Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mercredi 14 février 2007


Table des matières

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Institutions européennes

Présidence allemande de l'Union
et avenir du traité constitutionnel

Audition de Mme Catherine Colonna,
ministre déléguée aux affaires européennes1(*)

M. Jean François-Poncet :

À l'occasion de cette audition commune de la commission des affaires étrangères avec la délégation pour l'Union européenne, nous aimerions vous entendre sur la présidence allemande, sur ses orientations de politique étrangère à l'égard de la Russie, des Balkans et du Kosovo. Va-t-elle faire un effort vis-à-vis des Etats-Unis ? Que savez-vous par ailleurs de la déclaration de Berlin, de sa préparation et de son contenu ? Ce texte pourra-t-il avoir dans les opinions  un écho favorable ? Quelles conclusions tirez-vous par ailleurs de votre portefeuille ministériel ?

Mme Catherine Colonna :

Je vais centrer mon intervention sur les grandes priorités de la présidence allemande, les grands sujets de politique étrangère que vous avez évoqués et sur mon expérience ministérielle. S'agissant de la présidence allemande, j'aborderai successivement les priorités économiques et sociales, la déclaration du 25 mars 2007 et enfin les enjeux institutionnels.

Les priorités économiques et sociales sont comme toujours à l'ordre du jour du Conseil européen de printemps, qui a pour thème général : « L'Europe réussit ensemble ». Ce thème résume la volonté désormais partagée par tous les États membres de s'appuyer pleinement sur l'Europe pour tirer parti des opportunités de la mondialisation et pour développer notre modèle économique et social. Il serait en effet illusoire de prétendre que nous pourrions répondre, seuls, dans un cadre national, aux défis qui sont devant nous : ceux de la sécurité et de la politique étrangère, de la défense, de l'énergie, de la recherche et du développement, du changement climatique, des migrations. Aucun État, aussi puissant soit-il, ne le pourrait.

La mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne pour la croissance et la compétitivité, l'énergie et l'amélioration de la législation européenne sont à l'ordre du jour de ce Conseil européen.

Tout d'abord la stratégie de Lisbonne est la bonne, et, pour être pleinement efficace, elle doit être pleinement reprise dans les politiques nationales. Dans son « rapport de progrès » de décembre, la Commission dresse d'ailleurs un bilan positif des progrès réalisés en matière de recherche et de développement et d'innovation, de finances publiques, d'emploi et de lutte contre le chômage. Elle relève également que notre pays a fait des progrès certains en matière budgétaire, économique et d'emploi. Je vous rappelle aussi que, du fait des progrès réalisés par notre pays, le Conseil Ecofin a décidé de mettre un terme à la procédure de déficit public excessif engagée en 2003 contre la France. Nous ne pouvons que nous en féliciter. Sur cette base, la présidence allemande souhaite que le Conseil européen de mars appelle l'Union et les États membres à poursuivre leurs efforts dans quatre domaines :

- les politiques économiques et budgétaires en faveur de la croissance et de l'emploi ;

- la poursuite de l'achèvement du marché intérieur, qui est essentielle pour nos exportations et pour la compétitivité européenne ; à ce sujet, j'indique que, lors du dernier Conseil Affaires Générales, à la demande de la France, l'Union européenne a décidé d'examiner tous les moyens susceptibles d'améliorer l'accès des petites et moyennes entreprises (PME) aux marchés publics en Europe et dans le reste du monde ;

- le renforcement de l'innovation, de la recherche et de l'éducation ;

- le développement de l'emploi et du modèle social européen sous l'angle de la qualité du travail, de sa flexibilité et de sa sécurité.

La définition d'une politique européenne de l'énergie est pour la présidence allemande un enjeu essentiel de ce Conseil qui sera appelé à valider, conformément au mandat de mars 2006, le plan d'action proposé par la Commission le 10 janvier 2007 et qui est destiné à doter l'Union européenne d'une véritable politique européenne de l'énergie. La France y est très attachée. Trois principaux objectifs sont prévus dans ce plan :

- la lutte contre le changement climatique et la réduction, d'ici à 2020, des émissions de gaz à effet de serre de l'Union européenne de 20% et de 30% en cas d'accord international ;

- la compétitivité de l'économie européenne ;

- la sécurité d'approvisionnement et la réduction de la dépendance énergétique extérieure de l'Union européenne.

Ces objectifs rejoignent ceux qui avaient été présentés par le mémorandum français sur l'énergie en janvier 2006, en particulier la priorité qui doit être donnée à la lutte contre le changement climatique. Aucune politique ambitieuse n'est en effet possible dans ce domaine sans la prise en compte de ce défi majeur pour l'avenir de la planète. La conférence internationale de Paris du 2 février intitulée « Citoyens de la terre : pour une gouvernance écologique mondiale » a permis de le réaffirmer au plus haut niveau et de lancer un appel pour la transformation du Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) en organisation des Nations Unies pour l'environnement (ONUE).

Au total, la France peut, dans l'ensemble, partager très largement l'approche proposée par la Commission dans son plan d'action, en particulier l'analyse coûts bénéfices des différentes sources d'énergie au regard des différents objectifs de la politique énergétique, la meilleure prise en compte de l'énergie nucléaire, le renforcement de la coordination des réseaux de transport d'énergie, ou encore l'amélioration de la coordination pour que l'Europe parle d'une seule voix à ses partenaires extérieurs.

La France peut également soutenir l'objectif contraignant de réduction de 20% des gaz à effet de serre à l'horizon 2020. En revanche, plutôt qu'un objectif contraignant relatif aux seules énergies renouvelables, nous plaidons avec une majorité d'États membres pour un objectif indicatif : il serait d'ailleurs plus logique de se doter d'un objectif plus général d'augmentation de la part des énergies sobres en carbone ; mais les discussions techniques au Conseil montrent que la majorité des États membres n'est pas encore prête à faire ce pas, la question du nucléaire restant encore trop sensible. Sur la séparation des activités de production d'énergie et de distribution, la Commission propose deux options : soit la séparation patrimoniale pure et simple, inacceptable pour la France, soit la gestion déléguée du transport et de la distribution. La France a proposé une troisième option : la séparation régulée qui implique une régulation indépendante des tarifs d'accès aux réseaux.

La présidence accorde une grande importance à l'amélioration de la législation dans le cadre de l'initiative intitulée « mieux légiférer » qui a été préparée par le commissaire de nationalité allemande Gunther Verheugen. Le Conseil européen sera appelé à appuyer ce programme. La présidence souhaite qu'il convienne d'un objectif, qui serait valable pour la Communauté comme pour les États, de réduction des charges administratives de 25% d'ici 2012. Nous soutenons évidemment tout ce qui concourt à la simplification et à la suppression de procédures inutiles. Toutefois ce programme doit rester un moyen et un instrument et ne pas devenir un objectif en soi. Car il faut parfois légiférer. C'est même l'un des principes de la construction européenne que l'harmonisation. L'exercice doit ainsi être mené avec discernement, au cas par cas et sans dogmatisme, dans le respect de l'acquis communautaire. Car « mieux légiférer » ne doit pas signifier « moins légiférer » : en effet, l'approfondissement du marché intérieur suppose la poursuite de l'harmonisation lorsque cela est nécessaire, en particulier lorsqu'une telle harmonisation permet d'assurer un niveau élevé de protection du consommateur, du travailleur et de l'environnement.

Le 25 mars þ2007, l'Europe va par ailleurs fêter les 50 ans du traité de Rome. Le Conseil européen de juin 2006 avait décidé que, à cette occasion, les « responsables de l'Union » - formule retenue par les conclusions pour inclure les trois institutions - adoptent une déclaration politique énonçant les valeurs et les ambitions de l'Europe et confirment la volonté commune des Européens de les concrétiser. La présidence a engagé de premières consultations sur ce thème avec les représentants de chaque État membre. Je me suis ainsi rendue moi-même à Berlin le 2 février, puisque j'ai été désignée par le Président de la République pour cette mission avec son conseiller pour les affaires européennes. Nous avons rappelé à la présidence que la France souhaite que ce texte permette d'exprimer la volonté des Européens de continuer à construire l'Europe et ainsi de lui redonner le souffle et l'impulsion qui lui sont nécessaires pour sortir de son « état de langueur » actuel.

Plus précisément nous voulons que cette déclaration soit courte, politique et compréhensible par tous les citoyens européens. Elle doit permettre d'identifier clairement les défis auxquels nous sommes collectivement confrontés. Après les succès remarquables de la construction européenne dans les domaines de la paix, de la démocratie, de nos valeurs et de notre développement économique et social, il est aujourd'hui nécessaire d'affirmer que seule une Europe forte permettra à nos nations et à nos peuples de relever les défis de l'avenir. L'action collective est plus que jamais nécessaire. La présidence partage cette approche, sur la forme comme sur le fond. La prochaine étape sera celle du Conseil européen de mars. En effet, il est prévu que les chefs d'État ou de gouvernement aient un échange sur la déclaration en marge du dîner du 8 mars.

À ce stade, la structure envisagée par la présidence pour cette déclaration est la suivante. Elle se composerait de quatre parties portant :

- sur ce qui a été accompli jusqu'à présent ;

- sur les valeurs fondamentales de l'Union ;

- sur les ambitions européennes internes et externes ;

- et sur l'engagement commun à préparer l'Europe à répondre aux défis du XXIe siècle.

Après ce débat au sommet du 8 mars, la présidence rédigera un texte. Nous ne devrions pas avoir de proposition écrite avant l'ultime phase précédant le Conseil extraordinaire des 24 et 25 mars prochain.

Les questions institutionnelles sont un point majeur de la présidence allemande, qui fera des propositions lors du Conseil européen de juin prochain. Depuis le 1er janvier 2007, dix-huit États ont ratifié le traité constitutionnel. Ils représentent les deux tiers des États membres. Les dix-huit se sont réunis dans le cadre d'une réunion informelle le 26 janvier dernier à Madrid pour redire leur attachement à la substance de ce texte. Nous ne pouvons bien sûr pas ne pas en tenir compte. Toutefois, deux États ont rejeté ce traité et sept ne se sont pas prononcés. Il faut tout autant en tenir compte. Cette situation n'est pas simple, mais elle s'impose à tous. C'est pourquoi chacun doit faire un pas vers l'autre. C'est seulement ainsi que nous pourrons trouver une solution acceptable pour les vingt-sept États.

Une méthode pragmatique est la condition nécessaire d'un futur consensus. L'urgence est de doter l'Union européenne d'institutions rénovées qui lui permettraient d'agir de manière plus efficace et plus démocratique. Les institutions ne sont à l'évidence pas une fin en soi, mais elles sont une condition de l'efficacité de l'Union. Car le traité de Nice n'est pas suffisant dans une Union élargie, nous le voyons chaque jour. L'objectif est donc de parvenir à une réforme pour 2009. Dans ce cadre, la France pense qu'il faut partir de la substance et des équilibres du traité constitutionnel. Reprendre tout à zéro serait une erreur. Ce serait même dangereux car le risque serait grand de voir l'ensemble de la négociation rouverte, pour un résultat plus qu'incertain. Il faut donc repartir du traité constitutionnel et avant tout de ce qui fait consensus. Nous pourrons alors savoir ce que nous sommes prêts à conserver, ce qui doit au contraire être réservé pour plus tard, ce qui peut être ajouté, par exemple dans le domaine social. Si nous suivons cette méthode, il sera alors possible d'aboutir à un traité simplifié. C'est aussi de cette manière que nous pourrons parvenir à une solution avant 2009, année des élections européennes : c'est l'objectif que vise la présidence et nous le partageons pleinement.

Je voudrais maintenant répondre aux questions de politique étrangère. L'Union européenne est en train de définir le mandat de négociation de la Commission pour le nouvel accord de coopération et de partenariat avec la Russie. Il faut donner corps à cette relation stratégique entre l'Union européenne et la Russie, car il n'y a pas d'autre méthode possible que la coopération avec ce voisin important. Il est en effet impossible d'avancer sur les questions de l'énergie sans cet accord qui s'inscrit dans les grandes lignes tracées à Saint-Pétersbourg en 2003 et qui permettrait de reprendre le contenu de la Charte de l'énergie signée par la Russie, mais non ratifiée par la Douma. Le point de blocage sur cette négociation vient de la Pologne à cause de l'embargo sanitaire russe sur les viandes et les volailles polonaises. Actuellement une mission européenne est en cours pour examiner cette question. En cas d'échec, nous serions face à une tâche délicate : convaincre les Polonais, qui font appel à la solidarité européenne, d'abandonner leur veto pour permettre l'adoption du mandat de négociation.

Les Balkans ont une perspective européenne qui a été reconnue dès le sommet de Zagreb en 2000. Les pays balkaniques ont en effet vocation, sous réserve de remplir les conditions fixées, à adhérer à l'Union européenne. La Slovénie qui a rejoint au 1er janvier la zone euro, est déjà dans l'Europe. La Croatie a engagé les négociations d'adhésion et devrait rejoindre l'Union européenne dans les prochaines années, à condition que les questions institutionnelles soient réglées en Europe. La Macédoine, qui a le statut de candidat, est en retard dans la reprise de l'acquis communautaire. Les autres pays balkaniques, comme la Bosnie-Herzégovine, sont plus ou moins engagés, en fonction de leurs efforts propres, dans la négociation d'accords de stabilisation et d'association, étape préalable aux négociations d'adhésion. Les négociations avec la Serbie ont été suspendues en raison de son insuffisante coopération avec le Tribunal pénal international. Pour le Monténégro, la négociation devra être réengagée après la séparation d'avec la Serbie. Quant au Kosovo, la communauté internationale estime que le statut quo n'est pas une solution satisfaisante pour l'avenir. Le négociateur finlandais a proposé un plan qui ne recueille pas l'accord des Serbes. Il reviendra au Conseil de sécurité de l'ONU de proposer une nouvelle solution si le nouveau gouvernement serbe ne répond pas aux nouvelles propositions européennes.

Les relations commerciales avec les États-Unis doivent être encouragées, mais sans aller jusqu'à la création d'une zone de libre-échange, qui n'est d'ailleurs évoquée par personne. Les ouvertures faites par la présidence allemande sont intéressantes à condition que nos partenaires transatlantiques sachent y répondre, ce qui n'est pas certain en raison de la situation politique intérieure actuelle et de la perspective des élections de 2008 aux États-Unis.

Quant aux conclusions que je peux tirer de ma brève expérience ministérielle, je peux dire que je suis optimiste sur le cheminement de l'Europe pour l'avenir. Il y a suffisamment de raisons de faire l'Europe pour continuer à la faire. Deux ans après le choc du referendum, les esprits ont évolué positivement. En revanche, je ne partage pas le même optimisme à court terme. Les visions des Vingt-sept sont extrêmement hétérogènes. Après les deux référendums négatifs, un trouble a gagné l'Europe. Le traité de Nice n'est pas adapté aux exigences actuelles. La progression de l'Europe est en outre stoppée à un moment où nous aurions dû accélérer collectivement nos efforts dans le contexte de la mondialisation. L'année 2005 a été difficile. 2006 a été une année de consolidation avec de nouvelles initiatives. J'espère que l'année 2007 sera l'année de la relance.

M. Hubert Haenel :

Vous venez de rappeler que, pour la présidence allemande, la Déclaration de Berlin, qui marquera le 50e anniversaire de la signature des traités de Rome, est particulièrement importante. Je me trouvais avant-hier à Berlin, au Bundesrat, où se tenait la réunion des présidents des commissions européennes des parlements nationaux, dans le cadre de la COSAC. Nous avons entendu Uwe Corsepius, qui est le « sherpa » de la chancelière pour la préparation de la Déclaration de Berlin. Il nous a exposé le but de cette Déclaration, la méthode suivie, le contenu souhaité. J'ai été d'autant plus intéressé par ses déclarations qu'une bonne partie de ces informations m'étaient inconnues jusque là.

Après avoir rappelé qu'il ne s'agirait pas d'un texte contraignant, mais d'une déclaration, Uwe Corsepius a insisté sur le fait que le texte devait être aussi bref que possible, deux pages maximum, en sorte qu'il puisse être publié dans les journaux, qu'il soit compréhensible par tous et qu'il soit lu par les citoyens. L'objectif est en effet de donner un signal d'unité et de créer le sentiment que l'on peut résoudre la crise actuelle. Comme vous l'avez signalé, le contenu devrait s'articuler autour de quatre points : 1er point : le passé. Ce dont l'Europe peut être fière : la paix, la prospérité, la réunification de l'Europe. 2e point : les valeurs. Il ne s'agit pas de reprendre la Charte des droits fondamentaux ou le préambule de la Constitution, mais de se concentrer sur quelques éléments comme la chancelière l'a fait dans son discours devant le Parlement européen. 3e point : le futur. On doit montrer aux citoyens ce à quoi l'Europe peut servir. Et, pour cela, il faut insister sur les points où les citoyens demandent « plus d'Europe ». 4e point : un engagement. Il convient de donner à l'Union européenne les instruments pour atteindre les objectifs ainsi dégagés.

Uwe Corsepius nous a précisé que les négociateurs allemands étaient en contact très étroit avec le Parlement allemand. Pendant la pause qui a suivi le débat, j'ai dit à mon collègue du Parlement finlandais que beaucoup des informations qui venaient d'être données étaient nouvelles pour moi. Il m'a répondu que, quelques jours plus tôt, son gouvernement était venu expliquer tout cela devant la Grande commission - c'est-à-dire la commission européenne du Parlement finlandais - et que son gouvernement avait même été plus précis sur la méthode qui était suivie pour élaborer la Déclaration. Ma question est donc simple : avez-vous l'intention de tenir le Sénat informé des progrès de l'élaboration de cette Déclaration d'ici le 25 mars ?

Par ailleurs, d'ici fin juin, nos amis britanniques auront sans doute un nouveau Premier ministre, plutôt connu actuellement pour être un « Monsieur veto ». Est-il encore possible, dans ces conditions, d'espérer trouver une issue à l'impasse actuelle à vingt-sept ?

M. Robert del Picchia :

La Déclaration de Berlin sera une bonne chose. Mais, à l'heure actuelle, ne faudrait-il pas faire quelque chose de plus fracassant, de plus nouveau pour stimuler le citoyen européen ? Peut-on penser que cela sera suffisant pour redonner espoir dans l'Europe et envie de l'Europe aux Français qui ont voté contre le référendum ? J'attends de connaître la Déclaration pour me prononcer définitivement ; mais j'ai des doutes. Cet anniversaire est pourtant une occasion symbolique ; il serait regrettable de ne pas la saisir.

Mme Catherine Tasca :

Même si la question institutionnelle n'est pas la seule à être posée aux Européens, elle reste un élément crucial de la panne actuelle. Et je ne partage pas votre calme apparent, ni celui du gouvernement, sur ce sujet, car il y a une véritable urgence. Deux ans, c'est une période de temps considérable compte tenu du rythme auquel évolue le monde. De plus, l'élargissement a introduit de nouvelles données. Je suis inquiète parce que je ne pense pas qu'on puisse revenir sur la question avec simplement une paire de ciseaux pour tailler dans les aspérités du traité. L'idée d'un petit traité raccourci ne mobilise finalement personne, ni chez nous, ni chez nos partenaires. Ne faut-il pas, pendant le temps de réflexion des Européens, se mettre au travail à partir des questions absentes du traité qui ont créé le blocage actuel ? Vous avez certes évoqué la question sociale, mais comme quelque chose d'accessoire. Si nous ne sommes pas capables de proposer, pour ces questions sociales, un nouveau texte qui pourrait être l'embryon d'une rédaction future, alors nous n'aurons aucune chance de débloquer la situation. La question est identique pour les modes de décision. Notre pays ne pourrait-il pas prendre une initiative sur les questions absentes du précédent texte ?

M. Jacques Blanc :

Ce matin, au Comité des Régions d'Europe, j'ai participé à un débat un peu semblable au nôtre. Et j'ai constaté que le ressentiment était fort vis-à-vis des Français. Nous ne sommes donc pas les mieux placés pour exiger un nouveau texte. Les Allemands ont néanmoins la volonté de montrer l'efficacité d'un certain nombre de politiques existantes. Ils nous ont invités à une réunion en Bavière pour marquer la nouvelle politique des fonds structurels. Ils sont également très allants sur la politique de l'énergie et la lutte contre le réchauffement climatique. Mais ils ont conscience que la France n'est pas en état actuellement de faire des propositions et que tenir en France un référendum en 2009 pourrait mettre dans une situation inconfortable tout nouveau gouvernement. Il n'en demeure pas moins que, au Comité des Régions, on considère que l'anniversaire du traité de Rome pourrait être une occasion importante pour toucher les populations et pour souligner les bienfaits considérables de la construction européenne.

Mme Catherine Colonna :

Il est très intéressant de connaître les éléments précisés par le négociateur allemand sur la Déclaration de Berlin. La France est d'accord sur la structure de ce texte et sur son objectif. Il faudra parler du passé, des valeurs, des ambitions et de l'engagement commun de l'Europe à relever les défis du XXIe siècle. Il faudra redire aussi qu'il faudra se mettre d'accord si possible sur un dispositif institutionnel pour 2009, année d'élections européennes. Mais il faut cheminer pas à pas. La présidence mesure pleinement l'enjeu qu'il représente. Et le moment venu, il faudra vérifier que le texte proposé correspond bien à ce que les Vingt-sept envisagent. Il y a en fait assez peu de dissonances entre les Vingt-sept sur le contenu de ce document. Je ne sais pas si le texte sera de mesure à ranimer l'enthousiasme des populations comme vous le souhaitez, mais je pense qu'il sera de nature à remettre en route la démarche européenne. C'est pourquoi, je ne partage pas les remarques de M. del Picchia.

Nous ne connaissons pas les positions futures que pourra prendre le Chancelier britannique de l'Échiquier lorsqu'il exercera les fonctions de Premier ministre. Elles seront peut-être différentes de celles qu'il peut actuellement afficher, car il devra bien tenir compte de certaines réalités européennes.

Pour le nouveau texte du traité, il faudra faire la distinction entre ce qui relève des politiques et les règles qui doivent par définition être communes à tous ceux qui appartiennent à l'Union européenne (par exemple le nombre de voix au Conseil, le nombre de députés européens etc....). Après l'échec du référendum, il n'est pas souhaitable de repartir de zéro, de rouvrir l'ensemble de la négociation et de recommencer le travail fait par la Convention. Il faut plutôt trouver des adaptations modestes et pragmatiques. Le social n'est en rien à mes yeux accessoire, mais il importe d'abord de définir une base commune. L'autre possibilité serait de conserver le projet en l'état et d'ajouter de nouveaux éléments. Même si certains de nos partenaires penchent pour cette solution, ce n'est pas, de mon point de vue, la bonne. Le social est important pour nous, mais il ne l'est pas nécessairement pour d'autres ; il en est même qui voudraient aller moins loin encore en ce domaine, comme le Royaume-Uni, la Pologne, la République tchèque, les pays Baltes sans doute ou même le Portugal. Il ne pourra donc pas y avoir d'accord à vingt-sept sur un tel protocole social. Or, un protocole social optionnel, qui ne s'imposerait pas à tous, serait une mauvaise solution, puisqu'il y aurait alors une Europe sociale à deux vitesses, solution que nous rejetons. Pour aller de l'avant de manière urgente, il me semble plus efficace d'avoir un traité moins parfait, mais plus rapidement opératoire. Il ne serait pas bon d'engager simultanément, à partir de 2008, et le débat budgétaire, et le débat institutionnel.

Depuis le référendum, nous avons pu continuer néanmoins à faire avancer l'Europe avec les perspectives budgétaires, l'énergie, la recherche et le développement, la création du fonds d'ajustement à la mondialisation doté de 500 millions d'euros par an. Il est injuste d'accuser l'Europe de ne rien faire. Ce qui manque à l'Europe, ce sont des institutions plus efficaces.

M. Charles Josselin :

Chacun mesure bien la difficulté du dossier institutionnel, alors qu'une nouvelle question apparaît : comment vendre aujourd'hui la France à l'Europe ? La France doit améliorer sa propre image au regard de l'Europe. Ne faut-il pas saisir l'anniversaire du traité de Rome pour prendre une initiative française pour l'Europe ? Dans une période plus sereine, cette initiative aurait dû relever normalement du Président de la République, en accord avec les principales forces politiques du pays. Certes, l'Europe continue à avancer, comme nous avons pu le constater hier lors de la réunion où nous avons entendu une communication de notre collègue Aymeri de Montesquiou sur la politique européenne de l'énergie. Mais il faut aussi que la France fasse entendre un message européen.

M. Jean-Pierre Fourcade :

Quel va être l'écho de la Déclaration du 25 mars pour ceux qui ont moins de cinquante ans, notamment pour les jeunes qui ont connu le non au référendum et qui constatent les difficultés auxquelles nous sommes confrontés ? Il me semble que la position que vous nous avez décrite ne va pas assez loin sur deux sujets qui ont progressé depuis l'échec du référendum, à savoir l'énergie et la politique de recherche et de développement. Il serait sans doute plus efficace de recentrer la position de la France sur ces deux questions, plutôt que de se battre sur les questions institutionnelles. Au lieu de privilégier le rappel des compétences de l'Europe, il vaudrait mieux préparer des accords à long terme avec Gazprom et Sonatrach, se préoccuper davantage des pays émergents comme le font l'Inde et la Chine, et reprendre la lutte contre le réchauffement climatique en sorte de montrer que la position américaine relève du laisser-aller, contrairement à la position européenne.

M. Robert Bret :

Je ne vois pas comment le gouvernement pourrait, en pleine campagne électorale, rassurer nos partenaires sur la volonté européenne de la France ; d'autant que l'on a pu observer, au moment du référendum, que la ligne de clivage passait à l'intérieur des partis politiques. Il me semble d'ailleurs que le fait que la France n'ait pas été invitée à la réunion de Madrid pose un vrai problème, car on ne peut laisser supposer que la solution à la crise peut être trouvée par les seuls pays qui ont voté favorablement. Les questions de fond sont bien plus larges que le seul débat institutionnel, comme le montre la manière de traiter les conséquences de la mondialisation ou la crise entre la Pologne et la Russie qui bloque l'accord de partenariat et met en cause la sûreté de nos approvisionnements énergétiques. Nos concitoyens le mesurent bien et nous devons les entendre. L'attitude des autres pays serait peut-être différente si leurs dirigeants écoutaient mieux leurs citoyens et s'ils avaient recouru eux-mêmes au référendum. Il est néanmoins certain que la France doit reprendre l'initiative dans la perspective de sa prochaine présidence. Il faut prendre le débat au fond et ne pas rester à sa périphérie en recherchant des boucs émissaires.

Mme Catherine Colonna :

Je pense que nous avons réussi, et le Gouvernement s'y est employé, à maintenir l'influence et le rôle de la France dans l'Europe. Mais je ne peux pas dire que le résultat du référendum les a renforcés. Pour que la France manifeste sa bonne volonté, ce qui compte, - et je rejoins sur ce point le sénateur Robert Bret -, c'est de proposer des politiques concrètes, comme nous l'avons fait par exemple sur l'énergie, sur le budget ou sur le 10e Fonds européen de développement (FED). Chacun connaît maintenant notre bonne volonté dans le domaine des politiques européennes. Mais, sur les institutions, nul ne peut sous-estimer les conséquences de l'échec du référendum. Notre démarche doit donc être aussi ouverte et pragmatique que possible, étant entendu qu'il n'y aura pas de solution toute faite et qu'il faudra progresser pas à pas vers un consensus à vingt-sept.

J'espère que la Déclaration de Berlin permettra aussi de parler à la jeunesse. Je ne suis pas convaincue en revanche qu'il faille parler de façon trop détaillée des politiques. Pourquoi ne pas parler aussi de la culture, du social et de tant d'autres sujets ? Il faut bien sûr donner la priorité à l'Europe des résultats, mais la Déclaration du 25 mars n'est peut-être pas la meilleure occasion pour cela. La difficulté de la construction européenne vient de la nécessité de parvenir à un consensus à vingt-sept ; par exemple l'idée avancée par la France de désigner un négociateur européen pour les questions d'énergie ne recueille pas encore l'adhésion de nos partenaires. Il faut aussi investir plus dans la recherche et le développement et le budget européen a été renforcé en ce sens. Mais nous ne sommes pas les seuls à décider. Les bonnes idées ne sont pas suffisantes pour faire progresser l'Europe, il faut par définition un accord des Vingt-sept.

Il est certain en outre que nous ne pourrons pas faire avancer normalement les politiques tant que nous ne serons pas sortis du blocage institutionnel actuel. Ce n'est naturellement pas une raison pour ne pas faire progresser les politiques, bien au contraire. C'est pourquoi l'Europe des résultats avance, par exemple avec la création du fonds d'ajustement à la mondialisation souhaité par la France, grâce au rôle très positif joué par la Commission et son Président. Quant à la réunion de Madrid, elle n'était pas une réunion de tous les Européens, mais seulement des pays qui avaient ratifié le projet de traité constitutionnel ; la France n'avait donc pas de raison d'y participer.

M. Jean François-Poncet :

Que faire pour vendre la France à l'Europe ? Qui va pouvoir parler ? Naturellement ce sera le prochain président - ou la prochaine présidente - de la République. Le gouvernement a fait du mieux qu'il a pu après l'échec du référendum. Je voudrais par ailleurs réagir aux propos de notre collègue Jean-Pierre Fourcade. Certes, les gens veulent qu'on parle du climat et de l'énergie. Mais il faut aussi savoir que, tant qu'il n'y aura pas de procédure permettant d'avancer sur ces questions, on n'agira pas. Rien ne fait plus de tort à l'Europe que l'incapacité à mettre en oeuvre des actions face à des déclarations de principe.

Ce qui le confirme, c'est l'expérience du passé et notamment celle de « la chaise vide » quand le Général de Gaulle a voulu forcer la main de ses partenaires pour le financement de la politique agricole commune. Il voulait en fait aller plus loin et faire enlever du traité la règle de la majorité, ce qu'il n'a pas obtenu. Néanmoins, la France a alors obtenu une règle connue sous le nom de « compromis de Luxembourg », selon laquelle un État peut s'opposer à une décision prise à la majorité quand son intérêt vital est en jeu. Le fait que, après la période de « la  chaise vide », toutes les décisions furent prises à l'unanimité, a paralysé l'Europe pendant une dizaine d'années jusqu'à l'Acte unique. C'est la règle de la majorité qui pousse au compromis et qui permet de faire avancer l'Europe. La France n'aurait jamais accepté d'ouvrir le marché de l'électricité si elle n'avait pas subi la pression de la règle de la majorité pour négocier un arrangement. Les institutions n'intéressent personne ; mais, sans institutions, rien n'avance.

M. Jean-Pierre Fourcade :

Après l'échec du référendum, il faut quand même prendre garde que les Français s'intéressent à l'Europe. Si on continue à leur parler des institutions sans leur parler des problèmes concrets, jamais on n'arrivera à les intéresser ; et les partisans du non continueront à être majoritaires en France. Il faut, de temps en temps, comprendre les préoccupations de la majorité de nos concitoyens et notamment des plus jeunes.


* 1Cette réunion est en commun avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.