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Mercredi 6 octobre 2010

Justice et affaires intérieures

Les Roms et l'Union européenne : transposition en droit français de la directive relative à la liberté de circulation et de séjour
Communication de MM. Jean-René Lecerf et Richard Yung

M. Jean Bizet. - Nous avons aujourd'hui à notre ordre du jour une question qui est au coeur de l'actualité européenne. Lorsque le Président du Sénat s'est rendu à Bruxelles, le 10 septembre, j'ai pu constater qu'une large partie de l'entretien qu'il a eu avec le Président de la Commission européenne était consacrée à la situation des Roms dans l'Union européenne, et notamment à l'équilibre qu'il convient de dégager entre sécurité, dignité des personnes et liberté de circulation. Dans les jours qui ont suivi, le débat a pris un tour plus aigu avec les déclarations de Viviane Reding puis le déjeuner du Conseil européen du 16 septembre.

Les différences d'appréciation entre la Commission européenne et le gouvernement français se sont plus particulièrement focalisées sur la transposition en droit français de la directive de 2004 sur la liberté de circulation et de séjour. La Commission estime en effet que la France n'a pas transposé la directive de manière à rendre ses dispositions complètement efficaces et transparentes. C'est pourquoi j'ai demandé à Jean-René Lecerf et Richard Yung de bien vouloir étudier la question afin de nous présenter leur analyse juridique. Je les remercie d'avoir accepté de prendre en charge ce dossier dans un délai très bref. Ils sont allés à Bruxelles et ont recueilli les observations juridiques de la Commission européenne. Ils ont également entendu les services du Premier ministre et des ministères compétents.

Le collège des commissaires s'est prononcé sur cette question mercredi dernier et l'on vous a distribué le communiqué de presse que la Commission a alors publié. Je laisse la parole à nos deux rapporteurs afin qu'ils nous fassent savoir si, selon eux, la directive a été complètement et totalement transposée ou s'il convient que le législateur se remette à l'ouvrage.

M. Jean-René Lecerf. - Il y a en réalité deux problèmes distincts : la situation des Roms en Europe et la question de la transposition de la directive sur la libre circulation. Cependant, la divulgation de la circulaire du 5 août 2010 désignant expressément les Roms a jeté un trouble sans lequel la France n'aurait pas fait l'objet d'un traitement spécifique alors même qu'une quinzaine d'États membres sont critiqués pour leur mauvaise transposition de la directive.

La transposition de la directive sur la libre circulation dans notre droit interne a été assurée par la loi du 24 juillet 2006 et par un décret du 21 mars 2007. La Commission européenne a considéré que la France n'avait pas transposé la directive de manière à rendre les droits prévus par la directive « complètement efficaces et transparents ». Nous avons donc cherché à identifier les principes posés par la directive avant d'examiner les griefs formulés par la Commission sur la manière dont la France avait traduit ces principes dans son droit national. Ce sont les deux points que je vais développer avant que Richard Yung n'expose l'appréciation que nous pouvons porter.

I/ Quels sont les principes posés par la directive ?

1/ Un droit général

Le point de départ, c'est la citoyenneté de l'Union qui confère à chaque citoyen un droit fondamental et individuel de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. Ce droit est étendu aux membres de leur famille quelle que soit leur nationalité. La directive prohibe tout visa d'entrée pour les citoyens de l'Union et écarte cette formalité pour les membres de la famille qui n'ont pas la nationalité d'un État membre, lorsqu'ils sont en possession d'une carte de séjour en cours de validité (article 5).

La directive distingue toutefois entre les séjours de moins de trois mois et les séjours de plus de trois mois. Elle institue par ailleurs, sous certaines conditions, un droit de séjour permanent.

Pour les séjours de moins de trois mois, le droit de libre circulation et de séjour est ouvert sans autre condition ou formalité que la détention d'une carte nationale d'identité ou d'un passeport en cours de validité (article 6). Ce droit n'est cependant maintenu que s'il ne constitue pas « une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale de l'État membre d'accueil » (article 14). Ces dispositions sont codifiées aux articles R.121-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).

Pour les séjours de plus de trois mois, la directive définit des catégories de personnes bénéficiant du droit à la libre installation : les travailleurs salariés ou non salariés ; les non actifs qui disposent pour eux-mêmes et pour les membres de leur famille de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale, ainsi que d'une assurance maladie ; les étudiants ; les membres de la famille d'un citoyen de l'Union qui rentre dans l'une de ces trois catégories. Les citoyens de l'Union ayant séjourné légalement pendant une période ininterrompue de cinq ans sur le territoire d'un État membre d'accueil acquièrent le droit de séjour permanent (article 16). Ces dispositions sont reprises aux articles L.121-1 et L.122-2 du CESEDA.

En outre, la directive autorise les États membres à requérir l'enregistrement des citoyens de l'Union pour les séjours de plus de trois mois, faculté que la France a utilisée (article L.121-2 du CESEDA) mais qui n'est pas encore effective.

2/ Des conditions

Selon la directive, le droit au séjour ne peut être maintenu si, n'exerçant aucune activité professionnelle, la personne ne dispose pas « de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale, ainsi que d'une assurance maladie ». L'article R.121-4 précise que le montant exigé de ressources ne peut excéder le montant forfaitaire du RSA ou, si l'intéressé remplit les conditions d'âge pour l'obtenir, le montant de l'allocation de solidarité aux personnes âgées.

En outre, les ressortissants bulgares et roumains sont encore soumis à des restrictions pour la liberté d'installation reconnue aux travailleurs salariés communautaires, en application des traités d'adhésion qui permettent le contrôle de l'accès au marché national de l'emploi de l'État d'accueil pendant une période maximale de sept ans. En conséquence, ils doivent solliciter une autorisation de travail qui peut leur être refusée en raison de la situation de l'emploi. La France n'a ouvert l'accès sans opposition de la situation de l'emploi qu'à une liste de 150 métiers connaissant des difficultés de recrutement.

II/ Quels sont les griefs de la Commission européenne sur la transposition de la directive par la France ?

Ces griefs portent sur les conditions de transposition par la France d'une limitation d'ordre général admise par la directive qui est l'existence d'une menace pour l'ordre public et sur les garanties entourant les mesures d'éloignement. Sont ainsi en cause les articles 27, 28, 30 et 31 de la directive.

1/ La définition de la menace pour l'ordre public

La directive (article 27) admet que les États membres peuvent restreindre la liberté de circulation « pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.» Elle exige que les mesures d'ordre public ou de sécurité publique respectent le principe de proportionnalité et soient fondées exclusivement sur le comportement personnel de l'individu concerné. L'existence de condamnations pénales antérieures ne peut, à elle seule, motiver de telles mesures. Le comportement de la personne concernée doit représenter « une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société ». En outre, des justifications qui ne seraient pas directement liées au cas individuel concerné ou tenant à des raisons de prévention générale ne peuvent être retenues.

La réserve de la « menace pour l'ordre public » a été inscrite dans le droit interne lors de la transposition tant, comme le permet la directive, pour les séjours de moins de trois mois (article R.121-1 du CESEDA) que pour les séjours de plus de trois mois (article L.121-1). En outre, s'appliquent aux ressortissants communautaires les dispositions de l'article L.511-1 du CESEDA qui permet la reconduite à la frontière de l'étranger dont « le comportement constitue une menace pour l'ordre public. » En revanche, les autres précisions apportées par la directive n'ont pas été reprises dans le CESEDA.

La Commission européenne admet que la définition de la notion de menace à l'ordre public relève des autorités nationales. Mais elle considère que les garanties prévues par la directive pour identifier l'existence d'une menace pour l'ordre public devraient faire l'objet d'une transposition expresse.

Le Gouvernement fait valoir que l'appréciation d'une menace pour l'ordre public est une affaire d'espèces, excluant tout automatisme. La loi française ne définit donc pas les raisons d'ordre public pouvant justifier une mesure d'éloignement. Seule une appréciation in concreto à partir de l'examen de la situation individuelle permet d'évaluer la réalité de cette menace. Mais la jurisprudence permet de satisfaire les critères retenus par la directive. Le principe de proportionnalité est un principe constant en matière de police administrative, dégagé en 1933 par le Conseil d'État (arrêt du 19 mai 1933, Benjamin), et qui trouve à s'appliquer en droit des étrangers (arrêt 29 juin 1990, Mme I.). La notion de « menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société » est de même mise en oeuvre par la jurisprudence qui exige que cette menace soit à la fois « actuelle et personnelle » (Conseil d'État, 24 juillet 1981, Cheghba). La jurisprudence affirme également, comme l'exige la directive, que l'existence de sanctions pénales antérieures ne peut à elle seule légitimer des mesures d'ordre public ou de sécurité publique (Conseil d'État, 24 janvier 1994, M'Barki).

Je dois dire qu'il me semble paradoxal d'invoquer l'arrêt Benjamin à l'appui d'un contrôle de proportionnalité dans le domaine du droit des étrangers. Cet arrêt a concerné des libertés très protégées et une hypothèse - la liberté de réunion - sans lien avec la police des étrangers. Quant à l'arrêt de 1990, qui concerne le droit des étrangers, il s'appuie sur le contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation qui est un contrôle minimal, très différent du contrôle de proportionnalité.

2/ Les garanties entourant la mise en oeuvre des mesures d'éloignement

La directive (article 28) exige qu'avant de prendre une décision d'éloignement du territoire, plusieurs éléments soient pris en considération : la durée du séjour, l'âge, l'état de santé, la situation familiale et économique, l'intégration sociale et culturelle dans l'État membre d'accueil et l'intensité des liens avec le pays d'origine. Elle fixe des exigences plus fortes pour les personnes ayant acquis un droit au séjour permanent, pour celles ayant séjourné dans l'État membre d'accueil pendant les dix années précédentes et pour les mineurs. La directive prévoit par ailleurs une procédure de notification par écrit (article 30) et des garanties procédurales (article 31) : accès aux voies de recours jurisprudentielles, suspension de l'éloignement du territoire jusqu'à la décision de référé sur une demande de sursis à exécution, caractère proportionné de la décision d'éloignement par rapport aux exigences de l'article 28, possibilité pour l'intéressé de présenter ses moyens de défense en personne.

La Commission européenne souhaite que toutes ces garanties soient expressément transposées dans un texte spécifique.

Le Gouvernement fait, quant à lui, valoir que ces garanties sont toutes prévues dans le droit français. Certaines sont inscrites dans le CESEDA : protection de certaines personnes contre une mesure d'éloignement (article L.511-4) ; motivation de l'arrêté de reconduite à la frontière (article L.511-1) ; recours automatiquement suspensif contre l'arrêté de reconduite à la frontière avec délai de carence pour l'administration de 48 heures (articles L.512-2 et L.512-3). D'autres ne résultent pas de normes spécifiques au droit des étrangers et ont été dégagées bien avant la transposition de la directive. Les garanties relatives au droit de recours juridictionnel figurent dans le code de justice administrative (article R.421-5). L'obligation de motiver les mesures d'éloignement est prescrite par la loi du 11 juillet 1979. S'appliquent aussi dans ce domaine des normes de droit non écrit, tels que des principes de valeur constitutionnelle (décision Conseil constitutionnel du 13 août 1993) ou les principes généraux du droit, comme par exemple le principe de proportionnalité (Conseil d'État, 19 mai 1933, Benjamin). La jurisprudence administrative veille également à la prise en compte de l'âge, de la durée de présence sur le territoire, des liens avec le pays d'origine et de l'intégration (Conseil d'État, 29 juin 1990, Mme I.). S'agissant de mesures prises en considération de la personne, l'administration a, de manière générale, l'obligation d'examiner l'ensemble des circonstances particulières de l'espèce, sous le contrôle du juge qui veille en particulier au respect de la vie privée et familiale, ce qui est une exigence constitutionnelle, et qui examine aussi les mesures d'éloignement au regard de la Convention européenne des droits de l'homme.

Je relève que l'article 28 de la directive utilise l'adverbe « notamment » - que la commission des lois du Sénat prend toujours garde d'éviter dans les textes législatifs, a fortiori quand il s'agit de libertés publiques ou de droit pénal - et qu'il ne dresse donc pas une liste exhaustive des garanties applicables en matière d'éloignement.

Le Gouvernement fait valoir qu'il ne serait guère conforme au souci de la qualité des textes d'y réitérer des principes généraux qui ont souvent une valeur supérieure dans la hiérarchie des normes. Cela créerait un risque d'a contrario : dès lors qu'un principe général est réaffirmé explicitement, cela n'incite-t-il pas à penser que les autres principes généraux ne s'appliquent pas avec la même force ? Au demeurant, l'ensemble des règles applicables aux mesures d'éloignement sont rappelées dans la circulaire relative aux conditions d'exercice du droit de séjour des ressortissants de l'Union européenne.

M. Richard Yung. - En fonction des éléments que vient de présenter Jean-René Lecerf, quelle appréciation pouvons-nous porter ?

1/ Un contexte difficile

Il y a deux aspects : un volet juridique et un problème politique qui a surgi avec le débat sur la politique de démantèlement des campements de Roms, lancée en France à compter du 28 juillet.

Avant même la circulaire du 5 août 2010, la Commission avait posé trois questions à la France : combien y a-t-il eu de départs volontaires parmi les reconduites à la frontière ? Que fera la France si les personnes reconduites pénètrent à nouveau sur son territoire ? Comment la France entend-elle transcrire précisément la directive de 2004 ?

Pour ce qui concerne la transposition de la directive, je relève que la Commission européenne ne s'est pas appuyée sur la charte européenne des droits fondamentaux dont l'article 19 concerne la protection contre l'éloignement, mais sur les dispositions des articles 28 à 31 de la directive.

Je déplore vivement que le Gouvernement n'ait pas souhaité nous transmettre la lettre que Mme Reding a fait parvenir aux autorités françaises. En dépit de notre demande, la Commission européenne ne nous a pas non plus communiqué ce document.

C'est dans le cadre d'un rapport qu'elle a établi, en 2008, sur la transposition de la directive que la Commission européenne a constaté que beaucoup d'États membres ne l'avaient pas transposée ou l'avaient mal fait. Une quinzaine d'États membres seraient en cause. En juillet 2009, la Commission européenne a établi des lignes directrices destinées à améliorer la transposition de la directive.

La Commission a engagé des discussions avec les États membres, notamment avec les autorités françaises qui ont répondu en juillet dernier au questionnaire de la Commission. Selon nos interlocuteurs à la Commission, les discussions avaient bien avancé lorsqu'est survenu l'épisode du mois d'août et plus particulièrement la révélation de l'existence de cette fameuse circulaire du 5 août 2010 qui a manifestement jeté le trouble.

C'est dans ce contexte troublé que la Commission européenne a pris la décision, le 29 septembre, d'engager une procédure en manquement contre la France qui commencerait par l'envoi d'une mise en demeure demandant la transposition complète de la directive. La Commission a laissé à la France jusqu'au 15 octobre pour lui transmettre un projet de mesure de transposition ainsi qu'un calendrier précis pour son adoption. Les choses sont donc claires : la Commission a d'ores et déjà pris sa décision d'engager la procédure d'infraction, sauf si la France annonce clairement son intention de mener à bien rapidement le processus de transposition expresse qu'elle demande. En pratique, en fonction de la réponse de la France, la procédure serait déclenchée dans un « cycle d'infractions », le 28 octobre.

Nos interlocuteurs nous ont néanmoins assuré que la Commission avait engagé la même démarche avec d'autres États membres. Des procédures d'infraction seront donc ouvertes en l'absence de transposition spécifique. Quatre à cinq dossiers d'États membres seraient prêts à être traités.

2/ Un débat sur le mode de transposition des directives

L'article 288 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne distingue clairement le règlement de la directive. Selon cet article, « le règlement a une portée générale. Il est obligatoire dans tous ses éléments et il est directement applicable dans tout État membre.

« La directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. »

La Cour de justice a pu en tirer pour conséquence que la transposition en droit interne « n'exige pas nécessairement une reprise formelle et textuelle des dispositions de celle-ci dans une disposition légale ou réglementaire expresse et spécifique » et « peut se satisfaire d'un contexte juridique général » dès lors que celui-ci assure effectivement la « pleine application de la directive d'une façon claire et précise » (arrêts du 16 novembre 2000, Commission c. Grèce ; 7 décembre 2000, Commission c. France ; 30 novembre 2006, Commission c. Luxembourg ; 16 juillet 2009, Commission c. Irlande).

C'est pourquoi le Gouvernement fait valoir qu'il est dans la nature même d'une directive de laisser aux États membres le choix de la norme nationale en assurant la transposition. Et on peut le suivre pour considérer qu'il ne serait pas de bonne méthode de transposer les directives en l'état sans se poser au préalable la question de savoir si notre droit national ne permet pas déjà de satisfaire au moins partiellement le résultat voulu par la directive. C'est la pratique d'autres États membres. Ce n'est pas celle de la France.

Cependant, la Cour de justice précise aussi, dans une jurisprudence constante, que les dispositions d'une directive doivent être mises en oeuvre « avec une force contraignante incontestable, avec la spécificité, la précision et la clarté requises, afin que soit satisfaite l'exigence de sécurité juridique ». Cette exigence requiert que, au cas où la directive vise à créer des droits pour les particuliers, les bénéficiaires soient « mis en mesure de connaître la plénitude de leurs droits. » (arrêts, 13 mars 1997, Commission c. France ; 4 décembre 1997, Commission c. Italie ; 16 juillet 2009, Commission c. Irlande). La Cour de justice a également spécifié l'obligation pour les États membres d'adopter des dispositions juridiques « susceptibles de créer une situation suffisamment précise, claire et transparente pour permettre aux particuliers de connaître la plénitude de leurs droits et de s'en prévaloir devant la juridiction nationale. » Selon la Cour, cette obligation vaut aussi « lorsque sont en cause des principes généraux de droit constitutionnel », en particulier quand les dispositions du droit communautaire visent à accorder des droits aux ressortissants d'autres États membres, « dans la mesure où ceux-ci ne sont normalement pas au courant desdits principes. » (Arrêt, 11 septembre 2003, Commission c. Italie).

C'est pourquoi la Commission européenne demande une transposition expresse des garanties prévues par la directive. Elle ne conteste pas la valeur des principes généraux du droit, que le Gouvernement met en avant. Mais elle fait valoir que les particuliers doivent être au courant de leurs droits. Ce qui justifie un texte spécifique. Elle souligne que le rappel des règles applicables dans des circulaires, par nature précaires et qui sont méconnues des personnes concernées, ne peut suffire. Elle fait valoir que cette transposition ne priverait pas le juge de la souplesse nécessaire pour apprécier des situations diverses. Mais elle lui donnerait des indications sur les critères à prendre en compte.

Face à ces deux positions antagonistes, comment en sortir ?

Nous devons d'abord réaffirmer clairement la spécificité des directives par rapport aux règlements. Il ne serait pas acceptable que les États membres soient privés de toute marge d'appréciation sur la meilleure méthode de transposition d'une directive dans le droit interne. Le résultat voulu par une directive doit pouvoir être atteint sans remettre en cause les grands équilibres de notre ordre juridique national, souvent acquis au fil du temps et non sans difficulté.

Pour autant, nous n'avons pas été très convaincus par les arguments du Gouvernement sur l'existence d'une jurisprudence qui permettrait l'application effective de la directive. On doit en effet être attentif au souci de sécurité juridique pour permettre à chacun d'identifier ses droits de manière claire. Dès lors, si ce résultat ne parait pas suffisamment atteint par l'état du droit existant, il n'y aurait probablement pas d'inconvénient à inscrire dans le CESEDA les garanties prévues par la directive qui n'y figureraient pas encore expressément même si, en pratique, elles sont d'ores et déjà mises en oeuvre en vertu de la jurisprudence. La lecture des articles de la directive qui sont en cause et l'examen de la façon dont ils sont appliqués en droit interne montrent qu'une telle démarche serait envisageable sans mettre en cause l'équilibre de notre ordre juridique.

Cette démarche devrait néanmoins être engagée après une analyse juridique précise permettant d'éviter les inutiles redondances, en utilisant la flexibilité inhérente à la procédure de transposition et en évitant de rigidifier l'appréciation par le juge des situations de fait.

La France s'est mise dans une mauvaise situation avec sa politique à l'égard des Roms. Je crois donc qu'elle aurait tout intérêt à ne pas rejeter purement et simplement les arguments de la Commission européenne qui demande la transposition expresse de la directive.

Cependant, ce débat juridique ne permettra pas de régler la question de l'intégration des Roms. Il s'agit d'une population répartie dans plusieurs pays européens et qui est mal intégrée. La Commission prépare pour le printemps prochain une communication sur l'intégration des Roms. Tout en considérant que cette intégration relève des États membres, elle souhaite néanmoins fixer un cadre pour les stratégies nationales.

Il y a 12 millions de Roms en Europe, dont 20 % seulement sont nomades. Autant l'intégration peut être plus difficile pour les nomades, autant on doit pouvoir la réussir pour les personnes sédentaires. L'Espagne et l'Allemagne ont des expériences positives dans ce domaine. Il en est de même en France, par exemple dans l'agglomération nantaise. Il existe des fonds européens pour mener à bien des politiques d'intégration, mais ils sont sous-utilisés.

M. Christian Cointat. - L'application effective du principe de libre circulation se heurte à de grandes difficultés dans beaucoup de domaines. J'ai ainsi été récemment saisi des problèmes rencontrés par un couple homosexuel pacsé résidant en Belgique, pays qui ne reconnaît pas le pacs.

L'intégration des Roms pose des problèmes complexes. Un accompagnement est nécessaire pour favoriser leur acceptation par des populations elles-mêmes en situation difficile. Il y a en outre inéluctablement des débats sur certains comportements sociaux qui ne sont pas toujours admis. Il me semble qu'il faut être concret en permettant l'intégration effective de ceux qui le souhaitent et en éloignant du territoire ceux qui ne veulent pas être intégrés.

M. Hugues Portelli. - Cette question pose un problème de politique publique, mais aussi un problème juridique. Des recours ont été introduits devant la juridiction administrative qui sera en mesure de faire respecter les droits des personnes concernées. Elle appliquera le principe de l'égalité des droits entre les requérants. En outre, ceux-ci peuvent désormais invoquer directement devant le juge administratif des directives qui n'ont pas été transposées en droit interne dès lors que leurs dispositions sont claires. En application du principe d'égalité devant la loi, le juge administratif ne pourra que sanctionner les circulaires qui stigmatisent une population et qui, de ce fait, est illégale. Je rappelle que le juge administratif est en première ligne pour appliquer le droit communautaire ainsi que la Convention européenne des droits de l'homme.

La France décidera de donner suite ou non à la demande de la Commission européenne sur la transposition de la directive. Mais en cas de réponse négative, la procédure pourra aboutir devant la Cour de justice de l'Union européenne et il ne me semble pas de bonne pratique que l'Etat soit condamné pour manquement à ses obligations prévues par les traités.

M. Michel Billout. - On ne peut en rester à un simple débat juridique. Je rappelle que la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) a fait des recommandations sur l'intégration des Roms en France. Le Gouvernement n'en a tenu aucun compte.

Les Roms n'ont jamais été autant reconduits à la frontière que depuis qu'ils sont devenus des citoyens européens.

Les difficultés d'accès à une activité professionnelle constituent un handicap considérable dans la démarche d'intégration. Il est très difficile de trouver un emploi qui figure dans la liste des métiers autorisés. Il est aussi compliqué de trouver un entrepreneur qui accepte de signer un contrat à durée indéterminée. En outre, il faut acquitter une taxe au profit de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). Dans sa recommandation, la HALDE avait préconisé de mettre un terme aux mesures discriminatoires en matière d'accès à l'emploi.

Il y a beaucoup d'expériences réussies d'intégration qui peuvent être citées en exemple. On a évoqué celle de l'agglomération nantaise. Je citerai celles de ma commune de Nangis, qui compte 8 000 habitants.

M. Jean Bizet. - Je crois que nous devons à la fois proposer une solution juridique pour la transposition de la directive, mais aussi demander qu'une véritable politique communautaire soit conduite pour l'intégration des Roms avec des déclinaisons nationales.

M. Richard Yung. - Pour la transposition de la directive, les délais sont très courts puisque la Commission européenne a laissé au Gouvernement jusqu'au 15 octobre pour lui transmettre des mesures de transposition avec un calendrier précis. Nous devons donc faire connaître rapidement notre position au Gouvernement.

M. Jean-René Lecerf. - Je vais à nouveau distinguer deux questions : la situation des Roms et la transposition de la directive. Pour cette dernière, il n'est pas nécessaire d'élaborer un projet de loi. Un amendement au projet de loi relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité, qui doit être examiné par le Sénat en janvier prochain, pourrait suffire. Dans cette affaire, personne ne veut perdre la face et je crois qu'il faut rechercher une solution de compromis acceptable en ayant à l'esprit le risque que comporterait une procédure devant la Cour de justice. A cette fin, il serait possible d'apporter des précisions dans le CESEDA sur la proportionnalité et sur les garanties entourant les mesures d'éloignement. Cela permettrait de régler cette controverse de manière convenable.

Il faut néanmoins faire attention à ne pas créer un précédent sur la transposition des directives. Celle-ci doit garder une souplesse suffisante.

M. Richard Yung. - Je souscris pleinement à cette analyse. Ce ne serait pas de bonne pratique d'attendre le déroulement d'une procédure devant la Cour de justice.

M. Jean Bizet. - Le prochain examen par le Sénat du projet de loi relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité peut donner l'occasion de compléter la transposition de la directive. Nous pouvons demander à nos rapporteurs d'être vigilants pour que cette question soit prise en compte à l'occasion des débats devant le Sénat.

En outre, nous devons demander à la Commission européenne de prendre toutes ses responsabilités afin de promouvoir une véritable politique communautaire de nature à favoriser l'intégration des Roms.

M. Hugues Portelli. - On ne peut laisser de côté la circulaire du 5 août 2010 qui fait l'objet d'un contentieux. La Charte européenne des droits fondamentaux est désormais entrée en vigueur. Nous devons rappeler notre attachement à son application par tous les États membres, y compris par la France.