles de continuité et de séparation des pouvoirs clarifiées. L'important, c'est d'assurer, au niveau européen, face à la crise financière ou à la crise entre la Russie et la Géorgie, une certaine continuité entre les différents responsables.

La quatrième priorité du Conseil européen concerne le pacte européen sur l'immigration et l'asile, dont nous avons déjà débattu. L'Europe est aujourd'hui la première destination des migrants internationaux. C'est un phénomène durable, qui doit rester une opportunité pour l'Europe, compte tenu de sa situation démographique, pour les pays d'origine et, surtout, pour les migrants eux-mêmes. Cela suppose de donner une impulsion nouvelle à la politique migratoire européenne, en concertation avec les pays d'origine.

C'est tout le sens du pacte européen sur l'immigration et l'asile, qui s'inscrit pleinement dans le cadre équilibré de l'approche globale des migrations mise en oeuvre au niveau européen depuis 2005. Ce document fixe des orientations ambitieuses pour l'avenir, afin de progresser vers une véritable politique migratoire commune. Il embrasse l'ensemble des volets de la gestion des flux migratoires : il s'agit non seulement de la lutte contre l'immigration illégale et du contrôle des frontières, nécessaire avec l'élargissement de l'espace Schengen, puisque nous sommes passés de vingt-trois à vingt-sept États membres, mais également de nouveaux champs tels que les migrations économiques, l'harmonisation réelle de l'asile et le développement et le codéveloppement des pays d'origine.

J'évoquerai un dernier point, qui se réfère à la crise, toujours en cours, que nous avons dû affronter cet été. Le Conseil européen évaluera le respect par la Russie de ses obligations au titre de la mise en oeuvre des accords des 12 août et 8 septembre derniers sur le retrait de ses troupes, mise en oeuvre qui conditionne la reprise des contacts sur le futur accord de partenariat entre la Russie et l'Union européenne. Le Conseil européen qui se tiendra demain devra voir si les conditions sont remplies pour que les négociations sur ce partenariat puissent reprendre. Pour être tout à fait clair, la question du partenariat et des négociations qui s'y attachent est indépendante de l'évaluation des relations entre l'Union européenne et la Russie, qui, en tout état de cause, fera l'objet du sommet prévu à Nice le 14 novembre prochain.

Dans le même temps, l'Union européenne est déterminée à continuer de soutenir ses voisins orientaux dans leurs efforts de modernisation économique et démocratique. Je rappelle à cet égard l'importance des résultats du sommet qui a eu lieu à Paris entre l'Union européenne et l'Ukraine. Ils représentent une avancée sans précédent pour la relation de l'Union européenne avec ce pays, à qui nous offrons un partenariat dans des conditions privilégiées. Dans le même esprit, le Conseil européen appellera au renforcement des relations entre l'Union européenne et la Moldavie à travers un nouvel accord spécifique à ce pays permettant, si les prochaines élections se déroulent bien, son association à diverses politiques de l'Union européenne.

Les perspectives européennes des pays balkaniques devront être confortées. La présidence française fera tout pour aider la Serbie à conclure l'accord de stabilisation et d'association et pour donner au gouvernement serbe pro-européen les perspectives qu'il est légitimement en droit d'attendre. Nous poursuivrons également les négociations avec la Croatie.

Enfin, des propositions sur un futur partenariat oriental de l'Union européenne seront examinées.

Telles sont les ambitions du Conseil européen qui se tiendra demain et après-demain.

Mme Nicole Bricq :

Au nom du groupe socialiste, je regrette, Monsieur le président de la commission, que ce débat n'ait pas revêtu un caractère solennel au sein de l'hémicycle, alors que nous sommes dans un contexte extraordinaire.

J'évoquerai rapidement le pacte européen sur l'immigration et l'asile, qui est à l'ordre du jour du Conseil européen avant de consacrer l'essentiel de mon intervention à la crise financière, aux mesures urgentes qui ont été prises et, surtout, aux suites qu'il conviendra de leur donner.

Tout d'abord, nous nous interrogeons sur l'intérêt du pacte européen sur l'immigration et l'asile. Les cinq volets du texte figuraient déjà dans le programme de La Haye approuvé en 2004 par les États membres. On constate que toute perspective d'une position commune sur l'immigration légale est reportée sine die. Il aurait été plus simple de prendre des mesures concrètes qui facilitent la gestion quotidienne des demandes, vrai problème. L'absence de politique européenne, puisqu'on décide de s'en remettre aux États, fait douter de la capacité des États membres à s'entendre pour trouver des solutions européennes viables et cohérentes, mais surtout équitables et humaines, en matière d'immigration et d'asile. Nous considérons donc que ce pacte, qui met essentiellement l'accent sur le volet répressif, est insuffisant.

J'en viens à la crise financière. L'Eurogroupe a réagi dans l'urgence, après des atermoiements qui ont conduit non plus à un risque d'effondrement mais à un collapse de tous les moyens financiers nécessaires à la viabilité d'une économie de marché. D'un point de vue politique, je souligne l'initiative de Gordon Brown et la conviction dont il a fait preuve auprès du Président de la République française - alors que paradoxalement son pays ne fait pas partie de l'Eurogroupe ! -, suscitant le rapprochement avec l'Allemagne. Ce trio a pesé sur les propositions qui seront faites demain pour l'Union européenne. Les mesures qui ont été prises hier dans les pays de l'Eurogroupe montrent bien qu'il s'agit d'un plan d'action concerté. Je ne reviendrai pas sur son aspect technique, à savoir les garanties apportées et les recapitalisations.

Cela étant, les contreparties demandées sont différentes d'un pays à l'autre de l'Eurogroupe. Pour accéder aux fonds publics, bénéficier de la garantie de l'État, d'une recapitalisation, les banques et les établissements d'assurance et financiers se verront imposer, en France, des « contreparties éthiques », pour reprendre l'expression utilisée hier par le Président de la République. Je remarque que les contreparties exigées tant en Grande-Bretagne qu'en Allemagne sont beaucoup plus coercitives, concernant notamment la rémunération des dirigeants.

En France, Christine Lagarde a indiqué vouloir s'en remettre au code de bonne conduite élaboré par le MEDEF. Permettez-moi d'exprimer, mes chers collègues, un certain scepticisme. Selon moi, nous devrions plutôt passer par le véhicule législatif, à l'instar des Pays-Bas qui, dès le mois de septembre, ont montré l'exemple en adoptant des mesures assez draconiennes, notamment en augmentant la fiscalité sur les bonus des dirigeants. Ce qui est possible dans ce pays doit également l'être dans les autres États. Je pense que l'Union européenne devrait également agir dans ce sens, mais j'aurai l'occasion d'y revenir en abordant les propositions que le Parlement européen a récemment faites à la Commission.

À propos de la protection des ménages, très importante dans le contexte actuel, je voudrais rappeler que c'est la loi du 25 juin 1999 relative à l'épargne et à la sécurité financière - le Premier ministre était alors Lionel Jospin et le ministre de l'économie et des finances Dominique Strauss-Kahn - qui protège aujourd'hui les épargnants à hauteur de 70 000 euros. À l'époque, cette loi entendait répondre à la crise financière de 1997, aujourd'hui oubliée, mais qui contenait déjà les germes de la crise actuelle. Cette loi a ensuite été reprise par d'autres pays qui ont instauré, à des niveaux divers, une protection similaire.

Je voudrais évoquer l'action, très décriée, de la Banque centrale européenne. Avec un peu de recul, on constate que celle-ci a injecté des liquidités quand il le fallait, pour des sommes considérables, et qu'elle a finalement baissé ses taux. On peut certes penser qu'elle aurait dû le faire plus vite et plus fortement, mais cela relativise les débats que nous avons pu avoir sur son rôle.

Il faut aussi dire à nos concitoyens que, si nous avions été en dehors des traités européens, nous aurions été confrontés à des dévaluations et à un appauvrissement de l'ordre de 20 %. C'est difficile de le faire comprendre, mais c'est la réalité.

J'insisterai maintenant sur les suites de la crise et noter que, sur l'initiative de Poul Rasmussen, pour le parti socialiste européen, et de Klaus-Heiner Lehne, pour le parti populaire européen, le Parlement européen a voté à la majorité qualifiée une résolution qui, en vertu de l'article 192 du Traité CE, demande à la Commission de lui soumettre une ou deux propositions d'actes législatifs comportant des mesures pour l'après-crise, que je me permets d'énumérer, car elles sont méconnues en France. Il s'agit notamment d'encadrer les rémunérations, de contrôler les agences de notation, de réglementer l'activité des fonds spéculatifs - les hedge funds - et le capital-investissement, ou encore de renforcer les fonds propres pour toutes les sociétés, quel que soit leur statut. En effet, à côté des sociétés anonymes, il existe dans beaucoup de pays européens des sociétés en commandite et d'autres types de sociétés de personnes dont la transparence est insuffisante.

Sont également prévus la réintégration dans les bilans des banques de tout ou partie des produits titrisés, qui figurent actuellement hors bilan, et le développement de la supervision à l'échelle européenne qui, seule, est pertinente. Force est de constater que les superviseurs nationaux n'ont pas joué leur rôle. Certes, les banques n'ont pas été transparentes et ne le sont toujours pas. Il faut donc examiner ce problème pour la sortie de crise : il y a urgence à définir un cadre harmonisé au niveau européen, y compris sur l'existence persistante au sein de l'Union européenne de paradis fiscaux, ce qui n'est plus acceptable.

Néanmoins, compte tenu de la lenteur des procédures au niveau européen, la Commission ne doit pas trop tarder à soumettre des propositions législatives conformément à la résolution votée par le Parlement européen. La présidence française va-t-elle inciter la Commission à accélérer le rythme ? Nous ne pouvons que l'espérer, tant nous sommes convaincus que seule l'échelle européenne est pertinente.

D'ici là, rien n'empêche les législateurs nationaux d'agir, comme le prouve la législation hollandaise sur la rémunération des dirigeants, que j'ai évoquée précédemment. Il faut bien comprendre que la simple évocation de centaines de milliards d'euros, pour venir en aide à des établissements dont les dirigeants ont failli, est absolument intolérable aux yeux des citoyens.

Une fois l'urgence passée, il faudra s'attaquer à tous ces problèmes. Je précise néanmoins que, lors de la transposition, par le Sénat, des directives sur la sécurité financière élaborées par l'Union européenne, le groupe socialiste a souvent proposé des amendements sur ces sujets. Malheureusement, nous n'avons jamais été entendus par la majorité. C'est dommage, car la législation française aurait pu aujourd'hui servir d'exemple pour toute l'Union européenne.

Vous avez évoqué, Monsieur le secrétaire d'État, le débat ouvert sur les normes comptables européennes. La suspension des règles actuelles conduirait, me semble-t-il, à un débat interminable sur les normes de marché, comme vous l'avez rappelé. La comptabilité reste néanmoins un système d'information fort utile. Les banques ont pris des risques excessifs dans la dernière période, alors qu'elles disposaient de peu de capitaux : c'est la conséquence de l'effet de levier, qui a fortement pénalisé la finance.

Quand la tempête sera passée, il faudra certainement, dans un même mouvement, revoir les normes comptables et les règles prudentielles. À cet égard, la proposition faite dernièrement par Christine Lagarde, à savoir la clarification des normes de marché pour les entreprises à compter du 30 septembre 2008, se rapproche de celle qui a été avancée par les autorités allemandes, ce qui est déjà positif.

Enfin, il faudra réfléchir sur les produits financiers. Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain, mais s'interroger - et je le dis avec conviction, en tant que socialiste - sur la question de savoir pourquoi, aux États-Unis, on a inventé des produits financiers qui visaient, en premier lieu, à endetter des gens dont on savait pertinemment qu'ils n'étaient pas solvables, et pourquoi on les a ensuite titrisés afin d'éparpiller le risque.

J'ai, pour ma part, une explication : dans les vingt dernières années, la détérioration du rapport entre les revenus du capital et ceux du travail a été telle qu'il a fallu faire croire aux gens qu'ils s'enrichissaient parallèlement à la hausse des prix de l'immobilier. Inévitablement, la bulle a crevé, mais ce sont bien ces produits financiers qui ont entraîné la catastrophe.

C'est pourquoi les revendications relatives à l'emploi et au pouvoir d'achat ne me semblent pas déplacées. Tant qu'on ne rééquilibrera pas le rapport entre le capital et le travail, cette inventivité financière se poursuivra. Pour autant, ce serait dommage de jeter le bébé avec l'eau du bain, car nous avons besoin d'une finance solide.

Je terminerai mon intervention en abordant les conséquences de cette crise, tant sur les finances publiques que sur l'économie réelle.

Monsieur le secrétaire d'État, vous nous avez indiqué que le plan français n'entraînerait pas de dépenses nouvelles. La Commission a toutefois implicitement admis que l'élimination des déficits publics des pays de la zone euro à l'horizon 2010 serait difficile à atteindre.

Pour sa part, le Président de la République française avait, dès son élection, reporté cette échéance à 2012. Nous sommes certes dans des circonstances exceptionnelles. Cela étant, les perspectives de croissance sont telles - la Commission a encore réduit de moitié ses prévisions pour 2009 et, comme vous l'avez souligné, Monsieur le secrétaire d'État, la France est déjà entrée en récession - que la dette va inévitablement s'alourdir.

Les milliards d'euros consacrés à la recapitalisation des banques alourdiront nécessairement la dette et la charge de la dette. Par ailleurs, tous les pays ne sont pas égaux devant leurs finances publiques. Rappelons à cet égard que la France n'avait déjà plus de marge de manoeuvre. La crise va donc coûter très cher aux Français. Il faut avoir le courage de le dire, et je pense que les ministres français sont, à cet égard, très optimistes.

Pour finir, il faut regretter qu'aucun plan de soutien à l'économie, conçu à l'échelle européenne, n'ait été annoncé. Même si nous réamorçons la pompe du crédit, nous savons qu'il y aura des perdants parmi les entreprises et les ménages. C'est d'ailleurs déjà le cas. Il faut donc absolument un plan de soutien à l'économie.

L'Europe devrait sortir renforcée du Conseil européen des 15 et 16 octobre. Mais elle doit impérativement proposer un plan européen de soutien à l'économie. Elle joue là sa crédibilité auprès des peuples de l'Union européenne. Nous avons l'opportunité de revivifier l'idée européenne, et de laisser loin derrière les mauvaises querelles qui nous ont tant affectés en 2005.

Vous avez fait allusion, Monsieur le secrétaire d'État, aux modes de développement, qui doivent être radicalement réorientés. Michel Camdessus déclare aujourd'hui dans le journal Les Échos qu'il faut remettre l'économie dans le bon sens. Nous attendons de l'Europe qu'elle y contribue vigoureusement !

M. Yves Pozzo di Borgo :

Ce qui s'est passé sous cette présidence française est historique, passionnant et très positif pour l'Europe.

Pendant toute la deuxième moitié du XXè siècle, nous avons vécu dans une logique de guerre froide entre l'est et l'ouest, ainsi que sous le contrôle de la puissance américaine et du dollar. Les deux crises récentes, la crise géorgienne et la crise financière, ont révélé la maladresse des États-Unis. En revanche, la résolution de la crise a révélé une Europe unie, forte et active. Sans conteste, nous pouvons dire : Europe is back !

Dans cette affaire, nous pouvons également remercier le président Nicolas Sarkozy, qui s'est révélé être un grand président et un grand Européen. La présidence française pendant cette période aura été une chance historique.

Il faut profiter de cette période pour pousser notre avantage. Le travail en commun entre les Britanniques et la zone euro m'a agréablement surpris. Monsieur le secrétaire d'État - je m'adresse ici à l'inspecteur des finances, dont les compétences sont plus étendues que les miennes sur le sujet -, ne faut-il pas commencer à réfléchir à l'extension de la zone euro, au sein des vingt-sept pays européens tout d'abord, mais aussi au-delà ? Je pense plus particulièrement à la Russie.

Monsieur le président, j'ai apprécié que, l'an passé, vous demandiez à la délégation pour l'Union européenne de rédiger un rapport sur les relations entre la Russie et l'Union européenne, que j'ai présenté le jour même de l'investiture du Président de la République, le 10 mai 2007. J'ai été très fier de voir que le discours prononcé par Nicolas Sarkozy à Évian reprenait en grande partie les thèmes abordés dans ce rapport. Ce partenariat stratégique avec la Russie constitue l'un des paris essentiels de l'Europe. Il faut casser cette barrière mentale qui existe entre nous et à l'origine de laquelle nos opinions publiques respectives se regardent en chien de faïence. Elles n'ont pas encore compris que la guerre froide était terminée. Il est fondamental que, en dehors du partenariat stratégique sur l'énergie et les relations diplomatiques, nous multipliions les relations civiles entre la Russie et l'Union européenne : entre les chercheurs, les universités, les régions, etc.

La Russie est le pays auquel nous avons accordé le plus de visas en 2007, soit plus de 400 000. Ce sont autant de Russes qui, avides de connaître la France et, plus largement, l'Europe, sont venus visiter notre pays. Il est fondamental que nous abordions très rapidement cette question de la suppression des visas entre la Russie et l'Union européenne.

M. Michel Billout :

Participant pour la première fois aux travaux de la commission des affaires européennes, je regrette, comme notre collègue Nicole Bricq, les modalités d'organisation de ce débat décidées par la conférence des présidents.

Compte tenu des circonstances présentes, il aurait été souhaitable que ce débat préalable au Conseil européen se tienne dans l'hémicycle. Monsieur le président de la commission, même si vous considérez que la formule retenue offre une plus grande souplesse, symboliquement, le choix d'organiser ce débat dans ce « petit hémicycle » pourrait laisser accroire que, pour le Sénat, les questions européennes seraient devenues secondaires. C'est pourquoi le groupe CRC regrette vivement ce choix de la conférence des présidents.

Sur le fond, je formulerai des questions simples, que nous sommes une minorité à nous poser, et qui paraîtront peut-être à certains iconoclastes.

Monsieur le secrétaire d'État, la crise actuelle est-elle le simple dévoiement d'un système économique performant ou bien assiste-t-on à une remise en cause plus globale de ce système ? Pensez-vous réellement que le capitalisme puisse se réguler, voire être moralisé ?

À l'inverse, la crise financière mondiale ne doit-elle pas nous pousser à réorienter la construction européenne ?

Les sénateurs du groupe CRC estiment que les valeurs au coeur de la construction européenne, qui sont celles de la concurrence libre et non faussée et de la libéralisation de tous les secteurs de l'économie, conduisent mécaniquement à ce type de crise.

La crise que nous vivons n'est d'ailleurs pas la première. Dans les années 2000, le même genre de phénomène s'était produit après l'explosion de la bulle Internet. Il s'agit donc non pas seulement d'une crise de confiance, mais également d'une crise profonde du système économique lui-même, d'un système qui proscrit l'intervention de l'État, sous quelque forme que ce soit, qui abandonne à la main dite « invisible » du marché la régulation du système, qui place la course au profit comme unique objectif de développement.

Dans ce cadre, le traité de Lisbonne confirme la règle de la libre circulation des capitaux et de l'indépendance absolue de la Banque centrale européenne, dont la seule mission réside dans la lutte contre l'inflation et pour la stabilité des prix, indépendamment de toute politique sociale d'emploi et de développement.

Pourtant, la crise que nous connaissons confirme que les marchés financiers sont aujourd'hui complètement déconnectés de l'économie réelle, de l'économie de production. Tout cela conduit les tenants du libéralisme, défenseurs des privatisations en chaîne, à en appeler aujourd'hui aux États et à l'Europe pour répondre à cette grave faillite. Ce sont ainsi des sommes énormes que les États ont débloquées, notamment 65 milliards d'euros pour la seule Grande-Bretagne, temple du libéralisme, et ce alors même que les aides d'État sont prohibées par les traités. Ce n'est pas une mince contradiction !

Cette recapitalisation des banques, telle qu'elle a été proposée par l'Eurogroupe dimanche, et lancée hier par les États, démontre, s'il le fallait, que les caisses ne sont pas vides. Les États membres ont donc, je tiens à le souligner, les moyens de financer une autre politique européenne. On aurait pu en douter, ces derniers mois, en écoutant les discours d'austérité budgétaire de nos différents gouvernants.

Les décisions qui seront prises par les chefs d'État et de gouvernement lors du Conseil européen ne devront pas se résumer à de simples correctifs, comme ceux qu'a proposés la Commission européenne concernant l'encadrement des agences de notation, la modération salariale et la réforme des normes comptables. Quant au groupe de haut niveau qui a été créé au sein de la Commission pour réfléchir au système de surveillance des marchés financiers, il est confié aux plus zélés partisans de l'ultralibéralisme, notamment Charlie McCreevy.

Pour le groupe CRC, cette crise devrait au contraire inciter les institutions européennes à abandonner tous les mécanismes libéraux en faillite aujourd'hui : pacte de stabilité, marchandisation de l'ensemble des activités humaines, prohibition de toute aide d'État, indépendance de la Banque centrale européenne ; lorsque les banques sont en situation de faillite, il est très difficile de faire comprendre aux citoyens les bienfaits de l'indépendance de la Banque centrale européenne.

Le moment n'est donc pas venu de demander à l'Irlande comment elle pense contourner le vote de ses citoyens pour ratifier le traité de Lisbonne. Bien au contraire, il convient de lancer un véritable processus constituant démocratique pour une Europe fondée sur des valeurs de solidarité et de justice sociale. À défaut - je livre cet exemple, puisque ce point sera lui aussi à l'ordre du jour du Conseil -, les objectifs affichés en termes de sécurité énergétique et de développement durable resteront lettre morte. Sans maîtrise publique, et en laissant les prises de décision aux seuls investisseurs privés, le défi énergétique ne pourra pas être relevé, sauf à prévoir une augmentation toujours plus importante des prix des hydrocarbures, du gaz et de l'électricité.

Voici un an et demi, Marcel Deneux, Jean-Marc Pastor et moi-même étions rapporteurs de la mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver, laquelle a rendu un rapport intitulé Approvisionnement électrique : l'Europe sous tension. Ce rapport, dont les conclusions ont été adoptées à la quasi-unanimité, insistait sur la nécessité de renforcer la maîtrise publique du secteur énergétique. Nous n'avons pas le sentiment d'avoir été très écoutés, puisque, peu après, a eu lieu la fusion entre Gaz de France et Suez. L'actualité a remis cette question sur le devant de la scène avec beaucoup d'acuité.

Le groupe CRC formule donc des propositions pour réorienter la construction européenne.

Nous pensons qu'il faut procéder à une nationalisation pérenne des banques pour sortir de ce processus de privatisation des profits et de socialisation des pertes, ainsi que la démonstration vient encore une fois d'en être faite. À notre sens, il est hors de question que les citoyens payent pour les aventures spéculatives des banques et des sociétés d'assurance. C'est pourquoi chaque État devrait pouvoir compenser l'aide apportée à un établissement financier en péril par une nationalisation durable de ses actifs sains, en vue de travailler à la constitution d'un pôle financier public entièrement voué au financement d'investissements socialement utiles.

De plus, selon les propositions de l'Eurogroupe, les prêts interbancaires seraient garantis. Mais que fait-on de l'ensemble des déposants ? Leur épargne sera-t-elle également et suffisamment garantie ?

Nous proposons, en outre, qu'évoluent les rôles respectifs de la BCE et de la BEI, la Banque européenne d'investissement, pour répondre aux besoins de l'économie réelle.

Avant toute chose, une véritable réflexion sur la politique de titrisation, dont on connaît aujourd'hui les méandres, doit être entreprise. Il faut aider l'économie réelle par une nouvelle et ambitieuse politique du crédit.

Tout d'abord, la BEI devrait être chargée - et dotée des moyens adéquats pour ce faire - de garantir aux PME l'accès à tous les crédits dont elles ont besoin pour développer leurs productions, à condition qu'elles créent de vrais emplois, correctement rémunérés, et qu'elles respectent les droits de leurs salariés. À cet égard, la décision prise sur l'initiative de Gordon Brown d'aider les PME à hauteur de 30 milliards d'euros d'ici à trois ans est intéressante, mais très insuffisante.

Quant à la BCE, n'est-ce pas le moment de la soumettre au contrôle du Parlement européen, seul organe légitime, et d'adapter sa mission aux besoins vitaux de l'économie et de nos sociétés en orientant l'argent non plus vers les marchés financiers, mais vers l'économie réelle, notamment au moyen du crédit sélectif, en le rendant très cher s'il est destiné aux opérations financières et, à l'inverse, très accessible lorsqu'il favorise l'emploi, la formation et tous les investissements utiles ?

M. Jean-Pierre Chevènement :

J'ai écouté avec beaucoup d'attention, Monsieur le secrétaire d'État, votre exposé. Je précise que je n'interviendrai pas au nom du groupe du RDSE, qui est un groupe de libre expression, encore que nombre de mes collègues au sein de ce groupe, voire en dehors de celui-ci, eussent pu faire leurs ces interrogations. Mon propos portera sur deux points.

Le plan de lutte contre la crise financière a l'immense mérite d'exister. Il est bon qu'une capacité de réaction se soit manifestée au niveau de chaque État, certes sur un plan national, mais dans un cadre de cohérence européen, cohérence dont il faudra s'assurer de la réalité.

Plusieurs de nos collègues ont exprimé le souci que soient prévues des contreparties claires aux aides que l'État sera éventuellement conduit à apporter, s'agissant notamment des rémunérations des dirigeants et des participations qu'il pourrait prendre dans le capital de certaines banques. On peut aussi s'interroger sur le coût faramineux des garanties qui sont données au marché interbancaire : on ne trouve pas 300 milliards d'euros sous le sabot d'un cheval ! Quelles seront les répercussions de cette mesure ?

Monsieur le secrétaire d'État, dans une interview que vous avez accordée, le 3 octobre dernier, au journal Les Échos, vous avez eu l'immense mérite de signaler que l'Union européenne s'était d'ores et déjà placée en dehors des règles des traités relatives à la concurrence et aux aides d'État ; en effet, désormais, sous le régime de l'urgence, c'est non plus la Commission qui donne son accord, mais Mme Neelie Kroes. Toutefois, je me demande si on lui demande encore son avis...

Ainsi, toute une série de dispositions des traités européens sont brusquement devenues obsolètes. Il va de soi que, si ces garanties devaient être mobilisées, nous nous situerions en dehors des critères de Maastricht en matière de déficit et d'endettement.

Dans ces conditions, pourquoi un tel empressement à vouloir faire ratifier le traité de Lisbonne ? Il est clair que celui-ci est inapproprié à la conjoncture actuelle. Ainsi, son protocole n° 6 habilite la Commission à prendre des mesures pour faire respecter le principe de la concurrence libre et non faussée. Or, en l'espèce, la Commission s'est souvent trompée. Souvenons-nous de l'affaire Legrand-Schneider, ou encore de l'affaire Alstom, dans laquelle elle a opposé une résistance inutile durant près d'un an. Ses pouvoirs sont exorbitants. Les textes européens sont inadaptés s'agissant de cette crise majeure, qui, ne nous le cachons pas, sera longue.

Force est de constater que l'interventionnisme étatique prévaut non seulement en France, mais aussi en Grande-Bretagne, en Allemagne ou en Espagne. Ces interventions doivent être claires, transparentes, rigoureuses et doivent comporter des contreparties afin que les contribuables n'aient pas le sentiment d'être sollicités sans que, par ailleurs, l'État prenne des mesures pour s'assurer que cet argent ne servira pas à renflouer des banques et des personnes qui ont gravement fauté, qui ont pris part à un emballement qui trouve son origine, voici plusieurs décennies, dans le flottement des monnaies, la libération sans contrepartie des mouvements de capitaux et la tolérance à l'égard des paradis fiscaux, présents au coeur même de l'Europe. Tout cela vient de très loin !

Le traité de Lisbonne vise essentiellement à réduire le poids de la France par rapport à l'Allemagne, la première ne devant plus peser que les trois quarts de la seconde. Cette échéance est, certes, prévue pour 2014, mais 2014, c'est demain ! Est-ce bien judicieux à la lumière de certaines tensions qui, même s'il convient de ne pas les afficher, sont cependant bien réelles ? Le principe de l'égalité fondatrice, auquel nous étions toujours restés fidèles, remonte à 1951, aux termes d'une conversation entre Jean Monnet et le chancelier Adenauer. Le traité de Lisbonne y déroge définitivement. Les intérêts de la France et, au-delà, de l'Europe, justifient-ils une ratification urgente du traité de Lisbonne ? Le traité de Nice ne fonctionne finalement pas si mal et il a au moins de mérite de permettre des dérogations.

J'en viens à l'énergie. Les décisions qui ont été prises dans ce domaine vont trop dans le sens d'une simple concurrence sur le marché de l'énergie, alors que des problèmes majeurs subsistent. Ainsi en est-il de la sécurité de l'approvisionnement. En matière de gaz, nous avons le choix entre deux fournisseurs : la Russie et l'Iran. Comme l'a indiqué notre collègue Pozzo di Borgo, la Russie est celui qui présente le moins d'inconvénients. Néanmoins, la normalisation avec l'Iran et le Qatar, qui exploitent la même bulle de gaz, est souhaitable.

Le partenariat stratégique avec la Russie est, certes, une nécessité vitale, mais il nous met en porte-à-faux avec l'administration américaine par rapport à l'extension du MAP à la Géorgie et à l'Ukraine : l'adhésion de ces deux pays à l'OTAN constituera une source de tension très forte et risque de créer les conditions d'une nouvelle guerre froide.

Il est nécessaire de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Dans cette optique, il convient de maintenir notre partenariat avec la Russie et de normaliser nos relations avec l'Iran. En ce qui concerne les énergies renouvelables, il importe de nous interroger sur la compatibilité des objectifs fixés avec les autres engagements. S'il ne paraît pas excessif de vouloir que les biocarburants représentent 10 % de la consommation de carburant, force est de constater que les biocarburants de première génération comportent de nombreux inconvénients. Sans doute faudrait-il promouvoir des biocarburants de deuxième génération. Il convient également de privilégier la recherche sur l'énergie photovoltaïque par rapport aux éoliennes, lesquelles exigent des garanties très coûteuses. D'une manière générale, notre politique énergétique doit être plus cohérente. La concurrence et le marché n'ont pas à eux seuls vocation à résoudre tous les problèmes.

M. Pierre Bernard-Reymond :

Monsieur le secrétaire d'État, je me bornerai à vous poser deux questions.

La première concerne la gouvernance de l'Europe. Nous assistons, à l'évidence, à une présidence française de l'Union européenne exceptionnelle du fait d'événements importants et inattendus : l'échec du référendum irlandais, la situation en Géorgie, la crise financière. Cette gouvernance exceptionnelle a été assurée grâce au dynamisme et à la pertinence de l'action du Président de la République, en particulier pour ce qui est de la Géorgie et de la crise financière. Devant l'ampleur des événements, la gouvernance de l'Europe ne pouvait rester classique, d'où des réunions à géométrie variable, l'émergence - ou le retour - de l'Europe des cercles concentriques, l'obligation de prendre des libertés avec certaines règles communautaires. Première question, Monsieur le secrétaire d'État : quels enseignements en tirez-vous pour les trois derniers mois de la présidence française quant au fonctionnement des institutions, à la gouvernance future de l'Europe et à l'appréciation du traité de Lisbonne ?

Ma seconde question porte sur nos relations avec la Russie. Ne sommes-nous pas en train de courir le risque d'un retour à la guerre froide ? N'avons-nous pas trop perdu de vue la nécessité de construire avec ce pays un partenariat authentique, tout en faisant preuve de vigilance et de fermeté ? Par ailleurs, dans les événements que nous connaissons, les torts ne sont-ils pas partagés, qu'il s'agisse de l'indépendance du Kosovo, du bouclier antimissiles, de la candidature de certains pays pour entrer dans l'OTAN, de l'évocation, très prématurée, du statut de Sébastopol ? Voilà quelques initiatives qui peuvent réveiller ce que l'on appelle traditionnellement la fièvre obsidionale de la Russie.

Monsieur le secrétaire d'État, quelle appréciation portez-vous sur cette situation ? Ne pensez-vous pas que nous devons accomplir un double effort ? Tout d'abord, nos nouveaux partenaires de l'Union européenne, qui ont connu la période de l'URSS, s'inquiètent à juste titre et n'ont pas la même vision de ce que le continent européen pourrait tirer du partenariat entre l'Europe et la Russie. Ensuite, ne devrions-nous pas faire preuve d'une plus grande pédagogie à l'égard des États-Unis ? Leur vision de la Russie ne peut pas coïncider avec la nôtre, car nous n'appartenons pas au même continent, même si nous partageons la même philosophie politique. Notre diplomatie devrait réaliser un effort considérable pour expliquer à nos nouveaux partenaires de l'Union européenne, d'une part, et à nos alliés américains, d'autre part, qu'il existe, pour l'Europe, pour le continent européen au sens large, un autre avenir que celui d'un retour à la guerre froide.

M. Simon Sutour :

Monsieur le président, permettez-moi de m'associer au regret exprimé par certains de mes collègues que ce débat n'ait pas lieu dans l'hémicycle. Je considère en effet qu'une séance publique, en particulier dans les circonstances actuelles, aurait conféré une plus grande solennité à nos travaux. Fut un temps où les débats préalables au Conseil européen se tenaient en séance publique. Je regrette que tel ne soit plus le cas. Peut-être est-ce ponctuel. Peut-être y reviendrons-nous. En tout état de cause, la situation actuelle n'est pas satisfaisante.

J'en viens à ma question. Dans les circonstances présentes, l'application du paquet « énergie-climat » permettrait, au-delà de son efficacité énergétique, de relancer l'économie et les grands travaux européens. Monsieur le secrétaire d'État, comment allez-vous répondre aux tentations de certains États membres, l'Italie en particulier, de réviser à la baisse les ambitions du paquet « énergie-climat » et considérez-vous qu'il faille revoir ces ambitions ?

M. Jean Bizet :

Je souhaite tout d'abord vous livrer un commentaire.

Je me réjouis, moi aussi, de la réactivité de l'Europe et de l'action du Président en exercice de l'Union européenne. C'est d'autant plus méritoire que l'Europe n'est pas une structure fédérale. La notion de noyau dur, ou de cercles concentriques, a montré toute sa pertinence.

J'en viens à ma question. Très récemment, le Fonds monétaire international a envisagé de soutenir la Hongrie et les pays baltes, qui sont depuis peu soumis aux pressions de certains investisseurs. L'Eurogroupe et le Conseil envisagent-ils de se saisir de cette question si les économies des pays d'Europe centrale ou orientale venaient à entrer en turbulence et, dans l'affirmative, sous quelle forme ?

M. Marcel Deneux :

Monsieur le secrétaire d'État, les réseaux bancaires européens sont d'une nature très différente. Il est facile de dire que l'on va les unifier. Dans la pratique, ce sera moins simple. On a toujours une propension à raisonner en fonction de ce que l'on connaît bien, en l'occurrence le réseau français ; à l'échelle de l'Europe, c'est tout autre chose !

Il est des réformes qu'il faudra bien avoir le courage d'engager. La crise nous permettra peut-être d'y parvenir. Ainsi en est-il de la rémunération des dirigeants. Je dirai simplement, sans insister, que la France ne partage pas la conception de ses voisins sur ce sujet. Le statut actuel des agences de notation ne pourra pas demeurer en l'état. S'agissant des produits hors bilan, vous avez déploré, Monsieur le secrétaire d'État, que l'on n'ait pas encore fait grand-chose. Peut-être la crise nous donnera-t-elle l'occasion d'agir. Enfin, il est devenu évident que, désormais, la comptabilité est plus un art qu'une science exacte. Il faudra un jour le dire clairement afin que l'on ne se fasse pas d'illusion sur la manière de lire les bilans et de les interpréter. Il sera alors plus facile de raisonner. Je n'insisterai pas sur les banques, sauf à rappeler que l'aide aux entreprises passera par les canaux bancaires. Les relations des banques avec leurs clients relèveront de stratégies propres à chaque banque. La commission bancaire devra sans doute exercer un contrôle, Monsieur le secrétaire d'État, mais vous le savez du fait de vos anciennes fonctions.

Sur le paquet « énergie-climat », qui entre également dans le champ de vos compétences, je prépare une résolution qui sera prête d'ici trois à quatre semaines. Je tiens aujourd'hui à attirer votre attention sur l'importance qu'il faut attacher à la sécurité de l'approvisionnement en énergie. La situation de la France n'est pas la même pour toutes les énergies, mais elle est globalement satisfaisante. Certains de nos partenaires européens ne sont pas du tout dans la même position, et il faudra en tenir compte. Les aspects physiques et la connexion des réseaux revêtent une importance essentielle, et pas uniquement pour l'électricité. L'acheminement de l'énergie est un élément fondamental de la construction de l'Europe, même si le marché unique n'est pas pour demain. La France, tout comme l'Europe sans doute, aura du mal à atteindre ses objectifs en matière d'énergies renouvelables. Bien que de nouvelles difficultés apparaissent jour après jour, il importe de maintenir des objectifs ambitieux.

Enfin, mais vous n'en êtes pas responsable, Monsieur le secrétaire d'État, nous sommes en conflit avec la Commission sur le plan d'allocation des quotas, que nous appelons dans notre jargon le PNAQ. Nous en sommes au PNAQ II. Un accord ayant été trouvé le 31 août, ce conflit s'est apaisé. Néanmoins, la situation de certains secteurs industriels français reste insatisfaisante.

Dans les années qui viennent, la pratique des enchères par secteur industriel pourrait se développer. Il faut dès aujourd'hui amorcer une réflexion sur ce sujet.

Enfin, la France avait inscrit la préparation de la suite de la politique agricole commune dans ses objectifs européens. Or vous n'avez rien dit sur ce point, Monsieur le secrétaire d'État. Certes, il ne s'agit que de la préparation d'une réforme, mais, d'un point de vue psychologique, celle-ci revêt une grande importance. En outre, cela nous permettrait peut-être d'amorcer des évolutions techniques. Où en sommes-nous, Monsieur le secrétaire d'État ?

M. Hubert Haenel :

Mes chers collègues, plusieurs d'entre vous ont déploré la forme du débat qui a été retenue par la conférence des présidents, à savoir que celui-ci ait lieu dans ce qu'ils ont qualifié de « petit hémicycle ».

Il n'y a pas de petit ou de grand hémicycle ! La seule différence réside dans les dorures : la solennité et la publicité du débat sont exactement les mêmes puisque vos questions, dont je tiens à souligner la qualité et la densité, ainsi que les réponses qu'apportera M. le secrétaire d'État font l'objet d'un enregistrement télévisé et d'un compte rendu intégral qui sera publié au Journal officiel. C'est donc une expérimentation que nous sommes en train de conduire, et la prochaine réforme du règlement du Sénat sera l'occasion de soulever la question et de trouver la formule qui nous permettra d'avoir tous voix au chapitre, comme, je le pense, c'est le cas aujourd'hui.

M. Jean-Pierre Jouyet :

Madame Bricq, en matière d'immigration, il faut noter une nouveauté : la prise en compte des migrations économiques dans le cadre du pacte et la renonciation officielle à l'immigration zéro. Ce premier résultat est le fruit d'une réflexion s'inscrivant dans la continuité de ce qui a été amorcé en 2005. Autre nouveauté susceptible d'améliorer les situations concrètes : nous espérons bénéficier d'un bureau d'appui en ce qui concerne les demandes d'asile - qui, vous le savez, se font en ordre très dispersé - et parvenir à une convergence, selon les différentes catégories de personnes, en matière de taux d'acceptation de ces demandes. Si je prends l'exemple des Tchétchènes, puisque la question a été évoquée à propos de la Russie, ce taux varie actuellement de 0,5 % à 80 % en fonction des pays d'accueil. Par ailleurs, une conférence euro-africaine pourra se tenir dans ce cadre afin de permettre d'élaborer avec les pays d'origine des plans de gestion concertée des flux migratoires. Ces plans, dits de seconde génération - auxquels se rattachent notamment les expériences menées aujourd'hui par la France avec le Sénégal -, aborderont tous les volets, dont les différents canaux d'immigration légale.

Pour ce qui est de la crise financière, Madame Bricq, je suis largement en accord avec vous. Il est vrai que des contreparties sont nécessaires, comme il est vrai que l'on a constaté des atermoiements. L'Eurogroupe a réagi avec vigueur ; néanmoins, si la coordination a été importante, il n'en reste pas moins qu'au départ les analyses divergeaient et que chacun a cru pouvoir agir au niveau national parce que les réseaux ne sont effectivement pas les mêmes et que les situations en Europe diffèrent selon les pays.

Vous avez également raison sur les rémunérations. Le dispositif français est assez étoffé - c'est l'un des plus étoffés d'Europe - puisqu'il prévoit l'approbation des rémunérations par l'assemblée générale des actionnaires et l'encadrement des stock-options, ce qui permet une certaine transparence des rémunérations individuelles et globales. Tout cela est en conformité avec les recommandations formulées par la Commission dès 2004, que tous les États membres n'ont pas suivies. Cela étant, vous avez raison et, sur un plan personnel, j'estime que l'on ne peut s'en tenir ni aux bonnes pratiques ni à des orientations qui auraient été décidées par le seul MEDEF. Le problème des rémunérations est suffisamment grave pour qu'il fasse l'objet d'un encadrement législatif : on ne procède pas sans contreparties à des recapitalisations à hauteur de 40 milliards d'euros, auxquelles s'ajoute un plafond de garantie de 320 milliards d'euros.

La loi de 1999 relative à l'épargne et à la sécurité financière - pour y avoir à l'époque beaucoup travaillé, je crois assez bien la connaître - était une très bonne loi, qui nous a donné de l'avance ; elle a d'ailleurs été copiée par plusieurs États européens.

J'en viens aux incidences sur la dette du processus de recapitalisation. Mathématiquement, il conduira à une augmentation de l'endettement puisque nous allons emprunter 40 milliards d'euros sur les marchés, ce qui représente, s'ils sont utilisés, deux points de PIB. Notre but - et je m'adresse également au sénateur Marcel Deneux - est de faire en sorte que les banques françaises soient soumises aux mêmes conditions de concurrence et de solvabilité que les autres banques européennes et que les ratios de solvabilité soient à peu près identiques, de l'ordre de 9 %.

Vous avez tout à fait raison, Madame Bricq, cet emprunt induira un alourdissement du service de la dette, puisque nous rémunérerons les emprunteurs, ce qui peut entraîner une augmentation des intérêts servis d'environ 1,6 milliard d'euros. Néanmoins, en contrepartie, la nouvelle agence exercera des garanties, plafonnées à 320 milliards d'euros, sous forme de lignes de refinancement. En d'autres termes, nous emprunterons sur le marché à un certain taux, mais nous prêterons aux banques à un autre taux, ce qui, sur le plan budgétaire, donnera à l'État une marge susceptible de compenser le surcoût provoqué par la recapitalisation de 40 milliards d'euros. Mon sentiment personnel est que cela permettra d'atteindre une certaine neutralité sur le plan du déficit et des intérêts de la dette.

Mme Nicole Bricq :

C'est un calcul « à la Bercy », si je peux m'exprimer ainsi !

M. Jean-Pierre Jouyet :

C'est exact, Madame Bricq, mais ces calculs ne sont pas toujours les plus mauvais et, pour les avoir pratiqués de nombreuses années, je suis assez confiant sur ce point précis. Il arrive toujours un moment où tout est consolidé et où, vous le savez bien, il faut raisonner en net et non plus uniquement en brut ; j'attire votre attention sur cet aspect pour que vous puissiez en tenir compte dans les prochains rapports que vous aurez à établir.

Il reste que la Banque centrale européenne et l'euro sont les grands gagnants de cette crise. C'est vrai pour la Banque centrale européenne, même si son fonctionnement a effectivement été quelquefois vilipendé et même si l'on peut regretter son insuffisante réactivité. Quant à l'euro, il apparaît désormais, qu'on le veuille ou non, comme le pôle de référence, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la zone euro. Il est vrai que l'on a assisté, Monsieur Pozzo di Borgo, à un élargissement de facto et à un alignement des parités sur l'euro.

Malgré le très grand respect que j'éprouve pour Jean-Pierre Chevènement, je dois relever un point : je vous laisse imaginer, mesdames, messieurs les sénateurs, ce qu'aurait été la crise si nous n'avions pas eu l'euro. Au désordre financier se serait ajouté un désordre monétaire, et les épargnants, les déposants, les ménages, les entreprises, n'auraient plus su le soir ce qu'ils posséderaient le lendemain matin : on aurait renoué avec les situations des années vingt et des années trente. Si l'Europe a pu ne pas sombrer, c'est que l'euro, conformément au rôle qui lui avait été dévolu à sa création, a servi de bouclier protecteur. Pour ma part, je suis assez fier d'avoir participé à cette construction.

M. Jean-Pierre Chevènement :

L'histoire n'est pas finie, Monsieur le secrétaire d'État !

M. Jean-Pierre Jouyet :

Elle n'est jamais finie, et ce n'est pas devant vous que j'aurai la prétention de dire qu'elle peut un jour se terminer !

M. Pierre Fauchon :

Cela ne change rien aux erreurs du passé !

M. Jean-Pierre Jouyet :

Vous avez tout à fait raison, Madame Bricq, en ce qui concerne les résolutions votées par le Parlement européen. La présidence française en soutient tous les volets : le contrôle des fonds spéculatifs, les agences de notation, les rémunérations, la réintégration des produits titrisés, la comptabilité. Sur ce dernier point, Madame Bricq, vous avez souligné un aspect fort juste et important, qu'a repris, je crois, M. Deneux : il faut agir, mais il faut agir au bon moment.

Pour ma part, j'étais partisan d'une action assez rapide, voire immédiate. Cependant, eu égard aux épargnants, aux déposants, aux clients, on ne peut changer les règles en cours de jeu. Une réflexion doit donc être menée, et ses résultats devront s'appliquer à une date déterminée. La Commission doit s'y atteler tout de suite et, surtout, reprendre le pouvoir qui est actuellement entre les mains de l'IASB, l'International Accounting Standards Board, fondation privée dominée par les États-Unis et l'Australie : nous ne pouvons pas laisser à ceux qui nous ont conduits dans le mur le soin de fixer les règles du jeu pour l'avenir ! Il faut, sur ce point, que l'Europe se réaffirme.

Il est nécessaire d'agir, mais, je le répète, il faut le faire au bon moment. Nous devons d'abord y réfléchir, et la présidence française, je peux vous l'assurer, va pousser véritablement la Commission à accélérer le mouvement ; car si j'ai pu tresser des couronnes à d'autres institutions, la crise a permis de constater que, hormis son président, la Commission a sans doute besoin d'être aiguillonnée pour conduire certaines réflexions ; j'y reviendrai.

Nous allons effectivement mettre en oeuvre, avec la Banque européenne d'investissement, un plan de soutien à l'économie. La présidence française souhaiterait aller plus loin ; cependant, nos partenaires ne sont pas tout à fait sur la même ligne. En effet, mener une politique de soutien à l'économie nécessite une réflexion, à l'échelon européen, sur les moyens budgétaires qui devraient être mis au service de l'Union, point sur lequel, jusqu'à présent, le consensus fait défaut. On peut espérer que la crise conduira certains de nos partenaires, notamment les Allemands, à avoir une vision plus intégrée de l'Europe en matière de financement de l'économie.

Monsieur Pozzo di Borgo, vous m'avez interrogé sur l'élargissement de la zone euro : les traités posent clairement que les Vingt-Sept ont vocation à rejoindre la zone euro le plus tôt possible, dès lors que les critères sont respectés. Deux pays ont choisi de faire exception, le Danemark et le Royaume-Uni, et c'est à eux qu'il revient d'indiquer quand ils lèveront leurs opt-outs. En ce qui concerne le Royaume-Uni, on se souvient que Gordon Brown avait édicté cinq critères, et je pense - je peux me tromper - que la crise a montré au Premier ministre, ancien chancelier de l'Échiquier, que plusieurs d'entre eux étaient des critères de convergence très forts entre l'euro et le Royaume-Uni, plus forts que ne le croyait ce dernier.

Là encore, l'une des conséquences de la crise pourrait être une accélération dans l'histoire des relations entre le Royaume-Uni et la zone euro. L'entrée du Royaume-Uni dans la zone euro serait un réel succès pour l'Europe et, objectivement, simplifierait bien des choses. Au-delà de l'Union européenne, l'euro doit devenir davantage une monnaie de facturation des échanges, notamment avec la Russie. C'est un élément à prendre en compte dans la perspective de l'instauration d'une zone économique avec la Russie - le Président de la République y a fait allusion -, idée à laquelle la France est favorable.

De même, nous devons renforcer les politiques de recherche et de développement des universités et les politiques de coopération avec les collectivités régionales. Quant à la suppression des visas, elle doit intervenir dans le cadre d'un dialogue avec la Russie. Madame Durrieu, je sais, pour revenir de Moldavie, que vous défendez avec ardeur la cause de ce pays. D'autres États voisins de la Russie souhaitent également que l'on facilite l'obtention des visas. Je m'exprimerai ultérieurement et de façon plus nette sur les relations entre l'Union européenne et la Russie.

Je répondrai maintenant à Michel Billout et Jean-Pierre Chevènement. Le système est profondément remis en cause : ce n'est pas une simple crise de confiance. Vous avez raison s'agissant d'un fonctionnement qui était trop libéral, notamment pour ce qui est de la concurrence pure et parfaite, au regard de certaines valeurs. Il convient effectivement de manier avec prudence la réglementation sur les aides d'État, car c'est aussi un moyen d'éviter que ne règne la loi de la jungle au sein de l'Europe. Des évolutions importantes sont constatées, dont nous devons tenir compte, en particulier la Commission.

Nous assistons à l'apparition d'un système qui repose ponctuellement sur des interventions de l'État lorsque c'est légitime, et, du moins nous l'espérons, à la fin d'un système où les marchés financiers étaient déconnectés de l'économie réelle. Les placements réalisés, les montages financiers, en matière de profits, opérés dans certains établissements anglo-saxons, n'avaient plus rien à voir avec des financements pour les entreprises, pour les ménages et pour le développement de l'économie à moyen terme. Il s'agissait de simples calculs spéculatifs et c'est ce système qui devait disparaitre.

D'ailleurs, la France a eu raison de demander, dans le cadre du traité de Lisbonne - je réponds, ce faisant, à Jean-Pierre Chevènement -, que la concurrence pure et parfaite ne soit plus l'un des objectifs ultimes de l'Union européenne. C'est l'un des avantages de ce traité.

En ce qui concerne la Banque centrale européenne, on peut concilier son indépendance, qui s'accommode d'une certaine coordination et de contacts avec les dirigeants des États membres, et un contrôle du Parlement européen, puisque, toutes les deux ou trois semaines, a lieu une audition du président de la Banque centrale européenne devant la commission des affaires économiques et monétaires.

Monsieur Chevènement, il conviendra, en effet, d'adapter les dispositions du traité relatives à la concurrence. Il est vrai aussi que Mme Kroes devra tenir compte de certaines lignes directrices qui seront déterminées non seulement sur le plan financier - ce sera peut-être l'un des enjeux du Conseil européen si nous arrivons à convaincre nos partenaires - mais également sur le plan industriel : les États-Unis consentent des prêts à taux très bonifiés à des secteurs comme l'industrie automobile, alors qu'en Europe le système des aides est très encadré, ce qui pose un problème de rapport de force entre les systèmes industriels.

Il faudra également étudier la mise en oeuvre des systèmes d'aides d'État, pour le paquet « énergie-climat », afin de satisfaire des objectifs ambitieux, dans le cadre d'une crise économique et financière importante. Des problèmes se poseront aussi dans ce domaine.

Pour autant - et c'est une divergence importante avec Jean-Pierre Chevènement -, le traité de Lisbonne demeure une nécessité, parce qu'il permet à l'Union européenne d'intervenir de façon plus transparente, plus claire, plus rigoureuse et plus ordonnée, avec des mécanismes de décision plus opérationnels, et il permet surtout une plus grande continuité. Je prendrai un exemple. Des conversations ont eu lieu à plusieurs reprises entre le chef de l'État, M. Medvedev, M. Saakachvili et le président de la Commission. De nombreux sujets ont été abordés, mais, dans ce type de conversations, des zones grises subsistent ; pour avoir assumé des responsabilités dans ce domaine, M. Chevènement le sait très bien : certains propos sont rapportés, d'autres ne le sont pas. Nous verrons quelle position adoptera la République tchèque lorsqu'elle assurera la présidence de l'Union européenne. Quoi qu'il en soit, l'Europe se retrouve en état d'infériorité par rapport à ce qui était prévu. Il faut garder la mémoire des négociations, à l'échelon international, sur la gestion des crises. Ces dernières ont montré que c'étaient tant les institutions que les personnalités qui comptaient. Il faut éviter de toujours compter sur une présidence forte. Mais si l'on choisit la personnalité adéquate, le traité de Lisbonne permet d'avoir, au sein du Conseil européen, quelqu'un qui est vraiment responsable pendant deux ans et demi. Ce sera, me semble-t-il, la principale question.

Je suis heureux de voir que M. Chevènement a rendu un hommage appuyé au traité de Nice.

M. Jean-Pierre Chevènement :

Je constate qu'il fonctionne !

M. Hubert Haenel :

C'est une étape !

M. Jean-Pierre Jouyet :

Je ne désespère donc pas pour nos débats ultérieurs !

M. Jean-Pierre Chevènement :

Le traité de Nice ne vous empêche pas d'avancer !

M. Jean-Pierre Jouyet :

Nous nous adaptons et nous nous adapterons encore mieux avec le traité de Lisbonne !

En ce qui concerne l'énergie, vous avez tout à fait raison : il faut diversifier les routes d'approvisionnement et assurer notre sécurité énergétique.

Je reviendrai maintenant, pour répondre à MM. Pozzo di Borgo, Chevènement et Bernard-Reymond, sur les relations avec la Russie. Soyons clairs, la Russie est un partenaire important pour l'Union européenne. Nos relations sont interdépendantes : la Russie est également touchée par la crise financière, elle est touchée lorsque l'Europe s'affaiblit sur le plan économique et financier, puisque nous représentons une partie importante de ses placements et de ses débouchés, notamment en termes d'énergie. Cette interdépendance concerne aussi la recherche, les marchés et les relations historiques que nous entretenons. Nous n'avons aucun intérêt à ce que la Russie soit déstabilisée : nos relations avec ce pays doivent au contraire être renforcées, dans le respect du droit international. Nous sommes favorables à un partenariat plus étroit avec la Russie. Nous serions même favorables à une sorte de « pacte de sécurité collective » avec la Russie. Par conséquent, nous devons trouver, avec nos partenaires, les conditions d'une remise à plat des relations avec la Russie. Je suis convaincu que nous n'avons vraiment pas les mêmes intérêts que les Américains : les investissements russes se trouvent en Europe, notamment ; ils ne sont pas aux États-Unis, qui entretiennent des relations avec la Chine via la zone Pacifique.

Je partage un peu le sentiment de M. Bernard-Reymond. Il est exact que, sur un certain nombre de points, en particulier l'installation des boucliers antimissiles - bien que cela ne concerne pas l'Union européenne en tant que telle - les rapports ne sont pas facilités. Un certain nombre de règles concernant l'Ukraine et la Russie ont été fixées jusqu'en 2017. Pourquoi prendre le risque d'une déstabilisation, notamment en ce qui concerne l'accès à la mer Noire ? On ne peut pas non plus, dans la situation actuelle de l'Ukraine, rejeter la responsabilité sur un seul camp, alors que des divergences existent parmi les Ukrainiens. On ne peut pas dire que les Américains aient fait montre de la prudence nécessaire au moment de la crise géorgienne, les Géorgiens non plus, même s'il convient de les aider et de respecter l'intégrité territoriale. Il n'est nullement question d'intégrer l'Ukraine et la Géorgie dans l'OTAN : c'est particulièrement inopportun à l'heure actuelle !

MM. Sutour et Chevènement m'ont interrogé sur le paquet « énergie-climat ». Il est vrai que certains objectifs sur les biocarburants seront revus à la baisse : nous aurons beaucoup de mal à atteindre le seuil de 10 %. En revanche, il sera possible de réaliser les autres objectifs, notamment la baisse des émissions de CO2, le développement des énergies renouvelables - même si c'est difficile - et l'augmentation de l'efficacité énergétique. Pour ce faire, il faut mettre en place des flexibilités sectorielles et des flexibilités pour certains pays qui se trouvent dans une situation difficile. Il importe donc de maintenir les principes et les ambitions qui ont été affichés, mais je ne vous cache pas que la négociation de ce paquet « énergie-climat », hors sécurité énergétique, sera très certainement l'ouvrage le plus difficile à accomplir d'ici à la fin de l'année compte tenu de la crise économique et financière. Cela donnera lieu aux discussions les plus dures, notamment du fait du raidissement de nos amis allemands pour des raisons industrielles.

J'en viens maintenant aux questions soulevées par MM. Bizet et Bernard-Reymond. Il est vrai que l'Europe a fait preuve d'une grande réactivité sans qu'il y ait une gouvernance classique. Il est également vrai que l'on a raisonné par cercles ; on n'est plus tout à fait dans le modèle que l'on avait inventé. Le système ne s'oriente plus vers le fédéralisme, mais il comporte des éléments de fédéralisme ; la Banque centrale européenne est l'institution qui a le mieux fonctionné. La théorie des cercles, même si elle ne s'est pas appliquée s'agissant de l'euro et des relations entre le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France, a constitué, en dépit des dissensions, un élément déterminant.

Il est également vrai que certaines libertés ont été prises à l'égard des règles communautaires. Il faut gérer ces crises et ne pas soulever des problèmes qui ne se posent pas. Un groupe de réflexion sur l'avenir de l'Europe devrait, je l'espère, se mettre en place lors du prochain Conseil européen, sous la présidence de Felipe González. À moyen terme, et compte tenu de nos relations avec la Russie, nous devrons tirer les leçons de ce qui s'est passé pour élaborer un projet européen.

M. Bizet a posé une question plus particulière sur le FMI, la Hongrie et les pays baltes. Il faut effectivement que le Conseil européen prenne les mesures adéquates pour venir en aide à la Hongrie et à certains pays baltes, qui connaissent une inflation. Il ne serait pas normal de résoudre la crise financière pour ce qui nous concerne et de laisser la Hongrie, notamment, qui est un pays très responsable en matière de supervision financière, dans une situation financière difficile.

Monsieur Deneux, je ne reviendrai pas sur la question des contrôles de la Commission européenne que vous avez évoquée. En revanche, je veux parler de la différence qui existe entre les réseaux bancaires, question également abordée par Mme Bricq et M. Billout.

Au passage, je dirai à M. Chevènement que les 320 milliards d'euros prévus pour refinancer les banques constituent un plafond ; on n'utilisera sans doute pas la totalité.

Si, au début des tractations, des tensions sont nées entre la France et l'Allemagne, c'est parce que les structures bancaires de ces deux pays sont différentes. Pour sa part, à l'instar de la Grande-Bretagne et, dans une certaine mesure, de l'Espagne et de l'Italie, la France a des structures bancaires très concentrées - BNP Paribas, le Crédit Agricole, la Société Générale, les Caisses d'Épargne -, qui peuvent conduire très rapidement à une crise systémique. Quant à l'Allemagne, elle compte une très grande banque, la Deutsche Bank, qui est présente à Londres et à Francfort. À côté se trouvent des banques hypothécaires, dont l'une a fait faillite, Hypo Real Estate, et dont une autre est dans la mouvance d'Unicredito. Pour le reste, il y a des petites banques locales, le plus souvent publiques, avec des participations des Länder. Angela Merkel arguait du fait que le plan européen prévu pour endiguer la crise financière ne pouvait rien apporter à l'Allemagne, ce qui n'est pas faux, puisque son système bancaire ne risque pas de connaître une crise systémique. Elle doit donc trouver des solutions au niveau national et avec l'accord des Länder pour recapitaliser les réseaux bancaires, qui sont uniquement régionaux et ont des participations parfois importantes dans des entreprises ; c'est le cas, par exemple, de banques qui, en Basse-Saxe, ont des participations dans Volkswagen. La nature de ce système bancaire est différente du système bancaire anglo-saxon ou français, qui se trouve à mi-chemin. Il faut tenir compte de ces particularités.

S'agissant des mises aux enchères des quotas, il faut voir comment assurer leur progressivité dans un certain nombre de secteurs, dans le cadre du paquet « énergie-climat ». La mise en oeuvre du plan est prévue pour 2013.

Concernant l'avenir de la politique agricole commune, la question a été posée à Annecy par Michel Barnier au cours d'un conseil informel. Le contexte international confirme les analyses que nous avions réalisées l'an dernier à propos du défi alimentaire mondial et du défi sanitaire. L'Europe doit continuer d'accorder une place importante à la politique agricole commune, dotée d'outils d'intervention sur les marchés. Ce n'est pas au moment où les marchés financiers montrent qu'ils peuvent s'effondrer à court terme que l'on va faire disparaître tous les outils de nature à stabiliser les marchés des matières premières, susceptibles de connaître des mouvements spéculatifs de même nature. Il faut conserver ces outils d'intervention, car l'agriculture n'est pas un secteur économique viable sans régulation forte.

Nous espérons connaître, au mois de novembre prochain, les résultats du bilan de santé de la politique agricole commune. Les réflexions se poursuivront jusqu'au mois de décembre pour parvenir à maintenir une politique agricole commune rénovée, mais structurée, avec des outils d'intervention. C'est simple : si nous perdons ces outils, ce ne sont pas les pays en développement qui gagneront des marchés ; ces derniers seront perdus au profit des Américains.

M. Hubert Haenel :

Voilà une matinée bien remplie grâce à la qualité et la densité de vos questions, mes chers collègues, mais aussi grâce aux réponses circonstanciées, convaincantes et pédagogiques - vous nous avez donné cette heureuse habitude ! - que vous nous avez apportées, Monsieur le secrétaire d'État.

Monsieur le secrétaire d'État, je tiens à vous réitérer toute l'estime que nous vous portons. Vous l'avez souvent dit, vous appréciez les travaux du Sénat en matière européenne.

M. Jean-Pierre Jouyet :

Tout à fait ! Je viens toujours devant le Sénat avec grand plaisir !

M. Hubert Haenel :

Vous ne pratiquez pas la langue de bois. Aussi me permettrai-je de vous demander si, comme nous l'avons lu ces derniers jours dans la presse, vous avez l'intention de cesser vos fonctions sitôt la présidence française achevée. Rassurez-nous, Monsieur le secrétaire d'État...

M. Jean-Pierre Jouyet :

En politique, je n'ai pas l'habitude de certains ténors ici présents. J'ai mes sensibilités, une certaine indépendance, et un profil de responsable politique mâtiné d'une carrière de fonctionnaire. J'assumerai mes charges là où on le jugera utile, et ce pour le service de l'État et de l'Europe.

M. Pierre Fauchon :

Bravo !

M. Hubert Haenel :

Votre profil non politique n'est pas inférieur aux profils politiques, bien au contraire !

M. Jean-Pierre Jouyet :

Je vous remercie, Monsieur le Président.