REUNION DE LA DELEGATION DU MERCREDI 4 OCTOBRE 2000


Transports

Audition de M. Henri de Richemont, rapporteur de la mission commune d'information sur le naufrage de l'Erika

Communication de M. Jacques Oudin sur les trois propositions de directives relatives à la sécurité maritime du transport pétrolier (E 1440)

Institutions européennes

Communication de M. Hubert Haenel sur la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne

Politique commerciale

Communication de M. Hubert Haenel sur un accord agricole avec la Slovénie

Transports

Audition de M. Henri de Richemont, rapporteur de la mission commune d'information sur le naufrage de l'Erika

Compte rendu sommaire

M. Hubert Haenel :

Suite à la marée noire provoquée l'hiver dernier par le naufrage de l'Erika au large des côtes françaises, la Commission a présenté au printemps de cette année une communication sur la sécurité maritime du transport pétrolier, ainsi que trois propositions de directives.

Nous avons été saisis de l'ensemble formé par ces textes, en application de l'article 88-4 de la Constitution, et notre collègue Jacques Oudin nous fera tout à l'heure des propositions à ce sujet.

Toutefois, la Mission commune d'information du Sénat sur le naufrage de l'Erika, présidée par Mme Anne Heinis, a déjà accompli, il y a quelques mois, un travail approfondi d'enquête et d'analyse. Elle s'est rendue à Londres, au siège de l'Organisation Maritime Internationale, ainsi qu'à Bruxelles, pour y rencontrer les fonctionnaires de la Commission chargés de l'élaboration des directives. C'est pourquoi j'ai jugé utile que la délégation bénéficie de l'éclairage de la Mission commune d'information, qui a rendu son rapport à la fin de la session dernière.

Je remercie chaleureusement son rapporteur, M. Henri de Richemont, d'avoir accepté de nous présenter aujourd'hui ses réflexions sur cet ensemble de textes communautaires.

M. Henri de Richemont :

J'ai eu l'honneur d'être rapporteur de la Mission commune d'information du Sénat chargée d'examiner l'ensemble des questions liées à la marée noire provoquée par le naufrage de l'Erika, dont le rapport a été adopté à l'unanimité au mois de juin dernier. Dans le cadre de nos travaux, nous avons bien sûr examiné les trois propositions de directives relatives à la sécurité maritime du transport pétrolier présentées par la Commission.

Je voudrais commencer par deux rappels importants. D'une part, si 99 % des hydrocarbures transportés par voie maritime sont acheminés sans problèmes, les difficultés rencontrées pour le un pour cent restant peuvent avoir des conséquences catastrophiques. D'autre part, les deux tiers des accidents maritimes sont dus à l'erreur humaine.

Quelle leçon devons-nous tirer du naufrage de l'Erika ? Il s'agissait d'un navire apparemment en bon état dont la notation, dans le cadre du Mémorandum de Paris (Memorandum of understanding on port state control, 1982), était de 12, sachant que les navires en excellent état ont une note de 1 à 8 et les " navires poubelles " une note supérieure à 30. Il avait été normalement contrôlé par les Etats européens dans les ports desquels il avait fait escale, et avait été homologué par le propre service de contrôle, ou " vetting ", des compagnies pétrolières majeures. Il faut savoir que les Etats délèguent le plus souvent à des sociétés de classification privées la responsabilité de contrôler les navires immatriculés sous leur pavillon.

En ce qui concerne le contrôle exercé par l'Etat du port, on assiste à un phénomène préoccupant. D'après le Mémorandum de Paris, les Etats européens devraient contrôler 25 % des navires faisant escale dans leurs ports. La France ne parvient à en contrôler que 18 %, car elle dispose seulement de 54 inspecteurs de la sécurité maritime, quand le Royaume-Uni en a 250 et l'Espagne 200.

Ce sous-effectif est d'autant plus grave que les inspecteurs tendent à contrôler de préférence les navires manifestement en bon état, afin de pouvoir respecter leurs quotas de contrôles sans y consacrer trop de temps. En effet, un navire en mauvais état est, par définition, plus long à inspecter et peut justifier une immobilisation qui reste la hantise des gestionnaires des ports.

Si la France ne respecte pas le taux de contrôle de 25 % des navires, la Belgique, dont les ports sont les voisins les plus proches et les concurrents les plus importants des ports français, fait encore beaucoup moins bien, avec un taux de contrôle de 10 % seulement. Par ailleurs, la Belgique, comme l'Allemagne ou les Pays-Bas, ont tendance à renvoyer les travaux à faire sur les navires immobilisés à leur dernière escale avant la traversée de l'Atlantique. C'est-à-dire qu'ils " renvoient la balle " à la France. De ce fait, les ports français sont évités par les armateurs, et subissent des détournements de trafic.

Un autre problème est que chaque Etat qui décide de retenir un navire garde pour lui les raisons de cette décision. Le fichier public SIRENAC ne contient que des informations succinctes. Ainsi, pour l'Erika, il indiquait bien une " corrosion au niveau des structures "... mais il ne s'agissait que de celle des toilettes.

Cette confidentialité prévaut également pour le " vetting " des compagnies pétrolières, qui ne font pas confiance à l'Etat du port. Leur fichier commun SIRE n'est pas accessible pour l'affréteur du navire, pas plus d'ailleurs que le fichier public SIRENAC. De même, les recommandations des sociétés de classification appartiennent à l'armateur et ne sont jamais divulguées.

Enfin, tous ces contrôles aux résultats confidentiels se font essentiellement sur pièces, et ne permettent pas de découvrir les défauts de structure des navires. Ils interviennent sur des navires en opération, qui ne sont soumis à une inspection en cale sèche que tous les cinq ans.

Or, les faits sont éloquents : les cinq pétroliers qui se sont cassés en deux au cours des huit dernières années transportaient tous du fioul lourd n° 2, comme l'Erika ou le Tanio. Ce type d'hydrocarbures est chauffé, ce qui entraîne une contrainte thermique sur les structures du navire, et a une faible valeur, ce qui explique qu'il soit transporté exclusivement par des pétroliers âgés. Comme il s'agit d'un produit salissant, les navires concernés se spécialisent définitivement dans ce type de cargaison. On estime que 150 pétroliers dans le monde transportent du fioul lourd n° 2, ou d'autres hydrocarbures chauffés.

Il ne sert à rien de dénoncer les " pavillons de complaisance ", car il n'y a pas de relation entre pavillon de libre immatriculation et navires sous normes. Ce qu'il faut faire, c'est cibler les navires dangereux à partir de la nature de leur cargaison.

Voici les constatations objectives qui peuvent être faites. Elles m'ont servi de crible pour apprécier la pertinence des propositions de la Commission européenne.

En ce qui concerne la proposition de directive relative au contrôle par l'Etat du port, je crois essentiel que l'opportunité des contrôles ne soit plus laissée à la seule appréciation des Etats membres. Il faut exiger deux choses :

- que les navires âgés de plus de quinze ans subissent une inspection en cale sèche tous les deux ans et demi ;

- que les pétroliers âgés de plus de quinze ans transportant des hydrocarbures chauffés subissent un contrôle en cale sèche tous les ans. Le renchérissement de leurs coûts d'exploitation qui en résulterait contribuerait à hâter leur retrait définitif.

L'uniformité des contrôles est indispensable. Si chaque Etat membre continue de procéder en fonction de ses moyens d'inspection et selon ses traditions, on continuera d'avoir des détournements de trafic au détriment de la France. C'est la pérennité des ports français qui est en jeu. C'est pourquoi, par exception à mes convictions relatives au principe de subsidiarité, je suis favorable à une agence européenne dans le cas précis du contrôle des navires.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard :

Il me semble que la Commission a proposé cette agence européenne aux Etats membres ?

M. Henri de Richemont :

La Commission l'évoque dans sa communication sur la sécurité maritime du transport pétrolier, mais n'en a pas encore fait une proposition de directive. Dans ce domaine, une communautarisation servirait l'intérêt de la France.

En ce qui concerne la proposition de directive relative à l'habilitation des sociétés de classification, il faut souligner que seules celles-ci ont la véritable compétence technique pour l'examen des structures des navires. Le problème est la qualité de leurs prestations.

Nous avons été surpris de la limitation de responsabilité proposée par la proposition de directive. Il s'agit de sociétés de service, certes compétentes, mais qui commettent parfois des négligences. On peut supposer que c'est le cas du RINA qui a certifié l'Erika, même si aucune certitude n'est encore établie. Si le RINA devait être condamné, il lui suffira de faire officiellement faillite pour renaître ensuite sous un autre nom en réemployant le même personnel.

Je crois qu'il faut donc être particulièrement strict à l'égard des sociétés de classification, en leur imposant une assurance obligatoire à un niveau minimum, qui doit être consistant. Et plus encore, il faut instaurer une possibilité de recours direct des victimes contre la compagnie d'assurance.

M. Pierre Fauchon :

C'est un principe général du droit de l'assurance de responsabilité.

M. Henri de Richemont :

Oui, en France, mais pas dans tous les autres Etats membres. Ce dispositif d'assurance obligatoire et d'action directe incitera les compagnies d'assurance à exercer un contrôle sévère sur les sociétés de classification. A défaut, toutes les normes que l'on pourrait édicter resteront lettre morte, car la compétence humaine et technique d'inspection des navires réside dans les sociétés de classification.

En ce qui concerne la proposition de directive relative à l'abandon des pétroliers à simple coque, l'Union européenne veut faire encore mieux que l'Oil Pollution Act voté unilatéralement par les Etats-Unis. Mais je pense qu'il faut se calquer sur le calendrier d'abandon progressif des simples coques fixé par l'OMI (Organisation maritime internationale), car un accord mondial reste préférable à un accord strictement européen.

Surtout, ne perdons pas de vue qu'aucune des pollutions majeures que nous avons connues n'aurait été évitée par une double coque. Dans tous les cas, il s'agissait soit de navires qui se cassent en deux, soit d'échouage sur des rochers, soit d'abordages à pleine vitesse en haute mer. Une double coque ne peut être utile que pour les navires victimes d'abordages légers lors des manoeuvres de port, ou qui s'échouent sur des hauts fonds sableux.

Or, les doubles coques " traditionnelles " présentent leurs dangers propres : fragilisation accrue de la structure du navire ; corrosion plus forte car elles servent au ballastage ; quasi impossibilité des inspections. En fait, les pétroliers à double coque " traditionnelle ", lorsqu'ils seront vieux, seront de véritables bombes à retardement flottantes.

C'est pourquoi j'estime aberrant de préconiser la double coque. Il faut que l'Union européenne oblige les Etats-Unis - car c'est un rapport de force - à accepter des solutions équivalentes comme les navires à pont intermédiaire ou les doubles coques " sèches ", (c'est-à-dire avec des ballasts distincts), qui sont plus chères mais plus sûres. Tant que les Etats-Unis ne les accepteront pas dans leurs ports, les armateurs européens hésiteront à les faire construire. L'Europe doit maintenant " taper du poing sur la table ", au lieu de continuer à entretenir une dangereuse illusion.

En ce qui concerne les autres propositions figurant dans la communication de la Commission, la consolidation du système d'information EQUASIS me paraît importante. Il n'y a de sécurité maritime que dans la transparence. Actuellement, le système EQUASIS n'est pas alimenté par les résultats du " vetting " des compagnies pétrolières, ni par les recommandations des sociétés de classification. Or, ces informations sont capitales pour les affréteurs.

Je propose donc que l'on interdise l'accès des ports européens à tout navire dont l'armateur n'aura pas communiqué les recommandations de la société de classification au système EQUASIS.

La Commission propose d'autre part de créer un fonds européen d'indemnisation des catastrophes maritimes, complémentaire du FIPOL. Elle défend par ailleurs une extension de la responsabilité à l'affréteur, en vertu du principe " pollueur-payeur ".

Mais, en réalité, la force des conventions internationales actuellement en vigueur est précisément la responsabilité objective du seul armateur, couplée avec la possibilité de recours direct contre son assureur. La possibilité d'indemnisation immédiate qui en résulte constitue un progrès considérable pour les victimes.

Rappelons que la procédure d'indemnisation de l'Amoco Cadiz a duré seize années et que, au bout du compte, les collectivités locales n'ont perçu que 115 MF, alors que les honoraires de leurs avocats s'élevaient à 130 MF. Elles seraient donc restées lésées, si l'Etat ne leur avait pas reversé une partie du milliard de francs d'indemnisation qu'il a perçu pour sa part.

Lors du naufrage du Tanio, en 1980, les premiers paiements sont intervenus un an après, et le protocole d'indemnisation définitif a été conclu au bout de huit ans. Dans le cas du naufrage de l'Erika, les premiers paiements sont intervenus deux mois seulement après la catastrophe. Le système international privilégie donc l'indemnisation sur l'exacte attribution des responsabilités.

Enfin, une modification du régime de responsabilité ne changera rien pour les victimes, si on ne modifie pas par ailleurs les limites d'indemnisation du FIPOL (Fonds international d'indemnisation des pollutions par hydrocarbures). J'estime prioritaire d'améliorer le système d'indemnisation international. La France doit obtenir un front commun des Etats membres de l'Union européenne au sein de l'OMI.

Pour obtenir le relèvement du plafond du FIPOL à 1,2 milliard de francs obtenu en 1992, il a fallu négocier seize années. C'est beaucoup trop long, et je suis favorable à une clause de révision du plafond périodique et automatique.

Je crois qu'il serait également utile d'instaurer un médiateur entre les victimes et le FIPOL, dont les décisions lieraient le second mais pas les premières ; de prévoir le versement d'intérêts de retard, lorsque le délai d'indemnisation dépasse six mois ; et de hiérarchiser les créances, en donnant une priorité aux créances " de subsistance ".

Un fonds européen ne serait opportun que s'il s'avère impossible de parvenir au sein de l'OMI à un accord sur une réforme du FIPOL. Mais je ne suis pas certain que ce fonds serait vraiment une bonne chose, car la taxation spécifique des importateurs de pétrole européens risquerait d'entraîner une délocalisation de l'industrie du raffinage pétrolier hors d'Europe.

Voici quelles sont mes observations sur les propositions de la Commission relatives à la sécurité maritime du transport pétrolier.

M. Lucien Lanier :

Ne faudrait-il pas interdire certains " pavillons de complaisance " ?

M. Henri de Richemont :

Non, comme je vous l'ai dit, il n'y a de lien direct entre les " pavillons de complaisance " et les navires sous normes. Le Liberia et le Panama, deux des plus importants " pavillons de complaisance ", ont aussi les meilleurs navires. Les " lanternes rouges " au regard de la sécurité maritime, sont des pavillons nationaux, que je ne citerai pas.

Les armateurs français disposent d'environ 100 navires sous pavillon métropolitain, de 120 navires sous pavillon - bis des Kerguelen, et de 140 navires sous " pavillon de complaisance ". La priorité, plutôt que de lutter contre les pavillons de complaisance, devrait être de rapatrier ces navires sous pavillon national.

C'est possible avec l'imposition forfaitaire des bénéfices, en fonction du tonnage de la flotte sous pavillon national. Ce système est autorisé par l'Union européenne, et a permis au Royaume-Uni et au Danemark de rapatrier sous leur pavillon les navires de leurs armateurs. Il faut rendre attractif le pavillon français.

Communication de M. Jacques Oudin
sur les trois propositions de directives relatives à la sécurité maritime du transport pétrolier (E 1440)

M. Henri de Richemont vient de nous commenter excellemment les textes communautaires relatifs à la sécurité maritime du transport pétrolier. Je souligne que les conclusions de la Mission commune d'information sur le naufrage de l'Erika, à laquelle j'ai participé, ont été adoptées à l'unanimité.

La proposition de conclusions que je vous soumets les récapitule. Permettez-moi simplement de vous indiquer quel est l'état d'avancement de la négociation à Bruxelles sur ces propositions de directives. Ces négociations ne sont pas faciles, car la sécurité du transport maritime est loin d'être un sujet consensuel parmi les Quinze.

En raison de l'étendue de sa façade sur la Manche et l'Atlantique, la France est l'Etat membre le plus fortement concerné. Mais les pays dépourvus de façade maritime, ou simplement à l'écart des grandes lignes océaniques, n'éprouvent pas la même urgence à agir. Enfin, d'autres Etats membres, comme la Grèce - mais elle n'est pas la seule - privilégient explicitement la rentabilité à court terme du transport maritime sur la sécurité.

La question de la sécurité du transport maritime est caractéristique de la problématique plus générale de la politique européenne des transports. Dans ce domaine, les égoïsmes nationaux restent puissants, et l'harmonisation européenne progresse moins rapidement que les trafics.

En fait, la coordination entre les Etats membres en matière de transports n'avance que par à-coups, sous la pression de crises successives. Pour le transport ferroviaire, cela a été la situation de quasi faillite simultanée de toutes les grandes entreprises ferroviaires européennes, au début des années 1990 ; pour le transport aérien, c'est l'encombrement actuel du ciel européen ; pour le transport routier, cela a été la fermeture du tunnel sous le Mont-Blanc en 1999, et c'est aujourd'hui la flambée du prix des carburants en Europe.

Pour le transport maritime, le révélateur a été la marée noire provoquée l'hiver dernier par le naufrage de l'Erika. Cette catastrophe a placé la sécurité maritime en haut de l'agenda communautaire, et a permis à la Commission de présenter au printemps dernier les propositions sur lesquelles elle travaillait depuis plusieurs années.

La France, en tant qu'Etat membre le plus directement concerné, a conscience qu'il faut " battre le fer tant qu'il est chaud ". Le Gouvernement français a adressé un Mémorandum à ses partenaires européens dès le début de cette année, et a ensuite vigoureusement soutenu l'adoption des propositions de directives par la Commission. Le renforcement de la sécurité maritime figure, bien sûr, parmi les priorités de la présidence française au cours du second semestre de l'année 2000.

Quel est aujourd'hui l'état d'avancement de la discussion à Bruxelles ?

Un accord politique a été trouvé, lors du Conseil Transports du 26 juin dernier, au sujet de la deuxième des trois propositions de directives, relative à l'habilitation des sociétés de classification. A propos du seul point vraiment controversé, il a été décidé que chacun des Etats membres restera libre de limiter, ou non, la responsabilité des sociétés de classification.

Un autre accord politique a été dégagé, lors du Conseil Transports du 2 octobre dernier, au sujet de la première proposition de directive, relative au contrôle des navires par l'Etat du port. Les discussions ont surtout porté sur le niveau du " coefficient de ciblage " retenu pour les inspections obligatoires.

En effet, de nombreux Etats membres se sont inquiétés du fait que des contrôles plus fréquents et plus approfondis nécessiteront des moyens financiers et humains accrus pour leurs administrations maritimes.

Le coût administratif du renforcement de la sécurité maritime a donc été limité par une révision en baisse des propositions de la Commission.

Ainsi, il y a d'ores et déjà accord sur deux des trois propositions de directives. La procédure d'examen devant le Parlement européen suit son cours et ne débouchera pas en séance publique avant le 11décembre prochain. On peut donc espérer, dans le meilleur des cas, une adoption définitive d'ici la fin de l'année.

En revanche, une majorité des Etats membres est opposée à la proposition de directive relative au calendrier d'abandon des pétroliers à simple coque. En effet, ils estiment préférable de s'en tenir à un calendrier valable pour l'ensemble du monde, quitte à obtenir une accélération de celui déjà fixé dans le cadre de l'OMI. Une initiative strictement communautaire apparaît donc prématurée, dans l'attente du résultat des négociations en cours au sein de l'OMI.

Je crois que notre délégation doit soutenir les efforts de la Présidence française pour faire aboutir rapidement au moins les deux premières de ces trois propositions de directives relatives à la sécurité maritime.

Ces propositions n'interdisent pas de réfléchir à des propositions plus ambitieuses, comme la relance du projet de pavillon communautaire, l'instauration obligatoire de " boites noires " sur les navires, ou même la création d'un corps de gardes-côtes européen.

Mais elles ont le mérite d'être immédiatement efficaces, dans le cadre actuel du transport maritime en Europe. Il faut les faire aboutir avant que l'émotion suscitée par la dernière marée noire soit complètement retombée.

*

A l'issue de ce débat, la délégation a adopté les conclusions suivantes :

Conclusions

La délégation du Sénat pour l'Union européenne,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur la sécurité maritime du transport pétrolier ;

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 95/21/CE du Conseil concernant l'application aux navires faisant escale dans les ports de la Communauté ou dans les eaux relevant de la juridiction des Etats membres des normes internationales relatives à la sécurité maritime, à la prévention des pollutions et aux conditions de vie à bord des navires (contrôle par l'Etat du port) ;

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 94/57/CE du Conseil établissant les règles et normes communes concernant les organismes habilités à effectuer l'inspection et la visite des navires et les activités pertinentes des administrations maritimes ;

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l'introduction accélérée des prescriptions en matière de double coque ou de normes de conception équivalentes pour les pétroliers à simple coque ;

Approuve globalement l'ensemble formé par la communication de la Commission et les trois propositions de directives relatives à la sécurité maritime du transport pétrolier, et notamment :

- le bannissement des ports de l'Union européenne des navires de plus de 15 ans d'âge ayant été immobilisés plus de deux fois au cours des deux années précédentes, le " ciblage " des contrôles par l'Etat du port, l'inspection systématique des citernes à ballast et le renforcement des inspections pour les navires à risque ;

- l'attribution à la Commission de la responsabilité d'habiliter les sociétés de classification, la prise en compte de leurs performances effectives et l'encadrement des transferts des navires d'une société de classification à l'autre ;

- le calendrier d'abandon progressif des pétroliers à simple coque, qui constitue un effort d'harmonisation opportun face au risque de détournement vers l'Europe des pétroliers interdits aux Etats-Unis ;

- la réunion des banques de données sur l'état des navires, jusque là éparses, au sein du système commun d'information EQUASIS ;

Demande au Gouvernement :

- d'obtenir, dans le cadre de l'obligation d'inspection prévue par la proposition de directive relative au contrôle par l'Etat du port, une visite en cale sèche tous les deux ans et demi pour l'ensemble des navires de plus de 15 ans d'âge, et tous les ans pour les pétroliers de plus de 15 ans d'âge transportant du fuel lourd n° 2 ou des hydrocarbures chauffés ;

- de soutenir la création d'une agence européenne de sécurité maritime, chargée de coordonner les moyens nationaux et dotée à terme de ses propres inspecteurs, car la disparité du contrôle des navires selon les Etats membres constitue une distorsion de concurrence entre les ports européens qui justifie un effort d'harmonisation sous l'impulsion d'une autorité unique ;

- de s'opposer à la limitation de responsabilité prévue par la proposition de directive relative à l'habilitation des sociétés de classification et de soutenir, au contraire, l'obligation pour celles-ci de souscrire une assurance garantissant un montant minimal déterminé, ainsi que la possibilité d'une action directe contre les compagnies d'assurance ;

- de n'accepter le calendrier d'abandon progressif des pétroliers à simple coque prévu par la proposition de directive relative aux pétroliers à double coque ou de normes de conception équivalentes que si l'accélération du calendrier prévu par la convention MARPOL ne peut être obtenue au sein de l'OMI, car un accord mondial reste préférable à une initiative limitée à l'Europe ;

- d'inciter l'Union européenne à négocier avec les Etats-Unis l'admission dans les eaux territoriales américaines des modèles de pétroliers à pont intermédiaire ou à double coque " sèche ", car la double coque " classique " semble d'une efficacité limitée et présente ses propres dangers ;

- d'obtenir que l'Union européenne n'autorise l'accès à ses ports qu'aux navires dont les armateurs acceptent de communiquer les recommandations des sociétés de classification au système commun d'information EQUASIS, car l'efficacité de ce système est actuellement réduite par le fait que l'armateur n'est pas tenu de communiquer à l'affréteur du navire le dossier de la société de classification ;

- de ne pas soutenir l'instauration d'une responsabilité solidaire de l'armateur et de l'affréteur proposée par la Commission, car cette modification du régime de responsabilité maritime ne ferait que compliquer les procédures d'indemnisation, sans garantir aux victimes d'être mieux ou plus rapidement indemnisées ;

- d'inciter les Etats membres à défendre en commun, au cours de la renégociation actuellement menée dans le cadre de l'OMI des deux protocoles de 1992 relatifs à la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures et au FIPOL, l'instauration de procédures d'indemnisation plus rapides et plus complètes, notamment : une modulation de la responsabilité de l'armateur en fonction du danger objectif constitué par le navire selon la nature de sa cargaison ; la réévaluation automatique et périodique des seuils d'indemnisation ; la hiérarchisation des créances, avec une priorité aux créances " de subsistance " ; la réduction du délai de prescription des demandes d'indemnisation ; une médiation obligatoire avant la contestation juridictionnelle des décisions du FIPOL ; l'attribution d'intérêts de retard lorsque l'indemnisation intervient au-delà d'un délai de six mois ;

- de n'envisager la création d'un fonds européen d'indemnisation des catastrophes maritimes proposée par la Commission que si les négociations menées dans le cadre de l'OMI pour rehausser le montant du FIPOL n'aboutissent pas, car ce fonds supplémentaire aurait des délais de règlement excessivement longs et, étant alimenté par une taxe sur l'industrie de raffinage européenne, risquerait d'inciter celle-ci à se délocaliser dans les pays producteurs de pétrole.


Institutions européennes

Communication de M. Hubert Haenel sur la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne

Le 2 octobre, la Convention chargée d'élaborer un projet de Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne a achevé ses travaux, qui auront donc duré près de dix mois.

Son texte comprend 54 articles, précédés d'un bref préambule pour souligner l'esprit et la finalité de la construction européenne car les membres de la Convention ont adopté une démarche didactique. Au-delà du souci de rendre les droits fondamentaux plus visibles par le citoyen, nous avons cherché à lui adresser un message percutant sur le sens de l'Europe qui se construit depuis un demi-siècle. Nous avons voulu montrer que cette Europe, ce n'est pas seulement un grand marché, un budget et une monnaie, que c'est l'Europe des citoyens avant d'être celle des industriels. Ces citoyens ont des droits, mais aussi des devoirs et des responsabilités. Nous en avons plusieurs fois parlé au Sénat, après que notre collègue Pierre Fauchon eut fait une communication fort convaincante. Je me suis efforcé de relayer vos propos auprès de mes collègues de la Convention et je crois avoir été entendu : le préambule contient un alinéa rappelant que la jouissance des droits fondamentaux entraîne des responsabilités et des devoirs, tant à l'égard d'autrui qu'à l'égard de la communauté humaine et des générations futures.

Quant aux articles mêmes du texte, ils se déclinent en sept chapitres dont le seul intitulé souligne, lui aussi, la démarche didactique des membres de la Convention : " dignité ", " libertés ", " égalité ", " solidarité ", " citoyenneté ", " justice " et " dispositions générales ".

Rassurez-vous, je ne vais pas vous présenter un à un ces 54 articles. Je souhaiterais simplement vous indiquer comment la Convention a répondu aux interrogations soulevées par ce dossier, notamment à celles que nous avions soulevées tant au sein de notre délégation qu'en séance publique.

La première de ces questions portait sur le point de savoir si les droits sociaux devaient figurer dans le projet de Charte et si oui, lesquels ?

Le mandat du Conseil européen de Cologne était sur ce point pour le moins ambigu : il nous invitait à " prendre en considération " -et non à intégrer- des droits économiques et sociaux " -et non les droits- et ce " dans la mesure où ils ne justifient pas uniquement des objectifs pour l'action de l'Union ".

Vous savez que l'intégration des droits sociaux dans le projet de Charte soulevait des objections de principe de la part de certains membres de la Convention, qui s'appuyaient notamment sur leur " justiciabilité "incertaine, c'est-à-dire sur le fait que l'on ne pouvait pas forcément les faire valoir en justice.

L'argument, il faut le dire, ne me paraissait guère convaincant. D'abord parce qu'il existe des droits sociaux dont la " justiciabilité "semble évidente : je pense par exemple au droit de grève ou à la protection en cas de licenciement injustifié. Ensuite, parce que l'on ne peut contester que le " modèle européen "a aujourd'hui acquis une dimension sociale. Comment une Charte des droits fondamentaux, qui doit être le reflet de ce modèle, pourrait-elle l'ignorer ?

J'ai donc fait partie, en accord avec Mme Dieulangard et comme notre collègue député François Loncle et le représentant de l'exécutif, M. Guy Braibant, de ceux qui ont plaidé pour l'insertion de droits sociaux dans le projet de Charte.

C'est en définitive cette position qui a prévalu, avec l'insertion d'un chapitre consacré à la solidarité. Les treize articles de ce chapitre reconnaissent des valeurs aussi diverses que le droit à l'information des travailleurs au sein de l'entreprise, le droit de grève, la protection de la vie familiale, le droit à la sécurité sociale, le droit aux soins médicaux, l'accès aux services d'intérêt économique général ou la protection de l'environnement.

Certains auraient voulu que le texte aille encore plus loin, en consacrant par exemple le droit au logement ou à un revenu minimum.

Mais notre souci était moins de faire un texte idéal qu'un texte réaliste, moins de dresser le tableau abstrait de la cité parfaite que d'aboutir à une amélioration perceptible de la situation actuelle. Nous devions toujours garder à l'esprit que notre tâche n'était que d'élaborer un projet, dont le destin dépendrait in fine du Conseil européen, statuant à l'unanimité. Il fallait donc savoir aller aussi loin que possible sans dépasser les limites de l'acceptable pour chacun des quinze Etats membres, sous peine de voir notre édifice s'écrouler comme un château de cartes. Il me semble, pour avoir suivi de très près les débats, pour avoir sondé certains membres venant d'Outre-Manche, que la Convention ne pouvait raisonnablement aller plus loin.

L'Europe est sur le point de se doter enfin d'un texte recensant ces valeurs fondamentales qui fondent son identité, y compris les valeurs sociales qui, pour la première fois, figureront aux côtés des droits classiques, c'est déjà un progrès énorme.

La deuxième difficulté consistait à dresser l'inventaire des droits dits nouveaux, qui ne figuraient pas dans la Convention européenne des droits de l'homme et pour lesquels les membres de la Convention ne disposaient d'aucune définition de référence, tout au moins à un niveau international. Il s'agissait donc non seulement d'identifier ces droits nouveaux, mais aussi de les définir, de préciser leur sens et leur portée en partant quasiment de rien.

Ces droits nouveaux, certains les appelaient aussi droits modernes, car ils correspondent à une société qui a profondément évolué depuis 1950.

Je pense d'abord à l'évolution des technologies, qui nous a conduits à inscrire dans le projet de Charte le droit, pour toute personne, à la protection des données à caractère personnel la concernant. Cette évolution nous a également conduits à consacrer le droit à l'intégrité de la personne et, dans ce cadre, à prévoir l'interdiction des pratiques eugéniques et du clonage reproductif des êtres humains.

Je pense aussi à l'émergence, au cours du dernier demi-siècle, des besoins ou aspirations, et pas seulement dans le domaine social. Ces aspirations trouvent leur pendant dans des droits que les citoyens considèrent aujourd'hui comme fondamentaux : l'égalité entre hommes et femmes, le droit à une bonne administration, le droit d'asile, la protection des enfants et des personnes âgées, ou la protection face aux mesures d'éloignement, d'expulsion ou d'extradition. La Convention européenne des droits de l'homme est muette sur tous ces points qui devraient demain figurer dans la Charte des droits fondamentaux.

La troisième difficulté à laquelle se sont heurtés les membres de la Convention concernait la mise à jour de droits reconnus par la Convention européenne des droits de l'homme. Ce ne fut pas, il faut le dire, le problème le plus épineux car chacun reconnaissait que ce texte avait vieilli sur plusieurs points. C'est ainsi, par exemple, que nous avons complété l'article sur la liberté d'information par un alinéa garantissant la liberté et le pluralisme des médias.

Le quatrième problème concernait les bénéficiaires des droits fondamentaux. Devait-on les reconnaître au profit de tout le monde, des seuls ressortissants des Etats membres ou, solution intermédiaire, au profit des ressortissants des Etats et des étrangers en situation régulière. Les réponses apportées par la Convention varient selon la nature du droit consacré :

- pour les droits que je qualifierai d'universels, aucune distinction n'est faite : toute personne en bénéficie, ce qui paraît incontestable : peut-on réserver le droit à la vie, à la dignité humaine, à la santé ou l'interdiction de la torture à certaines personnes ? Evidemment non ;

- à l'opposé, pour les droits du citoyen, nous avons en général limité les bénéficiaires aux citoyens de l'Union. La chose paraît logique ; elle n'est pourtant pas allée de soi car certaines voix se sont élevées pour élargir par exemple le droit de vote aux élections européennes ou municipales aux ressortissants d'Etats tiers. Mais je crois que nous ne pouvions aller aussi loin, d'autant plus que nous travaillions comme si notre texte devait un jour être intégré aux traités. L'extension du droit de vote aux ressortissants de pays tiers n'aurait alors pas manqué de susciter des oppositions politiques et, notamment en France, constitutionnelles. Aussi un seul droit du chapitre " citoyenneté " a-t-il une portée générale : celui d'une bonne administration, qui recouvre notamment le droit d'être entendu avant une mesure individuelle défavorable, de s'adresser aux institutions de l'Union dans une des langues officielles, et de recevoir une réponse dans cette langue ;

- entre ces deux catégories, la Convention a énoncé des droits qui ont vocation à dépasser le strict cadre des ressortissants des Etats sans pour autant bénéficier à toute personne qui se trouverait sur le territoire de l'Union. Je citerai le droit aux prestations sociales qui sont reconnues à, je cite, " toute personne qui réside et se déplace légalement à l'intérieur de l'Union ".

Enfin, dernière grosse difficulté à laquelle ont été confrontés les membres de la Convention, celle de l'articulation entre la future Charte et la Convention européenne des droits de l'homme.

Ce problème se posait dans la mesure où nous avons travaillé, je le répète, comme si, un jour ou l'autre, la Charte devait être intégrée aux traités. Il convenait donc d'éviter qu'un même droit soit moins étendu ou moins protégé dans le cadre de la Charte que dans le cadre de la Convention de 1950. Bien entendu, chaque fois que nous l'avons pu, nous avons calqué la définition d'un droit sur celle donnée par la Convention européenne des droits de l'homme.

Mais la chose n'était pas toujours possible. Aussi avons-nous précisé, dans une disposition générale, que le sens et la portée des droits de la Charte qui correspondent à des droits de la Convention européenne sont les mêmes que ceux que leur confère cette Convention. Toutefois, a-t-on ajouté, rien n'empêche l'Union d'accorder une protection plus étendue. Concrètement, cela signifie que, si la Charte devient contraignante, on retiendra, pour un même droit, la protection la plus élevée ou la plus étendue lorsque ce droit sera garanti à la fois par la Convention européenne et par la Charte.

Voilà les réponses apportées par la Convention aux principales questions qui lui étaient posées. Je dis bien " qui lui étaient posées " car, vous le savez, d'autres questions demeurent en suspens, à commencer par la valeur juridique à conférer à cette Charte. Mais cette question relève de la responsabilité du Conseil européen, même si, évidemment, chaque membre de la Convention avait son opinion.

Notre travail était de préparer le terrain pour le Conseil européen de Nice, et je crois que nous y sommes plutôt bien parvenus. On peut se demander si les choses seraient allées aussi vite, aussi bien, si elles auraient même abouti, avec la procédure habituelle. J'ai souvent salué le double équilibre trouvé dans la composition de la Convention :

- équilibre, d'une part, entre les représentants des exécutifs et ceux des parlementaires, européens et nationaux ;

- équilibre, d'autre part, entre le pouvoir législatif au niveau national et le pouvoir législatif au niveau européen.

Peut-être l'expérience mériterait-elle d'être renouvelée sur d'autres grands projets européens, lorsqu'ils portent en particulier sur des sujets de société. J'ai déjà cité l'exemple de la justice, mais il y en a d'autres.

Mais gardons-nous de trop anticiper. Pour l'heure, attendons ce que dira le Conseil européen. A Biarritz, les chefs d'Etat et de gouvernement pourront procéder à un premier échange de vues sur notre copie. Le consensus trouvé au sein de la Convention me rend optimiste pour la suite des événements : on peut raisonnablement espérer, me semble-t-il, que, à Nice, le Conseil européen invitera le Parlement européen et la Commission à proclamer solennellement et conjointement la Charte. Nous avons certes failli ouvrir une nouvelle guerre de religion avec, au coeur du préambule, une référence à l'héritage religieux de l'Union. Vous vous rappelez la réaction du Gouvernement français dont M. Moscovici nous avait fait part lors de son audition du 20 septembre. La Convention a su trouver un terrain d'entente, en substituant à la notion d'" héritage culturel, humaniste et religieux " l'expression " patrimoine spirituel et moral ".

Compte rendu sommaire du débat

M. Daniel Hoeffel :

Je voudrais juste, mes chers collègues, vous donner quelques informations sur le débat qui s'est tenu à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe vendredi 29 septembre.

L'Assemblée parlementaire a adopté une recommandation adressée aux gouvernements des 41 Etats membres, conforme à sa position antérieure constante. C'est-à-dire que les parlementaires du Conseil de l'Europe continuent de considérer que la solution la plus satisfaisante serait l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Je ne me fais pas beaucoup d'illusions, pour ma part, sur l'acceptation de ce système de soumission, même différée de quelques années, des organes de l'Union européenne à la Cour européenne des droits de l'homme où siègent en majorité des juges provenant d'Etats non membres de l'Union européenne, au nombre de 26 actuellement. Néanmoins, nous restons très attentifs aux risques de concurrence entre deux catalogues de droits et, à terme, entre deux sources de jurisprudence.

Bien sûr, le texte de la Charte tel qu'il sera proclamé par le Conseil européen de Nice est avant tout un acte politique qui n'aura pas, au moins dans l'immédiat, de portée normative et ne pourra donc pas être invoqué comme source de droit positif devant la Cour de justice de Luxembourg. Mais chacun sait que nombre de nos partenaires souhaitent que la Charte soit le plus rapidement possible incorporée aux traités européens.

Je me réjouis de la rédaction de l'article 52 de la Charte, qui précise, à l'alinéa 3, que " dans la mesure où la présente Charte contient des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention ". Mais le même alinéa prévoit que " cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l'Union accorde une protection plus étendue ". Outre la tendance naturelle d'une Cour souveraine à développer une jurisprudence constructive, particulièrement dans des matières aussi sujettes à interprétation que les Droits de l'Homme, il y a, explicitement, une licence donnée à la Cour de justice de Luxembourg, dès qu'elle sera compétente, pour surenchérir sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Je crains que cet article, inspiré par le souci du risque d'une dualité de jurisprudence, n'encourage en fait cette concurrence au nom d'une protection plus étendue.

De même, mais là il ne s'agit plus seulement de l'articulation entre la Convention de 1950 et la Charte de l'Union européenne, je reste perplexe devant la portée donnée à cette Charte. Lors des séances très intéressantes que nous avions consacrées aux travaux d'élaboration de la Charte de l'Union européenne, j'avais souligné l'ambiguïté d'un texte qui ne se limitait pas à combler la seule lacune juridique du système communautaire, à savoir le contrôle juridictionnel d'éventuels manquements aux droits de l'homme dans les actes de l'Union européenne. En effet, il est difficile de déterminer si la Charte, lorsqu'elle aura valeur normative, s'appliquera aux seuls actes de l'Union ou si elle pourra être invoquée par toute personne habitant sur le territoire des Etats membres et estimant que sa situation met en cause l'un des droits garantis par la nouvelle Charte.

Sans doute la valeur déclaratoire de la Charte des droits fondamentaux repousse, pour le moment, le risque de dualité de juridictions et de dualité des droits garantis. Et je conçois comme notre Président, M. Haenel, qui a participé à la sage rédaction finale, que l'Union européenne, au stade où elle est parvenue, doit absolument poser des actes politiques forts pour redonner toute sa valeur et tout son pouvoir d'enthousiasme au projet européen, mais nous devons veiller à ne pas semer nous-mêmes des complications institutionnelles qui accréditeraient l'image d'une Europe inintelligible pour nos concitoyens.

M. Robert Badinter :

En ce qui concerne la procédure, il faut être conscient du fait que ce texte, qui est une sorte de déclaration européenne des droits de l'homme, a été préparé par des professionnels de très haut niveau à l'intérieur d'une Convention de composition limitée et qu'il sera adopté par des instances éminemment politiques. Les peuples en ont été complètement écartés. Pourtant, pour un texte sur les droits fondamentaux, on aurait théoriquement dû consulter tous les peuples. Je reconnais bien sûr que politiquement cette solution posait problème, mais elle était juridiquement la seule convenable.

En ce qui concerne le contenu, il s'est progressivement amélioré, même si on peut encore faire quelques remarques.

En ce qui concerne l'utilité de la Charte, celle-ci présente l'avantage considérable de donner, pour la première fois, une définition des valeurs communes à tous les Etats membres de l'Union. Il était fort souhaitable de rappeler ces valeurs, tant pour les Etats membres actuels que pour les Etats candidats à l'adhésion. Chacun doit savoir que c'est sur ces valeurs que l'Europe s'est construite et qu'il ne saurait s'en départir, faute de quoi il devrait renoncer à y entrer où il devrait la quitter.

Sur la valeur juridique à donner à la Charte, ma position est claire : je considère qu'il faut adopter la Charte, mais que l'on ne doit absolument pas lui donner en l'état valeur contraignante. Si nous avions une Constitution européenne, il serait naturel qu'elle soit précédée par cette Charte car il n'y a pas de Constitution contemporaine sans proclamation des droits fondamentaux des citoyens. Mais on ne peut pas dire que, aujourd'hui, l'Union soit sur le point de se doter d'une Constitution. Dès lors, il serait quelque peu surprenant d'avoir une déclaration des droits fondamentaux. Si l'on incorporait la Charte aux traités, avec par conséquent valeur contraignante, nous risquerions d'avoir un ordre juridique incontrôlable qui, loin de servir la cause des droits de l'homme, la desservirait. Certes, l'article 52 § 3 rappelle que, là où il y a identité, sinon de définition, du moins de droits entre la Convention européenne des droits de l'homme et la Charte, il faut retenir l'interprétation de la Convention européenne. Mais vous savez que la jurisprudence est créatrice, évolutive, et que l'interprétation donnée aujourd'hui à un droit ne sera pas forcément celle que les juges de Strasbourg donneront dans quelques années. Nous aurons donc inévitablement deux ordres juridictionnels parallèles pour définir les mêmes droits, avec la possibilité pour la Cour de Luxembourg d'aller plus loin que celle de Strasbourg puisque la Charte elle-même le lui permet.

En outre, lorsque, dans un litige, nous aurons un moyen se fondant sur la violation de la Charte par une disposition communautaire, la Cour de cassation ou le Conseil d'Etat en saisira la Cour de Luxembourg. Si celle-ci juge que la Charte a été respectée, que la juridiction française rejette donc le moyen, il y aura un recours devant la Cour de Strasbourg pour violation de la Convention européenne des droits de l'homme. Si celle-ci dit que, en effet, les droits de l'homme tels que garantis par la Convention ont été violés, on ne saura plus où on en est. Quelle jurisprudence devront choisir les magistrats ? Ce sera la confusion et nous aurons des délais encore plus longs pour certaines décisions.

Il vaut donc mieux, pour l'heure, s'en tenir à la proclamation. Ce ne sera d'ailleurs pas inutile : nous savons que la Déclaration de 1789 n'avait pas de valeur normative pendant toute la IIIème République ; cela n'a pas empêché les républicains de l'époque de faire toutes leurs grandes lois en se référant constamment aux principes immortels de 1789. La Charte aura beau ne pas être contraignante, ne pas pouvoir être invoquée comme moyen de droit, elle n'en sera pas moins une référence de premier ordre dans les motifs et les considérants des décisions juridictionnelles.

J'ajoute que nos partenaires britanniques viennent tout juste d'intégrer dans leur droit la Convention européenne des droits de l'homme. Je crois qu'il faut les laisser la digérer, d'autant plus que cette révolution ne suscite déjà pas chez eux un enthousiasme immodéré. Sans compter que les Britanniques sont très attachés à cette question de la justiciabilité : pour eux, il n'y a pas de droit sans remède, c'est-à-dire sans possibilité d'action judiciaire pour en garantir l'exercice ou la jouissance.

M. Pierre Fauchon :

Personnellement, je me réjouis que la méthode retenue ait réussi. J'avais moi-même préconisé, dans un rapport sur l'espace judiciaire européen, une solution proche de celle qui a été retenue avec la Convention pour faire avancer le dossier de l'Europe de la justice.

Sur le fond, je me réjouis de voir figurer une évocation des devoirs et des responsabilités, ce dernier terme me paraissant d'ailleurs préférable.

Je dirai à M. Badinter que l'Europe ne peut pas toujours avancer dans une parfaite cohérence. Il y a toujours eu des difficultés pour concilier les systèmes juridiques nationaux et européens. L'essentiel est en définitive d'avancer et la Charte est indiscutablement une avancée. Je crois qu'elle doit être d'autant plus saluée que l'Europe peut donner en ce moment le sentiment de piétiner.

M. Hubert Haenel :

Le mandat de Cologne se limitait à charger la Convention - l'enceinte comme il disait - d'élaborer un projet. La légitimité de la Convention n'est donc pas en cause car, après l'élaboration de ce projet, il y aura proclamation. Elle sera le fait du Conseil européen, du Parlement européen et de la Commission. C'est alors que le projet deviendra Charte.

Sur la valeur juridique, je crois que ce n'est pas demain que l'on trouvera une unanimité au sein du Conseil pour dire que ce texte sera intégré aux traités. D'ailleurs, si le Conseil européen décidait cette intégration aux traités, il faudrait une ratification par chacun des Etats. Cela aussi prendrait du temps et n'irait sans doute pas sans difficultés.

Même s'il est vrai que la Charte soulève des questions juridiques, c'est une avancée et l'Europe en a bien besoin.

Annexe : texte du projet de Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.


Politique commerciale

Communication de M. Hubert Haenel sur un accord agricole avec la Slovénie

Ce texte, dont nous sommes saisis en urgence, est le huitième d'une série de neuf accords conclus avec les pays candidats pour libéraliser progressivement les échanges agricoles.

Les sept précédents accords ont été examinés dans le cadre de notre procédure écrite et n'ont pas soulevé de difficulté.

Je rappelle que ces accords ne s'appliquent qu'à certains produits : les grandes cultures et l'élevage bovin et ovin ne sont pas concernés.

Pour les produits touchés par l'accord, la libéralisation n'est complète que pour les produits non sensibles. Pour les produits plus sensibles (porc, volailles, oeufs, produits laitiers, pommes, tomates), les droits ne sont supprimés que pour des quantités limitées qui seront augmentées progressivement et de façon réciproque.

La libéralisation des échanges agricoles a dans l'ensemble plutôt bénéficié aux producteurs communautaires, puisque les exportations vers les pays candidats dépassent les importations en provenance de ces pays.

Je souligne enfin que les dimensions de l'économie slovène restent modestes.

Dans ces conditions, la délégation a décidé de ne pas intervenir sur ce texte dont le Gouvernement souhaite l'adoption rapide.