Réunion de la commission des affaires européennes du mercredi 10 décembre 2008


Table des matières

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Questions sociales et santé

Le comité d'entreprise européen (texte E 3904)

Communication de M. Richard Yung

Nous sommes saisis, sur le fondement de l'article 88-4 de la Constitution, d'une proposition de directive concernant l'institution d'un comité d'entreprise européen ou d'une procédure dans les entreprises et les groupes d'entreprises de dimension communautaire en vue d'informer et de consulter les travailleurs.

Ce texte, qui a été adopté par la Commission européenne le 2 juillet 2008, dans le cadre du paquet sur l'Agenda social renouvelé, vise à une refonte de la directive 94/45/CE du 22 septembre 1994 qui avait le même objet. L'article 15 de cette directive prévoyait le réexamen de ses modalités d'application au terme de cinq ans. C'est à ce titre qu'intervient la refonte proposée, mais près de dix ans plus tard que prévu.

En effet, les partenaires sociaux européens, en particulier les organisations d'employeurs, consultés par la Commission en 2004, n'avaient pas souhaité négocier sur la révision de la directive de 1994. De ce fait, la Commission n'a présenté son texte qu'à l'été dernier.

Le calendrier s'est soudainement accéléré au cours de la présidence française, qui a fait du texte sur les comités d'entreprise européens une de ses priorités en matière sociale. Celui-ci avait d'ailleurs été évoqué par le Président de la République devant le Parlement européen le 10 juillet 2008.

Lors de la réunion informelle des ministres du travail et des affaires sociales à Chantilly, du 10 au 12 juillet derniers, les partenaires sociaux européens, à l'invitation de la présidence française, se sont réunis et ont exprimé leur point de vue sur la proposition de directive. Ils ont indiqué qu'ils acceptaient cette proposition comme base de travail et que les discussions pouvaient s'engager pour surmonter leurs divergences sur certains points.

Le 29 août dernier, ils ont finalement abouti à un accord, formalisé par une lettre conjointe adressée à la présidence. Dans cette lettre, la Confédération européenne des syndicats, Business Europe, l'UEAPME (1*) et le CEEP (2*) ont souhaité que la révision de la directive puisse intervenir « dès que possible » et ont proposé des amendements au texte de la Commission sur huit points, de manière à : renforcer les définitions de l'information et de la consultation des comités d'entreprise européens ; affirmer le rôle d'expert des organisations syndicales ; disposer de moyens effectifs, en particulier en matière de formation ; mieux articuler les processus national et communautaire d'information et de consultation ; faciliter la possibilité de négocier des accords anticipant la transposition de la directive refondue. L'accord du 29 août a incontestablement changé la donne de ce dossier.

Sur cette base, le ministre français du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, Xavier Bertrand, a souhaité, devant le Parlement européen, le 2 septembre dernier, qu'un accord puisse être obtenu en première lecture d'ici la fin de l'année.

Le 17 novembre dernier, la proposition de directive a été adoptée par la commission de l'emploi et des affaires sociales du Parlement européen, sur le rapport de Philip Bushill-Matthews (Royaume-Uni - PPE-DE), après avoir été amendée, notamment sur les huit points soulevés par les partenaires sociaux européens dans leur lettre du 29 août 2008. Elle doit désormais faire l'objet d'un accord politique au Conseil « Emploi, politique sociale, santé et consommateurs » du 17 décembre prochain.

Venons-en maintenant au fond.

La directive en vigueur s'applique aux entreprises de dimension communautaire, c'est-à-dire aux entreprises employant au moins 1 000 travailleurs dans les États membres et, dans au moins deux États membres différents, au moins 150 travailleurs dans chacun d'eux ; elle s'applique également aux groupes d'entreprises de dimension communautaire.

Après quatorze ans d'application, la directive de 1994 a permis la création d'environ 820 comités d'entreprise européens, couvrant 14,5 millions de travailleurs, sur les 2 257 entreprises entrant dans le champ d'application du texte, soit 36,3 %. La France compte environ 80 comités d'entreprise européens.

La proposition de directive, qui doit permettre de renforcer le dialogue social en Europe, poursuit quatre principaux objectifs :

1°) assurer l'effectivité du droit à l'information et à la consultation transnationale, notamment en cas de restructuration ;

2°) renforcer la sécurité juridique en matière de consultation entre les niveaux national et transnational ;

3°) assurer une meilleure articulation entre les différentes directives en matière d'information et de consultation des travailleurs ;

4°) accroître la proportion de comités d'entreprise européens.

Il est en effet nécessaire de mettre à jour la directive de 1994, dont l'application peut poser problème. En outre, son non-respect ne donne pas nécessairement lieu à des sanctions. Au cours des dernières années, certaines entreprises telles Renault ou Nokia ont ainsi pu procéder à des restructurations importantes - à l'époque médiatisées -, sans appliquer la directive, c'est-à-dire sans consulter les travailleurs.

La proposition de directive, amendée par la commission de l'emploi et des affaires sociales du Parlement européen, comporte quatre types de modifications.

En premier lieu, elle introduit des principes généraux et des éléments de définition permettant de rendre effectives l'information et la consultation transnationales des travailleurs. Ainsi est posé le principe général d'effet utile des modalités d'information et de consultation. Une définition de l'information, inexistante jusqu'alors, est également introduite, avec l'objectif de permettre aux représentants des travailleurs de procéder à « une évaluation en profondeur de l'incidence éventuelle » de la question traitée et de « préparer, le cas échéant, des consultations ». Par ailleurs, la définition de la consultation est précisée de façon à ce que l'avis des représentants soit exprimé « dans un délai raisonnable ».

Ensuite, la proposition de directive définit la compétence du comité d'entreprise européen et la portée de la procédure d'information et de consultation aux questions transnationales. Elles concernent « l'ensemble de l'entreprise de dimension communautaire ou du groupe d'entreprises de dimension communautaire ou au moins deux entreprises ou établissements de l'entreprise ou du groupe situés dans deux États membres différents ». La commission du Parlement européen a également précisé que sont considérées comme transnationales les situations où la décision de fermeture ou de restructuration est prise dans un État membre, mais concerne les travailleurs d'un autre État membre. En outre, l'articulation entre les niveaux national et transnational d'information et de consultation est définie prioritairement par accord au sein de l'entreprise, dans le respect du droit national. À défaut d'un tel accord, le processus d'information et de consultation aura lieu à la fois au sein du comité d'entreprise européen et au sein des instances nationales, dans le cas où des décisions susceptibles d'entraîner des modifications importantes dans l'organisation du travail ou dans les contrats de travail sont envisagées.

Troisièmement, la proposition de directive comporte une série de dispositions visant à accroître le nombre de comités d'entreprise européens. La responsabilité de l'obtention et de la transmission des informations indispensables à l'ouverture des négociations pour la mise en place de comités d'entreprise européens incombe à la direction de l'entreprise. Afin de mettre un terme aux incertitudes juridiques liées à l'articulation de conditions de plafond et de représentation proportionnelle des États, la composition du groupe spécial de négociation (GSN), chargé de la mise en place des comités d'entreprise européens, est modifiée au profit du principe de représentation proportionnelle du nombre de travailleurs dans chaque État membre. La commission du Parlement européen a supprimé le seuil de 50 travailleurs retenu pour constituer un GSN, afin de ne pas pénaliser les petits États membres qui pourraient avoir des difficultés à atteindre ce seuil. Le droit pour les partenaires sociaux européens d'être informés du début des négociations engagées en vue d'instituer un comité d'entreprise européen est affirmé. Le GSN obtient le droit de se réunir hors la présence des représentants de la direction centrale. Les représentants des organisations de travailleurs au niveau communautaire obtiennent la possibilité d'être désignés comme experts pouvant assister, à titre consultatif, aux réunions du GSN. Le principe du maintien des accords actuellement en vigueur est affirmé.

Enfin, la proposition de directive tend à renforcer les pouvoirs des comités d'entreprise européens et à clarifier le rôle des différents acteurs. Est ainsi posé le principe selon lequel les membres du comité d'entreprise européen représentent collectivement les intérêts de l'entreprise ou du groupe d'entreprises concernés, ce qui en fait les interlocuteurs officiels de la direction. Ils sont également tenus de rendre compte aux travailleurs de la teneur et des résultats de la procédure d'information et de consultation. Par ailleurs, les membres du GSN et du comité d'entreprise européen peuvent bénéficier de formations sans perte de salaire.

On notera également que la commission du Parlement européen a clairement demandé que la directive fasse l'objet d'une révision complète trois ans après son entrée en vigueur, au lieu de cinq, ce que le Conseil et la Commission contestent.

Le trilogue du 4 décembre dernier, grâce à un accord avec le groupe PSE, a permis d'aboutir à des solutions de compromis sur trois points :

1°) une question qui implique des transferts d'activité entre États membres est considérée comme transnationale ;

2°) les sanctions en cas de non respect des dispositions de la directive doivent être « efficaces, dissuasives et proportionnées » ;

3°) la suppression du seuil de 50 travailleurs requis pour créer un GSN a été confirmée.

En principe, un accord politique devrait être trouvé sur cette base lors du Conseil du 17 décembre.

Il me semble qu'il reste des pistes pour améliorer le fonctionnement des comités d'entreprises européens. On pourrait par exemple baisser le seuil d'application de la directive aux entreprises employant au moins 500 travailleurs, au lieu de 1000 actuellement. Les compétences des comités d'entreprise européens pourraient être élargies, par exemple à la santé au travail. Le nombre de leurs réunions obligatoires pourrait être augmenté. On pourrait également envisager d'obliger les entreprises ne respectant pas cette directive à rembourser les aides publiques européennes qu'elles ont reçues. D'une manière générale, il faudrait également veiller à l'effectivité des sanctions, qui sont actuellement mises en oeuvre au niveau national.

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Il est important, en effet, d'appliquer le principe juridique de base « pas d'obligation sans sanction ».

Mme Annie David :

Je voudrais savoir comment la procédure d'information et de consultation s'articulera entre le niveau national et communautaire.

M. Richard Yung :

Cette articulation doit être définie par accord au sein de l'entreprise. A défaut d'un tel accord, le processus d'information et de consultation aura lieu à la fois au sein du comité d'entreprise européen et au sein des instances nationales.

Subsidiarité

Subsidiarité et proportionnalité : examen des textes transmis
par la Commission européenne aux parlements nationaux

M. Hubert Haenel :

Notre dernière séance d'examen des propositions européennes au regard de la subsidiarité remonte à la fin du mois de septembre. Des textes qui nous sont parvenus depuis lors, cinq seulement me paraissent mériter une attention particulière.

*

Le premier texte est la proposition de règlement qui tend à étendre les compétences de l'Agence européenne de la sécurité aérienne en matière de navigation aérienne et en matière de sécurité des aéroports.

Cette agence, qui a été créée en 2002, intervient dans la navigabilité et la certification des équipements aéronautiques et elle procède à des inspections de normalisation et à des inspections au sol.

Mes remarques concernent la sécurité des aérodromes. La proposition prévoit à cet effet un certain nombre d'exigences visant tant le personnel que les équipements, les services de sécurité ou les personnes autorisées à pénétrer sur l'aire de manoeuvre. Il ne fait pas de doute qu'il est normal que l'Union européenne intervienne dans ce domaine. En revanche, on peut s'interroger sur le champ d'application de ce règlement.

La proposition prévoit qu'elle s'appliquera aux aérodromes ouverts au public qui peuvent prendre en charge du trafic IFR, c'est-à-dire du trafic volant aux instruments et non pas à vue, ainsi qu'aux aérodromes pouvant accueillir des aéronefs au-dessus d'un certain poids. Il y a en France un très grand nombre d'aérodromes, beaucoup plus que dans la plupart des autres États membres, et le nombre des aérodromes pouvant prendre en charge du trafic volant aux instruments est proche de 150.

On peut se demander si ce champ de définition n'amène pas ce règlement à une application au-delà de ce qui est nécessaire. Ne devrait-on pas limiter le champ d'application de ces nouvelles mesures aux aéroports accueillant un trafic minimal ? Ne peut-on pas penser que le champ d'application prévu par la Commission contraindra certains aérodromes à satisfaire à des exigences disproportionnées par rapport à l'objectif recherché ?

Pour illustrer mon propos, j'évoquerai la pratique française en matière routière. En France, des bassins de décantation des produits toxiques sont obligatoires aux abords des autoroutes ; ils ne le sont pas aux abords des routes. À l'évidence, c'est la fréquence du risque qui a amené ce choix et non pas l'existence même du risque car le risque de pollution est identique en cas de renversement d'un camion chimique sur une route ou sur une autoroute. Je vous suggère donc que nous demandions à la Commission s'il ne conviendrait pas, pour respecter le principe de proportionnalité, de limiter le champ d'application de ce règlement aux aérodromes accueillant un trafic minimal.

Je vous propose en conséquence d'adopter les observations suivantes :

- Proposition de règlement modifiant le règlement (CE) n° 216/2008 dans le domaine des aérodromes, de la gestion du trafic et des services de navigation aérienne, et abrogeant la directive (2006/23/CE COM (2008) 390 final) ;

*

La commission des affaires européennes du Sénat estime que les critères retenus pour l'application de la directive aux aérodromes (possibilité de vol aux instruments ou possibilité d'accueillir des avions de plus de 2,73 tonnes) peut conduire à soumettre certains aérodromes à des exigences disproportionnées ; elle demande en conséquence à la Commission, afin de respecter le principe de proportionnalité, de ne soumettre à ces nouvelles obligations que les aérodromes accueillant un trafic minimal.

M. Denis Badré :

Si je comprends bien votre proposition, vous souhaiteriez que soit fixé un seuil en-dessous duquel l'Agence européenne de la sécurité aérienne ne serait pas autorisée à intervenir et à imposer des normes de sécurité renforcées aux petits aérodromes nationaux.

Comme vous le savez, je conduis aujourd'hui une réflexion destinée à évaluer le fonctionnement des agences européennes. Ce texte me semble être un parfait exemple des cas dans lesquels l'Union européenne tend à outrepasser son domaine de compétences : je vois mal en quoi les États nationaux ne seraient pas capables d'assurer seuls la sécurité d'une partie de leurs aérodromes. C'est pourquoi je milite en faveur d'une déconcentration de certaines attributions aujourd'hui confiées à l'Union européenne, et particulièrement à ses agences, au profit des États nationaux.

M. Jean-Claude Peyronnet :

Je souhaiterais savoir si les normes de sécurité que cette proposition vise à imposer aux aérodromes français sont susceptibles d'être particulièrement lourdes.

M. Hubert Haenel :

La plupart des normes fixées par cette proposition s'inspirent des nouvelles normes et recommandations de l'Organisation de l'aviation civile. Le texte prévoit notamment des règles de certification des exploitants, des exigences de formation des personnels, des exigences d'équipement (balisage au sol, lutte contre l'incendie...). Il n'en demeure pas moins que certaines d'entre elles peuvent se révéler, en pratique, très lourdes pour nos petits aérodromes.

M. Richard Yung :

Une grande partie des aérodromes en France sont de petite taille. Il serait regrettable que ces nouvelles exigences en matière de sécurité conduisent à leur fermeture, en raison d'un manque de moyens.

Je reconnais en même temps que les États nationaux ne sont pas toujours les mieux placés pour veiller à la bonne application des réglementations européennes, tant les défauts de transposition sont fréquents - et je n'évoque même pas le sabotage délibéré du travail de la Commission qui a parfois lieu. Pour autant, je soutiens aujourd'hui pleinement votre projet d'observations.

Le projet d'observations est adopté.

*

Le second texte est une proposition de règlement sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort.

Cette proposition de règlement est destinée à remplacer une directive de 1993, considérée aujourd'hui comme obsolète au regard des nouvelles technologies intervenues depuis lors en matière de mise à mort. Cette proposition oblige le personnel responsable de l'abattage des animaux à posséder un certificat de compétence. Elle oblige également chaque État membre à mettre en place un centre national de référence qui fournira une assistance technique aux agents pour le bien-être des animaux au moment de leur mise à mort. Ce centre technique procèdera à des évaluations et agréera les organismes délivrant les certificats de compétence.

Enfin, la proposition définit avec précision les méthodes d'étourdissement des animaux.

La première question que nous devons nous poser est de savoir s'il est normal que la directive en vigueur soit remplacée par un règlement.

La Commission explique qu'un règlement présente trois avantages :

1. « il garantit une application uniforme et simultanée dans tous les États membres » et il « évite la charge de la transposition ».

2. « l'actualisation d'un règlement est plus rapide à effectuer ».

3. le règlement offre « un ensemble de règles uniques, ce qui améliore leur visibilité et facilite leur application ».

Cette argumentation est imparable. Mais on voit mal en quoi elle ne pourrait pas être utilisée pour toutes les directives en vigueur. Faut-il en conclure qu'il convient aujourd'hui de remplacer toutes les directives existantes par des règlements ? La Commission ajoute que la législation communautaire actuelle, du fait qu'elle se présente sous la forme d'une directive, « n'a pas permis d'atteindre un niveau suffisant d'harmonisation ». Là encore, cette remarque vaudrait pour toutes les directives en place.

Le plus merveilleux est peut-être de constater que la Commission européenne utilise, à quelques semaines d'intervalle, des argumentations qui peuvent facilement s'opposer.

Dans le texte que nous allons examiner juste après celui-ci, qui concerne les droits des consommateurs, la Commission fait valoir qu'une directive est préférable à un règlement dans la mesure où sa transposition permet que l'intégration des dispositions communautaires dans les droits nationaux se fasse plus en douceur. Et elle ajoute que, « contrairement à celle d'un règlement, la mise en oeuvre d'une directive peut conduire à la mise en place au niveau national d'une législation unique et cohérente, plus simple à appliquer et à interpréter pour les professionnels, plus facile à faire respecter pour les autorités publiques, et plus conforme au principe de subsidiarité ».

« Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà », disait Pascal. Là, tout se passe à Bruxelles, mais la vérité d'un jour peut être l'erreur du lendemain.

J'ajoute que, dans un texte que nous allons également examiner dans un instant, et qui concerne la santé des travailleuses enceintes, la Commission explique le choix d'une directive en une phrase définitive : « L'objectif étant de modifier une directive existante, le seul instrument juridique envisageable est une nouvelle directive. »

On ne sait plus qu'en penser !

Entendons-nous bien. Mon objectif ici n'est pas de tourner en dérision les exposés des motifs de la Commission européenne. Je voudrais simplement que celle-ci comprenne que nous souhaitons des démonstrations précises et adaptées à l'appui du choix des instruments retenus et non point des argumentations stéréotypées.

En tout état de cause, il me semble que nous devons demander à la Commission de justifier de manière précise les raisons pour lesquelles elle remplace une directive par un règlement.

Au-delà du choix de l'instrument juridique, nous devons nous interroger sur les raisons d'une action communautaire. Pourquoi faut-il une intervention de l'Union européenne et non seulement des États membres ? La Commission fait valoir à ce propos que la viande issue de la mise à mort des animaux d'élevage fait l'objet d'échanges commerciaux internationaux et que les différences de normes relatives au bien-être animal lors de la mise à mort des animaux influent sur la compétitivité.

On peut douter de la véritable pertinence de cet argument. D'une part, l'argumentation de la compétitivité pourrait amener à fonder l'intervention de la Communauté pour l'ensemble du fonctionnement des activités économiques. D'autre part, on peut penser que le choix d'un abattoir pour la mise à mort d'animaux d'élevage relève avant tout d'une double logique d'économie et de proximité, et que l'influence des techniques de mise à mort est, économiquement, tout à fait secondaire.

Sans doute est-il logique de mettre à jour la directive de 1993 sur les méthodes d'étourdissement afin de prendre en compte les évolutions techniques. Peut-être est-il admissible que l'Union européenne décide que soit créé un certificat de compétence. Mais, en revanche, il paraît difficilement compréhensible que l'Union européenne oblige chaque État membre à mettre en place un centre national de référence.

À ce sujet, on peut penser que la proposition ne respecte pas le principe de proportionnalité, dans la mesure où l'objectif poursuivi pourrait être atteint sans la mise en place d'un dispositif tout aussi lourd que redondant.

Je vous propose en conséquence d'adopter les observations suivantes :

- Proposition de règlement du Conseil sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort (COM (2008) 553 final)

*

1°) Sur le choix de l'instrument juridique

La Commission des affaires européennes du Sénat :

- constate que l'argumentation de la Commission n'établit pas la nécessité de substituer un règlement à la directive existante ;

- considère que le choix d'un règlement serait au surplus peu compatible avec la volonté de la Commission de « respecter les dispositions nationales relatives aux rites religieux, aux traditions culturelles et aux patrimoines régionaux ».

*

2°) Sur le contenu de la proposition

La Commission des affaires européennes du Sénat :

- reconnaît l'intérêt d'adapter la directive en vigueur afin de tenir compte des nouvelles techniques de mise à mort ;

- estime qu'une intervention plus large de l'Union européenne, et notamment l'obligation de mettre en place un centre national de référence dans chaque État membre, n'est pas nécessaire et conteste que le processus de mise à mort des animaux puisse avoir une influence décisive sur le prix de revient de la viande pour le consommateur et puisse en conséquence fausser la concurrence entre les États membres.

Le projet d'observations est adopté.

*

Le troisième texte est une proposition de directive relative aux droits des consommateurs. Elle vise à créer un outil législatif unique applicable aux contrats de ventes et aux contrats de services conclus entre un consommateur et un professionnel.

Cette proposition est en rupture avec les textes antérieurs qui étaient fondés sur le principe de la clause minimale et qui permettaient aux États membres de maintenir ou d'adopter des règles nationales plus favorables aux consommateurs. La Commission privilégie maintenant une approche d'harmonisation complète du droit des contrats de la consommation qui interdit aux États membres de s'écarter des dispositions de la directive.

Pour légitimer son choix, la Commission constate qu'il existe une « fragmentation juridique » de la protection des consommateurs dans l'ensemble des vingt-sept États membres. Elle estime que cette fragmentation juridique freine le développement d'entreprises compétitives, notamment des PME qui souhaiteraient étendre leurs activités à la Communauté. Elle veut donc mettre en place un ensemble unique de règles garantissant un niveau commun de protection des consommateurs. Enfin, toujours dans le but de favoriser le développement des entreprises, elle souhaite que le texte s'applique non seulement aux contrats transfrontaliers, mais également aux contrats nationaux.

Ce sujet n'est pas nouveau pour nous. Je vous rappelle que, en mars 2007, nous avions examiné au regard de la subsidiarité une communication de la Commission sur la stratégie communautaire en matière de politique des consommateurs, et nous avions alors déploré que la Commission privilégie l'option d'une harmonisation totale.

Que la Commission veuille introduire des définitions communes pour des notions comme celles des consommateurs, des professionnels ou des livraisons, personne ne peut à l'évidence s'y opposer. En revanche, qu'elle veuille mettre en place une harmonisation totale ne permettant plus à un État membre de conserver des spécificités ne paraît aucunement s'imposer.

Sur le fond, je remarque que, si la directive est présumée « relative aux droits des consommateurs », elle me paraît surtout relative aux « facilités offertes aux entreprises effectuant du commerce transfrontalier ».

Je rappellerai simplement ce que j'avais déclaré devant vous en mars 2007 : « Avec une harmonisation minimale, comme c'est le plus souvent le cas actuellement, les réglementations peuvent différer selon les pays, ce qui entraîne des difficultés pour les entreprises productrices pour accéder aux différents marchés et pour les consommateurs pour connaître leurs droits. L'harmonisation totale permettrait évidemment de mettre fin à l'éclatement de la réglementation. Mais cela n'est pas une raison suffisante pour que l'on procède à une harmonisation totale. Rappelons, une fois de plus, que la Cour de justice a clairement décidé que, concernant les mesures d'harmonisation au service du marché intérieur, la subsidiarité devait être respectée et maintenue. De plus, dans l'hypothèse d'une harmonisation totale, et compte tenu de la diversité des régimes applicables, il est probable que le niveau de protection du consommateur soit fixé à un niveau intermédiaire, ce qui pourrait entraîner un recul pour certains pays. »

Je rappelle par ailleurs que des travaux ont été engagés depuis quelques années pour établir un cadre commun de référence pour le droit européen des contrats. Lors du conseil JAI du 18 avril 2008, un large consensus a été dégagé entre les États membres pour limiter ce cadre commun de référence à un outil non contraignant à destination du législateur communautaire qui pourra l'utiliser dans un souci de mieux légiférer. Ce futur instrument pourra contenir des définitions, des principes généraux et des règles modèles dans le domaine du droit des contrats. Il y a donc dans cette démarche du cadre commun de référence une claire volonté de souplesse pour tenir compte de la diversité des traditions juridiques des États membres. En retenant l'option d'une harmonisation maximale en matière de droit de la consommation, on ferait au contraire le choix de la rigidité. Il y a là un problème de cohérence.

Je vous propose en conséquence d'adopter les observations suivantes :

- Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux droits des consommateurs (COM (2008) 614 final) ;

- Document de travail des services de la Commission accompagnant ce texte - Résumé de l'analyse d'impact (SEC (2008) 544) ;

- Document de travail des services de la Commission accompagnant ce texte - Résumé de l'analyse d'impact (SEC (2008) 547).

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La commission des affaires européennes du Sénat considère que l'option retenue par la Commission européenne de privilégier une harmonisation totale des règles de protection des consommateurs n'est pas compatible avec le principe de subsidiarité.

Le projet d'observations est adopté.

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Le quatrième texte est une proposition de directive concernant l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail.

Cette proposition de directive s'inscrit dans le cadre des mesures proposées par la Commission pour promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes.

À ce titre, le texte prévoit notamment :

- une augmentation de la durée minimale du congé de maternité, porté de quatorze à dix-huit semaines (dont six semaines obligatoirement après l'accouchement) et l'interdiction pour les États membres de contraindre les femmes à prendre obligatoirement une partie de ce congé pendant la période prénatale ;

- la nécessité de prévoir des congés supplémentaires en cas de naissance prématurée, d'hospitalisation de l'enfant à la naissance, de naissance d'un enfant handicapé ou de naissance multiple ;

- une amélioration du niveau d'indemnisation du congé de maternité ;

- un renforcement de la protection contre le licenciement ;

- et un droit pour la salariée de retrouver, à l'issue de son congé, son emploi ou un emploi équivalent.

Le point principal de la proposition de directive concerne le congé de maternité. Il varie actuellement de quatorze semaines à vingt-huit semaines selon les États membres. Je vous rappelle que, en France, il est de seize semaines. On peut s'interroger sur la nécessité d'imposer, dans l'ensemble de l'Union européenne, dix-huit semaines plutôt que seize ou vingt. Selon le principe de proportionnalité, la Commission devrait faire une relation précise entre la durée retenue et les conditions de sécurité et de santé des intéressées ; or, cette relation n'apparaît pas.

Mais surtout, on peut s'interroger sur l'interdiction faite aux États membres d'imposer qu'une partie du congé de maternité soit prise pendant la période prénatale. Un congé prénatal semble pleinement justifié au regard des considérations de santé publique. On peut craindre en effet que le fait de permettre aux femmes de travailler le plus tard possible pendant leur grossesse fasse peser un certain nombre de risques sur leur santé et celle du foetus.

Mais, au-delà de l'appréciation sur le fond, en quoi l'Union européenne est-elle fondée à interdire aux États membres d'imposer qu'une partie du congé de maternité soit prise pendant la période prénatale ? C'est bien là une question relative à l'application du principe de subsidiarité.

Je vous propose en conséquence d'adopter les observations suivantes :

- Proposition de directive portant modification de la directive 98/85/CEE concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail COM (2008) 637 final ;

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La commission des affaires européennes du Sénat :

- demande à la Commission d'expliquer pourquoi les objectifs visés l'amènent à proposer de fixer la durée du congé de maternité à dix-huit semaines plutôt qu'à dix-sept ou dix-neuf semaines ;

- conteste que l'Union européenne soit fondée à interdire aux États membres de contraindre les femmes à prendre obligatoirement une partie de ce congé pendant la durée prénatale et considère qu'une telle interdiction serait contraire au principe de subsidiarité.

Mme Annie David :

Je partage pleinement vos observations. Les États membres doivent pouvoir rester libres de fixer un congé de maternité obligatoire pendant la période prénatale. C'est tout de même la santé des femmes enceintes et de leur foetus qui est en jeu. Je m'étais déjà inquiétée, en 2007, à l'occasion de l'examen du projet de loi réformant la protection de l'enfance, de la possibilité offerte par ce texte d'autoriser les femmes enceintes à reporter une partie du congé prénatal obligatoire après la naissance - dans la limite de trois semaines sur les six que compte normalement le congé prénatal obligatoire. Je suis bien consciente que certaines femmes, en raison des difficultés persistantes à trouver des places en crèche, sont contraintes à accepter ce type de reports. Mais je ne crois pas pour autant qu'il faille supprimer la période de congé prénatal obligatoire, tant elle est essentielle pour préserver la santé des femmes enceintes. J'estime donc qu'il est de la responsabilité des États membres, et non de celle de l'Union européenne, de déterminer si le congé prénatal doit être obligatoire ou non.

Le projet d'observations est adopté.

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Enfin, le dernier texte est une communication de la Commission concernant la télémédecine.

Cette communication propose un certain nombre d'actions à conduire dans le but de développer la télémédecine, c'est-à-dire la fourniture à distance de services de soins de santé.

La Commission prend garde de rappeler que ce sont les États membres qui ont la maîtrise de l'organisation, du financement et de la fourniture des soins de santé et elle précise que la communication a pour but de soutenir et d'encourager les États membres. La démarche retenue paraît donc pleinement respectueuse du principe de subsidiarité. Toutefois, deux actions proposées suscitent l'étonnement. D'une part, les États membres sont instamment priés d'évaluer leurs besoins et leurs priorités dans le domaine de la télémédecine d'ici la fin de 2009. D'autre part, les États membres doivent, d'ici fin 2011, avoir adapté leur réglementation nationale afin de permettre un accès plus large aux services de télémédecine.

Je vous propose de demander à la Commission de motiver cette dernière demande au regard du principe de subsidiarité et de l'inviter à indiquer si elle envisage, dans l'avenir, une législation contraignante à l'égard des États en ce domaine. Je vous propose en conséquence d'adopter les observations suivantes :

- Communication de la Commission concernant la télémédecine au service des patients, des systèmes de soins de santé et de la société (COM (2008) 689 final)

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La commission des affaires européennes du Sénat demande à la Commission d'expliquer les raisons pour lesquelles l'Union européenne est fondée à demander aux États membres d'adapter leur règlementation nationale afin de permettre un accès plus large aux services de télémédecine et souhaite savoir si elle envisage une législation contraignant les États membres à le faire.

Le projet d'observations est adopté.

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Au-delà de ces cinq textes, je crois nécessaire que nous examinions la réponse que la Commission européenne a apportée à certaines de nos observations antérieures. Ces observations portaient sur la proposition de directive relative à l'application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers.

Au cours de notre réunion du 23 septembre 2008, nous avions estimé que, pour respecter les principes de subsidiarité et de proportionnalité, la proposition de directive devait traduire de façon concrète la réaffirmation des compétences des États membres dans l'organisation et la prestation des soins de santé. À cet effet, nous avions demandé :

- que soit supprimé le paragraphe 3 de l'article 5 de la proposition, qui permet à la Commission européenne d'élaborer des orientations pour faciliter la définition, par les États membres, de normes de qualité et de sécurité applicables aux services de santé dispensés sur leur territoire ;

- que l'article 8.3 de la proposition soit modifié en sorte que seuls les États membres puissent apprécier la gravité de l'atteinte portée au financement et à l'organisation des soins, pour l'établissement d'une autorisation préalable pour le remboursement des soins hospitaliers.

La Commission a répondu le 27 novembre 2008. Elle a estimé, d'une manière générale, que son texte « respecte pleinement les compétences des États membres en matière d'organisation et de fourniture de soins de santé sur leur territoire ». Puis, elle a développé les deux points précis que nous avions contestés.

1. Le paragraphe 3 de l'article 5

Elle a indiqué que les orientations visées au paragraphe 3 de l'article 5 « ne visent pas directement à faciliter la définition par les États membres de normes de qualité ou de sécurité, mais ont pour objectif plus large de faciliter la mise en oeuvre » du paragraphe 1er de l'article 5. À titre d'illustration, la Commission évoque un « manuel non contraignant » qu'elle pourrait mettre à la disposition des États membres et des professionnels de santé.

Par ailleurs, la Commission a souhaité apporter des précisions au concept d'orientations. Elle indique qu'il s'agit d' « actes administratifs autonomes », « à caractère non contraignant », « qui servent à clarifier l'interprétation [...] de certaines dispositions de droit communautaire et à aider les États membres dans la mise en oeuvre de celles-ci ».

La Commission cherche indéniablement à rassurer puisqu'elle prend le soin de noter qu'avec ces dispositions, elle ne propose « nullement de s'attribuer des compétences nouvelles ».

L'argumentation de la Commission sur ce point a apporté de réelles clarifications.

2. L'article 8.3

Nous avions considéré que la Commission, interprétant de façon extensive la jurisprudence de la Cour de justice, plaçait les États membres dans l'obligation de démontrer, au cas par cas, en quoi l'absence d'une autorisation préalable mettrait en péril le financement et l'organisation des soins.

Dans la réponse qu'elle nous a adressée, la Commission indique que son texte vise à « ne pas rendre impossible l'introduction d'un système d'autorisation préalable qui serait nécessaire mais ne répondrait pas à des critères fixés à l'avance ».

Je dois dire que j'ai dû relire trois fois cette phrase pour en comprendre le sens. Il me semble que la Commission veut nous dire :

- qu'elle demeure, au plan du principe, défavorable à un système d'autorisation préalable ;

- qu'elle accepte cependant que l'on puisse introduire un tel système s'il était « nécessaire » ;

- mais qu'elle refuse qu'il soit fondé sur des critères établis à l'avance.

Nous avions précisément estimé que le droit reconnu aux États membres d'établir une autorisation préalable était soumis, dans la proposition de la Commission, à des conditions trop restrictives, pratiquement impossibles à remplir. La Commission demande que l'État membre démontre, au cas par cas, en quoi l'absence d'une autorisation préalable mettrait en péril le fonctionnement et l'organisation des soins. Or une telle démonstration est très délicate à réaliser a priori, car l'atteinte grave mentionnée par le texte peut ne se manifester qu'a posteriori. Par ailleurs, la déstabilisation du système de santé peut n'être que partielle, et ne concerner qu'une discipline ou une catégorie d'établissements hospitaliers ; elle n'en est pas moins réelle.

Enfin, nous avions souhaité que la Commission complète son étude d'impact afin d'améliorer l'information permettant d'évaluer les conséquences du texte. Or, la Commission n'a apporté aucun élément nouveau en la matière.

Il est clair que l'opposition demeure entre la Commission et nous et que nous ne parviendrons pas à convaincre celle-ci en poursuivant le dialogue avec elle. Si le traité de Lisbonne était en vigueur, nous aurions sans doute intérêt à en utiliser toutes les possibilités, mais ce n'est pas d'actualité.

Dès lors, il me semble que nous devons plutôt recourir à présent au dialogue avec le Gouvernement en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Notre collègue Roland Ries continue d'étudier le dossier. Il nous présentera son analyse et ses conclusions en janvier. Ce sera l'occasion pour nous de réaffirmer notre position.


* (1) Union européenne de l'artisanat et des petites et moyennes entreprises.

* (2) Centre européen des entreprises à participation publique et des entreprises d'intérêt économique général.