Réunion de la délégation pour l'Union européenne du jeudi 8 février 2007


Table des matières

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Institutions européennes

Enseignements de la rencontre interparlementaire sur le financement de l'Union, la prévention des crises et l'énergie (Bruxelles - 4 et 5 décembre 2006)

Communication de M. Hubert Haenel

En mai dernier, une première rencontre interparlementaire avait rassemblé parlementaires nationaux et parlementaires européens pour débattre de l'avenir de l'Europe. Les 4 et 5 décembre derniers, une seconde rencontre s'est tenue selon les mêmes modalités. Au cours de la première journée, les participants se sont réunis au sein de trois groupes de travail consacrés au financement futur de l'Union, au rôle de l'Union dans la prévention des conflits et à la politique européenne de l'énergie. La seconde journée a été essentiellement consacrée à un débat sur l'avenir de l'Union en présence du premier ministre finlandais, Matti Vanhanen, et du président de la Commission européenne, José Manuel Barroso.

Je vais vous présenter les résultats des trois groupes de travail avant de conclure sur le débat constitutionnel général.

1. Le financement futur de l'Union

Le premier groupe de travail était consacré à la réforme du financement de l'Union européenne. Ce thème avait déjà été évoqué lors de la rencontre précédente, en mai 2006. Notre compatriote Alain Lamassoure, député européen, est très mobilisé sur ce sujet, et souhaite associer les parlements nationaux à la réflexion sur les ressources propres de l'Union européenne, ce qui est une excellente initiative. Il était d'ailleurs rapporteur du groupe de travail. Celui-ci fut très animé, mais le sentiment que l'on peut en retirer reste un certain scepticisme quant à la nécessité de faire de la création de ressources fiscales propres à l'Union européenne une priorité.

Tous les intervenants se sont accordés pour dire que le système actuel de financement de l'Union européenne, fondé sur des contributions budgétaires nationales, est peu satisfaisant, car il subit de nombreuses dérogations, tel le « chèque britannique » ou les aménagements consentis à plusieurs États membres, et parce qu'il conduit à raisonner en termes de « retours budgétaires nets » et d'égoïsme national plutôt qu'en termes d'intérêt communautaire. Il crée aussi un décalage entre les recettes qui sont votées par les parlements nationaux, et les dépenses qui sont adoptées par les institutions européennes. Enfin, ce système de financement est relativement opaque, et ne présente pas de visibilité pour le citoyen européen, à l'inverse de ce que représenterait une taxe « européenne ».

Pourtant, l'exercice devient immédiatement délicat lorsqu'il s'agit de remplacer les contributions budgétaires nationales par l'impôt. La plupart des parlementaires refusent un « impôt européen » parallèle aux impôts nationaux. L'idée serait plutôt de prélever une partie des impôts nationaux pour les affecter directement à l'Union européenne. Dans ce cas, l'impôt le plus cité est la TVA, puis les « écotaxes » ou les droits d'accises, tandis que les impôts directs comme l'impôt sur le revenu ou l'impôt sur les sociétés sont mis de côté. Par ailleurs, si tout ou partie d'un impôt était directement affecté au budget communautaire et remplaçait en tout ou partie les contributions budgétaires nationales, il en résulterait une répartition différente des charges pour les citoyens européens dont il faudrait voir toutes les conséquences. Enfin, pour les parlementaires nationaux, et pour Alain Lamassoure lui-même, il ne serait pas question, en affectant directement un impôt au budget communautaire, de renoncer à deux principes essentiels : le plafonnement des recettes du budget communautaire et la souveraineté fiscale. On voit là les limites de l'exercice : remplacer des ressources budgétaires par des ressources fiscales aurait pour intérêt de créer une forme d'« autonomie fiscale » pour l'Union européenne permettant au Parlement européen de ne pas voter uniquement les dépenses mais aussi les recettes, et de disposer éventuellement d'une recette fiscale plus dynamique que des contributions budgétaires. Mais si chaque État membre conserve toutes ses prérogatives en matière fiscale, et si un plafond de recettes est maintenu, l'intérêt de remplacer les contributions budgétaires par une recette fiscale se restreint. En conséquence, la plupart des orateurs présents n'ont pas souhaité une suppression totale des contributions budgétaires nationales, mais une introduction progressive de ressources propres de nature fiscale.

Par ailleurs, au cours du débat, nombre de parlementaires nationaux ont souhaité discuter d'abord des dépenses du budget communautaire avant de discuter des recettes. Alors que notre collègue député Guy Lengagne plaidait avec vigueur pour un accroissement du budget communautaire, de nombreux intervenants ont souhaité une « remise à plat » des dépenses, quelques-uns citant explicitement la politique agricole commune, la politique de cohésion ou les dépenses administratives européennes et demandant un renforcement du contrôle budgétaire. Quelques intervenants ont en revanche souhaité un effort accru en matière de recherche et de politique étrangère et de défense commune. Pour beaucoup, quelle que soit l'option choisie, le débat démocratique doit porter sur ce que l'Union européenne doit financer plutôt que sur la manière dont elle doit être financée, certains intervenants ayant même opposé le débat « technique » sur les ressources propres et le débat « politique » sur les priorités du budget communautaire. Le rendez-vous de 2008-2009 pour préparer les prochaines perspectives financières au-delà de 2013 devrait porter prioritairement sur le thème des dépenses, le volet « recettes » en découlant.

Par ailleurs, plusieurs parlementaires européens ont évoqué la nécessité de trouver une issue à la question du traité constitutionnel avant de fixer les priorités budgétaires de l'Union.

2. La prévention des crises

Une trentaine d'orateurs est intervenue au sein du groupe de travail consacré au rôle de l'Union européenne dans la prévention des crises auquel j'ai moi-même participé.

On a pu relever une grande diversité d'opinions sur le champ géographique des interventions de l'Union. À la question « L'Union européenne doit-elle être un acteur régional ? A-t-elle un rôle particulier dans certaines régions du monde ou est-elle un acteur mondial ? », les réponses n'ont pas fait apparaître de sentiment dominant. Certains orateurs ont exprimé une préférence géographique déterminée, mais variable ; d'autres ont fait valoir que l'Union européenne devait agir partout dans le monde et avant tout intervenir là où il pouvait y avoir un risque de génocide.

En revanche, un consensus sans faille s'est dégagé pour souhaiter que l'Union européenne joue un rôle plus important dans la prévention des conflits. Les intervenants ont été unanimes pour dire que, en ce domaine, il y avait trop peu d'Europe, alors même que les citoyens européens demandaient une action européenne plus forte et que les pays tiers attendaient un engagement plus marqué de l'Union européenne. Trop souvent, l'Union agit comme gestionnaire des conflits plutôt que comme agent de prévention de ces conflits ; trop souvent, elle agit trop tard, a posteriori, par exemple pour fournir une aide alimentaire après des déplacements de populations, alors qu'il serait préférable qu'elle agisse en amont pour éviter ces déplacements de populations. Le seul véritable moyen important de prévention des conflits, selon plusieurs orateurs, a été l'élargissement qui est apparu comme le meilleur instrument de la politique de sécurité européenne. Enfin, plusieurs parlementaires ont fait valoir qu'il fallait privilégier le recours aux moyens civils avant de passer aux moyens militaires.

Le second point de consensus tient à l'exigence d'une plus grande cohérence dans l'expression et la conduite de la politique étrangère et de sécurité commune. Cohérence entre le Conseil et la Commission d'abord, car il ne doit pas y avoir deux politiques étrangères de l'Union, celle du Conseil et celle de la Commission ; on a souligné à cet égard qu'il n'y avait qu'en Ancienne République yougoslave de Macédoine que le représentant du Conseil était également celui de la Commission. Cohérence au sein de la Commission ensuite, où il serait bon de mettre en place un vice-président assurant la coordination des divers commissaires ayant des responsabilités dans la conduite des affaires extérieures et susceptible d'exprimer la voix de la Commission. Au nom de cette exigence de cohérence, les participants ont unanimement regretté que les dispositions du traité constitutionnel relatives à l'action extérieure de l'Union n'aient pu entrer en vigueur et ont rappelé l'intérêt d'un service européen pour l'action extérieure et d'un ministre des affaires étrangères de l'Union.

Enfin, le dernier point majeur des interventions a porté sur le contrôle parlementaire de la politique de défense européenne. À un orateur qui faisait valoir que le Parlement européen devrait s'exprimer sur le déploiement des forces à l'extérieur, une série d'intervenants a répondu que le rôle des parlements nationaux en ce domaine était nécessaire et irremplaçable. D'abord parce que la nécessité des interventions extérieures devait être défendue au plan national et que, pour chacune des opérations extérieures, qu'elle se déroule au Congo, en Irak ou en Afghanistan, il fallait gagner les citoyens, ce pourquoi seuls les parlementaires nationaux étaient en mesure d'agir avec efficacité. Ensuite, parce que les troupes appelées à intervenir à l'extérieur étaient des troupes nationales, que les restrictions d'engagement des soldats étaient déterminées au niveau de chaque État et qu'il était peu réaliste de penser que les États membres pourraient engager leurs troupes sans qu'une décision nationale n'intervienne. Enfin, parce que chaque État membre restait responsable de l'action des troupes qu'il envoyait sur un théâtre extérieur. Ainsi qu'a conclu le rapporteur du groupe de travail, un député allemand, « notre armée ne peut intervenir que si une majorité du Bundestag en est d'accord ».

3. L'énergie

Le dernier groupe de travail était consacré à l'énergie. Nous y étions représentés par Simon Sutour.

De fait, cette question de l'énergie occupe une place centrale sur l'agenda européen depuis maintenant plus d'un an. Et l'Allemagne en a fait l'une de ses priorités pour sa présidence. Au moment où la Commission européenne s'apprêtait à présenter son plan d'action - cela a été fait le 10 janvier - et avant que le Conseil européen du printemps ne prenne position, il était pour le moins justifié que ce thème fasse l'objet d'un débat lors de ses rencontres parlementaires.

Les débats ont d'ailleurs été particulièrement denses. Et je crois possible d'en tirer trois enseignements principaux.

Le premier enseignement concerne le diagnostic. L'ensemble des interventions montre en effet que le diagnostic sur l'énergie est désormais très largement partagé. Ce diagnostic repose sur trois constats et se rapproche de l'analyse que nous avions menée au sein de notre délégation dès le printemps dernier à l'occasion de l'examen du rapport d'information de notre collègue Aymeri de Montesquiou. Le premier constat, c'est celui de la vulnérabilité de l'Europe qui n'atteint pas l'autosuffisance énergétique et qui ne peut garantir la sécurité de son approvisionnement extérieur. Le deuxième constat, c'est celui de la fragilité du cadre juridique actuel. Les traités en vigueur ne comportent pas de base juridique spécifique pour mener une politique européenne de l'énergie. Le traité constitutionnel aurait apporté en la matière une amélioration significative. Le troisième constat, c'est que tous s'accordent aujourd'hui à reconnaître la nécessité de construire une telle politique européenne de l'énergie autour de trois objectifs également largement partagés : elle doit garantir un approvisionnement énergétique à la fois sûr, respectueux de l'environnement et compétitif.

Pourtant, au-delà de ce diagnostic partagé, les débats ont souligné l'extrême difficulté à construire et à donner un contenu à cette politique. Et c'est là le second enseignement du groupe de travail. De fait, la définition d'une politique de l'énergie exige certains arbitrages qui sont loin d'être consensuels et qui montrent que, si les objectifs apparaissent partagés, leur mise en oeuvre peut s'avérer problématique. Je prendrai ici trois exemples parmi les plus significatifs des débats qui sont autant de clivages ou de paradoxes.

Le premier exemple a trait à la place de la libéralisation. Faut-il achever le processus de libéralisation pour qu'il produise tous ses effets en matière de compétitivité ou doit-on constater que la démarche engagée ne permet pas de résoudre les difficultés ? À cet égard, les réactions à la présentation du plan d'action de la Commission soulignent - s'il en était besoin - l'absence de consensus.

Le deuxième exemple concerne la place de l'énergie nucléaire. Ce sujet a constitué l'un des principaux points de clivage. Pour certains, le nucléaire est une solution incontournable non seulement pour garantir l'approvisionnement mais aussi pour atteindre les objectifs de Kyoto. Pour d'autres, le nucléaire constitue non pas une solution, mais une menace.

Le troisième exemple est tout aussi éclairant. C'est la problématique du prix et du coût. La responsabilisation et le renforcement de la dimension environnementale doivent se traduire, au-delà des seuls cours internationaux, par une tendance à l'augmentation du coût de l'énergie. Mais, parallèlement, l'objectif d'accès de tous exige aussi que son prix ne soit pas trop élevé.

En tout état de cause, les travaux du groupe de travail ont bien montré les obstacles très concrets auxquels ne manquera pas de se heurter la construction d'une politique européenne de l'énergie. Ils n'en ont pas moins mis en évidence - et c'est là le troisième enseignement - trois points de convergence, qu'a soulignés avec force Jouko Skinnari, rapporteur du groupe de travail pour le Parlement finlandais.

D'abord, une politique européenne de l'énergie doit reposer sur un effort de recherche et d'innovation très significatif. Et ce doit être l'une des priorités du 7e programme-cadre de recherche et de développement.

Ensuite, les dimensions internes et externes de la politique sont inséparables. Ainsi, toute la problématique des relations entre l'Union européenne et la Russie était en filigrane d'un grand nombre des interventions.

Enfin, dernier point de convergence sur lequel a insisté le rapporteur, c'est celui de l'urgence. « Le futur de la politique européenne en matière d'énergie, c'est aujourd'hui » car l'expérience montre qu'en matière d'énergie, il faut du temps pour mettre les décisions en application.

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En conclusion, j'évoquerai le débat institutionnel qui a eu lieu le jour même où le Parlement finlandais ratifiait le traité constitutionnel européen.

Un consensus est apparu sans difficulté pour affirmer la nécessité d'un accord sur une réforme institutionnelle avant 2009. Et, de toutes parts, se sont exprimés des regrets sur le traité constitutionnel. Mais, au-delà du constat que les institutions actuelles doivent être réformées, les opinions divergent fortement. Certains souhaiteraient tout le traité constitutionnel et rien que le traité constitutionnel ; d'autres suggèrent qu'il convient de retrancher des éléments du traité constitutionnel pour en sauvegarder l'essentiel ; d'autres encore voient une solution dans des ajouts au traité constitutionnel.

Autant dire que le débat n'a guère progressé au cours des derniers mois. Il est clair que beaucoup espèrent que la présidence allemande ouvre des pistes pour une relance du débat institutionnel.

Compte rendu sommaire du débat

M. Simon Sutour :

J'ai participé avec Hubert Haenel à cette rencontre interparlementaire à Bruxelles sur l'avenir de l'Europe, qui fut très instructive. Elle a été précédée d'une réunion des groupes politiques, et je dois dire que la réunion de mon groupe, le parti socialiste européen (PSE), m'a beaucoup appris, notamment sur la manière d'envisager l'avenir du traité constitutionnel. Notre réunion a eu lieu le jour même où la Finlande procédait à la ratification du traité, si bien que dix-huit pays ont, à ce jour, ratifié le traité constitutionnel, dont deux par référendum, et nous avons trop souvent tendance à l'oublier. La réunion de mon groupe au Parlement européen m'a permis de constater que la France raisonnait encore de manière très isolée en Europe, sans tenir compte de l'avis de ses partenaires. Si l'on souhaite trouver une solution à la question institutionnelle, il faudra que les États membres ayant déjà ratifié le traité établissant une Constitution pour l'Europe prennent en compte le résultat de notre référendum, mais que nous soyons aussi capables de faire des pas vers eux, afin de trouver une solution négociée.

M. Hubert Haenel :

Je souscris entièrement aux propos de mon collègue. Lors d'une récente réunion à Berlin, j'ai pu mesurer combien le « non » français avait constitué un « tremblement de terre » pour nos partenaires européens, et les responsables politiques doivent en avoir pleinement conscience. Il nous faudra apporter des propositions concrètes pour sortir de l'impasse.

*

Conformément au souhait de certains de nos collègues, nous nous réunissons aujourd'hui un jeudi matin, à un moment où il ne se tient aucune réunion de commission permanente ; or je constate que nous sommes moins nombreux que d'habitude.

Justice et Affaires intérieures

Accord de réadmission entre la Communauté européenne
et la Fédération de Russie (Texte E 3143)

Communication de M. Yves Pozzo di Borgo

Nous sommes saisis, au titre de l'article 88-4 de la Constitution, d'un projet d'accord entre la Communauté européenne et la Fédération de Russie, qui concerne la lutte contre l'immigration clandestine. Il est accompagné d'un autre accord relatif aux visas. Ils devraient être adoptés la semaine prochaine par le Conseil. Ces deux accords s'inscrivent dans le cadre de la création des « quatre espaces communs » entre l'Union européenne et la Russie (un espace économique, un espace de liberté, de sécurité et de justice, un espace de sécurité extérieure et un espace de recherche, d'éducation et de culture), lancée lors du Sommet de Saint-Petersbourg en 2003.

Étant donné que je prépare actuellement un rapport d'information sur les relations entre l'Union européenne et la Russie, j'ai pensé utile d'intervenir aujourd'hui sur ces deux textes.

I - L'ACCORD SUR LA FACILITATION DE LA DÉLIVRANCE DES VISAS

Nous n'avons pas été saisis de ce texte au titre de l'article 88-4 de la Constitution, car il ne relève, ni du domaine de la loi en France, ni de la procédure de codécision européenne. Toutefois, cet accord est étroitement lié à l'accord de réadmission. En effet, il répond à une demande des autorités russes, alors que l'Union européenne est surtout attachée à la conclusion de l'accord de réadmission.

1. Le contexte

Il s'agit là du premier accord communautaire avec un pays tiers qui porte sur les visas. Je rappelle que la politique des visas, qui concerne les visas de court séjour (d'une durée inférieure à trois mois), relève, depuis le traité d'Amsterdam, de la compétence de la Communauté et du vote à la majorité qualifiée au Conseil en codécision avec le Parlement européen.

Il faut savoir que la Russie représente aujourd'hui pour la France le premier pays pour les demandes de visa. Sur près de 2,5 millions de demandes de visa adressées aux autorités françaises en 2005, plus de 300 000 concernaient des ressortissants russes, contre 545 000 pour l'ensemble des pays du Maghreb (dont 265 000 pour l'Algérie). Or, le taux de refus concernant la Russie est très faible puisqu'il n'est que de 2,4 %, contre une moyenne de 15 %. Dans certains pays, notamment en Afrique, le taux de refus est même supérieur à 50 %.

La France fait partie des destinations touristiques préférées des Russes, aussi bien des classes aisées que des classes moyennes. En effet, près de 70 % des demandes sont faites par des tours opérateurs qui organisent des voyages en autocar à partir de la Russie et des séjours en France pour un prix modique. En tant qu'élu de Paris, je ne peux d'ailleurs que me féliciter de l'augmentation du tourisme russe dans la capitale. Avec seulement deux consulats (l'un à Moscou, l'autre à Saint-Petersbourg) et des moyens limités (le consulat de Moscou ne dispose que d'une quarantaine d'agents), pour un pays très étendu de 140 millions d'habitants, nos postes consulaires peinent à traiter ce nombre très élevé de demandes. Nos consulats ont ainsi été submergés de demandes de visas à l'occasion des fêtes de fin d'année.

Cette situation est propice à toutes sortes de dérives. L'été dernier, des agents consulaires français et des recrutés locaux du consulat français de Moscou ont été licenciés après la découverte de malversations dans le traitement des demandes de visas. Parallèlement, de nombreux touristes ou hommes d'affaires français se plaignent de la longueur, de la complexité et du coût des formalités de visas exigées par les autorités russes pour effectuer un séjour en Russie.

Les autorités russes souhaitent obtenir à terme la levée de l'obligation de visas pour leurs ressortissants et la création d'un véritable espace de libre circulation des personnes entre l'Union européenne et la Russie. Le ministère des Affaires étrangères est plutôt ouvert à cette idée, alors que le ministère de l'Intérieur y est opposé. En effet, du point de vue du ministère de l'Intérieur, la Russie représente certes un faible risque migratoire. Mais, en revanche, elle présente une menace sérieuse en matière de terrorisme et de criminalité organisée. Or, la procédure de délivrance de visa permet aux policiers français de contrôler en amont la venue sur le territoire français de ressortissants russes soupçonnés d'appartenir à des organisations criminelles ou terroristes, en consultant notamment le système d'information Schengen. Il s'agit donc là d'un sujet délicat, sur lequel je reviendrai à l'occasion de la présentation de mon rapport d'information.

2. Le contenu de l'accord

Sans aller jusqu'à la suppression de l'obligation de visa, l'accord communautaire vise à simplifier la procédure de délivrance des visas, sur une base de réciprocité. Il prévoit notamment :

- une réduction des frais de visa à 35 euros pour l'ensemble des ressortissants russes (le coût normal du visa Schengen est passé, le 1er janvier dernier, à 60 euros) ;

- des exemptions de visas pour les ressortissants détenteurs d'un passeport diplomatique ;

- une simplification des justificatifs de voyage et une suppression des frais de visa pour certaines catégories de voyageurs, comme les membres des délégations officielles, les hommes d'affaires, les journalistes, les scientifiques, les artistes, les sportifs, les écoliers ou encore les membres des gouvernements et des parlements nationaux, mais pas pour les députés européens, ce qui a d'ailleurs provoqué l'irritation du Parlement européen.

3. Que penser de cet accord ?

Cet accord s'inspire largement de l'accord bilatéral conclu en juin 2004 entre la France et la Russie en matière de visas, à l'exception, toutefois, de la réduction du coût du visa, à laquelle les autorités françaises n'étaient pas favorables au départ. Il permettra ainsi de renforcer les échanges entre l'Union européenne et la Russie, en facilitant notamment les déplacements des hommes d'affaires, des élèves et des étudiants ou encore des chercheurs.

On peut toutefois regretter que la Commission européenne n'ait pas obtenu l'assouplissement des procédures d'enregistrement, héritées du système soviétique, actuellement exigées par les autorités russes. Celles-ci se traduisent souvent par de fortes contraintes pour les ressortissants européens, qui doivent ainsi se présenter régulièrement aux autorités locales et déposer leur passeport, ce qui limite leur possibilité de déplacement à l'intérieur du territoire russe. Sur ce point, l'accord se borne à mentionner l'engagement des autorités russes à prendre des mesures visant à simplifier les procédures d'enregistrement.

Le rapporteur de cet accord au Parlement européen (la députée portugaise Maria de Assunçao Esteves) a également critiqué les difficultés rencontrées par des journalistes, des prêtres et missionnaires étrangers ou des membres d'organisations non gouvernementales pour obtenir un visa de la part des autorités russes et la nécessité d'obtenir une autorisation complémentaire pour se rendre dans certaines régions, comme en Tchétchénie.

II - L'ACCORD SUR LA RÉADMISSION

Il s'agit du sixième accord communautaire portant sur la réadmission. Je rappelle qu'un accord de réadmission permet de faciliter l'éloignement des étrangers en situation irrégulière vers leur pays d'origine ou vers le pays par lequel ils ont transité. Il s'agit donc d'un instrument essentiel dans la lutte contre l'immigration clandestine. Chaque pays signataire s'engage, en effet, à réadmettre sur son territoire, et sans formalité, toute personne possédant sa nationalité ou tout ressortissant de pays tiers qui a franchi illégalement ses frontières pour se rendre dans l'autre État partie.

À ce jour, sur vingt mandats de négociation confiés à la Commission, seuls quatre accords sont entrés en vigueur (avec Hong Kong, Macao, le Sri Lanka et l'Albanie) et un cinquième a été signé récemment avec l'Ukraine. Les négociations menées par la Commission sur ce type d'accord sont, en effet, laborieuses car les États se montrent réticents à accepter d'accueillir les ressortissants d'autres pays tiers ayant simplement transité par leur territoire pour se rendre dans l'Union européenne. Les négociations avec la Russie sur cet accord ont d'ailleurs été longues et difficiles, puisqu'elles ont duré plus de cinq ans.

En définitive, cet accord comporte des avancées, même si la Russie a obtenu un certain nombre de dérogations.

1. Les avancées

La conclusion d'un accord de réadmission avec la Russie représente, en soi, un progrès car la France, à l'image de la quasi-totalité des autres États membres, ne dispose pas actuellement d'un accord bilatéral avec la Russie sur ce sujet.

Au titre des avancées, on peut également mentionner la simplification des procédures d'éloignement des ressortissants russes en situation irrégulière sur le territoire européen. En effet, les autorités russes conditionnent actuellement la délivrance des laissez-passer consulaires au consentement des personnes concernées. Ainsi, sur 146 demandes formulées par les autorités françaises en 2006, les autorités russes n'ont délivré que 29 laissez-passer, soit un taux de 20 % (le taux moyen est de 42 %). Or, les laissez-passer consulaires jouent un rôle important en matière d'éloignement des étrangers en situation irrégulière.

Je rappelle que, en 2006, le taux d'exécution des mesures d'éloignement des ressortissants russes en France n'a été que de 14 % (744 mesures d'éloignement prononcées et 106 exécutées) alors que le taux moyen d'exécution des mesures d'éloignement, toutes nationalités confondues, était de 30 %. L'accord communautaire prévoit que les laissez-passer consulaires seront délivrés sans tenir compte de la volonté des personnes concernées, ce qui devrait contribuer à simplifier la procédure d'éloignement.

2. Les difficultés

La Russie a toutefois obtenu un certain nombre de dérogations concernant en particulier la réadmission des ressortissants de pays tiers et les délais de réponse à une demande de réadmission.

a) La première difficulté a concerné la réadmission des ressortissants de pays tiers

La Russie a accepté le principe de réadmettre sur son territoire les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier qui sont passés par son territoire pour se rendre sur le territoire des États membres de l'Union européenne. Toutefois, la Russie a obtenu que cette disposition ne s'applique que trois ans après l'entrée en vigueur de l'accord, sauf pour les ressortissants de pays tiers avec lesquels elle a conclu des accords bilatéraux de réadmission. De plus, cette obligation de réadmission sera soumise à des conditions. Ainsi, elle ne jouera pas pour les étrangers ayant simplement transité par un aéroport international russe.

b) La deuxième difficulté a porté sur le délai de réponse à une demande de réadmission.

L'accord prévoit un délai maximal de 60 jours pour la réponse à une demande de réadmission. Or, ce délai est incompatible avec ce que prévoit notre législation en matière de délai de rétention des étrangers en situation irrégulière. Notre législation prévoit, en effet, une durée maximale de rétention administrative de 32 jours.

Je rappelle que les étrangers en situation irrégulière peuvent être placés en rétention par un arrêté préfectoral pour une durée ne pouvant excéder 48 heures. À l'issue de ce délai de deux jours, le juge judiciaire doit décider de la prolongation ou non de cette mesure pour une durée supplémentaire maximale de quinze jours. Enfin, le juge judiciaire peut décider d'une nouvelle prolongation de quinze jours de la rétention mais sous certaines conditions plus restrictives.

Cet accord n'apporte donc aucun progrès pour notre pays puisque le délai de réponse des autorités russes à une demande de réadmission formulée par la France excède de près du double le délai maximal de rétention des étrangers. En effet, malgré les demandes répétées de la délégation française, la Commission européenne a refusé de modifier le texte de l'accord.

Il est vrai que, dans cette affaire, la France est relativement isolée puisque, seuls l'Espagne (où le délai maximal de rétention est de 40 jours) et le Portugal (délai de 60 jours) sont confrontés à cette difficulté. Dans les autres États membres, le délai de rétention des étrangers est beaucoup plus long (18 mois en Allemagne) et dans certains pays, comme le Royaume-Uni, il n'existe même pas de limitation de durée.

En dépit de son isolement relatif, la France a toutefois obtenu la conclusion d'un protocole bilatéral avec la Russie sur ce sujet, de même que l'Espagne et le Portugal. Le protocole bilatéral avec la France, qui a été signé le 1er février dernier, prévoit que le délai de réponse des autorités russes à une demande de réadmission formulée par la France sera de vingt-cinq jours. Ce délai sera donc inférieur au délai maximal de rétention administrative des étrangers dans notre pays.

En définitive, on doit constater que l'accord de réadmission avec la Russie constitue le plus mauvais des six accords de réadmission négociés à ce jour par la Commission européenne. C'est d'autant plus surprenant que, contrairement aux accords précédents, l'Union européenne a accepté d'offrir à la Russie des contreparties en accédant à sa demande de faciliter la délivrance des visas pour les ressortissants russes.

Ces deux accords représentent néanmoins un progrès du point de vue du renforcement des relations entre l'Union européenne et la Russie. C'est la raison pour laquelle je vous proposerai de prendre acte de ces deux textes.

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A l'issue de cette communication, la délégation a décidé de ne pas intervenir plus avant.