Réunion de la commission des affaires européennes du jeudi 2 avril 2009


Table des matières

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Institutions européennes

Audition de M. Gilles Briatta,
secrétaire général des Affaires européennes

M. Gilles Briatta :

Je commencerai par vous décrire le fonctionnement du Secrétariat général des Affaires européennes (SGAE) ; la coordination des affaires européennes est en effet un enjeu qui dépasse de très loin la seule administration française, et qui concerne pleinement le Parlement. Pour que le Parlement puisse exercer son contrôle démocratique, il est nécessaire que le gouvernement français soit à même de savoir ce qui doit se dire à Bruxelles, ce qui se dit effectivement à Bruxelles, et ce qu'il faut en faire ensuite.

Le SGAE et la Représentation permanente de la France à Bruxelles (RP) sont deux organismes miroirs, l'un à Bruxelles, l'autre à Paris. Ils ne peuvent pas fonctionner l'un sans l'autre, car ils sont complémentaires. Ceci implique des contacts permanents. C'est ainsi que Pierre Sellal et moi-même, par exemple, nous avons une dizaine de conversations téléphoniques par jour.

La nécessité d'un secrétariat général, c'est-à-dire d'un organisme spécifiquement dédié à la coordination, a été beaucoup plus discutée que l'existence d'une Représentation permanente. Certains continuent à s'interroger à ce propos, mais nous avons plutôt tendance à faire école, en particulier dans les nouveaux États membres. Par exemple, j'irai dans quelques semaines signer avec mon collègue roumain un accord de coopération administrative. Les Polonais se sont aussi beaucoup inspirés de notre système.

La mécanique européenne est extraordinairement compliquée. Le pouvoir par nature collectif est divisé à Bruxelles, même si on essaye de rationaliser le système et si le traité de Lisbonne est de nature à apporter des améliorations. Le suivi des différents groupes, comités et diverses commissions pose un défi majeur à tous les gouvernements nationaux. Le risque principal et croissant consiste à ce que les gouvernements et les parlements nationaux s'aperçoivent que des décisions sont prises avec le concours de représentants des États membres, mais sans que la direction choisie ait été validée par qui que ce soit au niveau du gouvernement.

A Bruxelles, on ne fonctionne que par logique de filières - filière agricole, filière de normes, filière énergie par exemple. Vingt-sept experts parlent entre eux avec des experts de la Commission, ainsi que des experts des lobbies. Il convient de vérifier que cette logique de filière transnationale n'outrepasse pas la logique nationale de chacun des États membres, qui reflète la politique de chacun des gouvernements. Il y a certains sujets pour lesquels c'est assez normal, par exemple pour des sujets très techniques. Cependant, on a constaté dernièrement qu'un sujet prétendument technique, comme le coupage des vins, est en fait un sujet politique majeur. Il faut donc faire très attention. Tous les gouvernements des 27 États membres sans exception sont confrontés à ce défi : faut-il laisser faire, en donnant quelques directives générales, ou faut-il tout contrôler ? Mon expérience personnelle, depuis de longues années, tend à me convaincre qu'il est absolument vital de garder une vision d'ensemble de tout ce qui se passe à Bruxelles.

Pour achever cette rapide présentation du SGAE, je précise que, dès la fin de la présidence française de l'Union européenne, nous avons lancé au SGAE et avec la Représentation Permanente un exercice de réflexion qui doit aboutir au mois de juin, sur ce qu'est la coordination européenne actuellement et ce qu'elle devrait être. En effet, notre système, je me permets de le dire, est exemplaire. Mais, si la France a probablement le système le plus efficace en Europe, il est encore loin d'être parfait et peut être amélioré à plusieurs égards.

Tout d'abord, il nous faut agir beaucoup plus en amont. Cela rejoint d'ailleurs vos préoccupations. Vous vous plaignez souvent d'être saisis trop tard, quand les choses sont plus ou moins déjà jouées. Mais c'est un problème que nous connaissons, nous, dans l'administration, tous les jours ! Quand la Commission européenne publie sa proposition, les lobbies ont déjà agi et influencé cette proposition. Si le SGAE et la Représentation permanente n'interviennent pas très en amont, avant que la Commission n'ait publié son texte, nous perdons en efficacité.

Nous comptons aussi développer davantage nos contacts avec les collectivités territoriales françaises, domaine où le Sénat, par nature, joue un rôle fondamental. Je voudrais à cet égard que nous réfléchissions ensemble. Les collectivités territoriales sont des utilisateurs majeurs de la législation communautaire. Or, j'estime que notre processus actuel d'évaluation d'impact, en particulier sur les communes, pourrait être largement amélioré. On le constate tous les jours, quand on doit transposer des directives environnementales en particulier.

Il faut aussi améliorer les rapports entre le SGAE et le parlement national. C'est une nécessité absolue, y compris pour la négociation. Le Parlement nous renforce. Beaucoup d'États membres n'hésitent pas, à juste titre, à dire qu'ils ne peuvent accepter un texte à cause de la position exprimée par leur parlement national. Vous êtes également ceux qui peuvent nous dire si un problème va devenir politiquement explosif. Face à la logique de filières dont je vous ai parlé, il est indispensable que vous puissiez intervenir assez tôt, et je ne vous cache pas que nous nous servons de cette intervention pour la négociation. C'est donc une coopération qui nous renforce mutuellement, pour que la France soit plus efficace à Bruxelles.

Nous devons également renforcer notre coopération avec le Parlement européen. C'est ce que vous faites vous-même, et le Président Haenel a été exemplaire à ce titre, en particulier dans son rôle au sein de la COSAC. Ce rôle sera démultiplié par le traité de Lisbonne. Au SGAE, comme à la Représentation permanente, nous nous sommes aperçu pendant la présidence française que nous avons consacré un temps très important au Parlement européen, et que cela s'est avéré particulièrement fructueux. Contrairement au Conseil, le Parlement européen est bien organisé. Il s'appuie sur des commissions compétentes très puissantes et très efficaces, avec lesquelles nous avons alors négocié. Nous sommes décidés à consacrer plus de ressources, à la fois à la Représentation permanente et au SGAE, pour dialoguer, là encore le plus en amont possible, avec le Parlement européen.

Le dernier axe de notre réflexion sur l'amélioration des méthodes de travail du SGAE, qui n'aboutira pas avant le début de l'été, concerne le travail des comités techniques à Bruxelles - ce que l'on appelle la comitologie - que l'actualité récente a mise en évidence. Au départ, la comitologie est quelque chose de normal. En effet, le Conseil et le Parlement européen ne peuvent pas, tant les directives ou les règlements sont abondants, se charger du détail de la mise en oeuvre de ces textes. Il faut l'équivalent de nos décrets et arrêtés. Mais on ne peut pas donner un blanc-seing à la Commission pour le faire, car la moindre de ces décisions dites techniques s'imposera à 490 millions de citoyens. Il faut par conséquent être très vigilant. C'est pour cela qu'il y a des comités avec 27 experts des États membres, qui ne représentent pas le Conseil. Ce sont des comités de la Commission, présidés par la Commission, et qui l'aident à prendre des décisions d'exécution sous le contrôle du Conseil, et sous le contrôle aussi du Parlement quand il y a codécision pour l'adoption du texte de base, ce qui est maintenant quasiment toujours le cas.

La vraie difficulté, c'est qu'il existe plus de 300 comités. Ils se réunissent en permanence à la Commission, avec des ordres du jour organisés par filières. Nous sommes confrontés au SGAE à un problème majeur, pour savoir ce qui s'y passe. Nous avons décidé depuis déjà longtemps de sélectionner un certain nombre de comités techniques particulièrement importants, et nous avons donné comme instruction à tous les représentants français de ces comités techniques de nous faire remonter toute difficulté. En général, ce système fonctionne, mais pas encore de façon suffisamment efficace. Et les deux exemples récents, qu'il s'agisse du vin rosé ou des profils nutritionnels, ont montré qu'il peut y avoir des dérapages mal anticipés.

Nous avons donc fait du meilleur contrôle de l'activité française dans ces comités l'un des axes de la modernisation du SGAE, et c'est un sujet sur lequel nous aurons à travailler ensemble.

M. Hubert Haenel :

Les experts de ces comités sont-ils uniquement affectés à cette tâche ?

M. Gilles Briatta :

Non. Par exemple, je souhaitais comprendre le fonctionnement du comité technique « climat », qui est un comité extrêmement important en ce moment pour la mise en oeuvre du paquet « énergie-climat ». J'ai donc convoqué tous les représentants à ce comité. Il y en a un par sujet. Ils viennent tous, fort logiquement, du ministère de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables. Ce sont des fonctionnaires de très bonne qualité qui connaissent très bien le sujet. Compte tenu de l'importance des sujets traités dans ce comité, nous leur avons recommandé de nous informer de toutes leurs intentions et actions. Cela se passe très bien. Mais nous ne pouvons pas adopter une telle démarche pour chacun des 300 comités, faute de moyens suffisants.

M. Hubert Haenel :

C'est déjà un progrès.

M. Richard Yung :

Ces experts sont-ils forcément des fonctionnaires ?

M. Gilles Briatta :

Rien n'impose que ce soit des fonctionnaires, mais il doit s'agir de représentants des États membres. Certains États membres font appel à différentes personnes qui ne sont pas forcément des fonctionnaires, mais on risque alors la confusion des genres. Dans le système français, il est essentiel que ces personnes restent des fonctionnaires ou des contractuels soumis au pouvoir hiérarchique du ministre en charge.

Le contrôle parlementaire, selon le nouvel article 88-4 issu de la dernière révision constitutionnelle, ne nous apporte pas une réponse satisfaisante à cet égard, parce qu'il prévoit que l'on vous communique tout acte transmis au Conseil. En réalité, ceci limite considérablement de fait votre pouvoir d'appréciation de la comitologie, puisque rien n'est transmis au Conseil avant qu'il y ait un problème ou que le comité constate qu'il n'est pas d'accord avec la Commission.

M. Hubert Haenel :

Rassurez-vous, nous nous auto-saisissons. Le vin rosé en est un exemple ; les profils nutritionnels aussi.

M. Gilles Briatta :

Vous avez tout à fait raison de vous auto-saisir, et j'aimerais beaucoup que nous réfléchissions ensemble à ce sujet, parce que vous avez un problème équivalent au nôtre. Je pense qu'il nous faut aborder ce point de manière pragmatique, y compris dans le groupe de travail que nous avons entre le SGAE et les deux assemblées pour la mise en oeuvre du nouvel article 88-4 et du traité de Lisbonne.

Le dernier point que je souhaite préciser est que nous menons la modernisation du SGAE conjointement avec la Cour des Comptes, car celle-ci a lancé une enquête concomitante à notre processus de réflexion, ce qui permet de l'associer à ce travail de modernisation.

Je vais maintenant procéder à un rapide tour d'horizon sur les principaux sujets en cours à Bruxelles. L'année 2009 est, comme prévu, une année morose, du fait de la crise économique et financière. Certaines données sont éloquentes, par exemple les taux de croissance dans chaque État membre par rapport aux prévisions, ou encore la baisse de la capitalisation boursière dans les pays du G20.

L'Union européenne n'a jamais été dans le passé très performante dans la crise. Nous nous sommes d'ailleurs efforcés sous présidence française de renverser cette idée-là. Mais en période de crise économique, les tensions sont fortes car les État membres ont une tendance naturelle et bien compréhensible à se tourner en priorité vers leurs propres difficultés, et donc à se replier sur eux-mêmes. Si on ajoute à cela les élections européennes de juin 2009, donc une Commission et un Parlement sur le départ, ainsi qu'une présidence tchèque qui est en ce moment même agitée par des problèmes politiques internes redoutables, on constate que le climat n'est pas très propice et contraste fortement avec les résultats obtenus à la fin de l'année 2008. Cependant, cette situation difficile n'est pas une surprise, et c'est pour cela que nous nous sommes efforcés d'avancer sur le plus grand nombre de dossiers pendant la Présidence française. Malgré ce climat morose, l'activité européenne est encore assez dynamique.

Le premier sujet est évidemment la crise économique et financière. Le Conseil européen de mars a pris de très bonnes décisions à ce propos, notamment le doublement du mécanisme européen de soutien à la balance des paiements, ce qui constitue un gros effort. La Roumanie a fait part de ses difficultés au moment du Conseil européen ; comme vous le savez, un accord a été conclu entre l'Union européenne, le FMI et la Roumanie à ce sujet. En outre, les États membres ont défini une position européenne pour le G20, ce qui était loin d'être acquis. Sur ce point, en particulier, le Conseil ECOFIN avait extrêmement bien travaillé. De plus, il a été décidé que nous prendrons des décisions en juin sur la supervision bancaire européenne, sur la base d'un texte de la Commission, qui s'inspirera lui-même du rapport Larosière. Ce dernier, qui a notre entier soutien, est considéré par le Conseil européen comme la base de travail. Je veux signaler également un autre point positif : sur les services financiers et la supervision financière, sujet extraordinairement difficile et d'une importance capitale dans le contexte actuel, la Commission a été remarquable ; je tiens à saluer le travail de ses services très compétents. Je précise enfin que la Commission proposera très bientôt un assouplissement des conditions de recours au Fonds européen sur la mondialisation, notamment au regard du nombre de licenciements. Les conditions actuelles le rendaient difficilement utilisable. De plus, le cofinancement pourra probablement aller jusqu'à 70% ou 75 % au lieu de 50 % actuellement.

Le deuxième sujet majeur est le traité de Lisbonne. La difficulté vient maintenant de la présidence tchèque qui se trouve dans une situation particulièrement délicate. De fait, plus personne ne sait très bien quand le Sénat tchèque pourra ratifier le traité de Lisbonne. Mirek Topolanek espère pouvoir obtenir un vote avant la fin de la présidence. Le calendrier a donc tendance à reculer. Cette situation pourrait avoir des répercussions sur l'Irlande. En effet, les Irlandais devaient normalement discuter et obtenir un accord politique en juin sur ce qu'on appelle les garanties irlandaises, qui ont été négociées sous présidence française et qui assurent à l'Irlande que le traité de Lisbonne ne changera rien pour certains sujets très sensibles pour ce pays. L'absence d'accord sur cette question d'ici le mois de juin serait véritablement problématique, car les garanties doivent être présentées avant le référendum, qui aura lieu normalement en octobre. Il faut donc tout faire pour que l'échéance de juin soit respectée.

Le renouvellement de la Commission européenne est un autre sujet important, qui agite beaucoup Bruxelles. Ainsi, les membres de cabinet de la Commission européenne se demandent s'ils seront encore membres de cabinet, les membres de la Commission se demandent s'ils seront encore membres de la Commission, et tous les fonctionnaires qui ne sont pas membres de cabinet ou directeurs généraux espèrent le devenir. C'est un sujet très sérieux pour l'influence française. C'est l'un des rôles peu connu du SGAE, mais important : nous sommes chargés, en tant qu'organisme de coordination français sur les questions européennes, de déterminer quels sont les candidats français qui apporteraient la plus grande plus-value dans un cabinet de commissaire. Nous essayons aussi bien sûr de voir quel type d'organisation la Commission envisage, car tout ceci peut avoir des conséquences pour l'attribution des éventuels postes de très haute responsabilité.

Les dossiers sectoriels sont également nombreux et importants. D'abord le paquet « télécoms » : je le mentionne car il y a une résolution du Sénat sur le sujet. C'est d'ailleurs une résolution forte, qui montre que le Parlement et le Gouvernement sont quasiment d'accord. Il y a cependant un sujet du paquet qui gênait le Sénat, mais sur lequel le Gouvernement pensait au contraire qu'il fallait avancer, qui concerne le veto possible de la Commission sur certains remèdes nationaux. Je répondrai à vos questions si vous le souhaitez. Pour tout le reste, il existe un accord complet entre la résolution, la position du Gouvernement et l'accord final qui se dessine. Un débat très difficile sur Internet et Liberté, qui n'était pas prévu, est lié à ce paquet. En effet, le paquet « télécoms » est le cadre de l'amendement « ex-138 », qui a fait l'objet d'un débat aussi passionné au Parlement européen qu'à l'Assemblée nationale. Dans cette affaire, notre message au Parlement européen est que, quelles que soient les opinions des uns et des autres, il n'est pas de tradition que celui-ci se mêle directement d'un débat de politique interne, d'autant plus que ce débat a beaucoup marqué les parlementaires des deux principaux partis. Je crois d'ailleurs que ce n'est pas le sens de l'équilibre des institutions.

Ensuite, la directive sur les soins de santé transfrontaliers : il y a également une proposition de résolution du Sénat. Il est très important pour le SGAE que vous ayez manifesté votre intérêt. J'espère que cette résolution sera adoptée car nous en avons besoin.

M. Hubert Haenel :

La commission des affaires sociales l'a adoptée. Elle n'ira pas en séance plénière en sorte qu'elle soit définitive dans de très brefs délais.

M. Gilles Briatta :

C'est un sujet particulièrement polémique entre les États membres, d'une très grande sensibilité politique. Actuellement, faute de règles minimales à peu près détaillées sur la prise en charge des soins transfrontaliers hospitaliers, la Cour de justice des Communautés européennes devient presque tribunal administratif de certains systèmes hospitaliers nationaux. Le président de la Cour de justice nous a d'ailleurs dit, lorsque nous l'avons rencontré avec le Premier ministre il y a quelque mois, que ce n'était pas normal et qu'il ne devait pas se substituer au législateur. Cette situation est d'autant plus anormale qu'elle entraîne une incertitude considérable sur les régimes de sécurité sociale, car ils doivent attendre l'arrêt de la Cour dès qu'un citoyen la saisit. Si cette directive n'est pas adoptée, on restera dans cette situation de relative incertitude. Il existe ainsi certains cas où l'absence de législation européenne fait que ce sont les juges qui décident, et non les politiques ; or, les juges eux-mêmes nous demandent d'agir. Il existe le même problème avec les jeux et paris. On demande au fond à la Cour de trancher des problèmes que les États membres ne parviennent pas à régler.

Je reviens brièvement sur le paquet « énergie-climat », dont la mise en oeuvre interne est très importante, avec un processus comitologique que nous surveillons très attentivement. En effet, des points fondamentaux vont être adoptés par ces comités techniques. Il n'est pas question de laisser cela à une filière sans contrôle.

Il faut aussi envisager la mise en oeuvre externe du paquet « énergie-climat ». Car le travail de l'Union européenne sur le sujet ne servira à rien si nous ne parvenons pas à obtenir, à la fin de l'année ou au début de l'année prochaine à Copenhague, un accord sur la lutte contre le réchauffement climatique. C'est un sujet de discussion majeur entre les États-Unis et l'Europe. Ce sera aussi l'un des sujets majeurs débattus entre le Président Obama et les chefs d'État et de gouvernement à Prague ce dimanche. Le Président Obama a annoncé un certain nombre d'efforts que les États-Unis sont prêts à consentir en ce qui concerne la baisse de CO2. Nous sommes en train d'établir une comparaison entre les réductions décidées par l'Union européenne et les réductions envisagées par les Américains. Le résultat est, en première analyse, plutôt inquiétant ; nous espérons que ce n'est pas le dernier mot américain. En tout cas, à moyen terme, à l'horizon 2020, leur objectif de réduction n'est pas comparable au nôtre.

Je souhaite aussi vous rappeler l'existence d'une directive sur la sûreté nucléaire qui est en cours de discussion. C'est un sujet très important qui a soulevé quelques questions, notamment de votre part, sur la subsidiarité. Je suis absolument convaincu que, lorsque la santé, voire la vie des citoyens sont en jeu, il n'y a aucun problème de subsidiarité à régler de manière continentale un problème continental. Si une centrale nucléaire, dans un État européen, a des normes inférieures aux nôtres, c'est un problème pour toute l'Europe. Donc je pense qu'il y a ici une légitimité absolue de l'intervention communautaire, d'ailleurs prévue par le traité Euratom. Si ce texte est adopté, il sera le plus important texte Euratom depuis plus de 20 ans, l'idée étant qu'on ne peut pas accepter la relance du nucléaire sans d'abord relancer la sûreté. Or, la relance du nucléaire en Europe est désormais irréversible et nous nous en satisfaisons en tant que gouvernement français, mais nous avons beaucoup insisté pour qu'elle s'accompagne d'un rehaussement des normes. C'est vital pour la confiance que les citoyens européens auront dans cette énergie. Je souligne que les États les plus antinucléaires - il n'en reste pas beaucoup - ne sont pas du tout opposés à cette directive.

La directive sur le temps de travail reste un texte sensible, surtout en cette période pré-électorale. Le sujet reste source de division, mais pas entre les États membres, puisqu'un très bon compromis a été validé au Conseil sous présidence française, après avoir été largement élaboré sous présidence slovène. Tous les mots ont été pesés. Au Parlement européen, bien sûr, tout est ouvert ; mais nous ne sommes pas assurés de retrouver une majorité qualifiée au Conseil si les députés européens changent quelques mots importants sur cette directive très sensible. Je crains donc que les débats ne durent encore un certain temps.

Sur la directive discrimination, il existe également une résolution de la Haute Assemblée, très critique sur ce texte qui divise profondément les États membres. Certains pensent que ce n'est pas le rôle de l'Union européenne de traiter ce sujet, tandis que d'autres estiment que la proposition de la Commission ne mérite même pas d'être regardée car elle n'est pas assez ambitieuse. Il faut s'attendre à de très longs débats. Le Parlement européen sera certainement plus enthousiaste que le Conseil sur ce texte.

En ce qui concerne les OGM, la Commission lancera dans quelques mois le processus de renouvellement de l'autorisation communautaire de l'OGM à la source de tous les débats, à savoir le MON-810 de Monsanto. Nous suivons bien sûr cela de très près. La confusion règne en ce qui concerne la clause de sauvegarde française. Normalement, la Commission aurait déjà dû la transmettre au Conseil. Une majorité qualifiée serait nécessaire au Conseil pour refuser que cette clause ne tombe, mais vu ce qui s'est passé avec l'Autriche sur le même sujet, où une très large majorité qualifiée a été trouvée contre la Commission, cette dernière préfère probablement examiner le paquet dans son ensemble à l'occasion du renouvellement du MON-810.

Je voudrais aborder deux autres sujets, qui concernent nos relations avec les États-Unis dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. Je sais à quel point le Sénat est vigilant sur les libertés publiques. Il y a d'abord Guantanamo. Vous savez qu'un certain nombre de ressortissants européens vont sortir de la prison de Guantanamo, et que cela peut poser des problèmes de sécurité. Il faut trouver une façon coordonnée de traiter le problème. C'est en tout cas ce que les Américains attendent de nous. Nous sommes en train de consolider la position européenne sur ce sujet, ce qui n'est pas très facile. Le prochain conseil JAI débattra de ce sujet.

Un autre sujet euro-américain très important est la délivrance des visas. Un certain nombre d'États membres, dont la France, bénéficient du programme d'exemption des visas, tandis que de nombreux nouveaux États membres n'en bénéficiaient pas. Les Américains se sont mis à négocier bilatéralement avec les États membres en question, afin de les inclure dans le programme d'exemption. Cela pose un problème, car ce sont souvent des compétences communautaires, ex-Schengen, communautarisées depuis le traité d'Amsterdam, et on se retrouve maintenant dans une situation complexe où des États membres ont fait individuellement des promesses, parfois contradictoires, aux Américains, sur des sujets communautaires. On essaye de mettre un peu d'ordre, mais ce n'est pas facile, car les États-Unis se tournent désormais vers des pays comme nous, bénéficiant déjà de l'exemption de visas, en disant qu'ils ont obtenu des garanties des pays de l'Est et qu'ils veulent obtenir les mêmes de notre part si nous voulons rester dans le programme. Il est bien évident que plus les États membres sont divisés, moins ils pèsent. Il y a donc une obligation juridique et politique de définir une position commune sur ce sujet. Une mission dirigée par la présidence tchèque se rendra fin avril aux États-Unis sur ce thème. Nous suivons cette question avec la plus grande attention, parce que nos amis Américains exigent, parfois en toute bonne foi, des concessions qui peuvent s'avérer lourdes de conséquences, surtout en matière de protection des données.

Pour compléter cet inventaire partiel, je citerai encore deux sujets. Tout d'abord, l'abattage rituel. La question est de savoir de quelle manière peuvent être abattus les animaux à l'occasion des fêtes juives et musulmanes notamment. Il y a une proposition de la Commission sur laquelle le Parlement européen est très enthousiaste. Il est certes légitime de vouloir empêcher ou réduire la souffrance des animaux, mais encore faut-il que cela soit considéré par les communautés religieuses comme conforme à leur religion. Nous espérons nous acheminer bientôt vers un compromis.

M. Hubert Haenel :

Je rappelle à mes collègues que Jean Bizet a rapporté sur ce texte dans le cadre du contrôle de la subsidiarité, et que la réponse que nous avons reçue de la Commission nous a semblé satisfaisante.

M. Gilles Briatta :

Le deuxième sujet qui peut devenir très vite sensible - la presse a commencé à en parler - concerne l'accord entre l'Union européenne et la Corée du Sud. Cet accord de libre-échange a été poussé par la France, car nous avons essentiellement des intérêts offensifs en Corée. Ce n'est pas un exportateur agricole, et c'est un État qui a de nombreux accords industriels avec de grandes entreprises françaises. La Corée du Sud est un État industriel majeur, qui a une organisation étatique comparable à la nôtre, et qui est culturellement, depuis trente ans, très attiré par la culture française. Nous avons conclu de nombreux accords culturels avec ce pays. C'est pour cela que nous avons un projet d'accord quasiment élaboré, et un protocole culturel entre l'Union européenne et la Corée du Sud.

J'attire votre attention sur deux points particuliers. Tout d'abord, les règles d'origine. Il ne faudrait pas que, en pleine crise industrielle, à l'occasion d'un accord Union européenne-Corée du Sud, on s'aperçoive qu'on va importer en droits nuls des biens chinois et non pas coréens. Or, comme on ne sait pas trop ce qui se passe entre la Corée et la Chine - il y a énormément d'usines coréennes en Chine -, c'est un débat d'une très grande importance. Nous sommes loin d'être seuls, puisque les Italiens, les Espagnols et les Allemands ont la même position que nous. Qu'il y ait une part de produits chinois dans les produits coréens, c'est quelque chose que l'on tolère dans tous les accords de libre-échange. Mais il faut que cette part soit limitée. Les Coréens sont très durs sur ce point, tout comme nous, mais dans l'autre sens.

Deuxièmement, le Protocole culturel. Il était indispensable d'en avoir un, car nous y avons intérêt. Mais les Coréens exigent une reconnaissance des coproductions européennes (cinéma et dessins animés) dans l'accord. Il y a un débat en ce moment parmi les professionnels français pour savoir si c'est un bien ou si c'est un mal. En deux mots, les professionnels du cinéma et du dessin animé français n'aiment pas voir en annexe d'un accord de libre-échange un accord culturel. En effet, ils ont l'impression qu'on a vendu la culture contre des marchandises. D'un autre côté, comme c'est la Commission et l'Union européenne qui ont négocié, l'accord de coproduction est bien plus favorable que tout accord que nous avons jamais négocié de manière bilatérale. Pour vous donner un exemple, en général, dans les accords de production avec les pays tiers, il suffit que la France ait 20% d'apport dans une oeuvre cinématographique et l'autre pays 80%, pour que ce soit considéré comme une oeuvre française. Cela rentre alors dans les quotas de télévision sans frontière. A notre demande, la Commission n'a pas accepté cette répartition : le 20% est devenu 30%, voire 35 % pour les dessins animés. De plus, l'accord de coproduction ne serait valable que trois ans et il faudrait l'unanimité des États membres pour le reconduire. Donc ce sont des conditions excellentes, ce que reconnaissent une partie des spécialistes français du secteur. Le problème est une question de symbole et de principe : peut-on accepter cet accord ? Faut-il des garanties supplémentaires ? Est-ce un précédent grave pour l'avenir ? Vous savez comme moi à quel point les symboles et les principes sont importants dans notre pays dans le domaine culturel, ainsi que la question du précédent. Le débat français interne sur ce dossier compliqué est en tout cas toujours en cours.

Pour finir, je dirai un mot sur le suivi des résolutions du Parlement, pour commenter la réponse que j'ai faite à votre lettre sur ce sujet. Si les résolutions ne sont pas suivies d'effet, elles ne servent à rien. Généralement, elles le sont. Ce que nous vous proposons, c'est d'engager une procédure interne au SGAE, avec une fiche réactualisée très régulièrement, qui, sur tout sujet sur lequel il y a une résolution, fait que l'agent SGAE en charge de la coordination, et donc en lien avec tous les ministères et avec la Représentation permanente, note régulièrement l'évolution du dossier au regard de la résolution. La question est de savoir à quel moment nous vous donnerons le premier résultat de tout cela. Nous pensons que le plus simple est de vous informer au moment où un accord est en train de se cristalliser au Conseil, ce qu'on appelle un accord politique, sauf si nous constatons qu'il y a un grave problème, auquel cas nous vous avertirons. Rien ne vous empêche bien sûr à tout moment de me contacter si vous avez le moindre doute sur un texte en cours. L'information passe aussi par le biais de diverses auditions, notamment dans le cadre des commissions permanentes

Comment informons-nous les négociateurs de la position du Sénat ? La résolution, lorsqu'elle est adoptée, est immédiatement transmise à tous les négociateurs, c'est-à-dire ceux de la Représentation permanente et les négociateurs sectoriels, ainsi qu'à tous les ministères concernés. La résolution est également mentionnée dans les notes de position que nous adressons aux parlementaires français du Parlement européen. Par ailleurs, toute résolution est systématiquement incluse dans les dossiers de synthèse que nous préparons pour les Ministres lorsqu'ils se rendent au Conseil. La vraie question qui se pose à mon avis est de déterminer une méthode en ce qui concerne les propositions de résolution. Faut-il en tenir compte, et comment ? On ne peut pas en tenir compte de la même manière.

M. Hubert Haenel :

Il y a des cas où des propositions de résolution sont appelées de manière certaine à devenir des résolutions telles quelles, soit par accord tacite, soit parce qu'il y a eu un passage en séance publique.

M. Gilles Briatta :

Absolument. Je pense que ce qui déclenche la procédure, c'est le vote de la résolution. Nous sommes à votre disposition si vous souhaitez nous rencontrer au sujet d'une proposition de résolution. C'est ce que font régulièrement les commissions spécialisées du Sénat, par exemple dernièrement en ce qui me concerne sur la proposition de résolution sur la diversité linguistique. J'ai trouvé ce débat très intéressant, et je préfère intervenir le plus en amont possible, car c'est bien à ce moment là que c'est le plus utile. C'est à vous de déterminer quand vous souhaitez signaler un sujet particulièrement important au SGAE ou quand vous souhaitez des précisions sur un sujet. Ce genre de rencontres est mutuellement très bénéfique. Ceci n'empêche pas non plus les contacts informels téléphoniques, qui sont également essentiels. Nous avons un intérêt mutuel à ce suivi des résolutions. Nous sommes également à votre service dans le cadre des rapports d'information. Là encore, nous sommes à votre disposition au moment de l'élaboration et après, pour le suivi du rapport.

M. Hubert Haenel :

Vous avez eu raison d'insister sur le lien avec les collectivités locales, et je crois qu'il faut que l'on approfondisse ce point ensemble car c'est très important pour les sénateurs.

Vous avez la même difficulté que nous pour savoir ce qui se passe dans le domaine de la comitologie. Nous allons entrer en contact avec le Parlement européen pour essayer de savoir comment il accède à l'information à ce sujet.

M. Richard Yung :

J'ai évidemment énormément de questions à vous poser. Je prépare un rapport sur la politique sociale et je voudrais me concentrer sur ce sujet. Quels sont les positions et les sujets sur lesquels, dans ce domaine, la France fait des propositions, veut faire avancer des dossiers ? Quelles sont ses priorités ? La politique sociale est traditionnellement un parent pauvre, et la conjoncture actuelle n'arrange rien. Des entretiens que j'ai eus à Bruxelles, je retiens l'impression qu'on fait table rase du peu qui existe, et qu'il n'y a pas beaucoup d'idées sur ce qu'on peut faire dans l'avenir. Il y a eu l'annulation, ou plutôt le « reformatage » de dimension, comme on dit, du Sommet sur l'emploi. Je comprends l'honnêteté de la démarche qui consiste à dire que cela ne sert à rien d'organiser un sommet s'il n'y a rien à annoncer, mais, en même temps, par rapport à ce qui se passe dans nos économies et au développement de la crise, on est justement inquiet de constater qu'il n'y a pas de proposition. Donc, est-ce qu'il y a de votre côté des réflexions sur le volet social de la réponse à la crise économique ?

Mme Bernadette Bourzai :

Je voulais poser une question par rapport à l'avenir de la politique agricole commune. Vous ne l'avez pas cité parce que ce n'est plus un dossier chaud : le bilan de santé vient d'être conclu, et il provoque certainement beaucoup plus de « dégâts collatéraux » en France que dans d'autres pays. Il n'empêche que l'avenir de la PAC me paraît tout de même mal orienté, parce qu'il y a une dérive libérale qui se vérifie dans l'accord du bilan de santé. On peut craindre à cet égard la négociation sur les prochaines perspectives financières, qui donnera une nouvelle indication sur la part que l'Europe veut consacrer à la PAC, si tant est qu'il reste une PAC - car c'est aussi une question. Pensez-vous que la France puisse jouer un rôle pour maintenir, dans la situation de crise alimentaire actuelle, et avec toutes les variations et la volatilité des marchés agricoles, phénomène nouveau, une PAC significative, et qui garantisse la souveraineté alimentaire du continent ?

M. Simon Sutour :

Je voudrais dire un mot sur les résolutions. Ce qui est important dans les résolutions, ce n'est pas que tout s'achemine, qu'on soit informés, que les ministres aient dans leur classeur la résolution. L'essentiel est qu'ils en tiennent compte. Pour nous, le plus important est que ces résolutions soit politiquement rendues publiques, et que, sur nos territoires et au niveau national, l'opinion s'en saisisse. Je crois que cela pèse autant que le reste.

Vous avez évoqué le projet de PNR européen en parlant de la question des visas. Notre commission a adopté une proposition de résolution. Cette dernière est maintenant devant la commission des lois. Je voudrais savoir s'il y a eu une évolution dans les discussions au sein du Conseil dans les derniers mois ou les dernières semaines à ce sujet.

Je voudrais aussi évoquer le problème du vin rosé : sur cette question, on a le sentiment qu'il y a eu des failles dans l'élaboration du processus de décision. D'ailleurs, l'évolution de la position du ministre de l'agriculture nous éclaire là-dessus, puisqu'il est passé de la prudence à la dédramatisation, avant de soutenir une position plus franche et plus nette que nous apprécions. Ce que je veux vous dire, et qui n'est pas encore assez entendu et compris, c'est que vous ne vous rendez pas compte des dégâts que ce genre de décision produit pour l'Europe. Dans nos circonscriptions, on ne parle que de ça, et le problème, c'est qu'on ne retiendra que ça. Et le jour où les citoyens auront de nouveau à voter sur un traité européen, le « non » progressera encore. C'est dramatique, et nous qui sommes des défenseurs de l'Europe et qui nous battons tous les jours, on est un peu désespérés, parce qu'on a l'impression de prêcher dans le désert. On tuera l'Europe si on continue ainsi, et cela me désole. Je ne parle pas de l'affaire de la rémunération des commissaires européens qui apparaît choquante dans le climat actuel. Ce genre d'informations circule facilement avec Internet. Que puis-je répondre aux agriculteurs en colère de mon département ? Il y a des amalgames qui sont faits.

Enfin, j'aimerais avoir des éléments concrets, si vous en avez, sur la tauromachie. Je fais en effet parti d'un groupe d'étude sur le sujet. Là aussi, on nous annonce de grandes décisions au niveau de l'Union européenne. J'aimerais savoir où on en est à cet égard.

M. Pierre Fauchon :

J'ai noté avec beaucoup d'attention vos observations inquiétantes sur ce qui se passe à Bruxelles. Il faut avouer que l'administration bruxelloise se développe de son propre mouvement. Mais qui peut lui en vouloir, alors qu'il n'y a pas de tête politique en Europe ! Il est effrayant de constater que l'Europe, dans la crise actuelle, est dirigée par un pays qui n'a pas de gouvernement, qui n'a pas ratifié le traité de Lisbonne et qui n'adhère pas à l'euro ! Le problème n'est pas de ne pas tuer l'Europe mais de la faire vivre !

Quand vous parlez de la comitologie, je parlerais plutôt de la « comitocratie » ! Je suis pessimiste tant la situation actuelle me paraît grave.

Je voudrais vous interroger sur une question relative au troisième pilier, à savoir les lois applicables en cas de divorce transfrontalier. C'est une question concrète, qui touche la vie quotidienne des citoyens européens. Il y a de plus en plus de couples transnationaux, et, en cas de divorce, ils se trouvent confrontés à des difficultés juridiques terriblement compliquées et onéreuses. Les textes produits à Bruxelles sur le sujet sont effroyablement complexes, pour ne pas dire illisibles. Une réflexion est en cours sur la possibilité d'obtenir un texte commun sur la loi applicable en cas de divorce. Étant donné les résistances de certains États membres sur le sujet, il avait été envisagé de lancer une coopération renforcée entre ceux qui voulaient avancer. Celle-ci était sur le point d'aboutir. Mais Jacques Barrot a subitement décidé qu'il y avait encore une chance d'y parvenir tous ensemble. Il semble qu'on ait donc renoncé à la coopération renforcée et qu'on soit repartis pour un tour de négociations.

Je raccroche ce cas à une réflexion plus générale que j'ai menée sur les coopérations renforcées comme seul moyen de faire avancer l'Europe. Parce que rien ne marche dans l'Union européenne à 27. Les projets qui réussissent impliquent 5, 10 ou 15 États membres. Je rappelle l'euro, Schengen. Le meilleur exemple en est le casier judiciaire, qui a commencé à 2 ou 3 pays, pour atteindre aujourd'hui 15. Les Anglais seraient même intéressés ! Mais la Commission européenne est frileuse sur les coopérations renforcées. Elle ne les aime pas beaucoup, car elle craint par ce biais le développement d'une Europe à deux vitesses. Avez-vous quelques informations sur les évolutions relatives au divorce transfrontalier ?

M. Gilles Briatta :

Sur la politique sociale et la crise économique, outre la mesure très partielle, je le reconnais, concernant le Fonds d'ajustement à la mondialisation, qui n'est qu'une petite partie du problème, mais très visible, il y a un dossier sensible, suivi de près par les syndicats, qui est relatif aux conséquences de l'arrêt Laval sur l'interprétation de la directive « détachement des travailleurs ». Comme vous le savez, on a confié aux partenaires sociaux le soin de négocier pour se mettre d'accord sur une interprétation de la directive, qui permettrait de calmer les craintes réelles et justifiées des syndicats, face à des arrêts qui avaient l'air d'invalider complètement les conventions collectives. On entendra certainement beaucoup parler de ce dossier, mais plutôt dans quelques mois. Soit un accord sera trouvé et sera repris par les institutions, soit il n'y aura pas d'accord, et il faudra voir alors si la commission entend légiférer de sa propre initiative dans ce domaine. Le détachement des travailleurs est un point vraiment sensible pour les États membres. La question est de savoir quelles conditions s'imposent à ces travailleurs détachés lorsqu'ils remportent un contrat dans un autre État.

Sur la crise économique elle-même, mon opinion est que le débat sur le rôle de l'Europe n'a fait que commencer. Pour l'instant, nous sommes dans une action surtout budgétaire, et ces ressources sont essentiellement dans les Etats membres, tandis que le budget communautaire, négocié et renégocié, se caractérise par sa relative rigidité. Néanmoins, on voit bien qu'un certain nombre de débats sont en train de ressurgir sur trois thèmes essentiels qui ont tous un rapport direct avec la crise :

- premièrement, que fait l'Europe en externe ? J'ai parlé de l'accord Union européenne-Corée du Sud. Il est vrai que, lorsque l'on parle de craintes de protectionnisme, il est normal que, face au blocage du multilatéralisme, l'Union européenne envisage des accords qui soient à son avantage, ce que nous devons vérifier. Mais l'externe, c'est aussi la défense de la protection de la propriété intellectuelle européenne, ainsi que tous les autres éléments du volet externe à l'activité économique, qui est pour l'instant éparpillé dans de nombreuses directions générales, et qui est sans doute un élément essentiel pour sortir de la crise.

- deuxièmement, il existe un débat au sein de chaque État membre sur la soutenabilité des finances publiques. Tout le monde est d'accord pour dire que les règles du Pacte de stabilité permettent de faire une relance budgétaire. Le vrai débat que l'on voit poindre dans certains États membres (Allemagne, Pays-Bas), c'est de savoir s'il ne faudrait pas rapidement accompagner cette relance budgétaire par des engagements de soutenabilité des finances publiques précis à moyen terme, c'est-à-dire à l'horizon 2015 ou 2020. Les Allemands ont décidé d'une modification constitutionnelle sur la limitation du déficit budgétaire fédéral à partir de 2016, et sur l'interdiction de l'endettement des collectivités locales à partir de 2020, tandis que les Pays-Bas viennent de négocier avec leurs syndicats un accord de relance de 5 milliards d'euros, accompagné d'un engagement du gouvernement et des syndicats d'un effort d'économies budgétaires entre 2011 et 2021 qui est impressionnant. Cette question, très politique, se posera tôt ou tard au sein de la zone euro : est-ce qu'une bonne relance ne doit pas s'accompagner d'engagements fermes de rétablissement des finances publiques à moyen terme ? Pour l'instant, tout le monde est d'accord sur le fait qu'il faudra garantir la soutenabilité des finances publiques à moyen terme, mais quelques États membres commencent à adopter nationalement des décisions contraignantes à ce sujet.

- troisièmement, la question du rôle de l'Union européenne dans la crise économique. Pour ce qui est de la crise financière, tout le monde reconnaît que l'Union a fait ce qu'elle pouvait faire, tout comme la Banque centrale européenne. Cette dernière sort d'ailleurs renforcée de cette crise au regard de sa crédibilité. Mais, au niveau économique, à part l'objectif légitime de coordination de nos politiques de relance, que fait l'Union européenne, à part autoriser les régimes exceptionnels d'aides aux entreprises des Etats membres ? L'Union européenne, qui a un pouvoir de normalisation considérable, ne devrait-elle pas jouer un rôle plus précis pour aider certains secteurs qui sont plongés dans la crise à en ressortir plus forts ? L'exemple typique est le secteur automobile. Il est certes nécessaire d'aider l'automobile sur le plan financier (dans le respect des règles communautaires). Il est évident, comme nous l'avons expliqué au plus haut niveau à la Commission, que le secteur automobile restera un secteur industriel important car les gens auront toujours besoin de véhicules. Mais ce seront des véhicules à terme différents, plus propres. Tous les constructeurs en sont conscients. Or, l'Europe ne fait pas tout ce qu'elle devrait faire. Croit-on sérieusement qu'un État pourra développer seul un véhicule électrique, qui ne sera pas compatible dans un autre État membre ? Croit-on vraiment qu'on peut mener des expérimentations de véhicules qui s'arrêtent à la frontière française ou allemande, sans même savoir si les règles d'infrastructures permettront le déplacement de ce véhicule électrique dans l'autre État membre ? Pense-t-on sérieusement que, pour l'alimentation électrique, il n'y aura que des normes nationales, ce qui impliquerait qu'un véhicule électrique utilisé en France ne pourrait pas être rechargé au Royaume-Uni ? Or, si l'Europe ne fait rien, c'est ce qui arrivera. Il faut une impulsion pour qu'on s'organise à 27 afin de réfléchir à tout cela. On l'a fait entre la France et l'Allemagne, en lançant un groupe de travail, qui traitera notamment de la question de la compatibilité des véhicules électriques, pour encourager l'Union européenne à jouer son rôle dans ce domaine. Certains fonctionnaires de la Commission sont très demandeurs de ce type d'action, et c'est naturel. On n'aurait jamais eu une industrie de la télécommunication mobile en Europe, s'il n'y avait pas eu la norme européenne GSM.

Nous essayons de montrer que l'Union européenne a tellement de pouvoir de normalisation, de coordination, de moyens de mobiliser des crédits de recherche, qu'il faut qu'il y ait une action sectorielle digne de ce nom sur trois ou quatre secteurs industriels, qui d'évidence continueront à jouer un rôle fondamental. Et malheureusement, je le reconnais, ce message passe encore assez mal, même si les autres États membres, quand on leur explique concrètement ce qu'on pense, sont plutôt intéressés.

Sur l'avenir de la PAC, la présidence française a cadré le débat. Elle a organisé un débat très intéressant sur le sujet, et on a pu prendre conscience du grand nombre d'États favorables à une PAC forte. Il n'y a guère que trois États, voire quatre, qui refusent absolument de soutenir une PAC ambitieuse. Et cela a changé les rapports de force. Vous avez parfaitement raison de dire que la révision des perspectives financières sera une étape très importante pour la PAC. On va y venir vite. Quel que soit le bilan de cette révision, de toute façon, l'échéance 2014 est imminente. Pour être prêt pour les nouvelles perspectives financières, il faut que la Commission dépose ses propositions fin 2010, voire début 2011. Donc c'est notre rôle, en tant que principal pays agricole de l'Union européenne, de déterminer ce que nous souhaitons faire de la PAC, et de convaincre nos partenaires qu'un budget important sera toujours nécessaire, même s'il faut bien sûr moderniser tout cela. C'est pour ça que je ne partage pas votre crainte sur une dérive totale dans ce domaine. Nous avons montré que la PAC peut s'adapter, et nous avons compté les États membres qui souhaitent maintenir une PAC digne de ce nom. Il faudrait maintenant que l'on soit capable, avec ces États, d'offrir des perspectives budgétaires à la fois raisonnables et ambitieuses. Si on est divisés, il est certain que cela profitera aux adversaires de la PAC. Mais la réflexion commence maintenant, et il nous faudra définir rapidement en interne ce qu'on veut comme perspectives budgétaires.

Mme Bernadette Bourzai :

Je voudrais simplement souligner que Mme Fischer-Boël n'a pas changé son discours d'un iota malgré la crise alimentaire de l'hiver 2007-2008. J'observe que la libéralisation des quotas laitiers se traduit par une situation catastrophique à l'heure actuelle pour les producteurs de lait. Or, elle vient de déclarer qu'elle ne changera pas de politique. Sera-t-elle renouvelée dans sa fonction ? J'avais pressenti l'affaire du vin rosé, car la commissaire voulait uniformiser l'OCM « vin ». Elle n'avait pas compris que c'était un sujet véritablement culturel. Donc, je reste sceptique, parce que les mesures qui ont été prises ouvrent à la libéralisation. Je pense qu'il y a une orientation libérale sur laquelle il sera difficile de revenir s'il n'y a pas une volonté politique commune.

M. Gilles Briatta :

Sur les quotas laitiers, vous connaissez notre position qui rejoint ce que vous avez dit. Il y a un vrai problème et nous continuons bien sûr à faire pression.

Sur le vin rosé, nous avons parfaitement conscience des dégâts, croyez-le bien. Il est en plus très difficile d'expliquer d'où vient cette mesure. Le vrai problème vient du fait que ce sujet a été traité dans une filière technique qui ne se rendait pas compte de son impact politique. Pour tout vous dire, j'ai interrogé des hauts fonctionnaires de la Commission et eux-mêmes ont découvert le problème une fois qu'il était trop tard. Je le répète, on a ici un exemple de l'inadaptation de la procédure comitologique actuelle et de notre contrôle national de cette procédure.

Sur la tauromachie, il y a régulièrement des tentations de l'Union européenne de légiférer dans des domaines où elle ne le doit pas. L'une des difficultés, c'est que le débat existe dans certaines régions d'Espagne même. Il faut faire très attention à un tel débat au niveau européen, je suis totalement d'accord avec vous.

M. Simon Sutour :

Le débat a lieu dans les zones où la tauromachie se pratique, et pas uniquement en Espagne.

Mme Bernadette Bourzai :

Le débat fait rage depuis deux ans au Parlement européen.

M. Gilles Briatta :

C'est une très mauvaise idée de vouloir trancher des débats internes de ce type, réellement culturels, au niveau communautaire.

Je connais bien le débat sur les divorces transfrontaliers. La Commission hésite effectivement à lancer une coopération renforcée. Elle n'était pas la seule à hésiter quant à la suite à donner à la lettre des huit États membres réclamant une coopération renforcée à la suite des blocages constatés au Conseil. Elle hésitait pour une question d'affichage politique après le non irlandais, au motif qu'il fallait défendre l'Europe à 27. Nous avons dit au Commissaire Barrot que le traité prévoit la coopération renforcée justement dans des cas de blocage. Je vous rejoins donc totalement.

Sur l'absence de coopération renforcée, on peut se demander si elle est liée aux conditions posées par le traité. Le cas présent démontre que non, puisque la Commission hésite ici plutôt pour des raisons politiques, alors que toutes les conditions sont réunies, notamment la condition du nombre - au moins huit États membres. La France s'est d'ailleurs ralliée à l'idée d'une coopération renforcée dans ce domaine. On en reparlera car je pense qu'à 27, il y a malheureusement peu d'espoir que cette affaire se débloque. On a des problèmes concrets à résoudre dans plusieurs États membres, et on a donc un vrai intérêt entre voisins à débloquer la situation.

Là où je ne vous rejoins pas tout à fait, c'est sur votre pessimisme sur l'Union à 27, quand vous dites qu'on ne peut rien faire à 27. Cela dépend avant tout de la volonté politique. Quand la volonté existe, cela peut fonctionner, comme on l'a constaté sous présidence française avec le paquet « climat-énergie », que tout le monde annonçait comme perdu d'avance. Lorsque l'on n'est pas dans une période pré-électorale, lorsque l'on est en présence d'une présidence qui veut utiliser tous les moyens de l'Union européenne à sa disposition, lorsqu'on peut convaincre les États membres que leur intérêt commun est d'agir ensemble, on s'aperçoit qu'on peut avancer à 27. Il est vrai que, de ce point de vue, la présidence tournante est un système imparfait et que le traité de Lisbonne marquera une amélioration notable.

M. Hubert Haenel :

J'ai toujours l'impression que, chaque fois qu'on parle de coopération renforcée, j'entends toujours les meilleures raisons de la part de la Commission, du Parlement européen, et des autorités nationales pour nous expliquer que ce n'est pas possible. Et c'est bien dommage, car comme Pierre Fauchon l'a démontré dans son rapport, on a des coopérations renforcées ou spécialisées qui marchent parfaitement bien et qui ont permis d'accélérer le mouvement dans un certain nombre de domaines. Alors qu'à 27 et plus, on est condamnés à ne rien faire, s'il n'y a pas ce type de différenciation.

M. Pierre Fauchon :

Il faudrait définir un statut conjugal européen pour les gens qui se marient, mais qui serait optionnel. Ce serait une avancée extraordinaire car on aurait créé une première branche du droit européen.