Réunion de la commission des affaires européennes du mercredi 13 mai 2009


Table des matières

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Agriculture et pêche

« Nouveaux aliments »
Aliments issus d'animaux clonés (E 3767)

Communication de M. Jean Bizet

Le texte auquel se raccroche mon intervention est une « proposition de règlement relative à la mise sur le marché de nouveaux aliments ». Cette proposition vise principalement à simplifier les procédures appliquées aux nouveaux aliments. Mais derrière cette apparence anodine, l'enjeu majeur est la question des aliments issus des animaux clonés.

Alors que le Sénat peut se féliciter d'avoir apporté des contributions décisives au moment des premières lois de bioéthique au milieu des années 90, notre commission ne peut rester silencieuse lorsque, quinze ans plus tard, cette question resurgit de façon détournée et presque insidieuse. Cette proposition a trop de ramifications politiques et sociétales pour ne pas s'en préoccuper.

« Préoccuper », le terme est volontairement vague car l'examen que je vous propose n'est plutôt qu'une longue interrogation. Sur un tel sujet, nous sommes en permanence « sur le fil », glissant du texte au contexte, de la technique à l'éthique. Le sujet impose cette prudence et cette retenue. Pour essayer de dénouer les fils, je vous propose d'aborder ce sujet par itérations successives.

En premier lieu, le texte n'est pas en cause. C'est juste son champ d'application qui peut être débattu. De quoi s'agit-il ? Quel est l'objet du texte ? La proposition vise à simplifier le régime de mise sur le marché des nouveaux aliments. On compte environ une dizaine de demandes par an en moyenne, qu'il s'agisse d'aliments naturels inhabituels en Europe tels que le jus de noni (accepté), la pulpe de baobab (en cours d'examen) ou la poudre de bois de daim (refusé), ou d'aliments élaborés par l'industrie agroalimentaire tels que les aliments aux phytostérols censés lutter contre le cholestérol (refusé) ou bien encore l'huile de sardine ou de nouvelles pâtes de chewing-gum (en cours d'examen).

La commercialisation est aujourd'hui encadrée par un règlement de 1997. L'objectif est de protéger la santé humaine et de garantir le bon fonctionnement du marché intérieur. Le régime en vigueur procède en recensant les catégories de nouveaux aliments et repose sur un système d'autorisation préalable, avec un examen national par les autorités sanitaires des États membres - en France, l'AFSSA (Agence française pour la sécurité sanitaire des aliments)  - et un arbitrage éventuel au niveau communautaire, après avis de l'AESA (Autorité européenne de sécurité alimentaire).

En pratique, les désaccords sont nombreux. Les agences nationales s'opposent souvent à l'adjonction d'ingrédients, soit par principe, soit sur des modalités ou des seuils. Par exemple, le Conseil s'est opposé à la commercialisation de saucisses contenant des phytostérols parce que la saucisse ne pouvait être prédivisée en portions, qui auraient permis de doser l'apport en molécules. Les désaccords sont fréquents et les délais d'examen sont très longs, souvent de deux à trois ans.

La simplification proposée par la Commission est double. Il y a d'abord une simplification pour les aliments conventionnels peu connus en Europe mais consommés dans d'autres parties du monde ; beaucoup d'États tiers se plaignaient en effet de ne pas pouvoir exporter en Europe des productions locales comme ce fut le cas, par exemple, du jus de noni, consommé en Indonésie. Désormais, ces produits bénéficieraient d'une procédure d'autorisation simplifiée. Ensuite, la procédure d'examen sera centralisée et reposera directement sur la Commission et l'AESA, ce qui évitera les délais évoqués.

Ces deux améliorations étaient souhaitées. Le nouveau système d'autorisation sera incontestablement plus simple et efficace. En revanche, les difficultés surviennent lorsqu'on évoque le champ d'application du règlement. La Commission renonce à lister les catégories d'aliments, mais adopte une approche beaucoup plus large censée couvrir tous les nouveaux aliments. Les nouveaux aliments sont les denrées dont la consommation dans l'Union européenne est restée négligeable avant le 15 mai 1997, date d'entrée en vigueur de l'actuel règlement.

L'objet principal porte sur les denrées issues des biotechnologies, nouveau créneau de l'industrie alimentaire. Mais un autre cas est aussi évoqué : il s'agit des « aliments issus de nouvelles technologies ou techniques », une formule bien neutre, qui est pourtant le noeud du sujet, puisqu'elle laisse la porte ouverte à l'autorisation des aliments issus d'animaux clonés.

On aborde là le deuxième cercle d'investigation, qui suppose de bien cerner le sujet. Ce texte n'est pas un texte sur le clonage animal, ni a fortiori un nouveau texte sur le clonage, mais sur les aliments issus d'animaux clonés. La précision est fondamentale car ce n'est ni le lieu ni le moment de débattre du principe du clonage.

On retiendra simplement que si quelques États ont fait des choix fondamentaux en matière de clonage humain, il n'y a pas de texte communautaire contraignant sur le clonage et encore moins sur le clonage animal, qui ne suscite pas les mêmes appréhensions que le clonage humain. En effet, les deux doivent être distingués. Tout d'abord, contrairement au clonage humain, il n'y a pas d'interdiction du clonage animal et la pratique s'est beaucoup développée depuis la fameuse brebis Dolly en 1996. Depuis, le clonage s'est appliqué au veau, au porc, au lapin, au rat, au cheval, au chien, et au dromadaire, dernière espèce clonée puisque l'information a été donnée pas plus tard que la semaine dernière. Ensuite, le clonage animal peut s'avérer très utile dans certaines circonstances. La piste de la sauvegarde des espèces est un peu illusoire lorsque les espèces sont en voie d'extinction. Il me faut tout de même évoquer le clonage d'Aurore, l'une des trois dernières vaches de Bazougers, une race du Maine-Anjou, il y a quelques années. Mais ce sauvetage in extremis ne sauvera pas la race. En revanche, le clonage d'animaux de laboratoires qui permet de disposer d'animaux strictement identiques peut faciliter l'étude des effets de telle ou telle molécule. Le clonage d'animaux de compagnie est également une voie commerciale nouvelle.

Même si ce détour me paraissait utile, ce texte n'est pas un texte sur le clonage animal, mais seulement sur l'utilisation des aliments issus d'animaux clonés. Ces aliments seraient soumis au même principe d'autorisation préalable par l'AESA dans les conditions que l'on a vues. Quelques observations à ce sujet constituent en quelque sorte le troisième cercle de réflexion.

Tout d'abord, les produits issus d'animaux clonés, c'est-à-dire principalement la viande et le lait, ne présentent pas de différence avec l'original. Il n'y a pas d'apport ou de modification de substance, donc pas de différence avec l'animal cloné initial. La santé humaine n'est pas en jeu. Ce qui pose un problème déborde du seul champ de la santé publique. D'ailleurs, un aliment ne doit pas être seulement « bon à manger » mais doit être aussi « bon à penser ». Il y a des quantités d'espèces qui seraient parfaitement comestibles mais que l'on ne mange pas, parce que l'esprit n'est pas préparé à ce qu'elles soient mangées.

À ce jour, il n'y a pratiquement pas de clonage directement à des fins alimentaires. Avant tout pour des raisons de coût. Compte tenu du nombre des tests et des préparations, avec un pourcentage de chance de succès de l'ordre de 10 %, le clonage reste une technique coûteuse. Pour fixer les idées, le prix de revient d'un taureau cloné est de l'ordre de 100.000 euros.

Le clonage alimentaire est-il ou serait-il utile ? Il y a quelques mois, une personnalité publiait une tribune provocatrice intitulée : « Mangez des clones ». L'argument repose sur l'inocuité des aliments issus de clones et sur la satisfaction des besoins alimentaires en cas de pénurie. Face à cette position individuelle, il me faut évoquer la position collective du Conseil national de l'alimentation. L'avis, rendu le 13 octobre 2008, est très opposé au clonage animal, en se fondant essentiellement sur deux raisons.

Tout d'abord, les techniques actuelles de sélection des animaux donnent d'excellents résultats et ont permis de sélectionner des animaux qui répondent aux critères demandés par le consommateur et l'industrie alimentaire. D'ailleurs, une éventuelle pénurie en viande et en lait peut être aisément contournée par une réorientation des aides agricoles. Ainsi, le risque de pénurie ne peut à lui seul justifier le recours au clonage à des fins alimentaires.

Ensuite, le Conseil de l'alimentation pose la question de l'acceptabilité sociale qui renvoie à la perception des risques. Les premières études d'opinion montrent de grandes réticences à la consommation d'aliments issus d'animaux clonés. Mais le Conseil évoque surtout le retentissement éthique du clonage animal à des fins alimentaires. L'éthique peut se définir comme un ensemble de règles visant à indiquer comment les êtres doivent se comporter entre eux, dans une période donnée et dans un espace donné. C'est ce qui distingue l'éthique de la morale. L'éthique étant liée à un contexte, tandis que la morale est universelle. Le clonage animal a un retentissement éthique qui sort du registre scientifique dans la mesure où la banalisation implicite du clonage animal induite par ce texte inclut une possibilité d'application à l'espèce humaine elle-même.

Les Français sont réceptifs à de tels arguments. On serait donc tentés de dire « Halte, n'allons pas plus loin, c'est trop important pour s'engager dans cette voie sans en débattre ». Voire même, « c'est trop important pour s'engager dans cette voie » tout court. Certes. Mais au moment où la conclusion semble s'imposer, quelques arguments vont suffire à nous déstabiliser.

Le premier est une conséquence de l'approche éthique que l'on vient de privilégier. L'éthique est toujours relative. Elle dépend du lieu et des époques. De telle sorte qu'il faut admettre qu'il y a d'autres lieux où le clonage animal - et, a fortiori, les aliments issus d'animaux clonés - ne pose aucun problème. C'est le cas des États-Unis. L'analyse américaine est simple : « D'accord pour les objections scientifiques, sur la santé par exemple, s'il y en a, mais tout le reste relève du registre de l'irrationnel ». Or, comme il n'y a pas d'objection scientifique, il n'y a pas de problème pour développer le clonage animal. D'ailleurs, il existerait d'ores et déjà environ 600 taureaux clonés outre atlantique. Il faut bien être conscient que tout blocage ou tout frein européen se traduirait par un contentieux avec les États-Unis.

On vient de vivre une situation comparable à propos des importations de veaux aux hormones. Le contentieux s'est réglé par un accord : les États-Unis renoncent aux exportations de veaux aux hormones vers l'Europe en échange d'un accord sur des importations, en Europe, de viande américaine, sans hormones, à hauteur de 20 000 tonnes la première année et 45 000 tonnes dans trois ans. Le contentieux était certain et l'issue était très probable. Les États-Unis ont considéré que la compensation était correcte. C'est ainsi que fonctionne l'Organisation Mondiale du Commerce. Les différends se règlent souvent par des compensations commerciales. C'est aussi ainsi qu'un contentieux avec les États-Unis sur le commerce des aliments issus d'animaux clonés pourrait se dérouler. Bien sûr, cela ne doit pas être une raison pour renoncer à se positionner, mais il faut être conscient des conséquences de ses choix.

Le deuxième argument est plus embarrassant. Il n'y a, dans les faits, pratiquement aucun moyen de suivre le sort des animaux clonés et de leur descendance. On suit le sort du prototype en laboratoire, on suit encore l'évolution des premiers descendants, pour voir s'ils sont malades ou fragiles, ou s'ils présentent des caractéristiques imprévues. À l'extrême rigueur, on suit la troisième génération. Mais il arrive un moment où il n'est pas possible de suivre la filiation et de savoir si un animal, ou une viande, est issu d'un animal cloné.

Ainsi, toute la construction patiemment élaborée, fondée sur des arguments techniques, éthiques, s'écroule : il n'y a pas moyen de savoir si le consommateur consomme ou consommera des aliments issus d'animaux clonés. Quelques pays européens achètent d'ores et déjà des paillettes de taureaux clonés américains qui peuvent engendrer plusieurs dizaines de milliers de bovins. On peut ainsi affirmer qu'en Europe, aujourd'hui, quelques consommateurs mangent de la viande issue d'animaux clonés sans le savoir. Et si personne ne le sait aujourd'hui, personne ne le saura demain.

Les quelques solutions qui viennent spontanément à l'esprit ne sont guère satisfaisantes. La première est de rester sur l'analyse de santé publique. Mais cette solution conduit à une impasse car comme on l'a dit, le problème ne se pose pas en ces termes. La deuxième est de créer un pédigrée informatique pour chaque animal, qui permettrait de remonter au 4e, 5e, 10e ascendant... Est-ce crédible ? Peut-on augmenter les coûts de production de toute une filière pour régler le problème de quelques animaux ? La troisième est d'adopter une position de principe refusant le clonage animal à des fins alimentaires ; mais cela revient à fermer les frontières de l'Europe car la pratique se développe presque partout dans le monde. Le Parlement européen a adopté une résolution en ce sens, mais on peut penser que cette position restera sans effet pratique. Une solution de repli actuellement débattue consisterait à réglementer la commercialisation des aliments issus d'animaux clonés et de leur première descendance, sachant qu'après, on ne sait plus... Cette solution n'est pas plus convaincante que les autres.

Il arrive, comme c'est le cas ici, que les faits aillent plus vite que les lois. C'est pourquoi j'évoquais surtout une « préoccupation » en étant bien conscient des limites de mon intervention.

*

Au moment de conclure, je reviendrai à un plan politique, en formulant quelques observations et une proposition.

Je ne peux terminer cette analyse sans vous faire part d'un certain étonnement sur le fonctionnement de nos institutions européennes.

Un étonnement, tout d'abord, sur le calendrier qui dénote incontestablement une certaine maladresse. À quelques mois des élections européennes, la Commission européenne sort en accéléré des dossiers particulièrement épineux et même provocateurs. Qu'il s'agisse du vin rosé, des profils nutritionnels et maintenant des animaux clonés, voilà incontestablement de beaux arguments de campagne ! Cette accumulation de maladresses est presque une performance !

Ensuite, il me faut déplorer une certaine hypocrisie. On observera que jamais le mot clonage n'est utilisé. La disposition discutée évoque seulement « les aliments produits au moyen de nouvelles techniques ou technologies ». Même l'exposé des motifs reste silencieux. La Commission prend soin de ne jamais utiliser de mots qui fâchent et qui font débat. Tout est lisse et propre comme une paillasse de laboratoire. Alors que, dans le même temps, l'Europe étend les règles de conditionnalité des aides de la PAC au bien-être animal, à la surface ou à l'aération des cages des poules pondeuses, elle s'engouffre en toute innocence dans le clonage animal. J'y vois une certaine incohérence, voire, je l'ai dit, une certaine hypocrisie.

La question est d'autant plus grave que cette technique du clonage est presque une caricature du mode de production « productiviste » si régulièrement dénoncé lorsqu'on parle d'agriculture. Alors, à qui profite cette ouverture ? Comment éviter qu'une méfiance s'installe à l'encontre « des motivations mercantiles des promoteurs de l'application du clonage » pour reprendre l'expression du Conseil national de l'alimentation.

Enfin, il me faut aussi dénoncer une certaine inconséquence. La Commission, de plus en plus, prépare ses propositions par des livres verts, des questionnaires publics censés nouer des liens avec l'opinion. On peut avoir un questionnaire sur la mobilité des piétons, mais lorsqu'il s'agit du clonage..., il n'y a plus de questionnaire !

Tout cela me paraît extrêmement regrettable. Le mode de gouvernance européenne reste à inventer. Quel est le mode d'expression et de participation des citoyens à des choix techniques scientifiques et éthiques générateurs d'incertitudes ?

Mais il me semble qu'un tel sujet ne peut être traité en catimini, comme une disposition annexe. Pour se limiter au seul clonage animal, des questions vont apparaître sur les animaux de concours, les chevaux de course notamment, les animaux de compagnie, etc. Une solution de sagesse serait que la Commission prépare un texte général dédié au clonage animal, qui prendrait en compte l'ensemble des problématiques liées à cette nouvelle technologie.

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Je salue votre analyse et votre prudence sur un sujet particulièrement délicat. Néanmoins, je trouve que ce texte pose une nouvelle fois une question de méthode ou, comme vous le dites, de gouvernance. Ce travail de la Commission en catimini est plutôt regrettable. Un jour, on s'apercevra qu'on mange des animaux clonés ou des aliments issus d'animaux clonés sans le savoir, et sans que personne n'ait jamais rien dit sur le sujet. Le sujet mérite qu'on en débatte.

M. Richard Yung :

La traçabilité est d'ailleurs une demande croissante de la part des consommateurs et de la société.

M. Jacques Blanc :

On voit que sur ce sujet, c'est la représentation intellectuelle de l'aliment qui compte.

M. Jean Bizet :

Exactement, mais il faut savoir que certains ont une approche plus pragmatique et n'ont pas les mêmes réticences à consommer des aliments issus d'animaux clonés. C'est le cas des États-Unis par exemple.

M. Jean-René Lecerf :

Je suis un peu abasourdi par le sujet. On va bientôt manger des animaux clonés ! Le rapporteur nous dit qu'on en mange peut-être déjà, ou du moins, qu'on mange peut-être déjà des aliments issus d'animaux clonés ayant été nourris aux OGM, sur des prairies ayant reçu des boues de stations d'épuration... N'y a-t-il pas de quoi s'inquiéter ?

M. Jean Bizet :

Je reviens à ma formule : l'aliment « bon à manger » doit être aussi « bon à penser ».

M. Hubert Haenel :

Je crois qu'il est utile que le rapporteur continue de suivre ce sujet. Nous sommes bien, là encore, dans notre rôle d'alerte, et nous verrons, le moment venu, s'il faut avertir notre Gouvernement, nos collègues des autres commissions du Sénat, voire des autres parlements nationaux.

Économie, finances et fiscalité

Système unifié de règlement des litiges en matière de brevets
(E 4381)

Communication de M. Richard Yung

M. Hubert Haenel :

Je rappelle que, en 2006, nous avons mené une réflexion importante sur le système européen des brevets dans le cadre d'un groupe de travail pluraliste. Par la suite, la France a ratifié le protocole de Londres sur le brevet européen. En principe, des avancées auraient dû suivre sur la création d'un brevet communautaire et d'un système unifié de règlement des litiges. Or, on n'a toujours pas abouti sur ces deux sujets et le gouvernement semble se retrancher derrière la position présumée du Parlement pour exprimer des réserves sur l'idée d'un accord international permettant de mettre en place ce système juridictionnel unifié.

M. Richard Yung :

Nous sommes, en effet, saisis d'une recommandation de la Commission au Conseil tendant à autoriser la Commission à ouvrir des négociations en vue de l'adoption d'un accord créant un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets.

Dans une précédente communication, en novembre 2008, j'avais présenté les progrès réalisés sous présidence slovène en vue à la fois de la création d'un brevet communautaire et de la mise en place d'une juridiction unifiée. J'avais aussi indiqué que malheureusement, en dépit de ces progrès, il n'avait pas été possible d'aboutir sous la présidence française dont le bilan sur ce dossier aura donc été mince.

La recommandation qui a été présentée par la Commission européenne le 23 mars est donc une nouvelle occasion de faire un point sur cette question. Je crois qu'il nous faut aussi affirmer une position pour inciter le gouvernement à aller de l'avant sur un sujet essentiel pour nos entreprises. C'est l'objet de la proposition de résolution que je vous présenterai.

1/ Quelle est la situation actuelle pour les litiges en matière de brevets ?

Les demandes concernant la validité d'un brevet doivent être introduites devant les tribunaux de l'État membre dans lequel le brevet a été enregistré. Les actions en contrefaçon peuvent, quant à elles, être portées soit devant les tribunaux de l'État membre du domicile du défendeur, soit devant ceux de l'État membre où le préjudice s'est produit ou risque de se produire.

Cela veut dire concrètement que le système actuel entraîne des litiges dans de multiples juridictions. En effet, une entreprise doit introduire des recours parallèles dans tous les États membres où son brevet est valide. Cette situation est évidemment à la fois complexe et coûteuse. Elle est aussi source d'une très grande insécurité juridique puisque, pour un même brevet, il peut arriver que les juridictions nationales qui sont saisies rendent des décisions qui se contredisent ! En pratique, on dénombre environ 2 500 litiges par an, dont 1 200 en Allemagne, 600 au Royaume-Uni, 400 en France et 300 en Suisse. Ces litiges entraînent globalement un coût de 250 millions d'euros par an pour les entreprises.

Dans une communication en date du 3 avril 2007, la Commission européenne a évalué que les frais totaux en cas de litiges parallèles dans les quatre États membres (Allemagne, France, Royaume Uni et Pays-Bas) dans lesquels sont jugés la plupart des litiges en matière de brevet, varieraient entre 310 000 euros et 1 950 000 euros en 1ère instance et entre 320 000 et 1 390 000 euros en deuxième instance. Couplé à l'absence de titre unitaire, ce système de règlement des litiges à la fois complexe, onéreux et n'offrant aucune sécurité juridique, est pénalisant pour les entreprises, en particulier pour les PME et les inventeurs individuels. Une étude récente (décembre 2008), réalisée à la demande de la Commission européenne, souligne l'effet bénéfique qu'aurait au contraire un système unifié et intégré de règlement des litiges. Elle évalue les économies réalisées pour les fonds privés entre 148 et 249 millions d'euros par an dès 2013.

2/ Qu'est-ce qui est proposé aujourd'hui pour remédier à cette situation ?

Je rappelle que certains États membres et des pays tiers avaient élaboré, sous les auspices de l'Office européen des brevets, un projet de traité spécifique dit « EPLA » (« European Patent Litigation Agreement ») créant une cour européenne traitant de la validité des brevets et de la contrefaçon. Cette approche avait été soutenue par l'Allemagne et le Royaume-Uni. La France avait pour sa part proposé en 2006 la « communautarisation » du projet, c'est-à-dire son transfert dans un cadre communautaire intégrant l'aspect juridictionnel et le régime du brevet.

Plus récemment, une nouvelle approche pour le volet juridictionnel a emporté une assez large adhésion, y compris de l'Allemagne. Elle consiste à prévoir un traité établissant une juridiction unifiée qui couvrirait à la fois le brevet européen et le futur brevet communautaire, et qui serait donc ouvert à des pays non membres de l'Union.

C'est cette approche que concrétise la recommandation de la Commission au Conseil. La Commission propose, en effet, d'ouvrir des négociations entre la Communauté européenne, les Etats membres et les autres Etats adhérant à la convention sur la délivrance de brevets européens en vue de la conclusion d'un accord créant un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets. Il s'agirait d'un accord mixte couvrant à la fois les brevets européens existants et les futurs brevets communautaires. En dépit de ce caractère mixte, il devrait être considéré comme relevant de l'acquis communautaire.

Quelles seraient les caractéristiques de ce système unifié ? Il comprendrait un tribunal de première instance, avec des divisions locales et régionales ainsi qu'une division centrale, une cour d'appel et un greffe. Toutes ces divisions feraient partie intégrante d'une juridiction unique et seraient dotées de procédures uniformes. Pour la France, les divisions locales de première instance pourraient être situées à Paris et à Lyon. Le Luxembourg souhaiterait accueillir la Cour d'appel. Les juges de cette juridiction unifiée devraient disposer d'un degré élevé de spécialisation dans le domaine des litiges en matière de brevets et d'une expertise technique. Une formation serait mise en place afin de renforcer cette expertise. Un pool de juges qualifiés à la fois juridiquement et techniquement serait institué.

La compétence de cette juridiction unifiée serait large. Elle concernerait à la fois le brevet européen et le futur brevet communautaire. Elle porterait aussi bien sur les actions en contrefaçon, les actions en nullité, les demandes reconventionnelles en nullité ou encore les actions en réparation. En principe, l'une des 23 langues serait utilisée, sauf accord des parties pour utiliser l'une des trois langues de procédure du brevet européen, c'est-à-dire l'allemand, l'anglais ou le français. Il y aurait une traduction intégrale du brevet qui serait financée par le système européen.

Les décisions de cette juridiction unifiée produiraient des effets sur tout le territoire couvert par le brevet en cause. C'est évidement là que réside toute son utilité et qu'un changement substantiel serait opéré par rapport à la situation qui prévaut actuellement. Les décisions de première instance pourraient faire l'objet d'un recours devant la cour d'appel. La Cour de justice, pour sa part, statuerait sur les questions préjudicielles posées par les juridictions du système unifié, en ce qui concerne l'interprétation du droit communautaire, ainsi que la validité et l'interprétation des actes des institutions de la Communauté.

3/ Où en est-on et quelles sont les perspectives des discussions en cours ?

Il faut d'abord préciser que ce mandat de négociations n'est pas destiné à être adopté immédiatement. Il a été présenté par la Commission européenne, afin qu'une demande d'avis puisse être adressée à la Cour de justice pour vérifier que l'accord serait compatible avec le traité et que l'Union européenne dispose d'une compétence pour le conclure. Ce qui explique que les directives de négociations envisagées soient formulées intentionnellement de manière large. Une discussion détaillée sur le contenu du mandat ne s'imposera qu'à compter de la réception de l'avis de la Cour de justice. La Commission européenne espère que cet avis puisse être rendu d'ici la fin de l'année. Mais cela semble très optimiste au regard des délais habituels pour ce type de procédure.

La majorité des États membres a salué la présentation du mandat de négociation par la Commission européenne et se sont déclarés prêts à travailler sur la demande d'avis à la Cour de justice. Les questions en suspens portent sur le point de savoir qui adressera cette demande d'avis et comment elle sera formulée. Le conseil compétitivité de fin mai devrait se prononcer. Je précise que pour la Commission européenne, c'est le Conseil qui devrait adresser la demande d'avis puisqu'elle-même n'a aucun doute sur la compatibilité du projet d'accord avec le traité. Parmi les rares États qui s'opposent, on trouve l'Espagne qui met en particulier en avant la question du régime linguistique.

Plus préoccupante est la position défendue actuellement par le gouvernement français qui fait valoir dans les discussions en cours que, si ce contentieux était confié à une juridiction non communautaire, la France aurait une difficulté sérieuse, y compris au stade de la ratification, pour des raisons à la fois juridiques et politiques.

Comme je l'ai rappelé, la France avait proposé en 2006 la création d'une juridiction communautaire. Par principe, le ministère de la justice est hostile à la création de toute nouvelle juridiction supranationale et spécifique qui pourrait apparaître comme un démembrement du système juridictionnel. Or les discussions techniques ont mis en évidence que les règles du traité ne permettraient pas la présence de juges spécialisés, pourtant essentielle pour ce contentieux très technique, et supposeraient l'application d'un régime linguistique et de procédures peu adaptés au contentieux spécifique des brevets. En outre, se poserait la question de la participation des États tiers membres de l'Office européen des brevets qui ne font pas partie de l'Union européenne. Un système de règlement des litiges purement communautaire les laisserait de côté. Pour ces motifs, la solution d'une juridiction mixte a été privilégiée.

Le Gouvernement a ensuite envisagé de se satisfaire d'un simple contrôle par la juridiction communautaire, par l'institution d'un pourvoi en cassation devant la Cour de justice. Or, L'Allemagne, la Commission et la plupart des autres pays s'opposent à la proposition française. Ils considèrent que la Cour de justice n'a pas l'expérience et la compétence pour se prononcer sur la validité ou la contrefaçon d'un brevet mais qu'elle doit dire le droit communautaire. C'est donc la voie de la question préjudicielle qui a en définitive été retenue dans le projet de mandat. Ce qui conduit le Gouvernement à indiquer que la France ne pourrait, en l'état, souscrire à ce projet de mandat.

En maintenant cette position, la France apparaît ainsi très isolée au sein du Conseil. Certes, il n'est pas illégitime de soumettre à la Cour de justice les différentes questions juridiques que peut soulever le projet d'accord. Mais il me semble que l'essentiel est d'assurer que les règles du droit communautaire soient correctement appliquées par la future juridiction unifiée, ce que permettrait le mécanisme de la question préjudicielle. Cette question ne devrait donc pas constituer un motif de blocage de la part de la France.

Je crois par ailleurs qu'il est essentiel de lier la question du système juridictionnel avec celle de la création du brevet communautaire. C'est d'ailleurs la position de nombreux États membres. En particulier, l'Allemagne ne pourrait accepter une perte de compétence sur le règlement des litiges de brevet qui relève actuellement des Länder que si un brevet communautaire était créé. Il faut un titre unitaire qui offre aux entreprises une protection complète de leurs inventions sur l'espace communautaire. C'est bien la position de la Commission européenne qui souhaite mettre en place à la fois le brevet communautaire et le système juridictionnel unifié. Son espoir est d'arriver à un accord sur un texte de compromis à la fin de la présidence suédoise. Mais si l'avis de la Cour de justice n'était rendu que courant 2010, ce qui est probable, il faudrait vraisemblablement patienter jusqu'à la présidence belge qui succédera à la présidence espagnole au deuxième semestre 2010.

Pour conclure, je vous propose de formaliser une position qui, d'une part, soutient la démarche proposée par la Commission européenne et, d'autre part, souligne l'exigence d'aboutir à un accord global incluant la mise en place d'un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets et la création d'un brevet communautaire.

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Cette proposition de résolution permet de lever toute équivoque sur l'idée que le Parlement serait opposé à la démarche préconisée par la Commission européenne dans sa recommandation. Je rappelle que tous les représentants des entreprises que le groupe de travail avaient auditionnés en 2006 avaient souligné qu'il était indispensable d'assurer une plus grande sécurité juridique et de clarifier le système de règlement des litiges.

M. Christian Cointat :

Le brevet européen ne suffit-il pas ? Faut-il vraiment créer un brevet communautaire ? L'existence de deux titres en matière de brevets ne serait-elle pas une source de complexité ?

M. Richard Yung :

Le brevet communautaire sera un symbole très fort d'achèvement du marché intérieur. Il permettra des économies d'échelle importantes. Il conduira à une unification plus grande dans un cadre communautaire, ce que ne permet pas le brevet européen. Mais il est essentiel d'assurer le lien entre la mise en place d'un système unifié de règlement des litiges et la création d'un brevet communautaire.

M. Hubert Haenel :

Je constate que, depuis des années, il n'y a pas d'avancée sur ces sujets essentiels. On invoque aujourd'hui une éventuelle position du Parlement à l'occasion d'une ratification pour freiner le processus. La proposition de résolution encourage l'ouverture des négociations sur un système unifié de règlement des litiges sans préjuger de leur issue. Je rappelle à nouveau que les entreprises françaises demandent cette clarification qui ne peut être retardée pour de mauvaises raisons.

À l'issue du débat, la commission a conclu au dépôt de la proposition de résolution suivante :

Proposition de résolution

Vu l'article 88-4 de la Constitution ;

Vu la recommandation de la Commission au Conseil visant à ouvrir des négociations en vue de l'adoption d'un accord créant un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets ;

Considérant que le système actuel de règlement des litiges en matière de brevets entraîne des contentieux devant des juridictions multiples ; qu'il est ainsi à la fois complexe, coûteux et source d'une très grande insécurité juridique pour les entreprises, tout particulièrement les petites et moyennes entreprises, et pour les inventeurs individuels ; qu'il constitue en conséquence un frein au développement de l'innovation à travers un système de brevet sûr et efficace ;

Considérant que, dans ces conditions, un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets apparaît nécessaire ; que la mise en place d'un tel système doit être lié à la création d'un brevet communautaire qui permettra aux entreprises et aux inventeurs individuels de bénéficier d'une protection complète et uniforme de leurs inventions sur l'ensemble de l'espace communautaire ;

Le Sénat :

Approuve la démarche proposée par la Commission européenne dans sa recommandation ;

Demande, en conséquence, au Gouvernement d'agir dans le sens proposé par la recommandation de la Commission et de veiller à la recherche d'un accord global incluant la mise en place d'un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets et la création d'un brevet communautaire.