Réunion de la commission des affaires européennes du mardi 11 mai 2010



Disponible au format Acrobat (128 Koctets)


Budget communautaire

Audition de M. Alain Lamassoure,
Président de la commission des budgets du Parlement européen

M. Alain Lamassoure :

Le week-end dernier, nous avons vécu des journées passionnantes qui ont une chance de rester dans l'histoire. Sans doute la date du 9 mai, jour de la déclaration Schuman, est-elle propice à la construction européenne.

Le financement des politiques européennes préoccupe la commission des budgets du Parlement européen. Tous les États membres ont subi, jusqu'à la crise grecque, deux tempêtes successives : d'abord une tempête financière, puis le ralentissement économique, qui en est la conséquence, et dont nous sortons péniblement.

Au-delà de la qualité de la gestion de tel ou tel État membre, il apparaît que le modèle économique de vingt États sur vingt-sept est inadapté aux conditions de l'économie mondiale. En effet, seuls sept États ne font pas l'objet d'une procédure de déficit excessif, à savoir les pays d'Europe scandinave, le Benelux, l'Autriche et la Pologne. Ces pays ont traversé la crise dans d'assez bonnes conditions. Ils ont certes connu la récession économique et les déficits qui en sont la conséquence, mais leurs fondamentaux étaient suffisamment sains pour leur permettre de rebondir.

Les autres États membres peuvent se classer en trois catégories. La première catégorie concerne les « cigales », dont la Grèce fait partie. La Grèce a en effet clairement vécu au-dessus de ses moyens. Je rappelle qu'entre son adhésion à la Communauté européenne, en 1981, et aujourd'hui, la dette publique de ce pays a quadruplé et que les salaires dans la fonction publique ont triplé depuis son entrée dans la zone euro. La Grèce a bénéficié de 250 milliards d'euros au titre des fonds structurels, mais a maquillé ses comptes. Je suis naturellement conscient que d'autres États membres vivent au-dessus de leurs moyens, la Hongrie et la Roumanie par exemple, et je constate d'ailleurs que ceux-ci ont également bénéficié d'une assistance du Fonds monétaire international (FMI).

La deuxième catégorie, celle des « escargots », regroupe les grandes puissances continentales : l'Allemagne, la France et l'Italie. Ces trois pays sont caractérisés par une croissance économique extrêmement faible, voire nulle dans le cas de la France et de l'Italie. L'Allemagne a réalisé des efforts que la France a refusé de faire. Elle a rendu à son économie sa pleine compétitivité grâce à la modération salariale et aux réformes structurelles engagées à l'époque du gouvernement Schröder. Aujourd'hui, les exportations représentent 47 % du produit intérieur brut (PIB) allemand, soit un doublement en dix ans, mais la demande interne est atone. La situation est exactement inverse en France, notre pays connaissant un état de résignation tel que l'on y cherche des justifications à la croissance zéro, voire à la décroissance. En Allemagne, toutefois, les efforts consentis semblent ne pas donner les résultats espérés, ce qui suscite de fortes frustrations.

La troisième catégorie regroupe le Royaume-Uni, l'Espagne et l'Irlande, qui présentent la particularité d'être des anciens « bons élèves » avec une croissance élevée, un chômage en baisse et une situation budgétaire satisfaisante. Dans chacun de ces pays, la situation s'est complètement retournée en très peu de temps. Je rappelle que la livre sterling a ainsi perdu 25 % de sa valeur en six mois. Sans doute le Royaume-Uni a-t-il pâti d'avoir laissé les services financiers, qui représentent 15 % de son PIB, se développer exagérément. Le cas de l'Espagne est encore plus grave puisque ce pays a misé de façon déraisonnable sur le développement de l'immobilier et connaît une grave crise depuis l'éclatement de la bulle immobilière.

Cette typologie m'amène à poser la question de la coordination des politiques économiques des États membres, c'est-à-dire de la gouvernance économique européenne. Force est de constater qu'il ne suffit pas de s'intéresser aux soldes, le déficit budgétaire ou l'endettement public par exemple, mais qu'il est nécessaire d'aller plus loin et d'élaborer des modèles économiques durables et qui ne sont pas contradictoires selon les États membres, comme c'est le cas aujourd'hui.

C'est l'ensemble de l'Union européenne qui est actuellement confronté à une grave crise. Or, il n'existe que deux manières de sortir d'une crise, soit par le bas, soit par le haut. Jusqu'au week-end dernier, le risque était grand que l'Europe sorte de cette crise par le bas, c'est-à-dire par le protectionnisme. Au lendemain de la faillite de la banque américaine Lehman Brothers, l'Union européenne, notamment sous l'impulsion de la présidence française, et le G 20, avaient certes vigoureusement réagi pour ne pas répéter les erreurs commises à l'occasion de la grande dépression des années 1930. Pour autant, la tentation de faire prévaloir les égoïsmes nationaux, c'est-à-dire de refuser les contraintes européennes, est encore grande, par exemple en Allemagne ainsi qu'en France.

Nous pouvons penser, depuis le week-end dernier, que nous sommes en train de sortir de la crise par le haut, c'est-à-dire en privilégiant la solidarité européenne. Il me semble que cette voie permettra d'obtenir des avantages insoupçonnés, y compris pour alléger les déficits nationaux. Nous sommes en effet confrontés à un exercice très difficile qui consiste à réduire impérativement les déficits sans compromettre le timide redémarrage de la croissance. Pour cela, il faut prêter attention à la qualité de la dépense publique et privilégier celle qui prépare l'avenir.

J'en viens maintenant aux problèmes budgétaires que connaît l'Union européenne. A priori, ces problèmes paraissent insolubles. En effet, l'Union européenne est confrontée aux discours contradictoires de ses dirigeants. Je rappelle qu'en 2005, les chefs d'État et de gouvernement des pays contributeurs nets avaient signé une lettre dans laquelle ils indiquaient ne pas accepter que le budget communautaire dépasse le seuil de 1 % du PIB européen. C'est pourquoi l'actuel cadre financier 2007-2013 est fondé sur le taux de 1,045 %, qui apparaît comme un dogme intangible. A titre personnel, je suis favorable à ce qu'on alloue au budget européen des ressources financières propres et je déplore que cette idée soit perçue comme choquante par certains.

Dans le même temps, le Conseil européen du mois de juin prochain adoptera la stratégie Europe 2020, dans le but de réussir là où la stratégie de Lisbonne a échoué. Il faudra bien pourtant financer les grands axes promus par cette stratégie, que d'aucuns qualifient de « vaisseaux amiraux ». Nous devrons surmonter le caractère contradictoire de ces deux discours et donc trouver des ressources pertinentes pour alimenter le budget européen et allouer un certain niveau de dépenses aux priorités politiques définies. J'appelle donc votre attention sur la nécessité de consacrer des moyens, publics ou privés, suffisants pour financer ces grandes priorités. La modicité du budget communautaire laisse une place aux financements nationaux.

Je propose que des représentants des parlements nationaux débattent ensemble des modalités du financement des objectifs communs que l'Union européenne s'est fixés. Concrètement, cette réflexion pourrait prendre la forme d'un débat d'orientation budgétaire conduit, à titre expérimental, dans les parlements nationaux, au moins ceux de la zone euro. Elle pourrait durer deux jours et utiliser les moyens modernes de communication. Un tel débat apporterait de réelles innovations. Il impliquerait de recourir à des hypothèses économiques communes. Surtout, il permettrait d'étudier la compatibilité des politiques budgétaires nationales avec le financement des politiques européennes, ce qui n'exclut naturellement pas l'existence de spécificités nationales. Je pense à la part importante des dépenses militaires en France. Dès lors que le budget permet de mesurer la solidarité, je me demande s'il est réaliste de plafonner durablement la solidarité européenne à 1 % du PIB communautaire. J'estime par conséquent qu'il est indispensable de rouvrir le dossier des ressources propres.

J'en viens maintenant, de façon plus spécifique, à la crise grecque. Selon moi, celle-ci ouvre un chapitre nouveau de l'histoire européenne et démontre la crédibilité de la démarche que je préconise. La crise grecque illustre, après la tempête financière et la récession économique, la nouvelle crise qui affecte l'Union européenne, celle de l'endettement public. Les effets du ralentissement économique, conjugués aux conséquences des différents plans de relance, ont creusé les déficits. Or, l'Union européenne n'a pas été capable de prendre avec la rapidité suffisante les mesures nécessaires pour empêcher la survenue de cette troisième crise. Le plan de sauvetage des banques européennes, mis en place après la faillite de Lehman Brothers, était pourtant d'une ampleur bien plus importante, soit 1 700 milliards d'euros, dont 480 milliards supportés par l'Allemagne. Les opérateurs financiers se sont rendu compte de l'inertie des dirigeants européens et ont compris que la faillite d'un État membre n'était plus une hypothèse d'école, ce qui a provoqué une panique sur les marchés. Les obligations d'État sont apparues comme des actifs toxiques, comme l'avaient été les subprimes en leur temps.

Le dispositif de garantie des crises spéculatives d'un montant de 750 milliards d'euros, dont 60 milliards proviennent d'un emprunt contracté par la Commission européenne et garanti par le budget communautaire, mis en place le week-end dernier, revêt une ampleur considérable et ouvre des perspectives nouvelles. Il est fondé sur l'article 122 du traité de Lisbonne, qui reprend d'ailleurs une disposition du traité de Maastricht, qui permet aux États membres de la zone euro de recevoir une assistance financière en cas de graves difficultés échappant à leur contrôle. À cet égard, il ouvre une brèche qui permet d'effectuer des choix politiques différents en Europe.

De même, la décision de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, qui a jugé conforme à la Constitution allemande la loi mettant en oeuvre le dispositif d'assistance à la Grèce, démontre également que le principe de solidarité peut, dans des circonstances exceptionnelles, primer le principe de responsabilité. Enfin, je note que la Banque centrale européenne, en contradiction avec les dispositions du traité, a pris des « mesures non conventionnelles », c'est-à-dire qu'elle achète des obligations d'État.

Ce contexte crée une configuration politique complètement nouvelle. Les dirigeants européens ont soudainement pris conscience qu'ils ne pouvaient sortir de la crise que par le haut. Je considère qu'il faut poursuivre dans la même direction. Cet exemple réussi de solidarité européenne doit nous inciter à aller plus loin et à compléter le volet financier de la construction européenne par un volet budgétaire afin de poser ensemble les fondements d'une croissance économique plus forte et davantage durable en termes environnementaux et sociaux.

M. Simon Sutour :

Au cours des années 1999-2006, le budget communautaire représentait plus que 1,045 % du PIB de l'Union, norme retenue pour le cadre financier actuel. Il n'a donc pas augmenté depuis une dizaine d'années, alors que l'Europe a connu d'importantes évolutions, à commencer par les élargissements successifs. Avec notre collègue Yann Gaillard, je travaille actuellement sur l'avenir de la politique régionale, qui suscite des inquiétudes pour le cadre financier postérieur à 2013. Il est fort probable, en effet, que les crédits de la politique régionale diminuent sensiblement à l'avenir, avec des conséquences évidentes sur le terrain. Je crains que cette évolution ne favorise une mauvaise perception de l'Union européenne dans les collectivités territoriales. Or, les arbitrages qui seront effectués entre les deux objectifs de la politique régionale risquent de se faire au détriment de l'objectif 2 qui concerne la compétitivité régionale et l'emploi.

M. Robert del Picchia :

La décision prise le week-end dernier par le Conseil européen revêt un caractère historique et ouvre des perspectives positives pour la construction européenne. Il est nécessaire de profiter de ce contexte favorable pour renforcer la gouvernance économique européenne. Je me demande comment il serait possible de convaincre non seulement l'Allemagne, mais aussi la plupart des opinions publiques de la nécessité de doter l'Europe d'un véritable gouvernement économique.

M. Pierre Fauchon :

Peu de commentaires ont été faits sur la carence terrible de la Commission européenne dans la gestion de la crise grecque, qui m'a pourtant paru flagrante. La Commission a certes perdu du pouvoir depuis l'époque où elle était présidée par Jacques Delors, mais elle avait encore un devoir de veille. Elle aurait dû envoyer des signaux d'alerte plus tôt sur les problèmes de fiabilité des statistiques grecques. Je vois dans cette situation un déficit institutionnel inquiétant pour la gouvernance européenne. Des mesures structurelles visant à une meilleure organisation devraient être prises.

M. Roland Ries :

L'Europe est passée en quelques jours du pessimisme noir à l'euphorie. D'autres sources d'inquiétudes existent cependant, en particulier la situation financière de l'Espagne ou du Portugal. Quelles sont les évolutions prévisibles ?

Mme Bernadette Bourzai :

Je suis frappée par le scepticisme, voire l'amertume de l'opinion publique envers la construction européenne, consécutif à la multiplication des plans de sauvetage financiers, qui ont d'abord concerné les banques puis maintenant certains États membres, et qui s'accompagnent de mesures de rigueur. Ces différents mécanismes d'aide illustrent le besoin de régulation qui se fait ressentir.

M. Alain Lamassoure :

Convaincre les Allemands, qui s'attachent davantage à la lettre qu'à l'esprit des traités, de la nécessité d'un plan d'assistance financière aux États de la zone euro constituait le principal problème. Je constate qu'ils ont fini par s'y rallier, prenant conscience de la nécessité d'une discipline commune. Le pacte de stabilité et de croissance a été conçu en 1997 dans un contexte très différent de celui que nous connaissons aujourd'hui. Il paraît indispensable de revoir certains critères sur lesquels il repose, la façon dont est prise en compte l'inflation par exemple, au profit de l'appréciation de la viabilité des modèles économiques. La crise islandaise en constitue une bonne illustration : la prospérité islandaise dissimulait un endettement représentant quatre fois la valeur du PIB du pays.

On a toujours dit qu'il n'était pas question de laisser un pays de la zone euro faire faillite. Est-ce nécessairement juste ? Je rappellerai simplement que l'État de Californie a fait récemment faillite sans compromettre pour autant l'économie américaine.

L'association des parlements nationaux au renforcement de la gouvernance européenne, y compris dans des domaines autres que l'économie, serait de nature à rassurer l'Allemagne.

Les fonds structurels, en termes budgétaires, sont désormais plus importants que les dépenses agricoles, les premiers devraient représenter 40 % du budget communautaire en 2013, contre 30 % pour les secondes. Selon moi, la baisse prévisible des crédits de la politique de cohésion, qui touchera l'objectif 2, ne comporte pas de risque politique majeur. Il est certain que la France doit réfléchir aux objectifs qu'elle entend privilégier. Je m'interroge sur l'opportunité de continuer à saupoudrer les crédits de la politique de cohésion, qui financent généralement des centaines de projets dans chaque région. Nous aurions sans doute intérêt à concentrer ces moyens budgétaires sur des programmes structurants correspondant aux enjeux européens, tels que les transports, les biotechnologies, l'énergie ou la recherche.

M. Simon Sutour :

Vos propos m'inquiètent, d'autant plus qu'ils rejoignent ceux tenus par le président du Parlement européen au Sénat, il y a quelques mois. Les collectivités territoriales sont dans une situation financière très délicate et le financement de nombreux projets locaux dépend des fonds communautaires. Je redoute les conséquences de l'évolution que vous décrivez sur la façon dont l'Europe sera perçue par les opinions publiques.

M. Alain Lamassoure :

L'application du principe de subsidiarité sera d'autant plus importante dans un contexte budgétaire très dégradé. Selon moi, l'intérêt des collectivités territoriales françaises sera mieux défendu par la France que par l'Europe. Je regrette que le cadre actuel de gestion des crédits communautaires soit excessivement rigide. L'inadaptation de nombreux instruments financiers limite considérablement la réactivité indispensable dans certaines situations, même si des progrès ont été réalisés, en particulier pour faire face aux conséquences des catastrophes naturelles, comme ce fut le cas avec la tempête Klaus.

La Commission européenne s'est montrée décevante dans la gestion de la crise financière et de la crise grecque, même si elle avait alerté à plusieurs reprises sur la situation de la Grèce sans être écoutée par les États membres. Personnellement, je ne comprends pas le silence de José Manuel Barroso, pas plus d'ailleurs que celui de Herman Van Rompuy et de Jean-Claude Juncker. Le traité de Lisbonne a pu laisser croire qu'il y aurait trop de dirigeants européens, alors qu'on a trop souvent eu l'impression qu'il n'y en avait pas du tout. Mais je crois que cette situation tient davantage aux circonstances et à la personnalité des titulaires de ces fonctions. Il est indéniable qu'il a manqué une voix européenne pour s'adresser à la fois aux marchés, à l'opinion publique européenne et aussi à l'opinion publique grecque. De ce point de vue, la communication des responsables européens a connu des lacunes.

Les nouvelles compétences communautaires prévues par le traité de Lisbonne donnent matière à réviser les perspectives financières. Le Président Barroso est toutefois extrêmement prudent sur cette question qu'il n'aborde pas véritablement, préférant évoquer une simple « remise à niveau » dans les mois à venir.

Le plan de gestion des crises élaboré le week-end dernier vise précisément à éviter la propagation de la crise grecque à d'autres États membres et je suis optimiste sur ses effets.

Le besoin de régulation en Europe est manifeste. Les décisions prises lors des sommets successifs du G20, qui constitue un cadre informel, font l'objet d'un suivi. Des progrès sont également enregistrés au niveau de l'Union européenne, en particulier sous l'impulsion de Michel Barnier et avec le soutien déterminé du Parlement européen et de son rapporteur sur ces questions, notre compatriote Jean-Paul Gauzès, plus que celui du Conseil. On peut raisonnablement penser que l'autorité européenne de supervision sera instituée d'ici la fin de l'année. Jusqu'où peut-on aller toutefois en matière de réglementation prudentielle sans prendre le risque de voir les banques réduire leurs prêts au financement de l'économie ? La réponse à cette question doit être largement réfléchie afin de ne pas aboutir aux effets contraires à ceux recherchés.