Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mardi 12 février 2008


Table des matières

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Institutions européennes

Audition de M. Alexandr Vondra, vice-premier ministre
pour les affaires européennes de la République tchèque1(*)

M. Josselin de Rohan :

La coordination entre les présidences française et tchèque sera d'une grande importance. La France aura la tâche délicate de contribuer à définir le nouvel équilibre institutionnel prévu par le traité de Lisbonne, dont la mise en oeuvre débutera normalement sous présidence tchèque.

Quelle est votre analyse du nouveau paysage institutionnel ? La présidence stable du Conseil européen, la présidence de la Commission, le haut représentant de l'Union, la présidence en exercice forment un ensemble complexe. Comment en assurer le bon fonctionnement ?

La ligne directrice de la présidence tchèque sera « une Europe sans barrière ». Notre ministre des affaires étrangères vient d'être qualifié de « ministre sans frontière » par un hebdomadaire très connu. Voilà qui devrait bien aller ensemble ! Je crois, plus sérieusement, que nous partageons en grande partie une vision de l'Union comme acteur global dans le monde et que nos positions à l'égard du Kosovo sont proches. Sur l'élargissement, nos sensibilités sont peut-être moins proches.

La relance de la politique de sécurité et de défense commune est une des priorités de la France. Quel est votre éclairage à cet égard, y compris en ce qui concerne l'évolution du lien transatlantique ?

M. Hubert Haenel :

J'ai eu la chance de m'exprimer récemment à Prague sur la coordination, que je souhaite étroite, de nos présidences. On m'a dit ironiquement : « Après la France, il n'y aura plus rien à faire ! » ; j'ai répondu : « Il vous restera plus que vous n'en voudrez ! ». La présidence est une responsabilité très brève ; c'est la continuité des présidences qui est déterminante.

La ratification du nouveau traité, dans votre pays, sera-t-elle rapide ? Plus tôt le processus sera terminé, plus tôt nous pourrons commencer le travail de mise en place, qui ne sera pas une petite affaire.

M. Alexandr Vondra :

Je suis d'autant plus heureux d'être devant vous que mes fonctions ministérielles, cumulées avec mon mandat de sénateur, ne me laissent guère de liberté. J'ai réussi à venir à Berlin puis à Paris - les deux partenaires les plus importants pour la préparation de notre présidence - entre les deux tours de notre élection présidentielle à laquelle je participe comme sénateur.

C'est un plaisir de voir la France ratifier si vite le traité de Lisbonne. Mais vous aviez une longueur d'avance sur nous, car vous aviez eu une discussion approfondie sur le traité constitutionnel ; dans notre pays, cette discussion avait été interrompue après les référendums négatifs. Je crois que le Parlement tchèque devrait statuer d'ici deux mois ; mais il est possible que la Cour constitutionnelle soit saisie et que la ratification n'intervienne qu'à l'automne. En tout état de cause, nous ne voulons pas retarder le processus : je suis persuadé que nous serons prêts à temps.

Exercer la présidence sera pour nous une première. Nous sommes en Europe un pays moyen, comparable en population à la Suède, qui nous succèdera. Nous voulons beaucoup écouter, être attentifs, nous inspirer des autres. Nous présiderons l'Union durant une période difficile, où le moteur législatif sera au ralenti tandis que le moteur politique montera en puissance. De plus, nous serons les premiers à mettre en place les nouvelles règles du jeu - à supposer que l'incertitude qui subsiste sur la ratification en Irlande et en Grande-Bretagne soit levée. Ce sera compliqué. France, République tchèque et Suède devront agir en coopération. J'ai eu sur ce point une rencontre très positive avec Jean-Pierre Jouyet.

2009 sera le vingtième anniversaire de la chute du rideau de fer. Notre formule d'une « Europe sans barrière » aura du sens ! Cinq ans se seront écoulés depuis l'élargissement et nous pourrons tous être fiers du résultat. Il faut aussi tenir compte des jeunes, qui voient l'avenir d'un autre oeil. Nous souhaitons une présidence joyeuse. Il y aura des difficultés, mais nous autres Tchèques savons improviser.

Sur quoi voulons-nous insister ? Le Conseil européen du printemps mettra l'accent sur ce qui préoccupe les citoyens : la compétitivité économique, la croissance, le bien-être. Nous avons de nouveaux concurrents en Asie. Nous devons investir dans la formation, la recherche, l'innovation. Nous devons respecter complètement les quatre libertés : c'est notre leitmotiv. La présidence française aura déjà une grande responsabilité pour les questions d'énergie, d'environnement, de réchauffement climatique. Nous sommes prêts à apporter notre appui. Nous sommes tous deux exportateurs d'électricité et avons une tradition industrielle.

L'Union doit devenir une entité forte dans le monde globalisé. Les Balkans sont naturellement au centre de l'attention. La Croatie adhèrera normalement en 2009. Une nouvelle administration américaine se mettra en place. Nous souhaitons un renforcement des relations à l'occasion du 60ème anniversaire de l'Alliance. La France souhaite renforcer la politique de sécurité et de défense commune. C'est un projet à traiter en 2008/2009. Nous serons heureux d'y contribuer. Nous souhaitons que l'Union soit un acteur fort ; nous voulons également garder de bons rapports avec les États-Unis. Nous serons constructifs.

Il y a aussi un travail à faire pour améliorer la gouvernance européenne. Nous devons persuader les citoyens de croire à l'Europe dans un monde globalisé. Nous devons surmonter les vieux schémas : Est/Ouest, anciens/nouveaux États membres... Il ne doit plus y avoir dans les esprits « nous » et « eux », les professeurs et les élèves ! Il nous faut des regards neufs, dans un esprit de réelle coopération.

M. Pierre Fauchon :

Mon premier voyage à Prague a eu lieu peu après la mort de Jan Palach ; je me souviens de l'émotion éprouvée devant sa tombe.

Ma question porte sur le rapprochement des législations et l'action commune pour lutter contre la criminalité internationale, qui ignore pour sa part les frontières. Le traité de Lisbonne prévoit la possibilité de mettre en place un parquet européen, d'abord pour lutter contre les atteintes aux intérêts financiers de l'Union, par exemple les célèbres vaches corses qui n'existent que sur le papier. On me dit que la République tchèque est réticente : est-ce exact ?

M. Alexandr Vondra :

La mort de Jan Palach a eu lieu en 1969. Vingt ans après, j'ai été emprisonné avec Vaclav Havel pour l'avoir commémorée. Vingt ans encore après, la République tchèque présidera l'Union. Quel chemin !

Nous sommes désormais dans l'espace Schengen. Il est vrai que la libre circulation s'accompagne d'une hausse de la criminalité et qu'il faut agir ensemble. Nous avons adopté le traité de Prüm, et le traité de Lisbonne nous donnera également des outils pour agir. Mais il est vrai que, pour la République tchèque, certaines questions sont sensibles. Si un policier allemand franchit la frontière pour effectuer une arrestation sur notre territoire, ce n'est pas perçu comme une affaire anodine. Il faudra du temps pour certaines évolutions. Nous n'avons pas pour autant demandé des exemptions à l'instar de la Grande-Bretagne et de l'Irlande...

M. Pierre Fauchon :

... et de la Pologne !

M. Alexandr Vondra :

Précisément, j'ai beaucoup discuté avec des responsables polonais. Leur situation est complexe, compte tenu du poids du catholicisme et de son antagonisme avec les modernistes. Je pense par exemple à ce gardien de but polonais d'un club écossais, qui faisait un signe de croix au début des matchs. Quand on lui a demandé d'arrêter, il ne comprenait pas pourquoi ! Ce qui est « politiquement correct » n'est pas pareil pour tout le monde. On ne perçoit pas les choses de la même façon quand on a vécu dans un pays où se dire croyant faisait courir des risques. Mais, en République tchèque, nous avons une toute autre expérience historique que la Pologne, et nous sommes le peuple le plus agnostique d'Europe.

M. Jean Bizet :

On dit que la ratification du traité de Lisbonne par la Slovaquie pourrait poser problème, l'opposition conditionnant son accord à l'abandon de certains projets gouvernementaux. Faut-il s'inquiéter ?

Je reviens de Bruxelles où se tenait une rencontre interparlementaire sur la stratégie de Lisbonne. Nous avons besoin d'un saut technologique pour être compétitifs vis-à-vis des États-Unis. Arriver à mettre en place le brevet communautaire serait un grand progrès, mais c'est une affaire de longue haleine : on ne peut y arriver dans les quelques mois d'une présidence. Ne serait-il pas judicieux de coordonner nos efforts dans ce but ? Vous avez parlé des quatre libertés : on commence à parler de la cinquième liberté, celle de la libre circulation des connaissances dans un espace européen de recherche.

M. Alexandr Vondra :

Je suis convaincu qu'en Slovaquie la ratification de Lisbonne n'est pas menacée. Elle correspond aux intérêts stratégiques de ce pays. En réalité, le gouvernement slovaque veut faire passer une loi qui limiterait la liberté des journalistes et qui ne manquerait pas de provoquer des réactions internationales. L'opposition utilise le débat de ratification de Lisbonne pour essayer de faire reculer le gouvernement. Mais cette opposition est fondamentalement pro-européenne. Les chrétiens-démocrates slovaques sont très favorables au traité de Lisbonne. Je voudrais souligner que l'intervention du président du Parlement européen dans ce débat, pour expliquer que la ratification de Lisbonne devait être prioritaire, n'était pas très adroite.

La science est un sujet très important pour la République tchèque. Nous appuyons Galileo, l'Institut technologique européen, la cinquième liberté... Nous sommes prêts à une coordination pour faire avancer le brevet européen.

M. Hubert Haenel :

Que pensez-vous du projet d'« Union pour la Méditerranée » ? Pensez-vous que le futur « comité des sages » doive se pencher sur le problème des frontières de l'Europe ? Enfin, quelle est votre position sur la question du Kosovo ?

M. Alexandr Vondra :

Nous avons de nombreux points de vue communs. Il y a aussi des divergences : l'« Union pour la Méditerranée » en est un exemple. C'est vrai que la Méditerranée est importante pour l'Europe, qu'elle est le berceau de sa civilisation. Mais nous avons déjà le processus de Barcelone, et nous ne souhaitons pas qu'on donne une priorité à la Méditerranée par rapport à l'Est. Nous sommes opposés à une institutionnalisation de la dimension méditerranéenne. Si nous nous lançons dans cette voie, nous aurons une Europe baltique, une Europe centrale, une Europe méditerranéenne... Que restera-t-il de l'Union européenne ? Cela dit, je comprends qu'à Marseille on voie les choses autrement qu'à Copenhague : ce n'est pas anormal !

Pour ce qui est du « comité des sages », nous ne voulons pas que son travail puisse être utilisé pour faire barrage à des élargissements ultérieurs. Il ne doit pas non plus aborder les questions budgétaires ou fiscales. Son mandat actuel nous convient et doit être respecté.

Au Parlement tchèque, nous avons eu la semaine dernière un débat sur le Kosovo. Ce n'est pas pour nous une question simple. Instinctivement, nous avons plus de sympathie pour les Serbes que pour les Kosovars, et les débats étaient émouvants. Certains ont évoqué le souvenir des accords de Münich. Mais la résolution finalement adoptée donne au gouvernement la marge nécessaire pour suivre la position de l'Union. Il faut reconnaître que les possibilités de négociation ont été à peu près toutes essayées sans succès. L'idéal serait que tous les États membres prennent le même jour la même position. Mais si la reconnaissance du Kosovo devait prendre la forme d'une course de relais, les Tchèques seraient plutôt dans les derniers ! En tout cas, nous n'allons pas être catégoriques, comme pourraient l'être la Roumanie, la Slovaquie ou l'Espagne pour qui la question est autrement plus sensible en raison de leur propre situation. La République tchèque a d'ailleurs déjà pris ses responsabilités, avec des militaires sur place et la participation à une mission civile.

M. Josselin de Rohan :

La République tchèque envisage son adhésion à l'euro, mais le gouverneur de votre banque centrale ne ménage pas ses critiques à l'égard de la Banque centrale européenne ; est-ce que cela pourrait constituer un obstacle ?

Ne pensez-vous pas que, si l'on raisonne dans la durée, une harmonisation fiscale et budgétaire permettrait à l'Europe d'être plus forte ?

Enfin, votre ministre des affaires étrangères aurait qualifié la politique agricole commune de « tare de l'Europe ». Faut-il transformer la politique agricole commune ? Faut-il supprimer la préférence communautaire ?

M. Alexandr Vondra :

Nous allons adopter l'euro. Quand ? Dans un an, deux ans, trois ans au plus tard ; nous avons la volonté politique de le faire. Il faut sans doute voir dans les déclarations du gouverneur de notre banque centrale une exagération voulue, au moment où nous allons reprendre les discussions sur ce sujet. La couronne tchèque se comporte bien par rapport au dollar. Celui-ci valait 40 couronnes en 2001 ; il en vaut aujourd'hui 17. Quant à l'euro, il valait 30 couronnes il y a trois ans, et la parité se situe aujourd'hui entre 23 et 24. Aux jeunes qui veulent accélérer l'entrée dans l'euro, je fais remarquer qu'ils auraient beaucoup perdu à une entrée il y a trois ans. De même, nous subissons des pressions des exportateurs qui jugent notre monnaie trop forte, mais je constate pour ma part que nous dégageons un excédent commercial important. Nous verrons comment est accueillie la demande slovaque. Une déception comme celle qu'a connue la Lituanie n'est à souhaiter à personne.

L'harmonisation fiscale n'est pas un bon sujet pour la coopération franco-tchèque. Nous y sommes opposés. Elle nuirait à notre avis à la compétitivité et au dynamisme de l'Europe. Certains, je le sais, estiment qu'elle sera nécessaire à long terme. Mais, actuellement, ce n'est pas le cas et je ne vois pas de raison de se lier les mains aujourd'hui. De toute manière, sur quoi s'alignerait-on, le niveau français ou le niveau tchèque ? Si nous devions adopter le niveau français, comme l'expliquer à nos citoyens ?

La politique agricole commune, en revanche, n'est pas un sujet interdit. Je suis sénateur d'une région agricole. Les agriculteurs - qui sont mes électeurs et amis - soutiennent la politique agricole commune avec enthousiasme. Il faut cependant éviter que les subventions ne deviennent une drogue. Et les agriculteurs ne sont que 4 % de la population. La République tchèque et la France ont en commun d'avoir de belles campagnes, qu'il faut maintenir en vie. Il faut aussi cohérence et pragmatisme : il y a deux ans, les biocarburants étaient l'avenir ; les agriculteurs ont investi pour produire du bioéthanol. Aujourd'hui, le marché est pris par les Brésiliens et les raffineries sont sous-utilisées. Que faire ? Fermer le marché européen ? Le protectionnisme est dangereux, l'histoire l'a montré. Mais j'admets que nous devons être vigilants.


* Cette audition est en commun avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.